"fille, 1983" de Linn Ulmann

 

fille, 1983 (Jente, 1983)
Auteur : Linn Ullmann
Traduit du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud
Éditions : Christian Bourgois (4 Avril 2024)
ISBN : 978-2267050134
280 pages

Quatrième de couverture

En 1983, à seize ans, Linn Ullmann passe une nuit à Paris qui la changera à jamais. Près de quarante ans plus tard, elle tente de comprendre la jeune fille qu'elle a été. Des souvenirs obsédants la ramènent à cette adolescente en rébellion contre sa vie, ses parents célèbres, son lycée à New York où elle réside avec sa mère. Et puis cette folle décision de prendre un avion pour Paris, seule, parce qu’un célèbre photographe croisé dans un ascenseur la réclame pour un shooting de mode. Perdue dans une capitale qu’elle ne connaît pas, elle erre dans les rues, avant d’être livrée aux mains d’un homme de trente ans son aîné.

Mon avis

Ce roman est largement inspiré de ce que l’auteur a vécu à seize ans lorsqu’elle est venue à Paris. Le rédiger n’a pas été simple, elle a essayé plusieurs fois avant de trouver comment s’y prendre. Et une fois lancée, tout est venu plus facilement, elle a exprimé ce qu’elle avait accumulé. Elle a dû être soulagée d’avoir « extirper » tout cela, en espérant que l’avoir couché sur le papier lui a permis de tourner la page.

« En écrivant ce qui m’est arrivé, en racontant l’histoire de la manière la plus véridique possible, je m’efforce de les rassembler dans un seul corps : la femme de 2021 et la fille de 1983. »

Alternant ses souvenirs avec le présent (en 200/2021), elle revient sur l’année 1983, où jeune adolescente, elle est partie à Paris, contre l’avis de sa mère, pour suivre A., un photographe de quarante-quatre ans, qui lui avait fait miroiter un avenir de mannequin. Le mouvement Metoo avec le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas encore en vogue et les filles subissaient plus qu’elles ne choisissaient. Mais voir les faits sous cet angle serait un raccourci.

C’est un concours de circonstances qui la précipite dans le lit de cet homme. Avait-il déjà calculé cette conclusion ? Pas sûr. Linn Ullmann explore toute l'ambiguïté de la situation : son désir de plaire, de jouer avec son corps mais son besoin de maîtriser les événements. Elle ne se pose pas forcément en victime, elle reconnaît son implication. Des années après, elle porte son regard sur cette fille et essaie de la comprendre. Elle a désobéi, menti à sa mère et elle l’assume. Mais pourquoi sa maman n’est-elle pas venue la récupérer ? Que lui a-t-elle fait croire pour rester dans la capitale ?

Elle établit de nombreux discrets parallèles avec des femmes ayant vécu des choses semblables. Le rouge de son chapeau rappelle le petit chaperon rouge qui se jette dans la gueule du loup. Mais il y a également des allusions à Marguerite Duras, Annie Ernaux…. Toutes ont été confrontées à des agissements d’hommes sans l’avoir choisi. Ce sont des moments délicats, avec beaucoup d’ambivalence, de tiraillements.

La mémoire est quelques fois fragile, celle de l’adolescente, de sa mère… mais reparler de tout cela leur permet de poser des mots, d’échanger, d’avancer …

L’auteur est la fille du cinéaste Ingmar Bergman et de l’actrice Liv Ullmann. Le milieu dans lequel elle a évolué a-t-il eu une influence sur ce qu’il s’est passé lorsqu’elle était adolescente ?  Elle a croisé A. dans un ascenseur….

La forme du texte peut surprendre au début. On repart en arrière, on revient au présent, il n’y a pas toujours la date. Mais c’est bien comme ça que fonctionne notre esprit. On pense à quelque chose de précis qui nous fait rebondir sur un autre fait, ou le mettre en parallèle, ailleurs, à une autre date…. Pour moi, cela a plutôt été une force du texte de se présenter comme cela.

L’écriture est profonde (merci au traducteur), explicite, plutôt détaillée. Linn Ulmann se confie à nous et nous offre un texte fort sur l’arrivée brutale d’une jeune fille dans le monde adulte.


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