Jour de ressac
Auteur : Maylis de Kerangal
Éditions : Verticales (15 Août 2024)
ISBN : 978-2073054975
256 pages
Quatrième de couverture
"Finalement, il vous dit quelque chose, notre homme ?
Nous arrivions à hauteur de Gonfreville-l'Orcher, la raffinerie sortait de
terre, indéchiffrable et nébuleuse, façon Gotham City, une autre ville derrière
la ville, j'ai baissé ma vitre et inhalé longuement, le nez orienté vers les
tours de distillation, vers ce Meccano démentiel. L'étrange puanteur
s'engouffrait dans la voiture, mélange d'hydrocarbures, de sel et de poudre. Il
m'a intimé de refermer, avant de m'interroger de nouveau, pourquoi avais-je
finalement demandé à voir le corps ?
Mon avis
Son corps a été retrouvé sur une plage du Havre, dans un
coin ou les dealers passent souvent. Sa mort est-elle liée à un quelconque
trafic ? Cet homme n’a aucun papier sur lui, à part un ticket de cinéma au
dos duquel est griffonné un numéro de téléphone. Alors la police appelle. Au
bout du fil, une femme, doubleuse au cinéma et donneuse de voix. Elle a un
conjoint, une fille, une vie tranquille.
Une demande : « Madame, venez au Havre pour une
affaire qui vous concerne, un homme décédé, non identifié ». C’est le choc,
les questions puis le lendemain, le départ vers cette ville où elle a vécu
quand elle était jeune.
Elle ne voit pas ce qu’elle va faire là-bas, un aller-retour
rapide, hop le train pour rentrer et on n’en parle plus. Mais une fois sur
place, après avoir vu les photos du cadavre, elle décide de rester quelques
heures de plus pour essayer de comprendre ce que son numéro faisant dans la
poche où il a été retrouvé. Peut-être le connaissait-elle … autrefois ?
Le lecteur peut penser que la narratrice (dont on ne saura
jamais le nom) va se lancer dans une enquête policière. Mais pas du tout. Elle
déambule dans cette ville au gré de ses recherches, de ses pas, de ce qui lui
revient en mémoire. C’est son histoire personnelle qui la porte et on chemine
avec elle, dans son passé, son présent, ses pensées. On est dans son intimité,
au plus profond de son esprit, de ses émotions, de ses ressentis. Finalement sa
venue dans cette cité est prétexte à refaire le chemin de sa vie et telle la
vague brutale apportée par le ressac, les souvenirs affluent, se heurtent, vont
et viennent ….
Comme toujours, avec Maylis de Kerangal, le vocabulaire est choisi
avec soin, parfaitement adapté au contexte, ici un bord de mer tumultueux (le
vent, la pluie, la drogue…) qui a même connu la guerre. Les dialogues sont en
style indirect, insérés au texte et pourtant ça n’alourdit pas la lecture. Les
phrases sont longues, elles éveillent tous nos sens car l’auteur parle de sons,
de météo, de pierres qui écorchent et salissent les mains etc … Et puis quand
le présent surgit, au milieu des pensées, le style se fait plus vif.
« Pâles coïncidences, perturbations sensorielles,
associations fugaces et discutables, ces divagations se côtoyaient en moi comme
piégées dans le maillage translucide et serré d’un filet de tulle : je les
voyais qui voletaient, se posaient, battaient des ailes comme des papillons, je
les rapprochais les unes des autres. »
On s’attache aux pas de cette femme, on visite le Havre à
ses côtés, elle nous offre une approche de cette ville et au final, on irait bien
passer quelques jours là-bas ou encore quelques pages avec l’auteur pour le
plaisir de la musicalité du phrasé empli de poésie, de sens et qui déclenche
chez le lecteur un coup de cœur !
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