"Le carnaval des hyènes" de Michaël Mention

 

Le carnaval des hyènes
Auteur : Michaël Mention
Éditions : Ombres Noires (8 Juillet 2015)
ISBN : 978-2081347922
224 pages

Quatrième de couverture

Carl Belmeyer est une figure emblématique du paysage audiovisuel français. Présentateur du JT depuis plus de trente ans, il dissimule derrière son sourire une personnalité narcissique. Arrogant et manipulateur, il méprise tout le monde, à commencer par son public qui l'adore. Quand Barbara, une bimbo de l'émission de téléréalité Villa Story, meurt en direct sous les yeux horrifiés des téléspectateurs, le scandale secoue durement la chaîne. Elle doit rapidement redorer son blason et compte bien utiliser l'image charismatique de Belmeyer. Il redevient alors reporter de terrain et part couvrir la guerre civile qui fait rage au Liberia. Le message doit être clair pour l'audience : la chaîne se recentre sur l'essentiel.

Mon avis

En plein dans le PAF !!!

Carl Belmeyer a été journaliste, mais ça, c’était il y a longtemps… Maintenant, il est le roi du PAF, le Monsieur Journal Télévisé incontournable, connu de tous, adulé, depuis trente ans….
Il sait ce qu’il faut faire pour que le téléspectateur se scotche sur l’écran, l’écoutant comme un divin récitant. Juste ce qu’il faut mais pas trop, le bon dosage quoi… Et ce dosage, pour l’obtenir, et bien, il faut un peu d’exagération (mais c’est pour la bonne cause, pour que les gens comprennent mieux, pas vraiment du mensonge…), un peu de buzz (si c’est trop « lisse », comment voulez-vous que les personnes s’intéressent ??), un peu de provocation, un peu de suggestion… mais juste un peu, n’est-ce pas, comme si, finalement, il n’y avait presque rien…. Et de toute façon, c’est pour l’audimat….Et l’audimat, tout le monde le sait, c’est le nerf de la guerre….

Ah bon ? Cela vous fait penser à des situations existantes ou ayant existé… Euh, je vous arrête, c’est un roman donc…. Enfin, moi, ce que j’en dis…l’auteur n’a pas cité ses sources d’inspiration….

Carl est donc le « boss », le meilleur, le patron … et il le sait…. et il s’en sert….. Méprisant, puant, arrogant, il est détestable dans le quotidien sous un faux sourire et des airs affables…  Comment lui « rabattre son caquet » alors que tous ceux qui le côtoient souffrent d’un sentiment d’infériorité ?

Un problème sur la chaîne qui le fait travailler et le voilà pressenti pour redorer le blason… Partir sur le terrain, à nouveau, comme à ses débuts, et revenir plus haut, plus fort… En voilà une idée qu’elle est bonne !! Il hésite peu et n’oublie pas de négocier un petit (euh non, très gros, il ne perd pas le Nord) pécule qu’il trouvera à son retour…

Et le voilà parti, là-bas, loin, en Afrique, au Libéria, pour un reportage détonnant, un super coup médiatique…. Ce reportage exceptionnel  sera porté  par qui ? Je vous le demande…. Le fantastique Carl Belmeyer !!!! (Là, on se met debout et on applaudit bien fort – Pardon, je m’emballe, le livre a déteint sur moi  –). Le beau gosse pense, qu’une fois encore, il va tout maîtriser, manipuler, orchestrer, comme à son habitude. Pourquoi, d’ailleurs, en serait-il autrement ?
Parfois, c’est facile, « sur le papier », et puis, une fois confronté à la réalité, à  la vraie vie … les choses sont différentes… Et notre homme va l’apprendre à ses dépens….

Accompagné par une playlist tonitruante (les titres choisis et glissés ça et là par l’auteur cadencent la lecture),  l’intrigue est elle-même rythmée par une écriture décapante, brute de décoffrage, ne se cachant pas derrière de faux semblants. Michaël Mention écorche le paysage audiovisuel, et pas que… Il ose, il dit, il dénonce et on prend plein les yeux…. Qui manipule qui ? Pourquoi de nombreux spectateurs sont-ils passionnés par la télé réalité, qu’est-ce qu’un vrai journaliste ? Jusqu’où les informations qu’on nous livre quotidiennement sont-elles crédibles ?

Sous un aspect romancé, l’auteur pose les vraies questions, nous renvoie en pleine face notre crédibilité, notre facilité à croire ce qu’on nous offre comme « nouvelles », sans chercher à aller plus loin… Est-ce que parce qu’on fait confiance trop facilement, ou parce que c’est plus facile, que ça nous arrange de ne pas chercher à approfondir, à vérifier ….Parce qu’après tout « on n’est pas si loin de la vérité » (vieil adage bien connu…)

Cet opus en énervera quelques-uns (il n’en rajoute pas un peu là, il n’en fait pas trop ?), en ravira d’autres (ah enfin un écrivain qui met des mots sur ce qu’on pense tout bas,), interpellera peut-être certains (ou beaucoup)…..
« ….et nous voilà aujourd’hui dans un drôle de monde. L’homme n’y existe plus qu’à travers son besoin de représentation. » est-il écrit page 197… à chacun de se faire sa propre opinion….


"Souvenirs du rivage des morts" de Michaël Prazan

 

Souvenirs du rivage des morts
Auteur : Michaël Prazan
Éditions : Payot & Rivages (8 Septembre 2021)
ISBN : 978-2-7436-5369-9
370 pages

Quatrième de couverture

M. Mizuno coule une retraite heureuse après une vie sans histoire. Du moins c’est l’image qu’il s’applique à donner. Car son vrai nom est Yasukazu Sanso, ancien activiste de l’Armée rouge japonaise ayant déjà tué, et de sang-froid. La rencontre fortuite, à Bangkok, avec un vieux camarade va déclencher la mécanique implacable du souvenir. Comment, en quête d’idéal, s’est-il laissé embrigader dans les mouvements universitaires des années 1960 ?

Mon avis

C’est un grand-père paisible, veuf depuis peu. Il passe quelques jours de vacances dans un hôtel luxueux avec ses petits-enfants et sa belle-fille, Hiromi. Il n’a pas une grosse retraite mais son fils, qui a bien réussi, paie le séjour. D’ailleurs, ce dernier rejoindra les siens bientôt. Ce papy, Monsieur Mizuno, profite de sa famille, des agréables moments passés avec les petits, apprenant à nager à l’un, racontant des histoires, « tricotant » des souvenirs, se reposant aussi ….

Et puis un regard et tout bascule…. Un regard ce n’est rien pourtant, mais celui-ci va faire office de grain de sable dans la belle mécanique bien huilée de sa vie. Pourquoi ? La personne dont il croise les yeux est un allemand, connu il y a longtemps dans un passé qu’il a voulu oublier, soigneusement enfoui au plus profond de lui.

Un regard et tout change. Les cauchemars reviennent, les nuits agitées se réinstallent, la peur lui noue les tripes, il perd la maîtrise. Il tremble. Et si ce qu’il a construit année après année s’écroulait ?  Quel avenir aurait-il ? Il essaie de se faire discret, de ne plus y penser. C’est peine perdue. Les réminiscences remontent, violentes, encombrantes, effrayantes, douloureuses. Elles l’envahissent, le submergent et le laissent vidé, défait… Mais pourquoi ? En plus, Hiromi semble se poser des questions….

Cet homme, dont le véritable nom est Yasukazu Sanso, a été combattant de l’Armée rouge japonaise. Qu’est-ce qui l’a conduit à faire ce choix, lui qui était parti étudier à Tokyo ? Qu’est-ce qui pousse un être humain à commettre l’irréparable, à devenir une machine de guerre ? Comment Yasukazu s’est-il construit ? Quelles ont été ses décisions ? En quoi ont-elles influencé le cours de son existence ? Aurait-il pu faire autrement ?

C’est avec une plume d’une qualité indéniable que Michaël Prazan nous présente le passé et le présent de cet aïeul. Trois jours pour ici et maintenant, plusieurs années (de 1968 à 1974) pour « l’avant Monsieur Mizuno ». On découvre le cheminement de l’étudiant, les raisons qui l’ont poussé à faire sien les combats des activistes de l’Armée Rouge. Monsieur Mizuno est attachant, il semble fragile, fatigué, on s’interroge sur ce qu’il va devenir. En retournant en arrière, le lecteur découvre ce qui a été vécu dans différents lieux du monde (je ne veux pas en dire trop). C’est parfois très dur, et lorsqu’on sait que ça a existé, c’est encore pire.

Remarquablement documenté, (en fin d’ouvrage l’auteur a écrit une note complémentaire), ce récit globalement véridique fait froid dans le dos. C’est âpre, terrible, dur. C’est la folie des hommes dont il est quasiment impossible de sortir indemne. Monsieur Mizuno vit avec ce fardeau sur les épaules. Pendant quarante ans, il a réussi à vivre avec, non sans peine, et puis un regard a tout déséquilibré.

L’écriture de l’auteur est puissante. Les phrases courtes, parfois sans verbe, résonnent en nous. Comme les bruits qui accompagnent certains actes et qui hantent le vieillard. Ils rythment le récit, comme autant de coups de poings reçus pour ne pas oublier, pour ne pas faire « comme si » …. Ce recueil est passionnant, intéressant, il tient le lecteur en haleine sur les deux aspects qu’il présente.

Cette lecture m’a secouée car elle m’a fait connaître des faits que j’ignorais et qui interrogent sur l’homme et ses dérives. Je ne connaissais pas cet auteur et je suis admirative du travail de recherches qu’il a dû effectuer. De plus, tout sonne juste, nous interpelle, et nous captive. C’est un ouvrage à lire absolument !


"Genève trois pour sang" de Corinne Jaquet, André Klopmann et Sandra Mamboury

 

Genève Trois pour sang
Auteurs : Corinne Jaquet, André Klopmann, Sandra Mamboury
Éditions : Slatkine (4 Mai 2017)
ISBN : 9782832108086
160 pages

 Quatrième de couverture

Corinne Jaquet, Sandra Mamboury et André Klopmann ont publié une soixantaine de livres, dont beaucoup d’histoires criminelles. Tous trois vivent à Genève. Ils ont conclu un pacte : donner une suite à Genève Sang dessus dessous, le recueil de nouvelles policières qui les a réunis. Dans Genève Trois pour sang, leurs styles se répondent et se complètent.

Mon avis

Trois auteurs qui s’unissent pour vous entraîner dans leur univers. Trois mini romans, différents mais tous écrits avec un style de qualité, un phrasé soigné et un vocabulaire bien ciblé. Des retournements de situation qu’on ne devine pas, des personnages attachants (ou parfois détestables lorsqu’on découvre vraiment qui ils sont) et crédibles. Des scènes dans un contexte décrit sans lourdeur et un contenu fluide qui se lit avec plaisir.

Le point commun pourrait être l’art et la perversion des hommes. En effet, manipulations, tromperies, faux semblants sont présents. Le lecteur se fait balader, tant chaque rédacteur offre des pistes, qui semblent tout à fait crédibles…. Et puis, bang ! Nos certitudes s’ébranlent…..et on repart sur une autre route….

J’ai beaucoup apprécié ces trois histoires. Toutes  m’ont procuré des émotions diverses, aucune ne m’a laissé indifférente et j’ai trouvé les différentes approches originales et intéressantes.

Ce livre est une belle réussite !


"Le Mississippi dans la peau" de Eddy L. Harris (River to the Heart)

 

Le Mississippi dans la peau (River to the Heart)
Auteur : Eddy L. Harris
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pascale-Marie Deschamps
Éditions : Liana Levi (2 Septembre 2021)
ISBN : 979-1034904402
260 pages

Quatrième de couverture

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Eddy le sait. Pourtant il décide, trente ans après une première descente du Mississippi en canoë, de réitérer l’exploit. Mais justement, ce n’est pas l’exploit qui l’intéresse cette fois. Il n’a rien à se prouver. Il veut juste prendre la mesure du temps écoulé. Eddy a changé, le fleuve a changé, le pays a changé.

Mon avis

« Je n’ai pas trouvé meilleur endroit pour prendre le pouls de l’Amérique qu’en son centre, le long du Mississippi. »

En 2016, trente ans après son premier périple (en 1986), Eddy L. Harris est reparti. Avec son canoë, il a décidé de redescendre le Mississippi, de longues semaines de navigation et 4000 kilomètres à pagayer. Qui a le plus changé ? Le fleuve, lui, le pays tout entier ? Les rencontres seront-elles les mêmes ? Riches d’échanges, perturbantes, agréables ? Peu importe, l’essentiel pour lui, c’est de relever ce défi qu’il s’est fixé, de repartir et de réussir.

La première fois, il ne savait pas à quoi s’attendre, cette fois-ci, c’est différent, il connaît les risques, les dangers. Est-ce que ça le rend plus fort ? Pas forcément car la difficulté sera présente et le corps a pris trois décennies, peut-être que l’expérience compensera et l’aidera à faire face aux impondérables.

Il est parti fin août avec son bateau, prêt à se jeter à l’eau, c’est le cas de le dire. Pratiquant un certain fatalisme, l’autodérision et parfois l’humour face au danger, se moquant de ses erreurs, il nous explique le bonheur qu’il ressent seul sur l’eau. Quand il rame, son esprit est libre, il pense, s’évade, analyse. Il ne veut pas revivre la même chose que la première fois. De temps à autre, un souvenir remonte, il en parle mais il ne cherche en aucun cas à reproduire ce qu’il a vécu, il n’est plus le même homme.

Il connaît ses limites, notamment en botanique, ou sur le chant des oiseaux et en zoologie. Cela ne l’empêche pas d’apprécier la nature, ce qu’il voit, de profiter de l’instant avec les carpes qui sautent partout ou le nuage d’éphémères. Il observe, il ramasse du riz avec des indiens, il mange une soupe chez l’habitante qui lui ouvre sa porte, il vit intensément chaque moment de bonheur.

« Mais quelque chose de racial couve dans les recoins obscurs de l’Amérique. »

En filigrane, reviennent régulièrement des réflexions profondes sur le racisme, sur les personnes à peau noire. Sur l’espoir qui a été mis en Barack Obama, un président noir qui pouvait faire, qui allait faire, qu’on a élu deux fois etc… et qui au final l’a déçu…. En repartant sur le fleuve, il voulait voir si le pays avait vraiment changé….

Il y a quand même ces deux paroisses, une blanche, une noire qui sont devenues une seule paroisse. « Pas une église unie mais une église qui unit. » Est-ce que ça suffit pour espérer en l’homme ?

Quels que soient les obstacles, les contrariétés, les désillusions, Eddy L. Harris aime la vie, profondément, et il transmet cet amour dans son écrit. Il vit une relation particulière avec le Mississipi, chaque périple étant l’occasion de se retrouver, de faire le point, de prendre le temps, de se sentir exister. Il le dit lui-même, être arrivé n’est pas la fin du voyage, ça ne se termine jamais.  

« Le voyage est souffrance et plaisir, déception, apprentissage et perte. Il est ce qu’on découvre, ce qu’on laisse, les gens qu’on rencontre, ce qu’on prend et ce qu’on donne, ce qu’on pense. »

L’écriture est magnifique, fluide (merci à la traductrice), clairvoyante, humble, posée, emplie d’humanité. Ce témoignage est intéressant et captivant pour de multiples raisons. Quant à l’auteur, écoutez-le :



"Un tesson d'éternité" de Valérie Ton Cuong

 

Un tesson d’éternité
Auteur : Valérie Tong Cuong
Éditions : Jean-Claude Lattès (18 Août 2021)
ISBN : 9782709668934
272 pages

Quatrième de couverture

Anna Gauthier mène une existence à l’abri des tourments entre sa pharmacie, sa villa surplombant la mer et sa famille soudée. Dans un climat social inflammable, un incident survient et son fils Léo, lycéen sans histoire, se retrouve aux prises avec la justice. Qu’advient-il lorsqu’un grain de sable vient enrayer la machine et fait voler en éclats les apparences le temps d’un été ?

Mon avis

Une belle maison, avec piscine, terrasse et vue imprenable, sur les hauteurs du Village. De l’extérieur, une famille sans histoire. L’habitation était celle de ses parents, à lui. Des gens hauts placés, avec une certaine notoriété qui a rejailli sur le fils, comme un héritage. Il a été journaliste, un peu par hasard, puis a perdu son boulot. Là, les amis, les connaissances se sont éloignés, des fois que ce soit contagieux, et puis, les sujets de conversation ne sont plus les mêmes, quand on n’a plus d’activité professionnelle…. Heureusement, il a pu rebondir et il est à nouveau dans le rythme. Ses relations l’aident pour sa nouvelle activité, il est nécessaire de se faire voir, au bon endroit, au bon moment et il le fait, avec sa femme, superbe, qui l’accompagne et tient son rôle à la perfection dans les réceptions, les cocktails, les dîners.

Elle, Anna, est propriétaire de la pharmacie du Village. Une situation acquise à la suite d’un combat de chaque jour jusqu’à son mariage. Issue d’un milieu modeste, son parcours n’a pas été semé de pétales de roses. En observant, en apprenant, elle s’est composée une personnalité nouvelle, parfaite, qui lui donne une aura. Mais à quel prix ? N’est-elle pas obligée de s’étudier, de retenir ses gestes, ses mots, de sanctionner ce qu’elle voudrait faire instinctivement ?

A eux deux, ils ont construit une vie que certains leur envient. Villa bien placée, argent facile, un fils en terminale qui intègrera une école prestigieuse pour rester dans ce qui est devenu leur choix, leur quotidien, un luxe discret mais bien présent. Il n’a jamais eu à lutter pour arriver, elle, si. Ils se complètent, à chacun son personnage.

Et puis, le tsunami. Leur fils Léo est arrêté pour violences sur un policier au cours d’une manifestation. En quelques heures leur monde s’écroule, se liquéfie, tout est balayé. L’équilibre se fissure, se délite… Pourquoi ? Tout n’était-il qu’apparence ? Que deviennent les amis, les proches, que disent-ils ? Que pensent-ils ? Que font-ils ? Empathie ? Une forme de voyeurisme ? Soulagement (ouf, ce n’est pas notre enfant) ? Ne penseront-ils pas « Et bien après tout, même chez les riches, il y a des failles…. » Sur qui peuvent-ils compter ? Comment l’histoire, leur histoire, a t-e-elle pu leur échapper ? Ont-ils raté quelque chose avec Léo ? Mais bon sang, il avait tout pour réussir ! Tout ? Trop ? Il n’y a finalement que deux lettres de différence…. Léo est un héros pour certains, un lâche pour d’autres….  

Avec son écriture incisive, précise, aux phrases souvent courtes qui tapent en plein cœur, Valérie Tong Cuong évoque la construction (puis la destruction) d’une vie pierre après pierre. En glissant, çà et là, des allusions sur le passé des parents, on découvre ce qui les a motivés, et comment ils sont arrivés ici et maintenant. Avec l’arrestation de leur fils, les lézardes intérieures, soigneusement dissimulées, étouffées, sont remontées à la surface, devenant des crevasses, des béances …. creusant un fossé qui sera difficile à combler.

Une fois encore l’auteur examine, dissèque des destins d’hommes et de femmes. Son analyse est fine, les mots qu’elle choisit sont les bons. Elle n’en fait pas trop, trouvant le ton juste. Le couple, la famille, l’avenir…. Que sera l’après pour tous ceux-là ? Y-aura-t-il des dégâts irrémédiables ? Sortiront-ils de cette épreuve indemnes, unis ou défaits ?

Ce court, mais très beau roman, nous rappelle combien tout peut basculer très vite….


"Fletch, à table ! " de Gregory Mcdonald 'Confess, Fletch !)

 

Fletch, à table ! (Confess, Fletch !)
Auteur : Gregory McDonald
Traduit de l’américain par Jean-François Defosse
Éditions : Archipoche (26 août 2021) 5publication originale en 1976)
ISBN : 978-2377354764
340 pages

Quatrième de couverture

Une nouvelle enquête du reporter-détective Fletch, aux méthodes peu orthodoxes, héros créé par Gregory Mcdonald et adapté au cinéma avec Chevy Chase dans le rôle-titre.
– Donc, vous arrivez dans une ville que vous ne connaissez pas, vous vous rendez dans un appartement que l'on vous a prêté et, le soir même, vous trouvez sur le tapis du salon le cadavre d'une splendide jeune fille nue que vous n'aviez jamais rencontrée auparavant. Ai-je bien résumé votre version ? conclut l'inspecteur Flynn.
– Oui, répondit Fletch.

Mon avis

So British

Ce roman est paru en 1976, mais si ce n’est le contexte (pas de téléphone portable, ni de GPS etc), il n’a pas du tout mal vieilli. Au contraire, c’est un régal de lecture, d’humour anglais, de dérision, de moquerie bien ciblée, de quiproquos, de manipulation de bon aloi. C’est amusant et plein d’esprit, excessivement plaisant à lire.

Fletch vit en Italie avec sa fiancée. Le père de celle-ci s’est remarié avec une femme assez jeune. Sa fortune se situe principalement dans une collection d’œuvres d’art qu’il s’est fait voler. Pensant au futur héritage de sa belle, Fletch s’envole pour Boston où il pense, sur la foi de quelques indices, retrouver tableaux et sculptures. Pour éviter des frais d’hébergement, il a échangé sa villa italienne avec un appartement. C’est là que, peu après son arrivée, surprise, il découvre le cadavre d’une jeune femme nue. Il prévient immédiatement la police. L’inspecteur Flynn débarque et se met à interpréter les faits à sa façon. Pour lui, Fletch est coupable et cherche à l’endormir avec un lot de mensonges. Ce qui est totalement désopilant, c’est la façon dont le policier commente ce qu’il croit être la vérité. Il est capable de retourner une situation pour en donner une version complétement différente.

En tant que lectrice, je me suis amusée à essayer d’anticiper ce que Fletch et Flynn allaient faire, l’un pour prouver sa bonne foi, l’autre pour inculper un innocent en se glosant d’avoir tout compris. Bien sûr, j’étais loin d’imaginer tous les stratagèmes mis en place et c’est tant mieux car cela a rendu ma lecture captivante et intéressante.

Fletch ne veut pas être arrêté car cela l’empêcherait de retrouver le « trésor » volé au père de celle qu’il va bientôt épouser. Alors il se décide à mener l’enquête en usant de toutes les ruses auxquelles il pense. Et bien, je peux affirmer que cet homme a de l’idée et que, notamment le coup du fourgon, je n’avais rien vu venir.

C’est un récit subtil, les deux hommes jouent sans cesse au chat et à la souris, s’espionnant, se surveillant, essayant d’obtenir une information, en prêchant parfois le faux pour savoir le vrai. Fletch est assez détaché, il ne semble pas avoir peur, il se tient à la ligne de conduite qu’il s’est fixée.

Les dialogues sont savoureux, merci au traducteur, Jean-François Defosse, qui a su leur donner un ton juste. Ces échanges, entre tous les personnages, ont leur importance, ils apportent de temps à autre, un éclairage, un indice sur les événements. Il n’y a pas forcément des éclats de voix, des cris, de l’action, des revirements, et pourtant, on accroche tout de suite.

C’est typique de l’humour anglais avec la noirceur tournée en dérision et un côté absurde mais réaliste. L’atmosphère n’est pas tendue, il y a sans cesse quelque chose qui prête à sourire.

Je comprends aisément que ce roman est reçu l’Edgar Award du suspense. L’écriture et le style de l’auteur nous maintiennent sous tension, l’air de rien. On s’en voudrait presque de ne pas pouvoir agir, ce qui est bien la preuve qu’on rentre dans cette histoire comme si on y était !

 


"Antonietta Lettres à ma disparue" de Gérard Haddad

 

Antonietta
Lettres à ma disparue
Auteur : Gérard Haddad
Éditions : du Rocher (1 er Septembre 2021)
ISBN : 9782268105802
207 pages

Quatrième de couverture

Alors que la maladie d'Alzheimer de sa femme Antonietta progresse, Gérard Haddad prend la plume pour écrire à celle qui ne parle déjà̀ plus. Ces lettres retracent la lente progression de la maladie : d'abord le déni, puis la lutte, les traitements et l'espoir de revivre « comme avant », puis les rechutes et l'entrée à l'Ehpad, peu avant l'épidémie de Covid et l'absolue solitude qu'elle impose pendant plusieurs longs mois.

Mon avis

« Ce livre est le temple de notre mémoire »

C’est l’histoire d’un amour, celui d’un couple : Gérard (l’auteur) et Antonietta, son épouse. Il l’a aimée et accompagnée jusqu’au bout, même lorsque son esprit a pris le chemin de l’errance, perdant toute rationalité. Alors, il lui écrit, ou plutôt, il crie en silence combien elle a été présence, combien il voudrait encore partager, écouter, discuter avec elle.

Les mots le brûlent, merci, pardon, se bousculent en lui. Peut-être pour la faire exister encore et encore alors qu’elle prend le chemin de l’oubli, il raconte, il explique. Les premiers troubles, son déni, puis le diagnostic et son idée absolue qu’un traitement allait stabiliser les « absences » et que ça n’irait pas plus loin. Puis la situation qui se dégrade, les choix difficiles qu’il faut faire, le deuil de celle qui a été et qui n’est plus, les petites, si légères, si improbables, rémissions…. Et enfin le basculement, le placement qui a des accents de culpabilité, n’aurais-je pas pu, pas dû, faire autrement ? Et le COVID qui s’invite par-dessus tout ça et qui limite, interdit, les visites …Quelle décision prendre à ce moment-là, existe-t-il une solution ? Peut-on laisser l’autre seul, abandonné ?

Gérard Haddad nous offre un texte lumineux, avec une écriture empreinte de tendresse, de respect, d’amour, pour celle qui a été sa compagne. Il ne larmoie pas, il ne se plaint pas. Il exprime les hauts, les bas de leur couple, les difficultés, les ressentis face à la maladie, les amis qui viennent moins, les conseils des uns et des autres, les peurs, les espoirs …

Ce qui ressort toujours et encore, c’est l’amour infini qui a uni ces deux êtres. Elle tenait la barre et ils avançaient ensemble contre vents et marées. Il a pris le relais quand elle n’a plus pu le faire.

Malgré le sujet difficile, qui évoque la perte d’autonomie d’un être cher, cette lecture n’est pas déprimante. Sans doute, parce que l’auteur a évité de s’épancher sur les moments difficiles qu’il présente, sans non plus trop les détailler, ce qu’il en dit suffisant largement à nous faire comprendre sa détresse, sa tristesse, son mal-être.

L’amour lui a donné la force, le courage, nécessaires pour faire face et être là, toujours, pour Antonietta …. comme elle l’aurait sans aucun doute fait pour lui.