Toutes les couleurs de la nuit
Auteur : Karine Lambert
Éditions : Calmann-Lévy (17 Avril 2019)
ISBN : 978-2702165430
396 pages
Quatrième de couverture
Le diagnostic est irrévocable. D’ici trois semaines, Vincent
aura perdu la vue. Confronté à son destin, ce prof de tennis de trente-cinq ans
qui avait tout pour être heureux expérimente le déni, la colère et le
désespoir. Comment se préparer à vivre dans l’obscurité ? Sur qui compter ?
Il tente de gagner le match de sa nouvelle vie.
Mon avis
« Se mentir pour
survivre ? » *
En refermant ce très beau roman, un poème de Paul Eluard
(mon poète préféré) a surgi dans mon esprit et je ne peux pas résister à le
partager.
La nuit n'est jamais complète.
La nuit n'est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.
Paul Éluard
Vincent est professeur de tennis, amoureux d’Emilie, apprécié
de ses collègues et des ses élèves. Il va bientôt s’installer avec sa dulcinée et
ils projettent ensemble d’avoir des enfants. Tout pour être heureux ? Oui,
bien sûr. Jusqu’à cette visite chez l’ophtalmologiste et ces quelques mots :
vous souffrez d’une neuropathie optique de Leber. Précédés et suivis d’explications
avec des mots scientifiques que Vincent n’entend pas. Le verdict est tombé :
dans trois à cinq semaines, il ne verra plus. Ah si, il distinguera dans un flou
total, le jour et la nuit, plus facile pour garder le bon rythme biologique…. Il
est KO debout, sonné, ce n’est pas possible, il ne peut renoncer à son métier,
à voir les couleurs du ciel, de la mer, à être indépendant dans son quotidien.
Ce doit être une erreur de diagnostic, le médecin s’est trompé, oui, c’est ça,
une erreur, une vaste blague….
Finalement, il faut se résigner et accepter le verdict.
Après le déni, la colère, comme dans un deuil, Vincent doit entrer dans la
phase d’acceptation. La plus difficile car elle est faite de renoncements, de profonds
changements. On pourrait penser que seul l’aspect matériel de sa vie va être modifié
mais c’est également toutes ses relations aux autres qui vont être remodelées. Son
amoureuse, ses parents, ses amis, ses collègues n’ont plus la même place dans
sa vie. Chacun réagit avec son vécu, ses émotions, ses possibilités, il y a
ceux qui osent parler du handicap, des difficultés, ceux qui ne savent pas
comment agir et qui préfèrent fuir, ceux qui se taisent et font comme si, ceux
qui maternent trop et deviennent envahissants, ceux qui ont peur, les
optimistes, les pessimistes… Et toutes ces questions ou remarques des uns ou
des autres qui surgissent comme ça, d’un coup
« Avoir vu ou être aveugle de naissance », qu’est-ce qui est le mieux ?
« Tout le monde ne renonce donc pas à la vie quand elle ne ressemble plus
à rien ? » « Tu as peur dans le noir ? » « T’irais
pas demander un avis aux Etats-Unis ? »
Le cheminement de Vincent vers son nouveau moi est admirablement
bien décrit par Karine Lambert. On sent qu’elle s’est documentée et qu’elle a
rencontré des gens concernés par la cécité.
La construction est linéaire mais le jeune homme va puiser de la force dans le passé en choisissant d’aller habiter la maison de son grand-père à la campagne. Il érige un mur entre les lui et les autres, car il ne veut ni pitié ni aide, puis peu à peu, il réfléchit. Contourner le mur, grimper et avancer, reculer… ? Que faire ? Entrecoupant les chapitres qui nous présentent l’évolution du professeur, quelques pages écrites en italiques, de plus en plus gros : « son cahier », « ses mots »…. Je les ai trouvés ciblés, choisis, en phase avec le vécu évoqué jour après jour.
La construction est linéaire mais le jeune homme va puiser de la force dans le passé en choisissant d’aller habiter la maison de son grand-père à la campagne. Il érige un mur entre les lui et les autres, car il ne veut ni pitié ni aide, puis peu à peu, il réfléchit. Contourner le mur, grimper et avancer, reculer… ? Que faire ? Entrecoupant les chapitres qui nous présentent l’évolution du professeur, quelques pages écrites en italiques, de plus en plus gros : « son cahier », « ses mots »…. Je les ai trouvés ciblés, choisis, en phase avec le vécu évoqué jour après jour.
J’ai dévoré
ce recueil, j’ai été comblée par la plume délicate et tendre de l’auteur. Elle
n’en fait pas trop, ne s’appesantit pas mais évoque avec doigté le
bouleversement, le tsunami qui vient de débarquer dans la vie de Vincent. Il n’y
a pas d’excès de pathos ou de légèreté, c’est dosé avec justesse, avec pudeur
aussi. L’incapacité est là, de plus en plus présente et les difficultés qu’elle
entraîne ne sont pas niées. Karine Lambert ne sombre pas dans un optimisme béat
mais elle nous rappelle qu’on peut avancer, combattre et que : La nuit n’est jamais complète.
*page 39
NB : Madame Lambert, je vais enregistrer votre récit pour
mon amie aveugle.
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