"Temps noirs" de Thomas Mullen (Ligthning Men)


Temps noirs (Ligthning Men)
Auteur : Thomas Mullen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Marie Carrière
Éditions : Payot & Rivages (4 Mars 2020)
ISBN : 978-2-7436-4988-3
465 pages

Quatrième de couverture

L'officier Denny Rakestraw et les « officiers nègres » Lucius Boggs et Tommy Smith ont du pain sur la planche dans un Atlanta surpeuplé et en pleine mutation. Nous sommes en 1950 et les tensions raciales sont légion alors que des familles noires, y compris la sœur de Smith, commencent à s’installer dans des quartiers autrefois entièrement blancs. Lorsque le beau-frère de Rake lance un projet visant à rallier le Ku Klux Klan à la « sauvegarde » de son quartier, les conséquences deviennent incontrôlables, forçant Rake à choisir entre la loyauté envers sa famille et la loi.

Mon avis

« Si on ne peut pas débarrasser le monde des serpents venimeux, on peut faire en sorte de rendre leur milieu naturel inhospitalier. » *

Ce roman, qui vient de sortir en France, est le deuxième d’une série de cinq mettant en scène une saga policière dans les années 1950, aux Etats-Unis, pendant la Ségrégation. Il peut être lu indépendamment du premier, même si on retrouve la plupart des personnages.

Il faut savoir qu’à l’époque, une loi avait imposé un certain ratio de policiers noirs dans les brigades. Sauf qu’ils étaient très mal accueillis par leurs « collègues » blancs, traités comme des moins que rien (locaux, horaires, conditions de travail, relations etc) et que beaucoup s’ingéniaient à les dégoûter du métier, voire à les accuser d’erreurs fictives (ou créées de toute pièce) afin qu’ils démissionnent…. Il était plus que nécessaire d’avoir de la force de caractère, de la volonté, de l’abnégation, et sans doute une certaine forme de fougue furieuse pour tenir le coup malgré tout sans se laisser décourager.

Dans ce livre, Lucius Boggs et Tommy Smith travaillent toujours à Atlanta, on est maintenant en 1950. Leur chef est McInnis, un blanc moins corrompu que les autres, qui croit en ce qu’il fait. Il sait que ses hommes sont mal considérés et sous des dehors bourrus, il fait tout pour les protéger. Il connaît leurs capacités, leurs valeurs et les freine si besoin afin qu’ils ne se mettent pas en danger. Chez les blancs, il y a Denny Rakestraw, un des rares à ne pas appartenir au Ku Klux Klan et à collaborer (discrètement et en dehors des horaires officiels) avec les officiers de couleur. Il habite dans un quartier à dominance blanche mais où quelques familles noires commencent à s’installer. Cela ne plaît pas du tout à sa femme, ses voisins, son beau-frère…. En tant que policier, tous ces gens attendent beaucoup de lui pour faire fuir ou renvoyer ceux qui dérangent. Parallèlement Boggs et Smith essaient d’éradiquer un trafic de drogue. Ce n’est pas simple car les trafiquants sont protégés (je vous laisse deviner par qui…)  En outre, la vie privée de Lucius, notamment par le biais de son amoureuse, le rattrape et le met en galère. Il est perdu, s’interroge, et partagé entre sa raison, ses sentiments et le poids de sa famille (son père est pasteur). Cet aspect du récit est très intéressant et complète bien la réflexion instaurée sur la puissance du Klan, le racisme, la corruption des uns et le désir des autres d’aller vers plus de tolérance, de respect. Mais que c’est difficile ! Lorsqu’on lit ce texte, on se dit que, de nos jours, certaines situations sont semblables … le monde aurait-il oublié d’évoluer ?

C’est avec un plaisir intact que j’ai retrouvé le style vif et l’écriture fluide (merci pour l’excellente traduction à Anne-Marie Carrière) de Thomas Mullen. Je vais devenir une inconditionnelle de cet auteur. Il allie parfaitement le fond et la forme. Son histoire est riche, totalement crédible, elle apporte une étude de qualité sur les événements de l’époque et sur toutes les difficultés dues à la ségrégation. Comment peut-on être humain et considérer l’autre comme une quantité négligeable, inférieure ? L’auteur a l’intelligence, par ses intrigues, de dénoncer des faits, mais jamais il ne se pose en censeur, en juge. Il démontre la bêtise humaine qui parfois peut presque s’expliquer. Je pense notamment à une forme de « formatage familial » où les parents conditionnent leurs enfants en leur expliquant que les noirs sont sales, dangereux, méchants etc…

Cette lecture m’a apporté un éclairage supplémentaire sur une période que je connaissais mal en Amérique. Je me dis que parfois, il suffit d’un homme sage pour que tout change, alors je garde espoir que pour les prochains livres, les choses avancent dans le bon sens pour ces policiers noirs qui ne demandent qu’à faire leur métier dans des conditions correctes.

*page 456


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