Ta main sur ma bouche
Auteurs : Déborah Saïag & Mika Tard
Éditions : Nil (14 janvier 2021)
ISBN : 978-2378910891
320 pages
Quatrième de couverture
Édouard et Alison, dite Ali, sont en couple depuis deux ans
quand l'ex d'Édouard publie un #MeToo dans lequel elle accuse un de leurs amis
de l'avoir violée. Au cours des quelques heures qui suivent, le destin
d'Édouard et d'Ali bascule à tout jamais...
Mon avis
« C’est de la provocation d’être née belle ? »
C’est avec une écriture moderne (à quatre mains, les auteurs
se partageant les chapitres) et des dialogues ciblés et vifs que Déborah Saïag et
Mika Tard parlent dans ce roman d’un sujet brûlant d’actualité. Le mouvement
#MeToo a débuté en 2007 mais c’est en 2017 qu’il a pris de l’ampleur. Les
femmes victimes d’agression sexuelle, de harcèlement, de viol ont pris la parole.
Encouragées, elles ont fait face aux menaces de déstabilisation, à ceux qui
leur disaient que, peut-être, sans doute même, leur attitude avait incité,
invité, les importuns à agir en toute impunité …. En gros, qu’elles étaient
coupables. Combien se taisent encore par peur des répercussions sur leur vie de
famille, sur leurs amis, leurs collègues ?
Dans ce recueil, Edouard et Alison (surnommée Ali) sont en
couple depuis deux ans. Elle avait vingt ans quand ils se sont rencontrés et lui
une quinzaine d’années de plus. Les parents d’Ali n’étaient pas d’accord pour
cette relation alors son père lui a coupé les vivres. Bien sûr, Edouard, son
Doud, a de l’argent, mais ce n’est jamais simple de dépendre financièrement des
autres. Il est important qu’Ali « se réalise ». Elle part en week-end
chez des amis communs, il la rejoindra plus tard. Mais un événement vient déstabiliser
toute cette organisation. Diane, l’ex copine d’Edouard publie sur Facebook un
témoignage où elle explique avoir été violée par un de leurs amis il y a six
ans alors qu’ils vivaient ensemble.
Alternant le vécu et le ressenti d’Ali et d’Edouard d’un
chapitre à l’autre, ce récit nous montre et nous démontre combien les publications
« coup de gueule » sur les réseaux sociaux peuvent remettre en cause,
du jour au lendemain, les amitiés, les relations humaines, et détruire les
liens entre les personnes. En effet, très rapidement, il y aura ceux qui
soutiennent Diane et la croient et ceux qui pensent qu’il a fabulation,
exagération ou bien qu’elle a eu ce qu’elle méritait (à ton idée d’être aussi
belle, de s’habiller court, etc) et puis quelle idée de ressortir tout ça si
longtemps après ? N’a-telle pas déformé les faits, oublié puis réécrit l’histoire ?
Dans ce livre, les auteurs ne jugent pas, ils présentent des
faits et ce qui en découle. Ils évoquent le rôle des réseaux sociaux, les réactions
à vif lorsqu’on oublie de prendre du recul, le danger d’une certaine forme de
pouvoir. Ils ont, de plus, l’intelligence de ne pas en rester au sujet phare du
mouvement #MeToo. Ils abordent d’autres thématiques lorsque, par exemple, dans
une même bande de potes, les ex font encore partie de votre quotidien, ils parlent
aussi de l’ambiguïté des amitiés, de la place de chacun, des difficultés à s’épanouir
lorsqu’on dépend du regard des autres.
Il y a beaucoup de rythme dans ce texte car c’est comme un jeu
de dominos, des actes entraînent des conséquences plus ou moins graves et
provoquent des rebondissements. On voit combien chacun essaie de correspondre à
ce que les autres attendent, n’osant pas, de temps à autre, être soi. N’est-ce
pas un peu la même chose pour chacun de nous ? Entre les « codes »
imposés par la société, ceux définis lorsqu’on appartient à un même groupe, il
n’est pas toujours aisé d’être en harmonie avec ce qu’on veut être au plus
profond de soi.
Cette lecture au phrasé contemporain, trop diront les
esprits chagrins, est intéressante parce que, même si la parole s’est libérée,
il faut la soutenir encore et encore pour que celles qui souffrent encore dans
l’ombre, n’hésitent pas à témoigner afin d’aller mieux, puis de retrouver un
peu d’estime de soi et de sérénité.
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