Les champs brisés (The Butchers)
Auteur : Ruth Gilligan
Traduit de l’anglais (Irlande) par Elisabeth Richard Berthail
Éditions : Seuil (3 Mars 2023)
ISBN : 978-2021499490
354 pages
Quatrième de couverture
En Irlande, huit Bouchers parcourent le pays pour abattre le
bétail conformément à une tradition ancestrale selon laquelle la famine
s'abattrait sur le pays si le rituel n'était pas respecté chaque année. Or à la
fin des années 1990, face à la modernisation de l’Irlande et à la crise de la
vache folle, ces compagnons sont voués à disparaître. Una, douze ans, fille de
l'un des Bouchers, est prête à tout pour devenir l’une des leurs.
Mon avis
2018 : une exposition de photos. L’une d’elle date d’une
vingtaine d’années. Elle représente un boucher. Pas n’importe lequel, un
Boucher (avec une majuscule) faisant partie d’un groupe (il y en a plusieurs) de
huit qui parcourait l’Irlande pour abattre le bétail d’une certaine façon afin
d’éviter la famine sur le pays.
1996 : les huit Bouchers repartent en mission. Selon la
légende, ils vont parcourir le pays, s’arrêter dans certains lieux et suivre le
rituel. Aucun d’eux ne doit être absent, ils doivent toucher l’animal et tuer en
obéissant scrupuleusement aux règles. Pendant ce temps, leurs femmes et leurs
enfants attendent leur retour. Onze mois de l’année à arpenter le pays pour occire
le bétail chez les croyants en respectant la tradition.
On se retrouve dans une Irlande rurale qui commence sa
mutation vers plus de modernisme. Le scandale de la maladie de la vache folle
pose un problème aux Bouchers, on est en 1996, en plein Euro de foot, de
nouvelles lois sont votées… L’auteur installe son histoire dans un contexte
historique riche et bien documenté.
Les chapitres présentent différents personnages sur des
lieux distincts. Dans le comté de Caven, Grá, et sa fille Úna partagent leur
quotidien car le père, Boucher, est parti en mission. Dans le comté de Monaghan,
c’est avec Davey et ses parents que nous faisons connaissance. On a également,
parfois, quelques pages d’interlude. On alterne les lieux et les points de vue,
on sait toujours où ça se passe et de qui il s’agit. Les deux adolescents
cherchent leur voie, ils veulent assumer leur choix mais savent bien qu’en le
faisant, ils ne rentreront pas dans la « norme » de ce qu’avaient
pensé leurs parents. C’est difficile pour eux. Ce n’est pas simple non plus
pour les huit hommes sur les routes. Ils ne sont pas forcément accueillis avec
enthousiasme. L’ESB (encéphalopathie spongiforme bovine) affole, personne ne
peut gérer cette pathologie et il faut peut-être en tenir compte dans ce qu’ils
font …. Les gens commencent à se méfier, l’angoisse monte.
C’est un roman extraordinaire avec une intrigue peu commune.
L’auteur a fait preuve d’une belle imagination. Il y a une atmosphère
particulière, énigmatique, troublante, mêlant folklore et réalité, avec des
secrets, des non-dits. C’est habilement mis en place, intégré. Les individus ne
sont pas ordinaires. Chacun a besoin de cheminer pour se sentir mieux, pour
avancer, mais quelques fois le poids de la culpabilité, des questions sans
réponse pèse trop lourd.
Ce récit m’a fascinée, je l’ai trouvé original, prenant,
captivant. Les protagonistes ont des failles qu’on découvre petit à petit.
Chacun essaie de « se réaliser », d’aller de l’avant malgré les
traumatismes. On sent que ce n’est pas aisé, que tout le monde se questionne et
veut s’intégrer en restant fidèle à ses valeurs mais la vie n’est pas un long
fleuve tranquille….
L’écriture de Ruth Gilligan (merci à la traductrice) est
lyrique, feutrée, pleine de sous-entendus, de mystère. Je l’ai trouvée
prenante, j’avais envie de savoir la suite. Il y a, régulièrement, l’apparition
d’éléments nouveaux ou de rebondissements. Cela maintient l’intérêt et le côté étonnant
et peut-être un peu déconcertant de cette aventure.
Une lecture marquante, hors des sentiers battus, à découvrir !
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