Dentelle et salopette
Auteur : Agnès Ollard
Éditions : 5 sens (20 avril 2022)
ISBN : 978-2889493562
370 pages
Quatrième de couverture
Au moment de refermer les volets de la vieille bâtisse, la
narratrice se souvient… Elle a 5 ans. Années 6O. Au manoir, le dimanche, elle
s’appelle Lucienne, fille d’Émile Marsignac, riche industriel de l’Angoumois,
un homme austère et distant qui la terrorise et jamais aucun mot n’est prononcé
sur les absences prolongées de sa mère. En semaine, chez Mamé sa nourrice, on
l’appelle Lulu et elle grandit libre au sein d’une famille bigarrée et
exubérante.
Mon avis
Parfois on se demande pourquoi un roman passe inaperçu. Bien
sûr, il y a tellement à lire ! Mais celui-ci vaut le détour tant par le
fond que par la forme.
1994, deux sœurs se retrouvent face à une terrible décision.
Leur père n’a plus toute sa raison et il faut dénicher une maison de retraite
car il n’est plus possible pour lui de rester seul. Irène, l’aînée est prête à
faire les démarches, à placer le paternel, « on n’a pas le choix, il le
faut »… Pour Lucienne, la plus jeune, ce n’est pas la même chose. Cet
homme distant, son Papa, elle l’a peu vu. Elle était placée chez Mamé quand
elle était petite. Une mère absente, souvent malade et un père défaillant,
débordé par son travail de « patron ». Alors Lucienne est devenue
Lulu chez sa nourrice. Elle a côtoyé les petits de l’assistance qu’elle gardait,
elle bondissait, chantait, riait, heureuse. C’est elle qui raconte, car le
passé remonte au moment de fermer les volets de l’habitation familiale.
L’histoire alterne 1994 et les années 60 où on suit l’enfance
de Lucienne (née en 1954) partagée entre deux maisons, deux mondes, deux vies
totalement opposée…. Au manoir, c’est la rigueur, chez la nounou, la fantaisie.
On découvre en plus des lettres du Papa. Il a écrit à ses filles avant de
perdre la tête complètement, à sa femme pendant les années où elle n’a que très
peu été présente. Ces missives permettent au lecteur et à ses filles de
découvrir un homme qui n’a rien à voir avec celui qu’on pense connaître.
Les secrets de famille, ce qui s’est passé pendant la
guerre, les non-dits, les qu’en dira-t-on, ce qu’on dit, ce qu’on tait, ce qu’on
voudrait dire et qu’on ne répète qu’à quelques-uns…. Agnès Ollard explore les
relations familiales avec délicatesse, finesse. Son ton est très juste, teinté
d’humour et de dérision mais toujours très bien dosé.
Son texte est non seulement équilibré entre les différents
aspects (passé, présent, courriers) mais surtout intéressant par les thèmes
abordés. Même teintées d’humour, les réflexions sont complètes, riches,
porteuses de sens. Les personnages ont du caractère, de la profondeur, leur
comportement est analysé par rapport à ce qu’ils vivent, ce qu’ils subissent.
Ils sont « vivants » comme s’ils existaient réellement.
Ce récit est magnifiquement écrit. Le vocabulaire est ciblé et
de qualité (avec quelques mots charentais que j’ai entendu dans la bouche de ma
grand-mère). L’orthographe également et c’est à souligner car ce n’est pas
toujours le cas. J’ai lu que l’auteur avait travaillé en psychiatrie. Je pense
que cela joue sur son approche de ses personnages. Elle les « cerne »
tout de suite dans leurs ressentis, leurs émotions et c’est pour cela qu’elle
les rend « palpables ».
Je suis rentrée à
petits pas dans cette famille, j’ai aimé faire connaissance avec tous ceux qui
la composent, avec leurs voisins et leurs amis, et je les ai quittés à regret.
Empli de douceur, de pudeur, ce recueil est une magnifique découverte et je
suis contente de l’avoir lu.
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