Le village (The Child Thief)
Auteur : Dan Smith
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hubert Tézénas
Éditions : Cherche Midi (21 Août 2014)
ISBN : 978-2-7491-3336-2
475 pages
Quatrième de couverture
Hiver 1930. Vyriv, un petit village isolé de l'ouest de
l'Ukraine. Dans la steppe enneigée, Luka, vétéran de la guerre de Crimée,
recueille un homme inconscient. Dans son traîneau, deux corps d'enfants
atrocement mutilés. Lorsque Luka revient au village, les habitants s'affolent.
Avec l'arrivée au pouvoir de Staline, la paranoïa règne. Dans cette petite
communauté jusqu'ici préservée, tout le monde craint l'arrivée de l'Armée rouge
et des activistes. La venue de cet étranger n'annonce-t-elle pas un péril plus
grave encore ? Luka n'aurait-il pas fait entrer un monstre dans le village, un
assassin d'enfants, l'incarnation du mal ? Quand une fillette du village
disparaît, Luka promet solennellement de la retrouver. À travers les étendues
gelées de cette région hostile déchirée par la guerre et la brutalité, où la
survie est un souci de chaque instant, il se lance alors à la poursuite d'un
prédateur particulièrement retors.
Mon avis
L’ennemi n’est pas toujours où on le croit….
C’est sur une vision d’apocalypse que s’ouvre ce récit.
Il fait froid, les hommes ont peur, ils ont des difficultés
à se chauffer, la nourriture manque. Un groupe se cache dans un petit village,
espérant que l’Armée Rouge et les activistes les « oublieront »…et qu’ils
resteront isolés, avec peu de moyens mais libres….même si rien n’est facile
quand on vit si proches les uns des autres, la proximité exacerbant et
déformant les émotions.
Dès les premières pages, l’écriture sèche, âpre, rude de
l’auteur retranscrit avec précision des faits et une ambiance funeste. On
rentre de plein fouet dans la violence des hommes, des peuples opprimés. Chez
ses gens, parfois obligés de tuer pour s’en sortir car ils n’ont pas d’autres
choix. Le narrateur est l’un d’eux et la mise en abyme pour le lecteur en est
d’autant plus douloureuse. On se prend à ressentir sa frayeur, sa terreur, à
épouser sa cause, son combat, sa lutte, ses recherches. On a froid jusqu’aux os
avec lui et les lueurs d’espoir sont rares. Mais Luka est un homme qui a vécu
et qui sait que pour s’en sortir, il ne faut jamais rien lâcher. Alors on
s’accroche avec lui, on se prend à penser que ce sera moins noir dans le
chapitre suivant, plus facilement supportable mais l’auteur ne nous laisse pas
de répit. En filigrane, omniprésent le stalinisme et ces miliciens qui
cherchent à tout rafler, à tout récupérer, à annihiler les hommes ou à en faire
des bêtes de somme.
Homo homini lupus.
L’homme est-il un loup pour l’homme ? Peut-on dire que
certains sont nés du mauvais côté ? Devient-on tourmenteur ou tortionnaire
parce qu’on a subi de mauvaises influences ?
Où se trouve la limite entre ce qu’on peut appeler la
légitime défense et le plaisir de la chasse à l’homme, de la traque ?…
La rencontre de Luka avec un des bourreaux est intéressante. Papa tous les deux d’une petite fille, pères aimés de leurs enfants, que peuvent-ils faire, eux qui sont ennemis ? Un seul doit survivre…
« Elle était là en permanence, sous-jacente, mais jamais
elle n’avait été aussi proche de la surface. »
De quoi parle Luka ? De la peur… Pas celle qui se présente à
vous de temps à autre et vous permet de prononcer un « ouf » bien senti
lorsqu’elle s’éloigne. Non, cette peur, qui, insidieuse, est en vous en
continu, comme une seconde peau, ne faisant qu’une avec ceux qu’elle habite. Et
cette peur, elle régente tellement tout que les relations entre les personnes
sont faussées et elle les fait agir come des bêtes. Le « sens commun »
disparaît, emporté par dans tourbillon d’actes non réfléchis mais réalisés à
cause de « l’effet de groupe ».
Avec des phrases courtes, des mots qui percutent, des
descriptions froides et précises, Dan Smith nous emmène dans un monde sans illusion
où le rapport à la violence et à la peur entraîne les hommes sur des chemins
qu’ils n’auraient jamais pensé emprunter. Il décortique aussi remarquablement
bien les rapports entre Luka et sa famille, sa femme, sa fille, ses jumeaux…
Malgré sa noirceur, j’ai trouvé ce livre magnifique.
Pourquoi ? Parce qu’il m’a bousculée, bouleversée, interpelée et c’est ce que
j’attends de mes lectures. Et puis pour le style adapté à l’œuvre (la neige en
rajoute une couche en plus), pour l’empathie qu’on ressent pour Luka (j’ai
pensé à « La route » de Cormac McCarthy)
; pour la précision quasi chirurgicale des événements présentés, pour
l’atmosphère générale, pour les raisonnements de Luka qui analyse, observe pour
atteindre son objectif sans faire d’erreurs….
Ce livre m’a marquée au fer rouge et je ne suis pas prête de
l’oublier….
NB : C’est le premier roman de cet auteur traduit en
français.
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