"Au rendez-vous des élégantes" de Susana López Rubio (El Encanto)

Au rendez-vous des élégantes (El Encanto)
Auteur : Susana López Rubio
Traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud
Éditions : Presses de la Cité (16 Mai 2018)
ISBN : 978-2-258-14780-5
480 pages

Quatrième de couverture

Une île où tout semblait possible... La Havane, 1947. Patricio débarque à Cuba après avoir quitté la misère de son Espagne natale. Débrouillard, le garçon trouve vite ses marques dans ce monde luxuriant de couleurs et de sons. Après avoir été cireur de chaussures puis vendeur de billets de tombola, le voilà homme à tout faire à El Encanto, prestigieuse enseigne de la ville, qui rivalise avec les grands magasins parisiens. Patricio apprend vite, il gravit les échelons. D'autant qu'il veut éblouir la mystérieuse Gloria, la plus belle femme de l'île, et sans doute aussi la plus inaccessible puisqu'elle est mariée au chef de la mafia...

Mon avis

Nous sommes en 1947. Patricio, un jeune homme sans le sou, quitte son Espagne natale, pour la Havane où il espère une vie meilleure. Ses seuls atouts sont ses yeux bleus charmeurs, son bagout et sa volonté intacte tout au long de son parcours de s’en sortir. De petit boulot en petit boulot, il arrive au grand magasin El Encanto où il est embauché et montera en grade au fil des ans. Petite précision : cette chaîne de commerces a réellement existé et était connue à Cuba pour sa capacité d'innovation, ses pratiques commerciales et son modèle de fonctionnement.  C’est dans ce lieu qu’il fait connaissance de Gloria, l’épouse de César Valdés, chef mafieux du coin. Il n’y a pas d’amour entre ces deux-là mais pour des raisons que je laisse découvrir aux futurs lecteurs, elle n’a pas eu d’autres choix que de dire « oui » le jour de ses noces alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Quand César veut, on obéit sinon les représailles sont terribles.

Patricio et Gloria tombent amoureux mais ne peuvent rien faire pour vivre leurs sentiments au grand jour. C’est donc un quotidien difficile, contrarié, dangereux parfois, qui les attend. Tous les deux seront narrateurs tour à tour, nous faisant vivre chaque rencontre volée, chaque peur, chaque angoisse, chaque petit bonheur.

C’est avec une plume fluide (bien traduite me semble -t-il) que Susana López Rubio nous emmène à la Havane et dans d’autres lieux. Elle a installé sont intrigue dans un contexte historique qu’elle évoque en quelques lignes sans trop le détailler. Cela aide à comprendre certaines situations, des choix ou tout simplement l’atmosphère qui rejaillit sur les décisions des uns ou des autres.

Ce roman se lit d’une traite, les différents protagonistes se heurtent à des obstacles divers et variés. Selon leur caractère, leur détermination, ils s’en sortent plus ou moins bien. J’ai beaucoup apprécié les amis de Patricio, je les ai trouvés à la fois attachants et drôles. J’ai également trouvé que la place donnée à la boutique était intéressante, surtout avec tout ce qui est mis en place pour satisfaire le client.

C’est vraiment une lecture plaisante qui permet de passer un agréable moment.

"Les oubliés de Londres" de Eva Dolan (This Is How It Ends)


Les oubliés de Londres (This Is How It Ends)
Auteur : Eva Dolan
Traduit de l’anglais par Lise Garond
Éditions : Liana Levi (6 Février 2020)
ISBN : 9791034902316
400 pages

Quatrième de couverture

Un immeuble à moitié vide au milieu d’un vaste chantier de construction. Quelques occupants, oubliés de tous, qui résistent à l’expropriation. Un soir, ils célèbrent la sortie d’un livre consacré à leur combat. Mais tandis que la fête bat son plein, Hella, auteure du texte, et Molly, auteure des photos, se retrouvent face à l’encombrant cadavre d’un homme. La décision qu’elles prennent alors va lier leurs destins, inextricablement.

Mon avis

Dans son dernier roman, Eva Dolan nous offre un excellent portrait de femmes dans un contexte londonien difficile. Elles sont deux. La première, Molly, la soixantaine, pourrait être la mère de la deuxième, Hella, jeune militante qui se bat pour « les oubliés de Londres ». Un livre est sorti d’ailleurs de la conjugaison de leurs deux talents, photographies pour Molly, textes pour Hella. Ce recueil est là pour marquer d’une pierre blanche leur combat pour ceux qui ne comptent plus, les oubliés. Qui sont-ils ? Ce sont, entre autres, les derniers habitants de l’immeuble où Molly réside, dans un quartier qui vit une transition. Certains sont déjà partis en échange d’un peu d’argent, d’autres résistent. Ils ne veulent pas que le bâtiment disparaisse pour être remplacé par une construction neuve grand luxe. Comment tenir face à des bulldozers ? Combien de temps encore avant de céder et de craquer ?

Ce soir-là, c’est la fête au dernier étage. L’alcool coule à flots, l’ambiance est bonne. Hella reçoit des journalistes, des amis, pour célébrer la parution de son bouquin grâce à un financement participatif. Soudain, elle appelle Molly au secours car elle se retrouve avec le cadavre d’un homme à ses pieds. Que faire ? Ne pas ameuter ceux qui sont en haut et agir. Téléphoner à la police ? Se taire ? Cacher le corps ? En tant qu’activiste, Hella est déjà connue des services de police et ne peut pas se laisser accuser …. Elle dit ne pas connaître le mort. Alors, elles vont cacher le corps malgré les risques qu’entraînent une telle décision. Même dans une maison en partie désaffectée, tout finit par se savoir et à ce moment-là, que dire ?

Hella est une femme atypique. Son père était policier. Elle a commencé des études pour suivre la voie familiale avant de tout laisser tomber au bout de six mois et de se lancer dans diverses batailles menant de front sa thèse et des actions de révolte. Défense des sans-abris, protection de l’environnement, rien n’échappe à sa fougue mais c’est surtout dans toutes les manifestations contre la gentrification qu’elle apparaît le plus souvent, quitte à payer de sa personne.
Molly, quant à elle, a toujours agi, depuis longtemps. Elle vit seule et n’a pas tissé beaucoup de liens. L’amitié presque maternelle qu’elle éprouve pour Hella fait que cette dernière devient son combat personnel. Elle veut la protéger à tout prix.

Ce roman alterne les chapitres présentant Molly ou Hella « avant » et « maintenant ». Ce va et vient passé / présent va petit à petit éclairer le lecteur sur la personnalité des protagonistes. On va apprendre à les connaître, découvrir leur part d’ombre, leurs travers. Le suspense monte car plus on avance, plus on se rend compte qu’on ne sait pas tout, que certains évènements sont troubles et que des personnes mentent. Qui était l’homme décédé ? Connaissait-il Hella ?

Au-delà des rapports humains parfaitement retranscrits par Eva Dolan, le contexte évoqué avec un climat tendu entre les londoniens, est très intéressant. L’auteur a su montrer les différentes émotions ressenties face à la politique menée par la capitale pour ce qui est de l’habitat. Détresse, colère, indifférence, peur, les citadins existent, s’expriment et cela n’est pas sans rappeler des situations connues.

J’ai trouvé cette lecture très proche de la réalité. C’est sombre et très bien écrit (merci à la traductrice). La fin est emplie de désespérance et laisse le lecteur pantois. Eva Dolan nous montre l’envers du décor de cette métropole et cela ne laisse pas indifférent.





"Bacalhau" de Larbi Naceri

 

Bacalhau !
Auteur : Larbi Naceri
Éditions : Don Quichotte (9 Mai 2014)
ISBN : 978-2359492996
275 pages

Quatrième de couverture

Vindo Rodriguez est un lascar de Montreuil. Fort tempérament niais glandeur, il préfère les magouilles à un boulot réglo. Un matin, en sortant de boîte, il s'attarde dans une brasserie, la tronche saturée de beat et d'alcool, quand soudain son instinct de dragueur se réveille. A quelques tables de lui, une femme l'observe: blonde, la quarantaine, belle gueule, belle silhouette. Toujours à l'affût d'un bon plan, Vindo s'invite à sa table, mais déchante aussitôt.

Mon avis 

Si vous vous posez la question, je vous donne tout de suite la réponse :

Oui, Larbi (dit Bibi) Naceri est le frère de Samy, l’acteur. Il est d’ailleurs lui-même, acteur et scénariste…ainsi qu’auteur de romans policiers. Certainement pas facile dans la famille de se faire un prénom….mais il fait de son mieux…et il a encore une marge de progression dans l’écriture (mais ça, ce n’est que mon avis )….

En ce qui concerne Bacalhau, c’est un plat portugais à base de morue.

C’est également un livre qui se déroule en banlieue. Vindo Rodriguez est un jeune portugais issu d’une famille nombreuse, c’est un des plus grands mais il n’a pas pris son envol Il doit être allergique au mot travail et traîner avec ses potes est le plus important pour lui. Il vit encore chez ses parents. Cela ne plaît pas trop à son paternel qui le houspille et le harcèle. La mère fait le tampon, essaie de calmer le jeu. Elle, elle n’arrête pas une seconde, elle repasse, cuisine, rage parfois mais elle est constamment occupée et se gave de feuilletons télévisés pour rêver.

Un jour où Vindo traîne dans une brasserie, il fait une rencontre : une femme blonde plutôt bon chic bon genre, quadragénaire, lui propose un étrange marché. Elle soupçonne son mari (un chirurgien haut placé) d’infidélité mais n’est pas sûre d’elle. Aussi elle demande à Vindo, moyennant finances, de le surveiller et d’essayer d’en savoir plus. La tâche lui convient (il se dit que c’est de l’argent facile à gagner) et il accepte. Il part donc en mission, suivi par son petit frère de douze ans, Gustavo. Ce dernier vit dans un univers parallèle car il passe l’essentiel de son temps dans le monde des jeux vidéo. Cela va forcément entraîner de gros ennuis et des surprises de taille car le gamin n’est pas simple à « canaliser ».

L’intrigue est prétexte à glisser quelques vérités ça et là. La vie quotidienne en banlieue, les difficultés pour le copain black à trouver un logement et un travail, les relations entre les uns et les autres. Tout ceci est bien décrit, rythmé par les événements qui s’enchaînent sur un tempo rapide. On se dit que Larbi Naceri a probablement vu d’assez près les situations qu’ils évoquent.

L’écriture est vive, acérée, teintée d’une pointe d’humour qui est bien pensé. Les descriptions sont visuelles et on sent derrière les mots ; le scénariste qu’est l’auteur. A-t-il déjà prévu d’adapter son recueil en film ou en téléfilm ? Il n’y a pas de fine analyse psychologique des individus mais je pense que c’est volontaire. Cela n’aurait sans doute pas collé au style de cet opus.

C’est Vindo qui raconte donc il parle « avec ses mots » et son langage est celui des « djeunes » de la cité HLM. L’usage du verlan et du vocabulaire collent parfaitement aux personnages. Ce n’est pas ce que je préfère mais vu le contexte du roman, ce ne pouvait pas être autrement et je reconnais que cela ne m’a pas semblé trop « lourd », ouf !

Les personnages sont attachants, surtout Vindo et Tav (Gustavo) son jeune frère. Le premier est un adepte des petites magouilles pour éviter de travailler mais on ne lui en veut pas même si parfois on aimerait qu’il ait un peu plus de plomb dans la cervelle. Le second, perdu dans ses univers parallèles, nous intéresse car il est une parfaite illustration de ces pré adolescents pour qui le virtuel prend le pas sur le réel, les protagonistes qu’ils rencontrent dans ses jeux étant partout dans son quotidien et cadençant ses faits et gestes.

Un roman avec une ambiance bien retranscrite qui se lit sans déplaisir.


"Le Puy-en-Velay: Lettres à Dieu" de Nicolas Grenier


Le Puy-en-Velay : Lettres à Dieu
Auteur : Nicolas Grenier
Éditions : du Volcan (23 Mai 2018)
ISBN : 979-1097339074
155 pages

Quatrième de couverture

Dans la littérature ponote, Nicolas Grenier a choisi des textes qui résonnent de toute leur modernité au XXIe siècle. Des écrivains ont connu la gloire nationale, George Sand, Anatole France, Prosper Mérimée, mais aussi locale, avec les enfants du pays, Charles Calemard de Lafayette, Aimé Giron, et surtout Jules Vallès. Classiques ou modernes, ils sont romanciers, poètes, ou encore savants, historiens, chroniqueurs, et ont en commun d'avoir évoqué, à leur façon, la cité d'Anis... et toutes ses merveilles. Cette anthologie est un bréviaire que l'on peut feuilleter, sur tous les chemins, pour faire vibrer en soi, Le Puy-en-Velay.

Mon avis




Résidant à Saint-Etienne, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de me rendre au Puy en Velay, la cité d’Anis. Connue pour sa dentelle, ses lentilles, sa liqueur de verveine, cette ville est également un des points de départ du chemin de Saint Jacques de Compostelle.

« Un lieu qui élève les esprits comme seuls la religion ou la poésie peuvent le faire ». C’est exactement cela, une bourgade qui a une histoire dans l’Histoire, du charme, et un « je ne sais quoi » qui la rend attachante, donnant envie de la connaître encore plus.

Dans ce recueil, Nicolas Grenier a choisi des textes issus de notre patrimoine. Tous évoquent d’une façon ou d’une autre Le Puy-en-Velay. Lorsqu’on a la chance, le bonheur, d’avoir arpenté les rues qui montent vers la haute ville où se trouve la cathédrale, chaque extrait élu est « parlant ». Si on n’a jamais visité ce coin, on ne peut qu’avoir envie de s’y rendre le plus vite possible.

Pourquoi ? D’abord parce que Nicolas Grenier met en valeur la ville et la vie qu’on y trouve quelle que soit l’époque du texte sélectionné. Ensuite parce que les auteurs mis à l’honneur ont tous une raison d’avoir parlé de ce lieu et ils le font bien.

Je me suis régalée avec ce livre, « goûtant » les introductions de l’auteur qui resitue (contexte, période, auteur) chacun des bouts de récit qu’il présente. J’ai savouré les extraits, revisitant la forteresse de Polignac, arpentant les places et les rues en me laissant imprégner de l’atmosphère de chaque époque évoquée. Et je vais y retourner rapidement le livre à la main pour relire « en contexte » les pages que j’ai marquées d’un post it.

Mentions particulières à Prosper Mérimée et Jean Rameau.



"Quelques gouttes de sang sur le bureau du maire" de Hubert Huertas


Quelques gouttes de sang sur le bureau du maire
Auteur : Hubert Huertas
Éditions : L’Archipel (23 Janvier 2020)
ISBN : 978-2809827781
275 pages

Quatrième de couverture

À l'approche des élections municipales, quelque part en Provence, candidats et proches du maire sortant décèdent les uns après les autres, sous les yeux d'une jeune flic et du reporter local. La commissaire Naïma Zidani, née dans les quartiers pauvres de la ville, et son ami d'enfance, le journaliste Alex Carbonier, mènent l'enquête dans les milieux politiques, économiques, syndicaux et médiatiques.

Mon avis

Hubert Huertas est journaliste successivement sur France Inter, France Info puis chef du service politique sur France Culture jusqu'en 2013. Il a travaillé pour Mediapart. Il a donc beaucoup côtoyé les milieux des médias et ceux de la politique qu’il va évoquer dans son nouveau roman mené de main de maître.

En ouverture, Octobre 2019, nous assistons aux funérailles de l’adjoint au maire actuel d’une ville provençale. Cela sert de prétexte à la présentation des protagonistes que nous allons retrouver dans le roman. En quelques mots, chacun est situé, présenté. Alex Carbonier, un journaliste du coin est là et ce décès lui rappelle des événements antécédents. Un bond dans le passé nous entraîne fin 2007, début 2008, en pleine campagne électorale pour les futures municipales. A l’époque, plusieurs situations déstabilisantes s’étaient produites avec notamment des morts ou des disparitions difficilement explicables, concernant des personnes en lien avec la mairie. C’est Naïma Zidani (trente ans à l’époque), jeune femme de la ville, qui avait mené l’enquête. Depuis, elle est partie (en 2010), montée en grade. La voilà devenue commissaire divisionnaire, belle revanche pour une maghrébine issue des quartiers pauvres.  Toute la première partie de ce recueil va se dérouler en 2007/2008. Le lecteur attentif pourra éventuellement faire quelques repères et découvrir quelques indices pour mieux cerner le présent.

La seconde partie nous ramène en 2019. Naïma a maintenant quarante ans. Alex met la puce à l’oreille de la fliquette en faisant le lien avec 2008. Tous deux, en s’aidant le plus discrètement possible, vont essayer de comprendre ce qui se trame, surtout que les morts sont annoncées à l’avance ! Les élections arrivent à grands pas mais l’équipe du maire est bien mal en point. Vengeance du candidat de l’opposition ? Coup beaucoup plus tordu ? Tous les scénarios sont possibles et imaginables et chacun a son opinion. Naïma, elle-même, ne sait plus qui croire et que penser. Elle a été très proche de certains édiles, elle « fricotte » avec un journaliste, il faut qu’elle fasse attention à ne pas se décrédibiliser, à rester sur le terrain et à vérifier ce qu’elle annonce.

Le lieu où se déroule cette intrigue n’est jamais mentionné. On sait qu’on est dans le midi, en Provence, que les éboueurs font la grève, que le magistrat a la tête de la cité veut passer des marchés avec des « étrangers ». Les employés se fâchent, les citoyens grondent, ruent dans les brancards, tout cela est hyper réaliste et fait penser à ….. (je ne dis rien ; -)
Hubert Huertas s’est-il inspiré de faits réels pour offrir une base solide à son récit ? Peu importe. Ce qu’il écrit est assez crédible pour captiver le lecteur qui ne s’ennuie pas une seule seconde.

J’ai beaucoup aimé les deux aspects, présent / passé car l’un et l’autre se complètent à la perfection, donnant un éclairage sur chaque personnage mais aussi sur les rapports entre les uns et les autres. On se rend vite compte que les vieilles rancœurs ont la dent dure, que politique et honnêteté ne font pas forcément bon ménage, que le mensonge est bien pratique pour certains, que d’autres sont prêts à tout pour réussir et que le rôle des médias est loin d’être négligeable.

Hubert Huertas est un homme et il n’a aucune difficulté à écrire en se mettant dans « la peau » de Naïma, il fait même preuve de dérision et d’humour lorsqu’il « s’identifie » à elle, puisque l’histoire est racontée de l’intérieur par Naïma.
« Mon lit de bonne sœur musulmane est resté froid comme un drap d’hôpital. »
L’écriture est vive, dynamique, addictive, les rebondissements situés aux bons moments pour insuffler du rythme.
C’est une lecture qui m’a vraiment intéressée et qui m’a permis de découvrir un nouvel auteur.

"Désert solitaire" d' Edward Abbey (Desert solitaire)


Désert solitaire (Desert solitaire)
Auteur : Edward Abbey
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
Éditions : Gallmeister (7 Octobre 2010)
ISBN : 9780008283322
350 pages

Quatrième de couverture

À la fin des années 1950, Edward Abbey travaille deux saisons comme ranger dans le parc national des Arches, en plein cœur du désert de l'Utah. Lorsqu'il y retourne, une dizaine d'années plus tard, il constate avec effroi que le progrès est aussi passé par là. Cette aventure forme la base d'un récit envoûtant, véritable chant d'amour à la sauvagerie du monde, mais aussi formidable coup de colère du légendaire auteur.

Mon avis

Merci aux éditions Gallmeister et à PartageLecture pour ce livre.

Désert solitaire, dont le sous-titre est « A Season in the Wilderness » que l’on peut traduire par une « saison dans une région sauvage » est une lecture exigeante, dense, un peu « hors-normes », mais très intéressante. Comme l’auteur l’explique dans l’avant-propos, il a travaillé comme ranger dans un parc national et dix ans après il a constaté les ravages des progrès sur la nature.

Son récit, son élégie, nous conte la vie qui part à vau l’eau, lorsque l’homme oublie de prendre les plus élémentaires précautions pour préserver son environnement. Comme ce texte n’a rien d’un roman, il n’y a pas vraiment de personnages, encore moins d’intrigue. On pourrait presque penser qu’il va manquer de rythme mais il n’en est rien. La cadence est donnée par le lieu lui-même avec ses besoins, et ceux de celui qui vit sur place. Ce qu’on découvre dans ce recueil a déjà été abîmé, esquinté, détruit parfois mais Edward Abbey le rend vivant, vibrant sous nos yeux.

Comme dans un poème, une allégorie, il parle de cette communion qu’on ressent lorsqu’ on est en harmonie avec les éléments. Il explique la relation au temps qui est différente, la solitude qui n’en est pas une car il y a des tas de choses à faire : observer, écouter, contempler, cuisiner, aller chercher l’eau, vivre tout simplement….

« Si nous pouvions apprendre à aimer l’espace aussi profondément que nous sommes aujourd’hui obsédés par le temps, nous découvririons peut-être un nouveau sens à l’expression vivre comme des hommes. »

Loin de tout, regarder un animal, scruter le ciel, etc … tout prend une autre dimension, celle « d’être ici et maintenant ».

Edward Abbey souffre de voir les touristes qui envahissent son espace. Eux dont les moindres souhaits sont vite assouvis, ne luttent pas pour visiter, la voiture les emporte… Une marche ou un circuit en bicyclette, et l’approche serait différente … mais le temps presse toujours et encore ….

J’ai eu besoin de temps pour cette lecture, j’ai lu d’autres titres en parallèle. Je ne pouvais pas dévorer, c’est comme si l’auteur m’avait pris par la main et me disait : va doucement, assieds-toi, écoute-moi, m’obligeant à mettre tous mes sens en alerte pour me laisser pénétrer par ce désert, par ces paysages grandioses. Son écriture est fine, porteuse de sens, chaque mot étant à sa juste place. Le ton n’est pas moralisateur malgré le constat amer et la colère sous-jacente.

Je comprends le succès de cet opus et j’aurais presque souhaité qu’il soit accompagné de photographies avant/ après.




"Victime 55" de James Delargy (55)


Victime 55 (55)
Auteur : James Delargy
Traduit de l’anglais (Irlande) par Maxime Shelledy et Souad Degachi
Éditions : HarperCollins (8 janvier 2020)
ISBN : 979-1033903109
450 pages

Quatrième de couverture

Une petite ville perdue en Australie. Un jour de canicule débarque, au poste de police, un homme, couvert de sang. Gabriel déclare avoir été séquestré dans une cabane par un serial killer. Quand la chasse à l’homme commence, ce même jour de canicule, débarque un deuxième homme. Heath est couvert de sang. Heath déclare avoir été séquestré dans une cabane par un serial killer, un certain Gabriel.

Mon avis

Bluffant

Victime 55 est le premier roman de James Delargy, irlandais d’origine, qui a vécu en Australie, en Afrique du Sud et en Ecosse. Ce baroudeur réside aujourd’hui en Angleterre. Il a situé l’intrigue de ce recueil dans une petite ville perdue d’Australie. Le lieu est important. Loin de tout, avec des paysages secs et chauds, parfois touffus, immenses dans lesquels il est facile de se perdre. L’action se déroule en Novembre 2012 et quelques passages sont issus de 2002, dix ans auparavant.  A cette époque, deux amis recherchaient un jeune homme qui s’était égaré. Du temps a passé et les voilà séparés maintenant, chacun ayant suivi un chemin différent. L’un, le sergent Chandler Jenkins, est resté sur place, à Wilbrook, il a deux enfants qu’il élève de son mieux avec l’aide de ses parents, car sa femme est partie. Elle avait envie de ville, de plus grands espaces. L’autre, Mitchell Andrews, dit Mitch, est monté en grade, il est maintenant inspecteur et travaille plus loin dans une grosse bourgade, à une centaine de kilomètres, pour la police d’état. Ces deux-là ne sont plus en contact, leur complicité a été brisée.

Chandler veille sur la petite cité, à la manière d’un shérif, peu de mouvements, quelques plaintes mais cela lui convient. Un jour, Gabriel, un homme blessé, débarque au poste de police. Il est apeuré et déclare avoir été séquestré par un tueur en série, qui lui aurait annoncé qu’il allait être sa prochaine victime, la cinquante cinquième. Un peu plus tard, dans la même journée, un autre homme, Heath, dans le même état, se présente à son tour et raconte la même chose. Sont-ils de mèche ? Qui ment et pourquoi ? Quel est le but caché de ces incursions dans ce coin paumé ? Chandler ne peut gérer seul une telle situation et ses supérieurs sont prévenus. C’est Mitch, son ancien camarade qui arrive avec son équipe. Si ces deux là ont été copains, c’était il y a longtemps. On sent tout de suite que ce n’est plus le cas et cela ne va en rien simplifier les relations de travail. Mitch se comporte en chef, (ce qu’il est), sans aucune empathie, donnant des ordres, surveillant Chandler et le prenant pour son larbin. Il le rabaisse même un peu…. Cela instaure une atmosphère délétère entre les deux hommes et leur équipe et ça n’aide pas l’enquête. Un vieil antagonisme qui leur pourrit la vie mais aussi celle de tous ceux qui les côtoient.

J’ai trouvé cette lecture très intéressante et addictive. L’écriture de l’auteur est prenante (bravo aux traducteurs). La trame de départ (deux hommes, le même récit, chacun accusant l’autre, chacun ayant peur pour sa vie…) est originale. En outre, le décor apporte un intérêt supplémentaire. On pourrait penser qu’une histoire en vase clos ne va pas captiver le lecteur. Et bien, c’est tout le contraire ! L’intérêt ne faiblit pas et va même grandissant et il y a du rythme. On suit les raisonnements des uns et des autres, on sent que des indices nous échappent, on voudrait comprendre, avancer…. J’ai été bluffée par le comportement de Gabriel et de Heath. J’ai mis beaucoup d’énergie à essayer de comprendre si l’un ou l’autre racontait des bobards ou si les deux me manipulaient. Je trouve que l’auteur a été très fort sur ce coup-là. Par l’intermédiaire de son intrigue, James Delargy aborde d’autres thèmes comme la vie dans les coins isolés, le poids du passé, de la religion…

C’est un auteur à ne pas perdre de vue si ces prochains opus sont de la même qualité !