"Sa majesté du carnage Journal d'Ukraine" de Philippe Lobjois

 

Sa majesté du carnage
Journal d’Ukraine
Auteur : Philippe Lobjois
Éditions : Récamier (11 Septembre 2025)
ISBN : 978-2385772048
274 pages

Quatrième de couverture

" La guerre est un voyage dans le temps, dans un monde où tout est possible, le plus grand courage comme la plus grande cruauté. Sur ce territoire règne un monstre plurimillénaire qui surgit là où l'on ne l'attend pas. Un phénomène qui déchire le quotidien quand les hommes sont fatigués de vivre. Sa majesté du Carnage." Le journal de guerre en Ukraine de Philippe Lobjois.

Mon avis

La guerre était la seule action humaine qui n’avait pas changé depuis 10 000 ans, depuis que la civilisation existait. *

« Sa majesté du carnage », je ne sais pas qui a trouvé le titre mais c’est tout à fait ça. La puissance de la majesté et l’horreur du carnage.

« La guerre est un voyage dans le temps, dans un monde où tout est possible, le plus grand courage comme la plus grande cruauté. Sur ce territoire règne un monstre plurimillénaire qui surgit là où l`on ne l`attend pas. Un phénomène qui déchire le quotidien quand les hommes sont fatigués de vivre. Sa majesté du Carnage. »

Philippe Lobjois est reporter de guerre, il va sur le terrain depuis des années. Il a appris à se protéger des images insoutenables lorsque les morts sont trop « présents ». Il a besoin de témoigner, de nous montrer ce qu’il voit, ce qu’il constate sur le terrain. Il parle de l’Ukraine, de l’évolution du conflit au fil des mois. Il nous emmène de ville, en ville, à la rencontre de ceux qu’il a côtoyés, de ceux qui restent et en sont fiers, de ceux qui s’organisent, sous terre (chez eux ou dans le métro où les enseignants font la classe), en espérant se protéger et continuer à vivre, de ceux qui se battent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.

C’est brut, réel, on en prend plein les yeux, plein la tête. Impossible de dire ou d’écrire » Ah bon, je ne savais pas. » Son témoignage est puissant, bien rédigé sans tabou, sans silence, comme s’il lui était nécessaire d’écrire et de décrire la réalité pour que le lecteur comprenne, enregistre, dessille.

À travers les faits qu’il nous présente, c’est le quotidien des habitants qu’on découvre, les difficultés, les obstacles à une vie « normale », la peur, l’angoisse permanente, le corps qui sursaute au moindre de bruit et à qui on « apprend » à s’habituer. C’est la vie qui s’organise différemment. C’est l’ennemi, méthodique, appliqué, qui poursuit son but inlassablement.

Il explique comment après une journée éprouvante sur le terrain, quand il se pose (un peu), il se doit de faire le tri. D’enfouir au plus profond certaines images, dans un coffre-fort personnel dont elles ne ressortiront jamais car elles risquent de le détruire. Garder seulement ce qui est utile au témoignage, à la transmission de l’information pour que ceux de l’extérieur cernent les événements.

Même s’il pense qu’avec les caméras GoPro, les téléphones, et tous les nouveaux moyens de communication, son métier est faussé, transformé, différent, il continue. Certains filment la guerre et l’offrent sur les réseaux sociaux, tout est changé dans l’approche des conflits au niveau reportage.

Il partage cette invitée qui parfois débarque dans sa mission : la peur. Alors il faut la museler pour qu’elle cesse. L’enfermer. La faire taire. Mais elle reste tapie, prête à s’incruster, à sortir les griffes….

Quelques fois, une pause, la guerre semble « cadenassée », elle s’enlise. Les hommes perdent leur « enthousiasme », leur force, une lassitude s’installe et puis ça repart.

Ce livre est un vrai documentaire, une vision réaliste du terrain, de tout ce qu’ils se passe et de certaines choses qu’on ignore ou qu’on choisit d’ignorer… J’ai été bouleversée par ce que j’ai lu. J’ai tremblé en lisant que Philippe Lobjois avait tout fait pour donner un nom à un corps, lui rendre son humanité… Son écriture est poignante, elle sonne vraie.

Une lecture édifiante, coup de poing, que je ne suis pas près d’oublier !

*page 215

"Alan" de Jean-Marc Dhainaut

 

Alan
Auteur : Jean-Marc Dhainaut
Éditions : Taurnada (21 Août 2025)
ISBN : 978-2372581622
256 pages

Quatrième de couverture

Hiver 1948, Côtes-d'Armor. Dans un hameau isolé, quatre enfants s'évanouissent dans la nuit sans laisser de trace. Aucun témoin, aucun indice. Très vite, la panique cède la place à la suspicion, et les regards se tournent vers une maison. Sa propriétaire traîne une sombre réputation, certains murmurent même qu'elle pratique la sorcellerie. Mais la terreur atteint son paroxysme quand Alan, 6 ans, le petit-fils de Madenn Carvec, disparaît à son tour.

Mon avis

Ah enfin, on le retrouve ! Alan, le héros récurrent de Jean-Marc Dhainaut. Dans ce préquel qui se déroule en 1948, on le rencontre enfant. On remonte le temps et on comprend ce qui l’a toujours porté. Ce sont des éléments qui complètent à merveille celui qu’il est devenu.

Alan est un petit garçon qui vit dans un village des côtes d’Armor. Le père est instituteur, très cartésien. La mère et la grand-mère, qui habite tout près, sont plus portées sur les légendes bretonnes. Pour la mamie, Madenn Carvec, ça va même plus loin, les fantômes font partie de sa vie, si j’ose dire…Elle a souvent été évoquée dans les enquêtes d’Alan (dans les tomes précédents) et là, on fait sa connaissance. Elle aime énormément son petit-fils et veut le protéger car elle sent bien que des « entités dangereuses » ont des vues sur lui…

J’ai énormément apprécié cette femme qui, pour l’époque, ose tenir tête, aux hommes, au curé, aux copines mauvaises conseillères, aux gendarmes…. Des enfants ont disparu, puis le petit Alan… Personne ne comprend ce qu’il s’est passé, où ils sont, qui les a enlevés car il est évident qu’ils n’ont pas fui…. Elle, elle a compris qu’il faut s’éloigner de l’enquête classique pour aller plus loin, pour creuser quitte à prendre des risques. Elle est solide, capable de raisonner avec intelligence pour agir avec discernement. C’est une femme exceptionnelle et Alan ne serait pas celui qu’on connaît sans elle. Elle lui a donné son approche d’un monde parallèle, sa force, ses capacités pour séparer le bien du mal, sa finesse.

Dans le village, tous les regards sont braqués sur une vieille dame, effrayante, terrifiante qui semble mettre en place des rites sataniques ou équivalents. C’est probablement elle la coupable, la personne qui a kidnappé les petits…. Mais comment l’empêcher d’entraîner les mômes dans l’ombre ? Comment stopper cette lente descente aux enfers ? C’est une course contre la montre qui commence. Et si personne ne croit Madenn, elle va être seule, trop seule et empêchée d’agir.

Une fois encore, la principale qualité de l’auteur c’est de nous faire pénétrer dans un univers avec une pointe de fantastique savamment dosée. C’est excessivement bien fait, l’équilibre entre paranormal et réalité est le bon, ni trop, ni trop peu. Je trouve ça fascinant, captivant, intéressant. Jean-Marc Dhainaut m’impressionne car il maîtrise parfaitement ce qu’il met en place. De plus, dans ce dernier titre, il est parfois fait allusion à des événements du passé et il n’y aucune fausse note. Bravo !

L’atmosphère et le contexte sont retranscrits avec précision, on frisonne dans le froid de l’hiver, on se fige en entendant les coups sourds dans des endroits clos, on serre les poings de rage, de colère… les émotions sont décuplées, il s’agit d’enfants, d’Alan, on veut qu’ils s’en sortent sans séquelle …

Découvrir les premières années d’Alan, cerner la relation qu’il a eue avec ses parents et sa merveilleuse mamie est un plus. On pourrait penser que ce récit aurait dû être le premier. Je ne pense pas, il arrive à point nommé pour expliquer, remplir les quelques vides et permettre à chaque lecteur de s’attacher encore plus à cet homme fragile, aimant, volontaire et unique.

L’écriture immersive est un régal, le vocabulaire est adapté, les lieux et les personnages bien décrits. Une belle réussite !


"Elisabeth Lima" de Lola Gruber

 

Elisabeth Lima
Auteur : Lola Gruber
Éditions : Christian Bourgois (4 Septembre 2025)
ISBN : 978-2267055290
282 pages

Quatrième de couverture

Des flans aux anchois, une épaule d'agneau et un entremets nougat-basilic sont au menu quand Livia et Domenic, une écrivaine et un éditeur, reçoivent à déjeuner leur ami Camille, traducteur de poésie polonaise. Mais l'humeur est maussade en ce lendemain de remise de prix littéraire. Car pour une fois, ils estiment que le livre récompensé ne valait pas tant d'honneurs. C'est alors que surgit une idée dans l'esprit de Do : écrire ensemble un best-seller. Peu à peu, les trois convives se prennent au jeu, commencent à imaginer des personnages, une intrigue... Et décident de dissimuler leurs identités sous un pseudonyme. Débute alors l'écriture d'un roman à six mains, qui va devenir bien plus qu'un simple divertissement.

Mon avis

Les Doli (Domenic et Liv, un couple d’éditeur et écrivain) reçoivent Camille leu ami traducteur. Au menu, des plats délicieux, des discussions sur la littérature et …. un arrière-goût désagréable. La veille, un prix littéraire a été décerné et ils sont bien d’accord tous les trois, le livre ne méritait pas cette récompense. Comment le jury a-t-il pu prendre une telle décision ? D’ailleurs, ils le savent, eux, ce qu’il faut pour un succès. À eux trois, avec leurs « profils » qui se complètent, ils sont tout à fait capables de créer une très belle histoire, tout en restant incognito pour ne rien dévoiler. Ils inventeront un nouvel homme de lettres, à moins qu’ils choisissent une femme… à qui il faudra trouver un nom, un prénom et une petite biographie….

Et c’est parti ! Un peu comme un jeu, un pari, les voilà à se distribuer les rôles pour écrire à six mains. Un remue-méninge plus tard, les missions sont partagées. Rédaction, documentation, reformulation ou compléments, chacun sait ce qu’il a à faire. Une espèce de frénésie s’empare d’eux. Ils se cacheront pour communiquer (le moins possible pour ne pas être découverts). Ils mettent en place une stratégie digne des meilleurs espions ! Ils se prennent « au jeu » et se lancent.

C’est l’occasion pour Lola Gruber, de se pencher sur le processus d’écriture, sur la genèse d’un roman, sur le lien entre auteur et livre (ils s’aperçoivent que, pour que leur idée tienne la route, ils doivent également penser à la personne qui a rédigé et lui donner « corps » bien qu’elle soit fictive). Le mécanisme des récompenses littéraires, le principe de la page blanche, les réactions des protagonistes face à ce projet sont bien exploitées. Tout cela est très intéressant et on comprend mieux ce milieu.

Les trois copains n’imaginaient pas que cette aventure allait bouleverser leur vie. Des souvenirs remontent, des événements plus ou moins douloureux à évoquer leur reviennent en mémoire. Parfois, ils se mentent avec les conséquences que cela implique. Ce qui devait resserrer leurs liens, les unir encore plus, ne va-t-il pas les désunir, gâcher leur amitié ? Leurs relations, qui semblaient simples, fluides et complices, se transforment et les mettent parfois mal à l’aise. Ce n’est pas si facile que ça le paraissait. Il ne faut pas juger ce que l’autre a fait mais en parler malgré tout pour avancer mais comment faire pour ne pas vexer, gêner ?

J’ai particulièrement apprécié que le rapport de chaque auteur à ses personnages soit creusé. Certains se contenteraient presque de la vie avec eux, comme s’ils étaient vivants. Ils les intégreraient dans leur quotidien pour qu’ils l’investissent totalement ou presque, et ce serait suffisant ….

On partage également les pensées de chaque co rédacteur, ses réflexions face aux différentes situations, c’est assez dense (il ne faut pas sauter des phrases) mais c’est pertinent parce que ça permet de cerner le fonctionnement de chaque individu et son caractère.

Cette lecture, originale, procure de nombreuses émotions. On frôle l’intime, on sourit parfois et on voit comment évolue l’amitié de trois personnes qui œuvrent pour un même objectif mais pas forcément au même rythme et dans la même direction.

Une belle découverte !

"Où tu seras reine" de Chrystel Duchamp

 

Où tu seras reine
Auteur : Chrystel Duchamp
Éditions : Verso (17 Janvier 2025)
ISBN : 978-2386432217
320 pages

Quatrième de couverture

Maud, vingt-cinq ans, entretient une relation fusionnelle avec sa mère. Quand sa psychiatre lui explique que ce lien l’empêche de s’épanouir, la jeune femme décide de prendre ses distances avec la figure maternelle. Jusqu’au jour où Maud découvre sur son répondeur un message paniqué de cette dernière. Un message qui se conclut par « Je l’ai tué ». Maud se précipite dans la maison de son enfance.

Mon avis

Maud et sa mère sont fusionnelles. Trop. C’est d’ailleurs ce que la psychiatre de Maud lui a confirmé. Malgré ses problèmes de santé mentale (à peu près régulés par un traitement), il est nécessaire qu’elle prenne de la distance, qu’elle voit moins celle qui l’a mise au monde afin de s’épanouir. Elle a vingt-cinq ans, il est grand temps !

Alors elle essaie, moins de textos, moins de visites, moins d’appels. Mais un message de sa génitrice, enregistré sur son répondeur, l’affole et elle retourne dans la maison de son enfance. Là, beaucoup de souvenirs remontent et elle les partage avec le lecteur.

On est donc au cœur d’un esprit dérangé. Chrystel Duchamp a sans aucun doute beaucoup lu et s’est documentée pour rendre crédible son récit. Avec moi, ça n’a pas vraiment pris. Je me suis un peu lassée de Maud, de ses ressentis parfois redondants, de ses élucubrations, de ses confusions …  C’était trop pour moi. La fin, où tout s’explique, est très rapide, elle aurait pu intervenir cinquante pages plus tôt et cela n’aurait pas changé grand-chose à mon avis.

Pourtant, l’idée de départ est bonne. Se placer du côté de la fille et petit à petit nous dévoiler ce qu’était réellement la relation avec sa mère. On s’interroge, qui est la plus toxique des deux ? Qui a vraiment besoin de l’autre ?  L’autrice laisse planer le doute, elle nous balade au gré des pensées de Maud qui nous égarent. Mais ça manque un peu de mouvement, d’actions. On est en permanence dans cette atmosphère lourde, poisseuse et j’avais envie de mouvement.

Je reconnais que le propos est bien développé. L’écriture détaille les différentes étapes de la pathologie mais, pour moi, ça n’a pas été une lecture prenante avec de la tension nerveuse et le souhait permanent de tourner les pages. Dommage.


"L’invention d’Eva" d' Alessandro Barbaglia (L’invenzione di Eva)

 

L’invention d’Eva (L’invenzione di Eva)
Auteur : Alessandro Barbaglia
Traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont
Éditions : Liana Levi (4 septembre 2025)
ISBN : 979-1034911189
242 pages

Quatrième de couverture

Qui es-tu, Hedy Lamarr? Star oubliée des années 40-50, «plus belle femme du monde», inventrice géniale du Wi-Fi. Qui es-tu, Hedy Lamarr? Cette question, le narrateur de ce roman se la pose dès que sa soeur, haïe et adorée, mentionne ce nom. Et il se la pose encore quand il se lance à la recherche des origines de Hedy, ou plutôt d’Eva, le prénom qui était le sien en Autriche, où elle est née en 1914. Et que portait aussi la jeune protagoniste d’Extase, le film de 1933 où elle apparaissait entièrement nue, et qui lui colla à la peau. Que sait-on jamais d’Ève? Que sait-on jamais de Hedy Lamarr?

Mon avis

Alessandro Barbaglia n’a pas fini de m’étonner. Je ne sais pas où il trouve ses sources d’inspiration (même s’il explique en partie ses choix, cette fois-ci un client (il est libraire) qui lui a demandé un ouvrage) mais il me scotche. Dans « Le coup du fou », il revenait sur la finale d'échecs entre Bobby Fischer et Boris Spassky disputée en 1972. Cette fois-ci, il m’a fait découvrir une femme, Hedy Lamarr (1914-2000). Belle (même plus que ça), sensuelle, sans limite, elle s’est imposée comme actrice à Hollywood et a inventé le principe du wifi. Une oubliée de la science ? Sans aucun doute. Pourquoi ? Est-ce que sa beauté lui faisait de l’ombre au point de ne plus voir autre chose que son visage et son corps sublimes ?

Bien sûr, je ne connaissais rien d’Hedy ou Eva, et ce roman me donne l’envie d’aller creuser plus loin, de voir ses films, de lire des interviews, etc. L’auteur aurait pu écrire une biographie linéaire en intégrant toutes les informations qu’il a obtenues après s’être documenté longuement, pendant des années. Mais il est subtil et la construction de ce récit l’est également.  

Le narrateur explique la relation complexe qu’il a avec sa sœur (qui, elle, sait tout d’Hedy) et il utilise leurs rencontres, leur passé, leur vie depuis qu’ils sont tout petits pour introduire Hedy et son histoire et expliquer le « rôle » qu’elle a « joué » dans leur vie de famille. C’est surprenant, captivant…

C’était quelqu’un d’extraordinaire. Déjà gamine, elle avait des idées (le tube de rouge à lèvres, c’est elle), un aplomb assez important pour obtenir ce qu’elle voulait….Quand je lis toutes les choses qu’elle a été la première à oser, à faire… je me demande pourquoi elle est si peu connue….

Tout au long des chapitres, le narrateur pose de nombreuses questions, sur sa frangine, sur Hedy, il les interpelle. Il imagine les réponses, il interprète, il déduit….part sur une piste puis sur une autre pour cerner la personnalité atypique de cette « diva » et de sa sœur.

Hedy ou Eva, c’est selon, était superbe, le savait et elle rêvait d’avenir, de carrière, de succès, de toutes ces choses qu’elle était capable d’inventer. Elle est née avec des compétences hors normes.
Au-delà de sa grâce, c’était un génie !

« L’invention, elle doit être originale, neuve, et elle doit avoir une fonction pratique. Elle doit être mise en acte. »

« Comment c’est possible que tu sois née avec la capacité » de comprendre, mais surtout celle de faire ? De construire, de monter ces objets. D’assembler le futur. »

Les époques, les lieux, les faits sont tissés à la perfection. Présent, passé se mêlent et je n’ai jamais perdu le fil ! C’est orchestré de main de maître.

L’écriture est plaisante (merci au traducteur), teintée d’ironie de temps à autre et surtout envoûtante. Je voulais savoir tant pour les individus réels que ceux fictifs car tous avaient quelque chose à me dire, à me transmettre. Dans ce livre, Hedy reprend sa juste place, elle est en partie réhabilitée. D’autres thèmes sont abordés dont l’amour (et la haine qui en est si proche), les liens familiaux, le regard des hommes sur les femmes et celui d’Eva-Hedy sur son entourage, choisi ou pas…

Un nouveau titre tout aussi prenant que le précédent !

 



"Ceux qu’on tue" de Peter Swanson (The Kind Worth Killing)

 

Ceux qu’on tue (The Kind Worth Killing)
Auteur : Peter Swanson
Traduit de l’américain par Christophe Cuq
Éditions : Gallmeister (2 Mai 2024)
ISBN : 978-2404080116
434 pages

Quatrième de couverture

Londres-Boston, vol de nuit. Ted Severson rencontre la superbe et mystérieuse Lily Kintner. Ils bavardent, boivent des cocktails, et voilà que peu à peu se déclenche un jeu de la vérité au cours duquel, un détail après l’autre, Ted se dévoile à l’oreille bienveillante de Lily. Il lui avoue l’échec de son couple : sa femme, Miranda, le trompe. Il en vient même à confier qu’il la tuerait bien. Et que ce ne serait finalement que justice. Or Lily déclare le plus sérieusement du monde qu’elle est prête à l’aider. Après tout, des tas de gens méritent de mourir, pour toutes sortes de raisons. Mais Lily s’est bien gardée de révéler à Ted son passé de tueuse. Quand les choses dégénèrent, les chances de chacun de s’en tirer ne sont clairement pas les mêmes…

Mon avis

C’est long quand on attend un avion… Alors, même s’il est marié avec la magnifique Miranda, Ted discute avec Lily. Ils obtiennent même de voyager dans deux sièges voisins. Elle est un peu coquine et lui propose, pendant ce vol, hors du temps, de tout se dire de leurs pensées les plus obscures. Après tout, il y a un peu de chance qu’ils se revoient un jour…. C’est comme ça qu’il finit par dire que sa femme le trompe avec le chef de chantier de leur future immense et belle maison (car Ted est très fortuné) et que parfois, il se sentirait presque prêt à la tuer.

La réplique de Lily est audacieuse. Tout le monde va mourir un jour ou l’autre et si certains n’ont pas la bonne attitude, autant les punir et s’en débarrasser (en faisant tout pour ne pas se faire prendre). D’ailleurs s’il est d’accord, ils peuvent se revoir (en prenant des précautions) et elle l’aidera à pour cette « mission ». C’est totalement amoral, mais s’envoyer en l’air avec celui qui suit les travaux, ce n’est pas mieux, non ?

En dire plus serait prendre le risque d’échapper une information importante. C’est un récit choral avec quatre narrateurs, parfois une même situation est vue par deux personnes différentes et on apprend des choses que le premier n’avait pas signalé par exemple. C’est très bien fait. On s’aperçoit vite que l’image renvoyée aux autres n’est pas forcément juste. Certains cachent bien leur jeu, manipulent, mentent avec aisance … C’est absolument génial tant c’est tordu et machiavélique, il fallait y penser (et les dernières lignes, un régal !

Tous les personnages ont des caractères complexes, bien analysés, avec des liens qui semblent établis et qui peuvent changer très vite. Personne n’est vraiment clair ! De nombreux rebondissements, non prévisibles, donnent du rythme. Peut-être que, parfois, le texte aurait gagné à être plus épuré mais on passe assez vite à la suite donc ça va.

L’écriture est plaisante (merci au traducteur), le vocabulaire soigné. Les dialogues peuvent donner des indices si on est bien attentif.

En résumé, une histoire surprenante, qui change des thrillers habituels. Je verrai bien une adaptation en film !


"L’instant d’après" de Gillian McAllister (Anything You Do Say)

 

L’instant d’après (Anything You Do Say)
Auteur : Gillian McAllister
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Caroline Nicolas
Éditions : Sonatine (4 Septembre 2025)
ISBN : 978-2383992554
432 pages

Quatrième de couverture

Après une soirée avec une amie, vous rentrez seule chez vous au milieu de la nuit. Là, vous entendez ce que vous redoutez le plus : des pas derrière vous. Qui se rapprochent. De plus en plus vite. Vous êtes sûre que c'est lui : l'homme du bar, celui qui vous a harcelée. En quelques secondes, vous vous retournez, vous le poussez, il tombe, face contre terre, il ne bouge plus. Et maintenant ? Que faites-vous ? Vous appelez la police, au risque d'être inculpée, ou vous vous enfuyez et vous gardez le silence à jamais ?

Mon avis

C’est le soir, tard, elle a eu peur, elle pense bien que c’est celui qui l’a harcelée tout à l’heure, au bar. Alors, elle l’a poussée, un peu, pour s’en débarrasser, pour ne plus avoir de boule au ventre, pour continuer sa route sans avoir l’angoisse qui va crescendo. Il est mal tombé. Il est là, couché par terre, sans bouger, mais il respire. Il est sans doute blessé. Il fait nuit, personne aux alentours. Que faire ? S’enfuir, rentrer à la maison, personne ne saura de toute façon… Ou appeler les secours, expliquer, être crue ou pas…. Elle ne sait pas que décider Joanna, elle pense à Reuben, celui qu’elle aime et qui l’attend. Il en penserait quoi ? Elle hésite, partir ou prendre son téléphone ? Quel que soit son choix, rien ne sera plus pareil parce qu’elle devra assumer sa décision et vivre avec.

Dans cet excellent roman, Gillian McAllister alterne les chapitres « se taire » et « avouer » pour évoquer avec beaucoup d’intelligence les deux possibilités et leurs conséquences. C’est Joanna qui raconte et le lecteur se sent complètement imprégné de ses ressentis, de ses émotions, de ce qu’elle fait. La culpabilité l’envahit, la ronge, sa vie est bouleversée, ses rapports aux autres également. Avec infiniment de doigté, l’autrice, qui ne pose aucun jugement, nous montre l’évolution de la personnalité de Joanna dans les deux cas, les dégâts que cet accident engendre, les dommages collatéraux, son désir d’évitement parfois…

Si une situation m’a semblé un peu tirée par les cheveux (la rencontre à la bibliothèque), l’ensemble est très juste, très bien écrit, exploité et exploré avec discernement. Se taire, c’est mentir. Il est probablement arrivé qu’on mente, pour des choses moins graves mais en gardant l’obsession de ce non-dit et en lisant ce livre, des souvenirs remonteront …. Le côté psychologique est développé avec pertinence. On pourrait imaginer que ce récit va générer pas mal de répétitions mais il n’en est rien. Tout est parfaitement dosé.

J’ai eu beaucoup d’empathie pour Joanna et Reuben, son conjoint. J’ai bien senti que tout cela les déstabilisait (et comme je les comprends), que le dialogue était compliqué, qu’ils étaient, l’un et l’autre, démunis face à la souffrance de l’autre. On ne peut jamais « se mettre à la place de » donc forcément, ça ne simplifie pas les relations.

C’est une lecture prenante car on se demande sans cesse comment la situation va évoluer, édifiante car on se pose la question de savoir comment, nous, on aurait réagi. L’écriture est fluide (merci à la traductrice) et j’ai vraiment passé un bon moment malgré la gravité des événements.