"Addictus" de Rémy Belhomme

 

Addictus
Auteur : Rémy Belhomme
Éditions : au Pluriel (18 Novembre 2025)
ISBN : 978-2492598258
120 pages

Quatrième de couverture

Une farce théâtrale bien construite, où l’humour sert une critique sociale grinçante. Entre légèreté et cruauté, la pièce s’inscrit dans la tradition des grandes comédies satiriques.

Mon avis

« Artisan penseur – Conseil en contexture », voilà comment se définit Monsieur Jean Beaumage (un nom bien choisi !).

Lorsqu’il reçoit de futurs clients, il les interpelle. Est-ce qu’ils prennent le temps de penser ? Avec les vies bien remplies de chacun plus personne n’a le temps de penser ! Et pourtant, c’est indispensable… Et puis il enchaîne avec un discours bien huilé.

Le voici face à Léon Torsadou qui a une entreprise de cordes à linge et une contexture (la manière dont se présente un tout complexe d’après le boss), c’est-à-dire un problème à résoudre avec ses commerciaux. Le but pour Jean ? Lui vendre (aidé de son neveu qu’il fait passer pour un employé lambda) un pack de bienvenue, en le baratinant pour qu’il comprenne que c’est la seule solution.

À travers divers entretiens avec des clients, Beaumage, qui n’a aucune moralité, montre combien seul l’argent l’intéresse. C’est un manipulateur qui donne des conseils servant uniquement son intérêt. Il attend quelque chose en retour, tout le temps.

Pour les tâches de la vie quotidienne, il les confie à Yasmina. Elle travaille pour lui sans être payée, elle est son addicte. Son père ayant une dette envers Beaumage, il l’a en quelque sorte, laissée en gage. C’est de l’esclavage moderne. Elle ne cherchera pas à s’enfuir, ça ne se fait pas dans ses mœurs, on obéit.

En présentant des situations cocasses, Rémy Belhomme évoque des faits réels, le surendettement (obliger les gens à acheter pour mieux les avoir sous sa coupe et les rendre dépendants), les emplettes impulsives face à un charlatan, l’emprise sur les plus faibles et bien d’autres thèmes.

Les dialogues sont vifs, très parlants, bien écrits. Les scènes, bien réparties, mettent peu d’individus en place (ils sont listés avec leur rôle en début de livre). Il y a peu de didascalies car tout est très visuel.

Cette pièce de théâtre se décrit comme une farce satirique. Avec des jeux de mots, un humour bien dosé, l’auteur met en avant les dérives de notre société. Il présente ceux qui embobinent, parlent et agissent peu, qui se croient les plus forts et qui méprisent les autres en les prenant de haut …

Je me suis régalée avec cette lecture ! J’ai beaucoup ri, la scène avec Madame Louison, tenancière de maison close, est une pépite.

« C’est ça, c’est tout à fait ça. Une auberge rose. Quelle perspicacité, quelle finesse dans le jugement ! Mais suis-je bête ! J’oublie que vous connaissez bien la maison. Vous êtes un familier en quelque sorte. »

Je pense qu’il n’est pas simple d’écrire une pièce de théâtre et pourtant, j’ai trouvé celle-ci particulièrement réussie, très actuelle.  Je ne sais pas comment l’auteur a eu cette idée mais il a bien fait. J’ai lu qu’elle allait être mise en scène par l’association ART (Atelier de Recherche Théâtrale), j’espère que les comédiens joueront dans plusieurs villes et que je pourrai voir une représentation !

"Hercule et Maurice" de Gaëtan Dalle Fratte, Hélène Cordier, Luc Legeais

 

Hercule et Maurice
Auteurs : Gaëtan Dalle Fratte (Illustrations), Hélène Cordier (Couleurs), Luc Legeais (Rédacteur)
Éditions : Jarjille (14 Novembre 2025)
ISBN : 978-2493649263
36 pages

Quatrième de couverture

Maurice le dragon découvre qu'il est malade. Les principaux symptômes le poussent à éternuer des torrents de flammes. Cela se révèle quelque peu problématique dans sa bonne entente avec le village. Le docteur local n'étant guère spécialiste de l'anatomie dragon, il faut que Maurice, s'il veut guérir, retourne vers les siens, mais il faut pour cela accepter de faire face aux griefs passés. Le voyage est propice à l'échange entre ce dragon qui refuse un modèle des relations basées sur la domination et un jeune garçon qui n'a connu que cette façon de fonctionner...

Mon avis

Maurice le dragon, banni par les siens car il ne voulait pas se battre, se promène dans la nature avec un petit garçon, Hercule. Il passe près d’une maison en bois qui vient d’être terminée et où une grande famille va être accueillie. Il éternue et crache des flammes ! Catastrophe ! Tout est détruit. C’est très embêtant car lui qui est tout gentil va devenir un danger ambulant et risque de ne plus être bien accueilli dans le village…. Il est malade et se sent de plus en plus faible et bien sûr rien ne s’améliore côté gorge...

Si seulement le docteur pouvait l’aider mais c’est compliqué. Pourtant, une piste lui est proposée. Ce sera peut-être la solution pour se soigner… Pourquoi ne pas essayer ?

Le scénario de Luc Legeais plaira aux enfants de primaire qui pourront lire seuls et aux plus petits à qui on racontera cette bande dessinée. Hercule pense que pour réussir c’est mieux d’être grand et fort. Et il découvre qu’il n’y a pas que cette réalité, que l’on peut faire autrement. Il est prêt à en découdre mais la sensibilité transmise par le dragon l’aide à avoir un regard plus humain, plus empathique. Il s’adoucit.

Transmettre un message d’apaisement, de relations basées sur le respect, le partage et l’écoute est une excellente idée. Le faire avec ces deux personnages très attachants, des dessins doux, arrondis, aux couleurs pastel (Hélène Cordier, la coloriste a réalisé un beau travail), c’est encore mieux. Quelques mots suffisent à suggérer, à guider, pas besoin d’en rajouter.

Les illustrations de Gaëtan Dalle Fratte sont emplies de délicatesse, d’expression et pourtant, ce n’est pas envahi de détails (quelques traits suffisent à transmettre une émotion). La première page ferait un tableau magnifique (d’autres également). Les décors sont sobres mais très parlants. Les vignettes n’ont pas toutes la même mesure, tout en étant disposées harmonieusement.

Papier et couverture cartonnée sont irréprochables. Le texte est porteur de sens. Les dessins et les couleurs sont de qualité, une chaleur humaine et une lumière douce s’en dégagent ainsi qu’une atmosphère attendrissante où les tensions se gomment petit à petit. Tant sur la forme que le fond, cet album est une réussite. Je suis totalement conquise !


"Quatre jours sans ma mère" de Ramsès Kefi

 

Quatre jours sans ma mère
Auteur : Ramsès Kefi
Éditions : Philippe Rey (21 Août 2025)
ISBN : 978-2384822492
210 pages

Quatrième de couverture

Un soir, Amani, soixante-sept ans, femme de ménage à la retraite dans une cité HLM paisible en bordure de forêt, s'en va. Pas de dispute, pas se cris, pas de valise non plus. Juste une casserole de pâtes piquantes laissée sur la cuisinière et un mot griffonné à la hâte : " Je dois partir, vraiment. Mais je reviendrai. " Son mari Hédi, ancien maçon bougon, chancelle. Son fils Salmane s'effondre. À trente-six ans, il vit encore chez ses parents, travaille dans un fast-food, fuit l'amour et gaspille ses nuits sur un parking avec son meilleur ami, Archie, et d'autres copains cabossés. Père et fils tentent de comprendre ce qui a poussé le pilier de leur famille à disparaître.

Mon avis

Amani et Hédi étaient jeunes orphelins lorsqu’ils ont fui la Tunisie. Leur pays maintenant c’est la Caverne, une cité HLM française. Ils ont trouvé leur place avec Salmane, leur fils presque quadragénaire qui vit encore avec eux, alors que diplômé il pourrait prétendre à un avenir meilleur.

Leur quotidien est sans relief, banal, presque sans futur tant il est morose. Et un jour, un tsunami, la mère est partie. Elle a laissé un mot indiquant qu’elle reviendra. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette fuite ? Où est-elle allée ? Et que signifient son silence et l’absence d’explications ?

Après quelques hésitations, Salmane décide de suivre sa trace pour comprendre ce qui n’a sans doute jamais été évoqué, expliqué. L’occasion pour lui de grandir ? Il prend les choses en main, maladroitement parfois (il est resté un grand ado) mais avec de plus en plus de volonté, d’amour pour sa mère.

C’est lui qui raconte, au fil des chapitres. Son ton un brin railleur s’étoffe au fil des pages comme si la maturité gagnée dans cette quête ressortait même dans sa façon de s’exprimer. Il est également moins impulsif, plus réfléchi, il est capable de voir plus loin que le lendemain.

Le père, lui, réagit différemment. Il est en colère. Il ne veut pas perdre la face auprès des habitants. Dire que sa femme l’a quitté lui semble inconcevable. Pourtant ….

« Les secrets ont une espérance de vie limitée à La Caverne. »

Petit à petit, on rentre dans l’intime de cette famille, dans les non-dits, les tensions, les choix et leurs raisons. L’écriture fouille les vies, détaille le passé, se fait douce, puis brutale, ou sensible et délicate. On voit le poids du passé, des regards, des traditions. L’interprétation qui peut être faite des gestes et des paroles de chacun, ceux qui, entêtés, bloquent le dialogue et le pardon.

Le récit est parfaitement construit, vivant et bien écrit.

« Quatre jours sans ma mère » est un premier roman tout en subtilité que j’ai beaucoup aimé.


"Bigoudis & petites enquêtes - Tome 7 : Panique à Londres" de Naëlle Charles

 

Bigoudis & petites enquêtes - Tome 7 : Panique à Londres
Auteur : Naëlle Charles
Éditions : Archipoche (13 Novembre 2025)
ISBN : 979-1039206884
514 pages

Quatrième de couverture

Grande nouvelle ! Niels Anderson, parrain de la première édition du festival du Polar, invite dix personnes de Wahlbourg à un séminaire sur le roman policier européen qui se déroule à Londres. Pour Quentin, c'est l'occasion rêvée de se rapprocher de Léopoldine, et de revoir un ami de longue date, Garrett Kent, policier à la mythique Metropolitan Police. Mais en pleine conférence, l'autrice Linda James apprend par la police londonienne que son mari a été kidnappé aux abords de l'hôtel où se déroule la manifestation. Léopoldine et Quentin se lancent alors bille en tête dans une nouvelle enquête.

Mon avis

Quel bonheur de retrouver Miss-Marple-des-bacs-à-shampoing ! Je la suis depuis ses débuts et je me suis attachée à elle. C’est ma coiffeuse préférée, Léopoldine Courtecuisse. Pour ceux et celles qui ne la connaissent pas, elle habite Wahlbourg en Alsace et s’est retrouvé plusieurs fois à aider le lieutenant Quentin Delval. Ce charmant gendarme (qu’elle ne ferait sans doute pas dormir dans la baignoire) a bien besoin des indices qu’elle peut récupérer dans son salon où beaucoup se confient à son oreille attentive.

Cette fois-ci, un auteur nordique, qui avait participé à un festival du polar à Wahlbourg, a proposé d’inviter dix personnes à un colloque, sur le même thème, se déroulant à Londres. Les parents de Léo étaient les organisateurs alsaciens, ils sont donc concernés et enchantés de cette virée. Ils partent avec leurs deux filles et Tom, le petit fils, ainsi que quelques gendarmes dont Quentin. Entre les conférences, les visites culturelles, les boutiques, chacun va trouver à s’occuper. L’hôtel est superbe et le séjour commence à merveille. Mais voilà que le mari d’une écrivaine est kidnappé. Bien que n’ayant aucune légitimité pour enquêter dans un pays étranger, il y en a que ça démange…

Bloquée par la langue anglaise qu’elle ne pratique pas, Léopoldine fait équipe avec Quentin, qui n’est pas loin d’être bilingue. Ils aiment être en binôme ! Ils observent, déduisent, analysent et se font aider de Tom qui est ravi ! Il faut dire que les choses sont facilités par un enquêteur londonien que connaît Delval. Par contre, ils doivent être discrets sur cette collaboration car ils ne sont pas missionnés et sont là comme simples touristes et participants.

Naëlle Charles maîtrise son intrigue. Elle évoque dans son texte de faits réels (Murdochgate), preuve qu’elle s’est documentée. Un de ses personnages parle du parcours pour devenir un auteur reconnu et c’est très réaliste. C’est très intéressant et bien pensé que l’histoire se déroule en Angleterre, ça évite de se lasser de Wahlbourg où de nombreux endroits avaient été exploités. De plus, dans ce nouveau titre, Tom a un rôle plus important, tout à fait adapté à un adolescent. Cela a permis de bien renouveler les intervenants, les lieux et de mettre en place une nouvelle aventure !

L’écriture est accrocheuse, avec des touches d’humour et des interventions de voix de la conscience, c’est très amusant. Quentin et Léo s’expriment tour à tour dans les chapitres, assez courts. Le suspense est présent, avec ce qu’il faut de rebondissements pour qu’on ait envie d’enchaîner les pages. On découvre les jalousies, les coups bas, les mensonges … les différents romanciers veulent tous être le meilleur, celui qui a le plus de succès …. Jusqu’où peuvent-ils aller pour l’appât du gain, ou par vanité ? Les difficultés du métier (très bien expliquées) font que certains ne reculent devant rien…

J’ai apprécié l’évolution des protagonistes, ils changent au fil des enquêtes, prennent de la maturité. Mais on peut lire chaque tome de façon indépendante. On sait comment et pourquoi cette série a vu le jour et je peux dire que pour moi, elle est réussie ! Chaque « panique » m’a offert un moment de lecture agréable, drôle et prenant !


"Par où entre la lumière" de Joyce Maynard (How the Light Gets in)

 

Par où entre la lumière (How the Light Gets in)
Auteur : Joyce Maynard
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Lévy-Paoloni
Éditions : Philippe Rey (21 Août 2025)
ISBN : 978-2384822522
628 pages

Quatrième de couverture

Eleanor est de retour dans la maison familiale du New Hampshire, quittée vingt-cinq ans plus tôt. Eleanor apprend à vivre au rythme des tâches agricoles, de ses inspirations artistiques ou des week-ends au marché des producteurs. Tandis qu'elle accueille sa nouvelle voisine enceinte de neuf mois, Eleanor prend conscience des sacrifices qu'elle-même a endurés, se dédiant entièrement au bonheur de ses proches. Mais à présent saura-t-elle entendre, à son âge, l'appel du renouveau ? Saura-t-elle reconnaître le bonheur quand il se présentera à elle ?

Mon avis

« Par où entre la lumière » est la suite directe de « Où vivaient les gens heureux ». On retrouve Eleanor, veuve, une femme autrice qui vit avec son fils Toby. Il a des problèmes cognitifs suite à un début de noyade lorsqu’il était enfant. Deux autres enfants complètent la fratrie, Al et Ursula mais ils sont totalement indépendants.

C’est un récit foisonnant qui met en scène une douzaine de personnages dont on découvre (ou redécouvre) le passé, le présent et le futur sur une cinquantaine d’années. Le contexte historique est évoqué et sert de toile de fond (notamment pour la politique avec l’arrivée de Trump et le départ d’Obama) pour certains événements et pour l’évolution des protagonistes.

Joyce Maynard sait parler de vies ordinaires d’une façon extraordinaire. Elle évoque l’amour, les difficultés, la vie de tous les jours, ce qui unit, ce qui détruit, les non-dits, l’incompréhension, les erreurs et les leçons qu’on en tire etc ..

Son écriture est délicate, profonde, elle porte des réflexions intéressantes sur les relations humaines, parfois sur un ton un peu docte, c’est dommage.

J’aime énormément cet auteur mais ce roman ne rejoindra pas la liste de mes préférés.

J’ai été contente de retrouver toutes ces personnes et de voir ce que chacun devenait mais certains faits sont un peu « trop ». Le COVID, la maladie (grave évidemment), la violence, l’alcoolisme et j’en passe. C’est comme si l’auteur avait voulu aborder tous les thèmes possibles autour de la famille. Et il y a un petit côté, non pas donneur de leçons, mais « et n’oubliez pas que… » avec des petites phrases en conclusion de nombreux chapitres pour rappeler la valeur de la vie, qu’il faut savoir pardonner, que l’amour sauve de tout etc…. J’aurais pu recopier des citations sans arrêt.

« Le pire échec de l’humanité ne vient pas de ce que nous faisons, mais de la volonté de quelques-uns de rien faire. »

Je sais que c’est dans la mouvance du moment, des textes qui font du bien mais elle en fait un peu trop. J’emploie sans le doute le « un peu » car je lui pardonne ses « excès ». Mais je le re écris, ce ne sera pas un incontournable pour moi et je le regrette.

Le titre, en anglais, est une citation de Léonard Cohen et de nombreuses autres références musicales sont présentes dans ce livre (et l’auteur explique pourquoi dans les dernières pages), il y a même la bande son sur internet.

J’attends le prochain recueil avec impatience pour voir si elle redresse la barre !


"En quête de liberté" de Gaëlle Joly & Sana et Tugce Audoire

 

En quête de liberté
Comment je me suis sortie de l'enfer de Daesh
Auteurs : Gaëlle Joly & Sana (scénario) et Tugce Audoire (dessin)
Éditions : Vuibert (6 Novembre 2025)
ISBN : 978-2311151008
210 pages

Quatrième de couverture

Un soir d’août 2014, Sana, 15 ans, croit partir en vacances en Algérie avec sa famille. Quand l’avion atterrit, elle comprend : elle est en fait en Turquie, direction la Syrie. La frontière franchie, à pied et en courant dans la nuit, l’adolescente se retrouve dans un pays aux mains des terroristes. Mariée de force à un combattant de l’État islamique, mère un an plus tard, elle affrontera la guerre, la faim, les camps kurdes et l’effacement de son droit d’exister. Pendant neuf années, Sana n’aura qu’un objectif : survivre. Survivre pour elle, survivre pour ses filles.

Mon avis

Ce roman graphique raconte l’histoire de Sana pendant neuf ans, à partir d’août 2014. Ses parents sont séparés et sous prétexte de vacances, sa mère lui dit qu’elles vont aller en Algérie. Il n’en est rien et elle se retrouve en Syrie, mariée de force à un combattant de l’état islamique et mère à seize ans. La vie sous Daesh, les camps kurdes dans des conditions effroyables, elle va tout vivre, tout subir. Elle se battra pour survivre avec un seul but : revenir en France et vivre libre.

C’est son combat que Tugce Audoire, peintre et illustratrice turque, a mis en images et que Gaëlle Joly, grand reporter, ayant croisé Sana dans un camp en 2022, a décrit en mots, reprenant les confidences de la jeune femme.

Divisé en six chapitres, cette bande dessinée est édifiante. Au début de chaque partie, une carte pour situer les lieux et parfois, mieux comprendre les enjeux. Puis les images, avec une majorité de couleurs marron, sable, orange et beige. Le plus souvent trois à quatre vignettes par page. Les textes sont sur fond beige pour les pensées, et sur fond blanc pour les paroles. Le décor est souvent estompé pour se concentrer sur les visages, les silhouettes.

En ce qui concerne les illustrations, j’ai trouvé l’ensemble beau à regarder mais pas toujours très expressif. Certains personnages en posture debout manquent de mouvement, de souplesse, ils font un peu « raides ». Mais ça reste représentatif et il faut saluer la qualité du travail.

Pour le texte, il est difficile de résumer une petite dizaine d’années en deux cent dix pages donc il y a forcément des raccourcis, des passages survolés et je me suis posée quelques questions. Je vais chercher des entretiens avec Sana pour mieux comprendre tout cela.

Ce témoignage est bouleversant. Elle a vécu des choses horribles et le traumatisme est important. Le fait qu’elle parle, qu’on la lise, c’est donner la parole à toutes les personnes qui sont dans son cas et dont on ignore l’existence.

Le chemin a été dur, compliqué, notamment par le fait qu’il a fallu tenir tête à sa mère qui n’avait pas les mêmes idées qu’elle et qui envisageait un autre avenir pour sa fille. Elle a eu une force de caractère hors du commun et a trouvé des soutiens qui l’ont aidée à ne jamais baisser les bras.

Quand elle est revenue en France, elle a dû donner des preuves de sa bonne foi, de sa légitimité. Elle qui a été victime de sa famille et du terrorisme…. Pour elle, c’était une lutte de plus, mais c’est compréhensible.   

J’ai apprécié cette lecture. Mais il m’a manqué « un supplément d’âme », ces émotions fortes qui font dire waouhh, qui serrent le ventre et mettent les larmes aux yeux. Peut-être que le texte était trop factuel, pas assez dans le ressenti, même si on sent la colère et la peur de Sana.

Une chose est certaine. Il est parfois plus aisé de lire un roman graphique plutôt qu’un livre et cela permet d’être au courant de ce genre de situation.

NB : En fin d’ouvrage, la chronologie complète bien le propos. L’introduction (rédigée par Sana) et le « Et maintenant » (écrite par Gaëlle Joly) sont bouleversants.





"La rumeur" d'Heidi Perks (The Whispers)

 

La rumeur (The Whispers)
Auteur : Heidi Perks
Traduit de l’anglais par Carole Delporte
Éditions : Le livre de poche (5 Novembre 2025)
ISBN : 978-2253253136
384 pages

Quatrième de couverture

Personne n’a vu Anna depuis une soirée passée avec ses quatre plus proches amies. Elle a un mari aimant et un fils qu’elle adore, tous deux sont morts d’inquiétude. Grace, son amie d’enfance, est persuadée qu’elle n’abandonnerait jamais sa vie parfaite sans crier gare. Que lui est-il donc arrivé ?

Mon avis

Après des années d’absence, Grace, mariée et mère d’une petite fille, revient en Angleterre. Elle est sans son mari, bloqué par son travail à l’autre bout du monde. Elle s’installe dans la ville où elle a grandi et où vit Anna, sa meilleure amie. Bien que le contact ait été coupé du fait de la distance, elle a hâte de la retrouver. Leurs enfants sont scolarisés dans la même classe, ce sera facile.

Sauf que ce n’est pas aussi idyllique que Grace le pensait. Anna est devenue très amie avec d’autres mamans d’élèves et semble l’éviter. Grace est blessée d’autant plus qu’elle a le sentiment qu’une de ces femmes a une mauvaise influence sur Anna. Elle a tant donné avant de partir avec sa famille pour sa best friend qui n’avait que son père. Elle l’a accueillie comme si elle était sa sœur. Les soirées pyjamas, les sorties, elle l’a aimée, protégée, elle ne comprend pas, elle souffre. Comment rétablir ce lien dont elle a tant besoin ? Elles ont évolué mais Anna ne peut pas avoir oublié le passé, tout ce qu’elle a fait pour elle, c’est impossible.

Mais les non-dits, les silences, les qu’en dira-t-on pèsent…

« Parfois, j’aimerais que Grace dise ce qu’elle pense. En fait, je trouve souvent qu’il serait préférable que nous soyons toutes plus honnêtes au lieu de jongler avec nos peurs, nos angoisses et nos gênes. »

Le lecteur passe de l’une à l’autre avec différents points de vue, parfois pour un même événement, alternant passé (proche et lointain) avec le présent.  Anna dit « je », pour Grace, c’est un narrateur. C’est là que l’on découvre que quelques détails peuvent flétrir les souvenirs, les transformer pour en faire ce qu’on désire surtout quand de longues années se sont écoulées. À ce moment-là, tout est chamboulé, remis en question. Où se trouve la vérité ? Dans ce qu’on imagine être le vécu réel ou dans ce qu’on tait car notre cerveau a fait l’impasse ? Qu’est-ce qui a créé cette « fracture » entre ces deux inséparables ?

L’écriture est prenante (merci à la traductrice), la tension augmente au fil des chapitres, plutôt courts pour maintenir suspense et intérêt. C’est bien pensé, bien construit. Petit à petit, les personnalités se dessinent, surprenantes, pas forcément comme on les croyait.

Ce roman parle d’amitié, de la complexité des rapports humains (quelques fois, on ne veut plus les voir les personnes qui nous rappellent quelque chose qu’on a choisi de mettre sous le tapis). Il évoque également la place qu’on donne à chacun et ce qu’on attend d’eux. D’ailleurs faut-il attendre quoi que ce soit de ceux qu’on aime ? À part écoute et compréhension ?