Deux balles
Auteur : Gérard Lecas
Éditions : Jigal (15 février 2020)
ISBN : 978-2377220892
218 pages
Quatrième de couverture
Juin 2013, l'armée française engagée en Afghanistan se
retire, le caporal-chef Vincent Castillo rejoint à Marseille Willy, son frère
d'armes grièvement blessé au combat. Pour leur retour à la vie civile, ils
avaient rêvé un projet : acheter un food-truck. Pour l'heure Willy est en
chaise roulante et Vincent sous neuroleptiques. Vincent retourne chez son père,
dans cet hôtel recyclé en foyer d'accueil pour migrants. Il retrouve là ses
deux frères, qu'il n'a pas vus depuis longtemps et qui ont tous les deux bien
changé...
Mon avis
Chez les militaires, quand on se bat ensemble, quand on
souffre ensemble, on est frères, à la vie à la mort, unis pour toujours. C’est
le cas de Vincent et de Willy. Ils étaient, avec d’autres, en Afghanistan, et
puis l’armée française s’est retirée en 2013 et il a fallu rentrer. Pour Willy,
en fauteuil roulant, fauché par deux balles…. Six mois plus tard, il est encore
en rééducation et on lui propose un exosquelette. Sa belle est à l’île de la
Réunion mais il ne lui pas encore expliqué ce qui lui arrive. Son pote Vincent
vient le voir, lui rappeler qu’ils avaient un projet : acheter un
food-truck et travailler pour la saison d’été. Vincent, il a ses jambes mais
c’est la tête qui n’est pas là : SPT. Stress post-traumatique, c’est une
souffrance pour lui mais il n’a pas demandé d’aide, il se débrouille avec des
boîtes de Lexomil mais ça ne suffit pas toujours pour tenir le coup. Pourtant
il essaie de faire face, d’accompagner son pote Willy, de positiver en se
tournant vers demain et en le tirant vers l’avenir….il continue de rire avec
lui, notamment avec cette pièce de deux balles (2 €) qu’ils utilisent souvent
pour prendre une décision … face ou pile ?
Face : une histoire d’amitié, solide, de celles qui ne
s’expliquent pas, qui se vivent à fond face à l’horreur de la guerre et des batailles,
face aux filles dont les yeux pétillent pour l’un ou l’autre, face à l’adversité
qu’il faut combattre (le handicap pour Willy, une vie de famille où il ne
reconnaît plus rien pour Vincent).
Pile : un récit sombre, empli de désespérance où l’on
découvre, en même temps que Vincent que son père et ses frères ont perdu pied.
Sa chambre n’est plus à lui. L’hôtel de son paternel est devenu un repaire
plutôt mal fréquenté et ses frangins trempent dans de sales magouilles où ils
essaient de l’entraîner.
Vincent est partagé entre ses deux lieux : le centre où
son « frère » subit des séances de kiné, des essais d’exosquelette,
et l’hôtel avec ceux de sa famille qui dérivent et qu’il ne reconnaît plus. Finalement,
quand il est « là-bas », loin, avec les collègues soldats, il a
une raison d’être, d’agir. Là, d’un coup, c’est le vide abyssal. A quoi se raccrocher ?
Il sent, il voit que Willy n’y croit plus, que le van pour tous les deux, il va
peut-être falloir y renoncer …..Quant aux combines familiales, il les vomit,
elles le rendent malade et il n’en veut pas mais il est seul face à cet état de
faits….
C’est tellement difficile pour ces hommes qui reviennent du
front de se réintégrer dans une vie ordinaire, de retrouver une place, un but, un
objectif. Dans ce roman, Gérard Lecas exprime le mal-être de ces deux amis,
leur arrivée dans une vie qui ne représente rien pour eux. Ils ne sont plus là-bas, ils ne sont pas d’ici,
ils sont de nulle part et ils n’ont plus de place. C’est avec une écriture
incisive, un style vif et puissant que l’auteur nous emmène dans un monde bien
sombre qui n’est pas sans rappeler certaines réalités et c’est en ça que ça
fait mal….
Malgré sa noirceur, j’ai beaucoup apprécié cette lecture. Le
ton est vraiment juste, ancré dans le réel. Les personnages ont de la
consistance, leur approche psychologique est intéressante, l’histoire est
cohérente. Le tout donne un recueil au ton dur, mais qui est une belle
découverte.
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