Le coup du fou (La mossa del matto)
Auteur : Alessandro Barbaglia
Traduit de l’italien par Jean-Luc Defromont
Éditions : Liana Levi (6 Octobre 2022)
ISBN : 979-1034905584
226 pages
Quatrième de couverture
Mardi 11 juillet 1972, ouverture du championnat du monde
d’échecs. En arrière-plan la guerre froide qui oppose Union soviétique et
États-Unis. Les caméras du monde entier sont braquées sur l’Islande, où auront
lieu les rencontres entre : le Russe Boris Spassky, champion en titre depuis
1964, et l’Américain Bobby Fischer. La victoire d’un des deux joueurs aurait
sans doute un impact politique, et le narrateur ose un parallèle avec une autre
guerre qui a vu s’affronter Orient et Occident, la guerre de Troie.
Mon avis
Attention, pépite !
Cinquante après 1972 et la finale du championnat du monde
d’échecs entre Bobby Fisher et Boris Spassky, l’auteur revisite les faits. Il
s’est documenté, s’est renseigné et n’a rien écrit au hasard. Il tisse trois
brins pour en faire un seul récit. En toile de fond, Bobby Fisher, ses manies,
ses lubies, son caractère atypique, son approche des matchs, du quotidien, ses
angoisses, ses requêtes, sa folie, ses bizarreries, sa démesure…. Puis un
parallèle entre les deux joueurs (qui s’affrontent pour ce mondial) et Ulysse
et Achille (héros de l’Iliade). Et pour compléter, une mise en abyme de la vie
personnelle de l’auteur avec ses liens à son père. Ces trois approchent se complètent,
s’éclairent les unes les autres, s’enroulent, se déroulent sous nos yeux
envoûtés.
Parce qu’il faut bien le dire, c’est captivant. Déjà car
Bobby est un personnage à lui tout seul, imprévisible, fascinant. A partir de
l’instant où sa mère lui a offert un jeu d’échecs, lui disant de lire le mode
d’emploi, il n’a fait que ça, déplacer les pions, lire des documents, des gros
bouquins, apprenant les coups, étudiant tout et tout le temps. Bobby vivait
échecs et n’existait que pour ça. Ce n’est pas un génie des échecs mais un
génie qui joue aux échecs…. Il ne sait faire que ça parce qu’il y consacre
tout son temps. « Je les porte dans ma tête, là, ils n’ont aucune
chance. Je peux le faire avec ou sans bandeau, ce que je vois ne change
rien. » dit Fisher lorsqu’il joue contre vingt personnes en même temps
passant d’une table à l’autre….
Et pour écrire ce recueil, Alessandro Barbaglia, lui, a fait
la même chose avec Bobby Fisher, l’obsession n’était plus sur le jeu mais sur
le joueur. Il ne pouvait pas en être autrement. Pourquoi ? Petit, il a
entendu son père, un psychanalyste reconnu, discuter avec des confrères. Et il
parlait de Bobby ! La graine était semée et elle a germé !
Pourquoi ce match de 1972 était-il si important ? Cette
finale se déroulait en pleine guerre froide, qui de la Russie et des Etats-Unis
allait gagner ? Attendu en Islande, Fisher s’est fait désirer. Comme
Achille qui refuse le combat, il ne venait pas, il se faisait attendre.
Peut-être la peur de gagner ? S’il gagne, il devient un autre, le
vainqueur, il va être mis en avant, lui qui n’aime pas ça. Peut-être que ce qui
l’intéresse, c’est jouer, développer des stratégies, pas forcément être vu
comme un héros ?
« Quelle duperie que la victoire. Quelle illusion. Combien on perd, quand on gagne. »
Il finira par venir, par affronter son adversaire, dans une
série de confrontations dont on parle encore aujourd’hui, tant il y a eu
d’anecdotes. Le refus de jouer devant les caméras, l’obligation d’aller dans
une petite salle (un cagibi), etc… Tout un poème comme le dit
l’expression ! Mais vraiment une lecture qui mérite d’être partagée !
Merci au traducteur, sans lui, je n’aurais pas découvert ce
texte. C’est vraiment quelque chose d’exceptionnel. Je précise d’ailleurs qu’il
n’est pas nécessaire d’être familier avec le jeu pour comprendre ce qu’on lit.
Les stratégies ne sont pas mises en avant. On reste vraiment dans l’attitude,
le comportement, les demandes folles de Fisher, ses exigences, son rapport aux
autres. Cet homme est un univers, un mystère et ce qu’on entrevoit,
soigneusement analysé, avec les parallèles qu’Alessandro Barbaglia met en
place, donne envie d’aller encore plus loin…
Hypnotisée par ce roman, je ne l’ai pas lâché. L’écriture
est prenante, le style vif et on ne s’ennuie pas une seconde !
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