"Frappe chirurgicale" de Sébastien Bouchery

Frappe chirurgicale
Auteur : Sébastien Bouchery
Éditions du Caïman (21 Octobre 2025)
ISBN : 978-2493739285
420 pages

Quatrième de couverture

Paris, 1981. Louis Verneuil, chirurgien à l’hôpital Saint-Antoine et accessoirement, vétéran d’Indochine, n’aspire qu’à une chose : la paix. Misanthrope et solitaire, il fait pourtant l’erreur un soir de céder aux charmes d’une jeune serveuse, elle-même dans le viseur d’un voyou à la solde de la famille Marzi qui a la mainmise sur la capitale. Une série de réactions en chaîne se met en place et Verneuil devient une cible. Une proie sauvage que personne n’aurait dû sortir de sa tanière...

Mon avis

La boxe est évoquée dans ce roman et moi j’ai pris un uppercut littéraire, une claque. Quatre-cent-vingt pages de tension, d’espoir, de ventre noué, de mains moites et de waouh.

1981, Louis Verneuil, chirurgien, vit seul dans un appartement à Paris. Quand il a du temps, il retape une maison en banlieue. Pas n’importe laquelle, il l’a choisie par besoin, sans doute pour guérir une de ses blessures. Parce que l’homme a souffert. Il a connu l’Indochine et a vu et vécu des choses horribles. De cette période, il a gardé une solide amitié avec un camarade, peut-être une des seules personnes avec qui il est resté en contact. Après, d’autres événements graves l’ont marqué mais, en taiseux, il en parle peu. C’est donc un solitaire, bosseur et discret, qui ne recherche pas la compagnie. Ce qu’il veut ?  Qu’on le laisse tranquille !

Un soir, en sortant du boulot, il s’arrête au Saint-Loup pour boire un scotch, ou plusieurs, une façon comme une autre de se délester du fardeau de la journée. Une jeune femme, Nelly, l’aborde, mais il n’a pas envie, ni de parler, ni de l’écouter, encore moins d’un « et plus si affinité »… Et puis, il le voit bien, elle est trop jeune pour lui. Pourtant, ils finissent par se faire du bien mais il est très clair :  ce sera sans avenir. Pas de chance, pendant les heures où elle est serveuse, elle a tapé dans l’œil de Togo, un petit voyou. Il lui a fait des avances qu’elle a repoussées. Vexé - son orgueil en a pris un coup - il entend bien lui faire payer ce qu’il considère comme une humiliation. Dont acte. Verneuil n’apprécie pas que le malfrat se soit vengé et il souhaite calmer ses ardeurs pour que Nelly ne se sente pas en danger et renoue avec une vie quotidienne apaisée.

Il ne sait pas où il a mis ses poings et ses pieds, le doc. Il se retrouve entraîné plus loin que ce qu’il pensait car, derrière Togo et ses acolytes, se cachent des individus sans foi ni loi, la gangrène des quartiers …. Que faire ? Se mettre en retrait et oublier ? Essayer de dialoguer ? S’attaquer à plus fort que soi ?

Entre le 10 et le 23 Mars 1981, plusieurs vies basculent. Des chapitres courts, de l’action, des rebondissements, des scènes qu’on déroule comme un vieux film en noir et blanc, une écriture qui fait mouche, sans fioriture et je suis restée scotchée aux pages. Vous prenez les faits bruts, parfois violents, en pleine face. Pas de répit pour le lecteur. Pas de temps mort. Je lisais en apnée, prête à en découdre, à aider tant j’étais dedans.

Le rythme est trépidant, Les personnages sont bien campés et les scènes très visuelles (normal, l’auteur est également scénariste). Il est intéressant de voir comment chacun analyse et ressent les différentes situations. Verneuil et le commissaire Lebreton sont deux protagonistes fascinants. Chacun est à la limite de ce qui est autorisé. Volontaires, impliqués, intuitifs, intelligents (avec la tête et le cœur), tiraillés pour cerner la limite entre le bien et le mal, ils sont attachants.

J’avais lu Gangway du même auteur. Avec Frappe chirurgicale, il s’est lancé dans un nouveau style et il a réussi avec brio, j’ai énormément aimé. Dans les dernières pages, il explique la genèse de cet opus et ce qui l’a inspiré, ça complète bien la lecture.  

NB : Monsieur Bouchery, la fin m’a brisé le cœur !

 

"Une morte de trop" d'Olivier Kourilsky

 

Une morte de trop
Auteur : Olivier Kourilsky
Éditions : Glyphe (12 Janvier 2024)
ISBN : ‎ 978-2352851516
260 pages

Quatrième de couverture

Hervé Larose, un braqueur particulièrement dangereux, criminel sans scrupules, orchestre une évasion sanglante du centre pénitentiaire. Son objectif ? Organiser avec ses complices un nouveau hold-up de bijoux. Un des policiers chargés de l'enquête, le lieutenant Tran, tombe sous le charme de Karine Rochas, la ravissante matonne prise en otage lors de la fuite du truand. Mais il découvre qu'elle cache quelque chose.

Mon avis

Le lieutenant Tran se rend près de Réau, en Seine et Marne, dans un centre pénitentiaire où il vient interroger Hervé Larose. Ce dernier est un malfaiteur particulièrement dangereux, en attente de son procès. Il a participé à de multiples braquages. Son ADN vient d’être retrouvé sur un cadavre (une jeune femme disparue depuis un an) découvert en forêt et c’est pour essayer d’établir des liens qu’il va être questionné.

Malheureusement lorsque Tran arrive, il apprend que le détenu est malade et en passe d’être évacué vers un hôpital. Karine Rochas, la surveillante, le reçoit et lui explique la situation. Même s’ils ont passé peu de temps ensemble, il est tombé sous le charme de cette femme pétillante et belle. Si elle est célibataire … pourquoi ne pas envisager un rapprochement dans l’avenir ? Il aura bien l’occasion de revenir …

Sur le point de repartir, il entend des coups de feu. Le malfrat s’est fait la malle, probablement aidé par ses anciens coéquipiers libres qui ont bloqué le véhicule dans lequel il était. En plus ils ont pris en otage la matonne ! L’officier de police est très ennuyé et inquiet. Chargé de l’enquête, avec d’autres, il doit essayer de coincer Rochas, et de résoudre le mystère de l’assassinat avéré de la personne qui était dans les bois. Deux affaires à mener de front …

Les investigations sont difficiles, certaines zones d’ombre empêchent d’avancer. Tran est complètement subjuguée, voire envoûtée, par la gardienne. Attention lui rappelle sa supérieure à ne pas mélanger vie privée et professionnelle, ce qui, chacun le sait, n’est pas une bonne idée ! Et puis, elle ne semble pas tout à fait nette cette pionne … Lui, en étant troublé, risque d’être moins efficace…. Il est donc indispensable d’être vigilant, attentif à tout et surtout ne pas se laisser perturber et faire le boulot correctement.

Des chapitres courts, dont certains en italiques pour une incursion dans le passé, une écriture musclée, une intrigue aux ramifications variées, ce roman a de nombreux atouts. J’ai trouvé intéressant que l’auteur se penche sur les processus de manipulation, de vengeance. Est-ce que se venger apporte la paix ? Et si oui, à quel prix ? Le profil psychologique des protagonistes est réfléchi et détaillé. Leurs raisons d’agir, d’une façon ou d’une autre, sont analysées pour certains et c’est fait avec finesse. Quelques fois, face à l’inertie ressentie de la justice, on a envie d’intervenir …est-ce la solution ?

J’ai beaucoup aimé cette lecture. J’ai trouvé le texte très abouti. Le suspense est bien présent et rien n’est vraiment prévisible. J’ai réalisé que je n’avais pas cerné tous les individus, ni leurs motivations. Olivier Kourilsky a parfaitement construit son récit et je n’avais qu’un souhait : tourner les pages !


"La Faille" de Wojciech Chmielarz (Żmijowisko)

 

La Faille (Żmijowisko)
Auteur: Wojciech Chmielarz
Traduit du polonais par Anastazja Deresz
Éditions : Mera (21 Novembre 2025)
ISBN : 978-2487149335
380 pages

Quatrième de couverture

Lorsque Maciej apprend que sa femme Janina a perdu la vie dans un accident de voiture, son monde s'effondre. Comment annoncer à ses deux jeunes filles qu'elles viennent de perdre leur mère ? Que dire à ses beaux-parents ? Et comment continuer à vivre, alors que sa vie paisible s'assombrit soudainement et tourne au cauchemar ? De plus, il ne comprend pas pourquoi l'accident s'est produit près de Mragowo, alors que sa femme lui avait assuré partir en voyage d'affaires à Cracovie. S’est-elle trompée ou lui a-t-elle menti ? Lorsqu'un homme mystérieux fait son apparition à l'enterrement, Maciej commence à comprendre que Janina cachait de nombreux secrets.

Mon avis

Un tsunami, voilà à quoi est confronté Maciej lorsqu’il apprend que sa femme a trouvé la mort dans un accident de voiture. Comment protéger leurs deux filles ? Dans un premier temps, il ne dit rien mais il sait que ce n’est pas possible. Il faut dire la vérité. Aidé de ses beaux-parents et de Renata, la meilleure amie de sa femme, il essaie de faire face et de gérer la situation.

Mais il est très vite déstabilisé. Son épouse a péri sur une route où elle n’était pas censée être et aux funérailles, un inconnu semble très affecté. De quoi s’interroger et se demander si sa compagne ne lui mentait pas. Face à ces zones d’ombre, Maciej refuse les compromis, il veut savoir, comprendre, tout en ne se mettant pas en danger car ses enfants ont besoin de lui.

Ce qu’il ne mesure pas, en se lançant dans des investigations, c’est d’une part que ce qu’il risque de découvrir peut le faire souffrir, et d’autre part, que tout cela va l’emmener sur des chemins de traverse où les décisions seront à prendre dans l’urgence, ce qu’il aurait souhaité éviter… mais on ne choisit pas ….

Avec une écriture (merci à la traductrice) fluide, maintenant une tension et un suspense permanents, l’auteur nous entraîne dans un thriller oscillant entre enquête et approche psychologique de quelques personnages (il y a une liste dans les premières pages pour bien se repérer). Il maîtrise parfaitement son intrigue et introduit des rebondissements au bon moment. On va de surprise en surprise et quand on pense que c’est fini, un petit truc vient relancer tout ça ! C’est très bien pensé.

Différentes thématiques sont abordées : le deuil, la communication dans les couples, la routine qui gangrène les relations amoureuses, le besoin de s’accomplir au travail, le désir de vengeance, le mensonge, les non-dits etc.

Je ne connaissais pas Wojciech Chmielarz et c’est une belle découverte ! Il a réussi à me captiver. De plus, je me suis posée de nombreuses questions. Les réactions du mari étaient celles d’un homme blessé à qui, de temps à autre, son propre destin échappait. Je ne sais pas si j’aurais pris les mêmes décisions que lui mais quand un drame nous touche personnellement tout est différent. J’ai beaucoup apprécié cette lecture.


"Mogador" de Richard Canal

 

Mogador
Auteur : Richard Canal
Éditions : du Caïman (20 Septembre 2025)
ISBN : 978-2493739292
334 pages

Quatrième de couverture

Le Mogador, un hôtel délabré sur la côte sénégalaise. Les propriétaires, Sarah et Patrick, un couple français à la dérive, sont harcelés par le fisc. Pour seul client, Pierrot, un tueur à gages exfiltré après un contrat en Italie. Mais lors d’un passage à sa banque, Sarah réalise qu’on pourrait facilement la braquer...

Mon avis

Sarah et Patrick ont quitté la France. Ils sont installés au Sénégal, sur la côte, où ils gèrent un hôtel, le Mogador. Pour eux, un moyen de faire fortune ou, à défaut, de vivre au soleil, de se la couler douce avec des revenus réguliers. Un rêve caressé, seulement caressé… Car pour réussir, il faut des clients et pour l’instant, il n’y en a qu’un, avec un bel arriéré de paiement. Il s’appelle Pierrot et dès qu’on fait sa connaissance, on sent qu’il n’est pas net. Est-il venu se cacher ? De qui ? De quoi ? Les rares appels qu’il passe (à la poste, pas de cellulaires dans ce récit) ne lui apportent pas satisfaction. Au Mogador, il se fait discret. Pour le couple de gérants, il faut trouver de l’argent, pour leur client également … Une association de malfaiteurs en perspective ?

Samba Ndieye est inspecteur de police. Son « terrain de chasse » c’est Pikine, la face noire de Dakar. Drogue, misère, chômage, SIDA, ceux qui résident dans ce coin sont sans illusions …. Ils ne vivent pas, ils essaient de survivre, de s’en sortir comme ils peuvent, parfois en dealant. Belle occasion pour ceux qui font régner la loi de faire de bonnes pioches, assez facilement, et peut-être en se servant au passage. Il faut faire attention car chez les trafiquants, il arrive que la tête soit quelqu’un de « respectable » et s’attaquer à trop fort est dangereux …

Quel que soit le lieu où le regard se porte, l’argent manque. C’est un pays où plus rien ne sourit aux hommes, où les choix sont difficiles et sont rarement les bons. Mais que faire ? Tenter de sauver ce qui peut l’être ? À quel prix ?

Il y a une atmosphère totalement palpable dans ce roman. On perçoit la moiteur, les bruits, la sueur aigre, la poussière. Tout cela nous imprègne. Les personnages également. Ils ont un côté désenchanté qui m’a beaucoup plu. Ils voudraient tous forcer le destin, vivre autre chose mais c’est compliqué. Personne ne maîtrise totalement son destin. J’étais totalement dedans, ressentant chaque émotion, visualisant chaque scène. Comme un film en noir et blanc se déroulant sous mes yeux, avec une forme de désespérance, je regardais ces petits blancs un tantinet arrogants, persuadés de leur pouvoir et de leur puissance. Et à côté, les autres qui ne savent pas comment s’en sortir. Les rapports humains ne peuvent pas être fluides dans ce récit. Les protagonistes traînent des « casseroles », des non-dits, des cachotteries, leur passé est lourd, leur présent difficile, quant à leur avenir, il semble bien obstrué ….

Richard Canal a vécu en Afrique. C’est sûrement pour cela qu’il évoque avec réalisme le quotidien des habitants. Il parle de la fracture sociale entre ceux qui sont venus avec des moyens financiers importants et ceux du cru qui galèrent tous les jours et vivotent. Son écriture est brute, sans fioriture. De temps à autre, une pointe d’humour se glisse devant une situation cocasse ou une remarque. Il y a même quelques lignes poétiques glissées dans le texte pour se poser, espérer ou croire à un autre futur.

Malgré sa noirceur, j’ai beaucoup aimé cette lecture. J’avais déjà voyagé aux Etats-Unis avec l’auteur, j’ai apprécié qu’il m’emmène ailleurs ! Et je veux bien le suivre encore !


"Addictus" de Rémy Belhomme

 

Addictus
Auteur : Rémy Belhomme
Éditions : au Pluriel (18 Novembre 2025)
ISBN : 978-2492598258
120 pages

Quatrième de couverture

Une farce théâtrale bien construite, où l’humour sert une critique sociale grinçante. Entre légèreté et cruauté, la pièce s’inscrit dans la tradition des grandes comédies satiriques.

Mon avis

« Artisan penseur – Conseil en contexture », voilà comment se définit Monsieur Jean Beaumage (un nom bien choisi !).

Lorsqu’il reçoit de futurs clients, il les interpelle. Est-ce qu’ils prennent le temps de penser ? Avec les vies bien remplies de chacun plus personne n’a le temps de penser ! Et pourtant, c’est indispensable… Et puis il enchaîne avec un discours bien huilé.

Le voici face à Léon Torsadou qui a une entreprise de cordes à linge et une contexture (la manière dont se présente un tout complexe d’après le boss), c’est-à-dire un problème à résoudre avec ses commerciaux. Le but pour Jean ? Lui vendre (aidé de son neveu qu’il fait passer pour un employé lambda) un pack de bienvenue, en le baratinant pour qu’il comprenne que c’est la seule solution.

À travers divers entretiens avec des clients, Beaumage, qui n’a aucune moralité, montre combien seul l’argent l’intéresse. C’est un manipulateur qui donne des conseils servant uniquement son intérêt. Il attend quelque chose en retour, tout le temps.

Pour les tâches de la vie quotidienne, il les confie à Yasmina. Elle travaille pour lui sans être payée, elle est son addicte. Son père ayant une dette envers Beaumage, il l’a en quelque sorte, laissée en gage. C’est de l’esclavage moderne. Elle ne cherchera pas à s’enfuir, ça ne se fait pas dans ses mœurs, on obéit.

En présentant des situations cocasses, Rémy Belhomme évoque des faits réels, le surendettement (obliger les gens à acheter pour mieux les avoir sous sa coupe et les rendre dépendants), les emplettes impulsives face à un charlatan, l’emprise sur les plus faibles et bien d’autres thèmes.

Les dialogues sont vifs, très parlants, bien écrits. Les scènes, bien réparties, mettent peu d’individus en place (ils sont listés avec leur rôle en début de livre). Il y a peu de didascalies car tout est très visuel.

Cette pièce de théâtre se décrit comme une farce satirique. Avec des jeux de mots, un humour bien dosé, l’auteur met en avant les dérives de notre société. Il présente ceux qui embobinent, parlent et agissent peu, qui se croient les plus forts et qui méprisent les autres en les prenant de haut …

Je me suis régalée avec cette lecture ! J’ai beaucoup ri, la scène avec Madame Louison, tenancière de maison close, est une pépite.

« C’est ça, c’est tout à fait ça. Une auberge rose. Quelle perspicacité, quelle finesse dans le jugement ! Mais suis-je bête ! J’oublie que vous connaissez bien la maison. Vous êtes un familier en quelque sorte. »

Je pense qu’il n’est pas simple d’écrire une pièce de théâtre et pourtant, j’ai trouvé celle-ci particulièrement réussie, très actuelle.  Je ne sais pas comment l’auteur a eu cette idée mais il a bien fait. J’ai lu qu’elle allait être mise en scène par l’association ART (Atelier de Recherche Théâtrale), j’espère que les comédiens joueront dans plusieurs villes et que je pourrai voir une représentation !

"Hercule et Maurice" de Gaëtan Dalle Fratte, Hélène Cordier, Luc Legeais

 

Hercule et Maurice
Auteurs : Gaëtan Dalle Fratte (Illustrations), Hélène Cordier (Couleurs), Luc Legeais (Rédacteur)
Éditions : Jarjille (14 Novembre 2025)
ISBN : 978-2493649263
36 pages

Quatrième de couverture

Maurice le dragon découvre qu'il est malade. Les principaux symptômes le poussent à éternuer des torrents de flammes. Cela se révèle quelque peu problématique dans sa bonne entente avec le village. Le docteur local n'étant guère spécialiste de l'anatomie dragon, il faut que Maurice, s'il veut guérir, retourne vers les siens, mais il faut pour cela accepter de faire face aux griefs passés. Le voyage est propice à l'échange entre ce dragon qui refuse un modèle des relations basées sur la domination et un jeune garçon qui n'a connu que cette façon de fonctionner...

Mon avis

Maurice le dragon, banni par les siens car il ne voulait pas se battre, se promène dans la nature avec un petit garçon, Hercule. Il passe près d’une maison en bois qui vient d’être terminée et où une grande famille va être accueillie. Il éternue et crache des flammes ! Catastrophe ! Tout est détruit. C’est très embêtant car lui qui est tout gentil va devenir un danger ambulant et risque de ne plus être bien accueilli dans le village…. Il est malade et se sent de plus en plus faible et bien sûr rien ne s’améliore côté gorge...

Si seulement le docteur pouvait l’aider mais c’est compliqué. Pourtant, une piste lui est proposée. Ce sera peut-être la solution pour se soigner… Pourquoi ne pas essayer ?

Le scénario de Luc Legeais plaira aux enfants de primaire qui pourront lire seuls et aux plus petits à qui on racontera cette bande dessinée. Hercule pense que pour réussir c’est mieux d’être grand et fort. Et il découvre qu’il n’y a pas que cette réalité, que l’on peut faire autrement. Il est prêt à en découdre mais la sensibilité transmise par le dragon l’aide à avoir un regard plus humain, plus empathique. Il s’adoucit.

Transmettre un message d’apaisement, de relations basées sur le respect, le partage et l’écoute est une excellente idée. Le faire avec ces deux personnages très attachants, des dessins doux, arrondis, aux couleurs pastel (Hélène Cordier, la coloriste a réalisé un beau travail), c’est encore mieux. Quelques mots suffisent à suggérer, à guider, pas besoin d’en rajouter.

Les illustrations de Gaëtan Dalle Fratte sont emplies de délicatesse, d’expression et pourtant, ce n’est pas envahi de détails (quelques traits suffisent à transmettre une émotion). La première page ferait un tableau magnifique (d’autres également). Les décors sont sobres mais très parlants. Les vignettes n’ont pas toutes la même mesure, tout en étant disposées harmonieusement.

Papier et couverture cartonnée sont irréprochables. Le texte est porteur de sens. Les dessins et les couleurs sont de qualité, une chaleur humaine et une lumière douce s’en dégagent ainsi qu’une atmosphère attendrissante où les tensions se gomment petit à petit. Tant sur la forme que le fond, cet album est une réussite. Je suis totalement conquise !


"Quatre jours sans ma mère" de Ramsès Kefi

 

Quatre jours sans ma mère
Auteur : Ramsès Kefi
Éditions : Philippe Rey (21 Août 2025)
ISBN : 978-2384822492
210 pages

Quatrième de couverture

Un soir, Amani, soixante-sept ans, femme de ménage à la retraite dans une cité HLM paisible en bordure de forêt, s'en va. Pas de dispute, pas se cris, pas de valise non plus. Juste une casserole de pâtes piquantes laissée sur la cuisinière et un mot griffonné à la hâte : " Je dois partir, vraiment. Mais je reviendrai. " Son mari Hédi, ancien maçon bougon, chancelle. Son fils Salmane s'effondre. À trente-six ans, il vit encore chez ses parents, travaille dans un fast-food, fuit l'amour et gaspille ses nuits sur un parking avec son meilleur ami, Archie, et d'autres copains cabossés. Père et fils tentent de comprendre ce qui a poussé le pilier de leur famille à disparaître.

Mon avis

Amani et Hédi étaient jeunes orphelins lorsqu’ils ont fui la Tunisie. Leur pays maintenant c’est la Caverne, une cité HLM française. Ils ont trouvé leur place avec Salmane, leur fils presque quadragénaire qui vit encore avec eux, alors que diplômé il pourrait prétendre à un avenir meilleur.

Leur quotidien est sans relief, banal, presque sans futur tant il est morose. Et un jour, un tsunami, la mère est partie. Elle a laissé un mot indiquant qu’elle reviendra. Que s’est-il passé ? Pourquoi cette fuite ? Où est-elle allée ? Et que signifient son silence et l’absence d’explications ?

Après quelques hésitations, Salmane décide de suivre sa trace pour comprendre ce qui n’a sans doute jamais été évoqué, expliqué. L’occasion pour lui de grandir ? Il prend les choses en main, maladroitement parfois (il est resté un grand ado) mais avec de plus en plus de volonté, d’amour pour sa mère.

C’est lui qui raconte, au fil des chapitres. Son ton un brin railleur s’étoffe au fil des pages comme si la maturité gagnée dans cette quête ressortait même dans sa façon de s’exprimer. Il est également moins impulsif, plus réfléchi, il est capable de voir plus loin que le lendemain.

Le père, lui, réagit différemment. Il est en colère. Il ne veut pas perdre la face auprès des habitants. Dire que sa femme l’a quitté lui semble inconcevable. Pourtant ….

« Les secrets ont une espérance de vie limitée à La Caverne. »

Petit à petit, on rentre dans l’intime de cette famille, dans les non-dits, les tensions, les choix et leurs raisons. L’écriture fouille les vies, détaille le passé, se fait douce, puis brutale, ou sensible et délicate. On voit le poids du passé, des regards, des traditions. L’interprétation qui peut être faite des gestes et des paroles de chacun, ceux qui, entêtés, bloquent le dialogue et le pardon.

Le récit est parfaitement construit, vivant et bien écrit.

« Quatre jours sans ma mère » est un premier roman tout en subtilité que j’ai beaucoup aimé.