La moitié fantôme (La mitad fantasma)
Auteur : Alan Pauls
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Serge Mestre
Éditions : Christian Bourgois (6 avril 2023)
ISBN : 978-2267051360
386 pages
Quatrième de couverture
Savoy déteste son époque. Un pied dans son siècle et l’autre
dans la nostalgie du précédent, il tient au contact humain, loin de la froideur
des relations numériques. Un jour pourtant, il s’aventure sur un site de
rencontre et fait la connaissance de Carla. La jeune femme, pendant un temps,
met fin à la solitude de Savoy, avant de lui annoncer son départ. Elle lui
laisse un manuel d’utilisation de Skype et un kit de natation pour seuls
compagnons, et Savoy doit alors apprendre à se contenter des discussions en
ligne avec Carla, loin du corps de l’être aimé…
Mon avis
Savoy n’est pas en phase avec le monde dans lequel il vit.
Trop de modernisme le bouscule, l’angoisse, le dérange. Il n’aime pas l’univers
virtuel de plus en plus présent dans le quotidien. Lui, quand il paie son
loyer, il y va en personne et avec de la monnaie. Et pourtant, de temps à autre,
il achète en ligne, mais on ne peut pas l’assimiler à un acheteur compulsif. Il
va sur des sites, observe, décortique, analyse, puis il se rend sur place pour
finaliser la transaction. Le contact est essentiel et quand il est en face de
la personne, il peut également « voir d’autres choses, d’autres
gens…. »
Ce qui l’intéresse, c’est la vraie vie. Il veut être là., ressentir une
atmosphère retranscrivant ce qui se passe. Humer les odeurs de cuisine, écouter
les bruits de lessive, voir quelqu’un sortir de la chambre ou de la salle de
bain. Être au plus près de chacun. Remplir sa vie de ces petites rencontres,
presque fortuites, qui le captivent. Non, ce n’est pas un voyeur, il ne revient
pas forcément chaque jour au même endroit, bien que de temps à autre, il
retourne en visite dans un appartement déjà connu (lieu qu’il explore pour des
connaissances qui cherchent un logement). Il tient à ce que ce soit éphémère. La
nostalgie l’habite….
Alors incontestablement, il est incompris. S’il explique ce
besoin ses amis s’interrogent… Il
n’éprouve pas le besoin de justifier quoi que ce soit. C’est ainsi, point.
Et un beau jour, Savoy fait connaissance avec Carla sur un
site de rencontres. Un début de relation se noue. Mais la jeune femme parcourt
le monde en allant de maison en maison et elle le laisse avec de quoi aller
nager (lui qui déteste la piscine) et le mode d’emploi pour communiquer via
ordinateur, à distance, avec elle. Savoy est perdu, ça ne l’intéresse pas, ni de
barboter, ni de « Skyper »….
Mais comment pallier ce manque de « vrai »,
comment vivre avec cette moitié fantôme, celle qu’on ne peut pas toucher car
elle est virtuelle ou/ et à distance ? Savoy est un original, mais il est
comme beaucoup d’entre nous (sauf que c’est plus « visible »). Il
cherche sans cesse l’amour le plus abouti, l’objet parfait … sans doute parce
qu’ainsi il existe.
C’est avec une écriture singulière, presque philosophique, des
phrases parfois longues et des dialogues indirects que l’auteur nous emmène
dans l’univers de cet homme atypique mais attachant. Quelques fois, une pointe
d’humour tourne en dérision une situation somme toute banale « Savoy
confia la mission à ses pieds-aussi apeurés que lui- d’évaluer la température
de l’eau. »
Dans ce récit surprenant, Alan Pauls démontre l’absurdité du
virtuel, tel que certains l’utilisent. On peut jouer sur le lieu, tricher
« Allo t’es où ? Je ne t’entends pas… » L’emprise et la place
dans et sur nos vies de ce mode de communication est énorme. Il est peut-être tellement superficiel que
tout risque de se déliter d’un instant à l’autre, non ?
Le ton est assez souvent désuet, un peu à l’image du personnage principal, décalé, perdu dans un monde qui peut lui échapper avant qu’il ne le rattrape à sa manière. Le fond et la forme ont un petit quelque chose de délicieux comme une parenthèse enchantée.
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