"Seuls sont les indomptés" d'Edward Abbey (The Brave Cow-Boy)

 

Seuls sont les indomptés (The Brave Cow-Boy)
Auteur : Edward Abbey
Traduit de l’américain par Laura Derajinski et Jacques Mailhos
Éditions : Gallmeister (Totem) (7 Novembre 2024)
ISBN : 978-2404080376
404 pages

Quatrième de couverture

Au milieu des années 1950, Jack Burns reste un solitaire, un homme hors du temps. Il s’obstine à parcourir le Nouveau-Mexique à cheval, vit de petits boulots et dort à la belle étoile. Lorsqu’il apprend que son ami Paul vient d’être incarcéré pour avoir refusé de se soumettre à ses obligations militaires, Jack décide de se faire arrêter. Retrouver Paul en prison et s’évader ensemble, tel est son plan.

Mon avis

Dans un avant-propos à l’édition de 1971, l’auteur précise qu’il a écrit ce texte en 1955. Il pensait alors être un des deux seuls anarchistes du pays, ainsi qu’un jeune gars passionné et assez imbécile. Il a fait très peu de modifications car il considère que cette histoire ne lui appartenait plus.

Avant un court prologue, la ballade du brave cow-boy, très poétique, met déjà le lecteur dans l’ambiance. Suivent alors quatre parties, chacune consacrée un peu plus à un personnage, même si tous se croisent dans le récit.

On est en 1950, Jack Burns est un homme à part, totalement atypique, un électron libre, anticonformiste. Logement et travail fixes, ce n’est pas pour lui. Il va et vient, sans papiers officiels, au gré de ses besoins et de ses envies. Il se déplace à cheval, avec sa carabine et sa guitare. Il se sent déphasé dans ce monde. Que l’on soit au XX ème siècle ou pas, il s’en fiche. Il fait et vit comme cela lui semble juste, il refuse les concessions. Il entend mener son quotidien à sa guise. La liberté est son moteur, la nature est sa maison.

« Pauvre Jack, pauvre vieux Jack-né trop tard, au mauvais endroit, au mauvais moment. Regarde-le, ce professionnel de la débrouille, prisonnier de la réalité, en quête d’un tunnel pour retourner dans son univers onirique de gamin, un monde de grands espaces, de chevaux et de soleil. »

Il est allé à la faculté et il est devenu ami avec Paul Bondi qu’il voit rarement mais à qui son amitié reste dédiée.

Bondi, c’est l’intello, il est en train d’écrire un livre et souhaite transmettre ses connaissances aux étudiants. Mais il a « oublié » de s’engager pour la conscription. Il pensait être à l’abri. Sa femme et son fils se retrouvent seuls et lui atterrit en prison. Il va sans doute purger une peine de deux ans.

Jack apprend que son pote est enfermé et il se pointe chez l’épouse de celui-ci, lui promettant de faire quelque chose. Il pense que Paul deviendra fou s’il ne sort pas rapidement et il entend bien remédier à ceci. Aider son camarade n’est pas une éventualité, pour lui ça coule de source. Il ne se pose pas de question, il agit.

Les deux hommes n’ont pas le même rapport à la modernité, à la loi, à la vie de tous les jours mais le dialogue et le respect sont présents entre eux. Ils savent échanger en toute confiance.

Jack, ce cow-boy solitaire, est attachant. Oui, il est en marge de la société. Pour les autorités, il est dangereux, mais l’est-il vraiment ? Dans le bureau du shérif, il y a quelques hommes qui oublient de réfléchir, qui franchissent la ligne rouge, se croyant au-dessus de tout. Ils m’ont exaspérée ces gros bras sans cervelle.

Edward Abbey décrit à merveille les grands espaces où se déroulent ce récit. Il aime ces lieux qu’il nous présente avec des « images » qui donnent envie de découvrir l’adaptation en film (avec Kirk Douglas). Les dialogues sont teintés de philosophie et complètent le texte en apportant une touche de réflexion intéressante sur la politique, le racisme, les excès de confiance des « policiers », les choix et les décisions des hommes face à la norme ou ce qu’on pense qu’elle est….

Son écriture (merci aux traducteurs) est fine, de qualité, posée. Même lorsque les événements s’emballent, on sent un certain regard empreint de discernement. Il pose les faits, le rythme s’accélère à peine mais la tension monte.

J’ai énormément apprécié cette lecture. J’y ai retrouvé tout ce que j’aime : des personnages qui « dégagent » quelque choses, une histoire qui tient la route en procurant des émotions diverses et un contexte parfaitement présenté et installé ! Une réussite !


"Deep Winter" de Samuel W. Gailey (Deep Winter)

 

Deep Winter (Deep Winter)
Auteur : Samuel W. Gailey
Traduit de l’anglais par Laura Derajinski
Éditions : Gallmeister (28 Août 2014)
ISBN : 9782351780787
320 pages

Quatrième de couverture


Danny ne sait pas quoi faire du cadavre qu’il vient de découvrir le soir même de son anniversaire. Ce corps, c’est celui de Mindy, sa seule amie dans la petite ville de Wyalusing, en Pennsylvanie. Depuis la tragédie survenue dans son enfance qui l’a laissé́ orphelin et simple d’esprit, tous les habitants de Wyalusing méprisent Danny, le craignent et l’évitent. Immédiatement, l’adjoint du shérif, un homme violent et corrompu, le désigne comme l’assassin, et tout le monde se plaît à le croire. Mais Danny n’est pas prêt à se soumettre. En quelques heures, l’équilibre précaire qui régnait jusqu’ici chavire.

Mon avis

1984…Wyalusing, quelques centaines d’habitants, Pennsylvanie….

Une bourgade où tout le monde se connaît. Chacun est ce qu’il est par tradition familiale pour certains (une famille de « flics »), par manque d’envie et d’énergie pour aller voir ailleurs (et éventuellement poursuivre des études) pour d’autres ou tout simplement parce que, portés par la vie, le « choix » (qui n’en a pas été un) s’est imposé de lui-même…
Une agglomération aux distractions rares et où l’alcool, la drogue, les filles, servent parfois, souvent même, de dérivatif… Pour la plupart, l’avenir est bouché et ne propose rien de transcendant alors il faut se contenter de la vie ici et maintenant tout en rêvant peut-être d’autres possibles…. Les hommes font les forts, essaient d’avoir le beau rôle et les femmes subissent, se taisent car il peut être dangereux pour elles de s’opposer aux « mâles »….

Microcosme que ce lieu où les relations se nouent, se dénouent avec leur lot de disputes, de réconciliations, de bagarres également au vu et sus de tous bien que quelques uns fassent comme s’ils ne se doutaient de rien. C’est tellement plus facile de faire comme si…
Comme si on ne se moquait pas de celui qui est plus lent, un peu handicapé mental…
Comme si on ne voyait pas que le couple part à vau l’eau parce que le mari boit trop, que la femme se laisse aller et se néglige…
Comme si on ne savait pas que « l’herbe » circule sous le manteau, menace et détruit des vies…
Comme si on ne voyait pas les traces dans la neige…..

Car c’est pendant vingt-quatre heures froides et neigeuses que va se dérouler cette histoire sombre, noire, un rien fataliste quelquefois, mais au combien forte, émouvante, bouleversante…. Portée par une écriture puissante, au cordeau, empreinte d’humanité, d’humilité et qui ne cède jamais au pathos, Samuel W. Gailey réussit le tour de force de nous transmettre des émotions, des sensations sans qu’on se sente « voyeur ». Les températures sont fraîches dans le roman (on est en hiver) et on a froid dans son canapé tellement on est pris, « enveloppé » par ce qui se déroule sous nos yeux, à la manière d’un film dont on ne lâcherait pas une image. Tout se passe, là, devant nous, et on se sent tellement impuissant….

L’auteur brosse un portrait d’un coin d’Amérique désenchantée, loin de la civilisation « plus avancée ». Une contrée où beaucoup de choses vont exploser en peu de temps. Les événements sont durs, les rapports rudes, sans fioritures et puis de temps à autre, une pointe d’espoir (comme une fleur qui sortirait malgré la neige) apportée avec poésie, comme la présence d’une biche blessée mais vigoureuse ou bien ces quelques mots : « Lever la tête vers le ciel et regarder tomber les flocons autour de lui l’aidait à oublier ce qui le troublait. »

Personne ne pourra sortir indemne de cette histoire, ni Danny, ni le shérif, ni les autres …. mais encore moins le lecteur qui n’aura eu qu’une hâte : avancer dans sa lecture puis à la dernière page, retrouver l’auteur, vite, très vite pour un nouvel opus…..

"Langue maternelle" d'Alejandro Zambra (Literatura infantil)

 

Langue paternelle (Literatura infantil)
Auteur : Alejandro Zambra
Traduit de l’espagnol (Chili) par Denise Laroutis
Éditions : Christian Bourgois (15 Mai 2025)
ISBN : 978-2267054750
256 pages

Quatrième de couverture

Alors qu'il avait toujours repoussé l'idée d'avoir des enfants, Alejandro Zambra devient père à quarante-deux ans. Bousculé dans ses certitudes, il consigne l'état dans lequel le plonge cette période unique, pour mieux la saisir et en laisser une trace concrète à son fils. À l'ère de l'instantané, qui change notre rapport à la mémoire et à ces premiers moments de vie, il s'interroge : que faut-il transmettre à ses enfants et quelle part de mystère garder ?

Mon avis

C’est à quarante-deux ans, alors qu’il n’envisageait pas d’être père, que l’auteur découvre la paternité par l’intermédiaire de la naissance de son fils.

Il commence à écrire, des réflexions qui lui viennent, comme ça, au fil des jours, puis des textes un peu plus longs, des poèmes. On suit ainsi son quotidien bouleversé par l’arrivée de ce petit être. Tout est reconsidéré, revisité. Petit à petit, c’est la relation qu’il a lui-même construit avec son père qui est mise en avant. Il élargit ses pensées à d’autres hommes et leur progéniture, il partage avec le lecteur ce cheminement. Tout n’est sans doute pas totalement vrai, c’est son interprétation au jour J lorsqu’il écrit, mais peu importe car tout s’articule autour de l’amour des pères.

Il parle du regard qui se modifie lorsqu’on donne la vie, des priorités qui ne sont plus les mêmes. Il évoque la transmission, la mémoire, les changements de vie et les amitiés qui évoluent en fonction de ce qu’on souhaite, de ce que comprennent les amis de nos décisions. Certains choisissant de faire passer leur activité professionnelle avant leurs enfants (les femmes étant présentes pour palier au manque), d’autres au contraire, assumant totalement leur « nouveau rôle ». Ce qui est de plus en plus fréquent. Autrefois, les pères apprenaient à leur fils à être un homme, mais pas à être un père…

Toute la première partie du livre est consacré à ce tsunami qu’a été cette découverte de la paternité. C’est un véritable message pour son fils, et lorsqu’il le découvrira, ce sera un cadeau inestimable.
L’écriture (merci à la traductrice) est sincère, fluide, intéressante. Les sujets évoqués renvoient chacun à sa propre histoire, soit en tant qu’enfant, soit en tant que parent.

Dans la seconde partie, il y a d’abord l’amitié de deux enfants, puis d’autres petits récits avant de revenir à des événements plus personnels. L’auteur explore toujours le lien filial mais sous d’autres formes.

J’ai aimé le parallèle entre la littérature enfantine et le lien filial. Alejandro Zambra fait presque de la philosophie lorsqu’il en parle ! C’est beau et poétique !

L’ensemble est une lecture émouvante, où cet homme se confie, et se révèle jusqu’à l’intime. Il ose dire ses peurs, ses doutes, et il offre ses petits bonheurs, ses victoires. C’est à la fois doux et délicat mais aussi empreint d’un humour fin qui apporte le sourire aux lèvres.

« - Pourquoi tu as voulu avoir un enfant ?
Au cours de ces petits mois, ce sont bien quinze personnes qui m’ont posé la question.
- En réalité, c’est grand-père que je veux être, on n’en est qu’à la phase préparatoire, je leur réponds, par exemple.
Ou bien :
- Parce que j’en avais marre des chats. »

Avoir un enfant c’est devenir responsable, c’est savoir qu’on donnerait sa vie pour le sauver, c’est tenir sa main dans la notre pour l’accompagner, le soutenir pendant qu’il grandit, c’est savoir s’effacer quand il le faut tout en étant présence si besoin.

C’est tout cela que nous découvrons ou redécouvrons dans ce livre à la fois témoignage, biographie, roman, donc inclassable mais à découvrir sans aucun doute.


"Les naufragés du Wager" de David Grann (The Wager : A Tale of Shipwreck, Mutiny, and murder)

 

Les naufragés du Wager (The Wager : A Tale of Shipwreck, Mutiny, and murder)
Auteur : David Grann
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Hel-Guedj
Éditions : Sous-Sol (25 août 2023)
ISBN : 978-2364684119
450 pages

Quatrième de couverture

En 1740, le vaisseau de ligne de Sa Majesté le HMS Wager, deux cent cinquante officiers et hommes d'équipage à son bord, est envoyé au sein d'une escouade sous le commandement du commodore Anson en mission secrète pour piller les cargaisons d'un galion de l'Empire espagnol. Après avoir franchi le cap Horn, le Wager fait naufrage. Une poignée de malheureux survit sur une île désolée au large de la Patagonie. Le chaos et les morts s'empilant, et face à la quasi-absence de ressources vitales, aux conditions hostiles, certains se résolvent au cannibalisme, des mutineries éclatent, le capitaine commet un meurtre devant témoins. Trois groupes s'affrontent quant à la stratégie à adopter pour s'en échapper. Alors que tout le monde croyait que l'intégralité de l'équipage du Wager avait disparu, un premier groupe de vingt-neuf survivants réapparaît au Brésil deux cent quatre-vingt-trois jours après la catastrophe maritime. Puis ce sont trois rescapés de plus qui atteignent le Brésil trois mois et demi plus tard. Mais une fois rentrés en terres anglicanes, commence alors une autre guerre, des récits cette fois, afin de sauver son honneur et sa vie face à l'Amirauté et au grand public.

Mon avis

En 1740, le HMS Wager prend la mer pour une mission secrète. Malheureusement, rien ne se passe comme prévu et il chavire. Quelques marins se retrouvent sur une île perdue et espèrent s’en sortir. Ils ne sont pas d’accord sur la conduite à tenir et plusieurs options sont possibles. C’est ce que David Grann présente avec ce titre.

Il a passé plusieurs années à consulter de nombreux dossiers et documents, les récits de ceux qui ont vécu cette aventure, avant d’écrire ce livre. Il a effectué un travail pointilleux de recherches, de prises de notes avant de passer à la rédaction. D’ailleurs, il glisse çà et là des photos, extraits de carnets ou autres dans son recueil. Ce pourrait être foisonnant, confus, complexe, il n’en est rien.

Il a magnifiquement articulé son récit et offre une lecture captivante, complète, absolument exceptionnelle. Le vocabulaire dédié, précis, en lien avec l’époque, la description des événements, de l’atmosphère, tout est parfaitement présenté. On cerne les personnalités, les tiraillements entre les uns et les autres, c’est fascinant.

Je n’avais jamais entendu parler de ce naufrage et de la mutinerie qui a suivi. J’étais loin d’imaginer tout ce qu’ont vécu ces hommes, les conditions de survie qui ont été les leurs. Rien n’était aisé, les relations établies, chacun essayant de placer ses convictions personnelles, donnaient lieu à des tiraillements, des disputes, des coups de bluff.

Je ne pensais pas avoir tant de plaisir à lire cette histoire. Savoir qu’il s’agit de faits réels, constater que les rescapés se sont battus pour rétablir la vérité, ces deux éléments donnent du poids au contenu. La documentation insérée est également un réel atout.

J’ai trouvé l’écriture prenante, sans temps mort et c’est une belle découverte !

"Pendant les combats" de Sébastien Ménestrier

 

Pendant les combats
Auteur : Sébastien Ménestrier
Éditions : Gallimard (31 Janvier 2013)
ISBN : 978-2070139590
96 pages

Quatrième de couverture

«Un matin qu'ils étaient allés voir la rivière en crue, Joseph avait dit à Ménile, mon vieux, je n'ai que toi. Moi aussi, garçon, lui avait dit Ménile.» En 1943, sous l'Occupation, deux jeunes hommes entrent dans la Résistance. L'un est tenu par son sens du devoir et de la précision, l'autre veut dépasser la bête de somme qu'il a été jusqu'alors. Ce qu'ils sont, et ce qui les unit, va passer au révélateur puissant des combats. En peu de mots, dans une distance qui fait songer au cinéma de Bresson, tout le tragique de l'espèce humaine en temps de guerre.

Mon avis

Sobre, efficace et percutant...

À l’image de l’amitié masculine évoquée, pleine de pudeur, où les mots sont économisés et les gestes d’affection rares, c’est entre les lignes qu’il faut découvrir l’extrême sensibilité de ce récit pour l’apprécier à sa juste valeur.

Une histoire d’hommes, les femmes sont présentes mais on en parle peu.
Des phrases au style épuré, parfois très courtes ne remplissant même pas la page ; comme autant de flash, de regards sur la situation présentée, celle de deux amis qui entrent "en résistance" pour sauver leur pays.
Mais rien n'est jamais aussi simple, devant l'adversité, chacun réagira ... à l'unisson ou pas?


"La route" de Manu Larcenet

 

La route
Auteur : Manu Larcenet (Scénario, Dessin)
Éditions : Dargaud (29 mars 2024)
ISBN : 978-2205208153
160 pages

Quatrième de couverture

L’apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d’objets hétéroclites, censés les aider dans leur voyage. Sous la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l’humanité. Survivront-ils à leur périple ? Manu Larcenet a adapté le roman « La route » de Cormac McCarthy.

Mon avis

Magistral !

Manu Larcenet a adapté le roman « La route » de Cormac McCarthy et c’est tout simplement bluffant.

On retrouve la noirceur du livre (d’ailleurs, il n’y a pas de couleurs dans les croquis, c’est très sombre). Certaines cases n’ont pas de mots, pas de dialogues mais il n’y en a pas besoin tant le dessin est expressif. C’est bouleversant car les images frappent les esprits, le cœur. C’est même mieux qu’il n’y ait pas trop à lire car les dessins se suffisent à eux-mêmes.

Ce gamin et son père, sur les routes avec leur caddie, dans des conditions dantesques qui essaient de survivre, vous les voyez, là, sous vos yeux, comme s’ils existaient réellement. C’est terrible de ne pas pouvoir les aider, de savoir ce qu’ils vont affronter (je n’ai jamais oublié le livre lu pourtant il y a longtemps).

Je suis sortie lessivée de cette lecture. Et aussi admirative devant le travail accompli par l’auteur. J’ai pensé que lui aussi avait dû être vidé par cette réalisation. Je crois que dessiner, avec autant de précisions dans les expressions du visage, les postures, la présentation de l’environnement, tout cela a dû être éprouvant pour lui.

Un seul mot : bravo !


"Quand tu écouteras cette chanson" de Lola Lafon

 

Quand tu écouteras cette chanson
Auteur : Lola Lafon
Éditions : Stock (17 Août 2022)
ISBN : 978-2234092471
260 pages

Quatrième de couverture

« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?

Mon avis

Écrire est un geste d’espoir obstiné, la preuve d’une espérance insensée.

Dans le cadre des textes écrits dans la série « une nuit au musée ». Lola Lafon a choisi de rester une nuit dans l’Annexe au musée Anne Frank, le 18 Août 2021. Elle y a passé dix heures. Moi, je l’ai visitée, je suis restée moins longtemps. Totalement bouleversée, j’ai pleuré longuement… Cet endroit était encore « habité », on y chuchote, on y écoute le silence qui nous dit tant de choses …

Elle a rencontré Laureen, une amie de la jeune fille qui lui a expliqué l’écriture du journal intime. Je ne suis pas d’accord avec ce qui est écrit en quatrième de couverture : « dont aucun adulte ne se souvient vraiment ». Je n’ai pas oublié ce livre, lu à l’adolescence.

Laureen dit : « Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. »

Lola Lafon a essayé de comprendre les motivations d’Anne, son rapport à l’écriture (et elle évoque le sien, allant même plus loin « pourquoi, pour qui écrit-on ?). Elle a ainsi interrogé sa propre histoire. Elle se dévoile par petites touches, raconte sa famille. Cette pause, dans ce lieu unique, lui a permis de revenir sur son vécu en nous racontant celui d’Anne et des siens.

En lisant ce témoignage, j’ai réalisé que je ne savais pas tout. J’ai découvert, entre autres, les risques pris par Otto (le père) qui, chaque jour, emportait quelque chose pour le mettre dans leur future cachette. C’était dangereux pour lui mais il le faisait quand même. J’ai appris que le journal avait été « re écrit », même si ce mot est un raccourci que je ne devrais pas utiliser. J’ai découvert qu’Otto a été accusé d’avoir « inventé » sa fille, mis en scène certains éléments ! Cela m’a révoltée.

Cette lecture est très intéressante. L’écriture est fluide, le propos émouvant. Les émotions montent en nous au fil des pages.

C’est vraiment magnifique !


"Les fugitifs" d'Abir Mukherjee (Hunted)

 

Les fugitifs (Hunted)
Auteur : Abir Mukherjee
Traduit de l’anglais par Pierre Reignier
Éditions : Liana Levi (8 Mai 2025)
ISBN : 979-1034911035
414 pages

Quatrième de couverture

Alors que les deux candidats à l’élection présidentielle américaine – un Républicain populiste et une Démocrate trop sûre d’elle – entament leur dernière semaine de campagne, une bombe explose dans un centre commercial de Los Angeles, faisant des centaines de victimes. Personne n’a entendu parler de l’obscur groupuscule islamiste qui le revendique. Pourtant la bombe n’était pas un engin artisanal. Le FBI est sur les dents, et surtout l’agent Shreya Mistry qui met tout en œuvre pour retrouver une jeune femme entrée sur le territoire américain en même temps que la kamikaze.

Mon avis

Abir Mukherjee, issu d’une famille d’immigrés indiens, a grandi dans le Sud de l’Écosse. Il a déjà écrit quatre romans qui se situent en Inde, entre les deux guerres, avec des personnages récurrents. Son dernier titre n’a rien à voir avec cet univers mais il est tout autant passionnant.

Le récit se déroule aux États-Unis, de nos jours, au moment de l’élection présidentielle, pendant la dernière semaine où les candidats (un homme républicain et une femme démocrate) font campagne.
Pour les déstabiliser (surtout l’un des deux), une bombe explose dans un centre commercial faisant de nombreux morts et blessés. L’attentat est revendiqué par un groupe que personne ne connaît et la surprise est totale. Qui et pourquoi ?

Plusieurs entrées sont proposées pour cette lecture captivante.

Une avec les terroristes. Comment et pourquoi ils en sont arrivés , ce qui les anime. On découvre comment fonctionnent ces groupuscules. Le lavage de cerveau des recrues, l’interprétation des faits pour les motiver, les événements marquants qui les poussent à s’engager alors que rien ne laissait supposer qu’ils prendraient cette direction.

« Dans les périodes d’incertitude et d’angoisse, ce sont les marchands de peur qui l’emportent – les démagogues qui s’appuient sur la colère et l’effroi des gens, et proposent des solutions séduisantes de simplicité aux problèmes complexes du monde . »

Une autre avec les policiers, dont une agente du FBI, Shreya Mistry, qui poursuit les comploteurs. Elle agit parfois à l’instinct et ça ne plaît pas toujours à ses chefs. Mais sa capacité de réflexion est grande. Elle peut travailler des heures en se coupant de sa vie privée et même si c’est quelques fois trop, elle se révèle efficace avec un tantinet trop d’impulsivité.

Il y a également deux parents à la recherche de leurs enfants . Ces derniers semblent impliqués dans les attaques mais pour leurs père et mère, c’est inconcevable. Ils sont prêts à tout pour suivre leur trace et prouver qu’ils n’ont rien à voir avec cette théorie. Ils se mettent en danger mais sont décidés à ne rien lâcher et à retrouver leur progéniture.

« Alors aussi longtemps qu’ils seront là, quelque part dans la nature, je refoulerai ma peur tout au fond de mes tripes, autant que je le pourrai, et je continuerai d’avancer. »

Jusqu’où est-on capable d’aller pour une cause qui est juste pour nous, pour nos enfants ? C’est toute la question posée sous différents angles dans cet excellent récit.

« Vous m’avez dit autrefois que vous aviez une fille, vous aussi. Feriez-vous moins que cela pour elle ? »

Il est aussi question de culpabilité, du besoin de reconnaissance, de manipulation, de mensonges, de non-dits, de toute la complexité des relations humaines, dans la famille et en dehors.

Les personnages ont chacun une histoire personnelle qui les a menés là où ils en sont aujourd’hui. On ne peut pas accepter les dérives de comportement de quelques uns mais on peut se questionner sur ce qu’auraient été nos réactions dans les mêmes circonstances...

L’écriture de l’auteur (merci au traducteur) est fine, précise. Il explore les côtés sombres de la nature humaine sans oublier que de temps à autre, des questions surgissent et que le doute s’installe, même chez certains qui veulent le mal.Il analyse avec doigté les choix de chacun, rappelant combien le poids du passé peut être lourd et décisif dans certains cas.

J’ai trouvé cette histoire prenante, émouvante, bouleversante. Actions et psychologie se mêlent habilement dans le texte. C’est intéressant, sans temps mort, avec beaucoup de rythme. Jamais on ne tombe dans les clichés. Bravo à Abir Mukherjee qui a su changer de style en restant toujours un excellent écrivain !


La dernière liste de Mabel de Laura Pearson (The Last List of Mabel Beaumont)

 

La dernière liste de Mabel (The Last List of Mabel Beaumont)
Auteur : Laura Pearson
Traduit de l’anglais par Penny Lewis
Éditions : L’Archipel (15 Mai 2025)
ISBN : 978-2809850925
360 pages

Quatrième de couverture

Après la mort de son mari Arthur, Mabel découvre l'ultime liste qu'il a dressée pour elle. Ou plutôt ce mot énigmatique : " Trouver D. " Convaincue qu'il s'agit de Dot, sa meilleure amie perdue de vue depuis soixante ans, Mabel part à sa recherche... Une quête qui va l'amener à remonter le temps, et caresser l'idée qu'il n'est jamais trop tard pour refaire sa vie...

Mon avis

Arthur et Mabel sont ensemble depuis très longtemps. Ils ont 89 et 86 ans, pas d’enfants, un chien et une vie bien réglée. Leur quotidien est sans surprise, les journées se succèdent et se ressemblent. Ils ne cherchent rien de plus. Lui, c’est un inconditionnel des listes. Il en écrit beaucoup pour tout un tas de raisons. Un matin, il ne se réveille pas. Mabel n’avait jamais envisagé que cela puisse se produire et qu’elle se retrouve seule… Apparemment, lui, si. Tout a été anticipé. Elle se retrouve avec une aide-ménagère, qu’elle rejette dans un premier temps et finalement elle en prend l’habitude. Au début, ça l’a bousculée, énervée même un peu, mais celle qui a été choisie pour la soutenir a su l’amadouer et elle a fini par s’y faire. Elle accepte de sortir un peu et de faire des rencontres, ce qui ne lui ressemble pas du tout. Elle sort de sa zone de confort…

Mais un petit papier l’interpelle. Sans doute la dernière liste, inachevée, d’Arthur. Il n’y a que quelques mots « Trouver D. ». D comme Dot, sa « meilleure amie » perdue de vue depuis bien longtemps ? Ou autre chose ? Mabel ne sait pas… A-t-elle envie de relever ce qui ressemble à un défi ? De se lancer seule dans des investigations ? Peut-être que parmi les quelques personnes qu’elle côtoie, certaines peuvent l’aider ? Et puis ça passera le temps…

Voici cette vieille dame de 86 ans, qui ne sortait jamais de chez elle, qui se lance avec quelques autres personnes, dans des recherches pour savoir ce qu’est devenu Dot. Peut-on combler en peu de temps, une soixantaine d’années de silence ? En cherchant son amie, Mabel revisite leur lien, mais ce qu’elle a décidé, pourquoi.... L’auteur glisse des retours en arrière, qui éclaire le passé. On connaît mieux cette femme, son histoire d’amour, ses secrets, ses non-dits.

C’est un très beau récit, construit avec doigté pour éviter toute lassitude au lecteur. Les révélations arrivent petit à petit, on cerne mieux les différents personnages, leur personnalité. J’ai trouvé intéressantes les analyses qui définissent les choix de chacun. Pourquoi une option plutôt qu’une autre ? A quoi « obéit-on » ? Est-ce que le regard des autres nous pèse et nous conditionne ? Comment être soi ?

Ce roman explore plusieurs thèmes : la famille, l’amour, l’amitié, le couple, le deuil, la perte, les souvenirs. Le cheminement de chacun, entre ce que les gens souhaitent pour vous et ce que vous voulez vraiment, au fond de vous.

L’auteur décortique finement et avec subtilité, les relations humaines, dans toute leur complexité. Elle rappelle que rien n’est jamais autant fluide qu’on l’imagine. Il est nécessaire de faire des concessions, de s’écouter, de se respecter. Elle nous présente également de très beaux portraits de femmes. Elles n’ont pas grand-chose en commun mais elles arrivent à communiquer et à avancer ensemble. Sans doute parce que chacune d’elle a su, à un moment ou un autre, faire preuve d’empathie, se mettre à la place de l’autre pour la comprendre, l’accompagner, être présente sans juger.

Un très beau roman à lire et à partager.

"Les tribulations jubilatoires d’un pisse-copie" de Philippe Gindraux


 Les tribulations jubilatoires d’un pisse-copie
Auteur : Philippe Gindraux
Éditions : Slatkine (20 Avril 2016)
ISBN : 9782832107270
256 pages

Quatrième de couverture

Comment débuter dans le journalisme quand on est jeune étudiant à Paris et de surcroît suisse et fauché ? Quand on ne connaît rien ou presque de la vie, que l’on est maladroit et candide ? Avec humour et franchise, Philippe Gindraux nous livre sans complexe ses recettes. Nous vivons avec lui ses espoirs et ses déconvenues d’apprenti journaliste, puis de reporter confirmé. D’anecdotes en interviews, nous partageons ses joyeuses rencontres

Mon avis

Je souris, tu ris, nous jubilons…..

S’il est un livre qui porte bien son titre, c’est celui-ci. Quelle tranche de rigolades à suivre le chemin de l’auteur ! Avec beaucoup d’humour, ce dernier nous fait découvrir les différentes étapes de sa vie de futur puis actuel et enfin ancien journaliste puisqu’il a maintenant choisi d’autres voies. Une petite cinquantaine de chapitres pour évoquer quinze ans d’une vie bien remplie. Nous découvrons comment Philippe Gindraux est entré dans le métier. Essayant de s’introduire dans les grands journaux pour faire des piges dans un premier temps en espérant plus si affinités…. Parlons-en des affinités et des rencontres parfois ubuesques qui auraient pu finir au lit et pas forcément avec la personne souhaitée….

Quelques anecdotes sont encore plus drôles que d’autres : l’entrevue avec Pierre Perret ou Yves Montand aux mains des chinoises alors qu’il « cherchait une femme » à Genève ; sont un vrai régal ….

Ce recueil est écrit avec intelligence, les souvenirs égrenés choisis avec discernement pour que le lecteur soit intéressé, captivé et qu’en outre, il prenne du plaisir devant la cocasserie de certaines situations. Il y a bien sûr les faits qui nous amusent mais le style et le phrasé permettent de faire vibrer les zygomatiques. La présentation de chaque rendez-vous est évoquée en quelques pages, agrémentée de nombreux dialogues qui rendent le texte beaucoup plus vivant et très agréable à lire.

En conclusion, c’est un livre que j’ai énormément apprécié et la plume de celui qui s’est exprimé dans les pages n’est pas étrangère à mon plaisir. Le fond est truculent mais la forme est excellente !

"Les Sortilèges de la cité perdue" de Douglas Preston & Lincoln Child (Thunderhead)

 

Les Sortilèges de la cité perdue (Thunderhead)
Auteur : Douglas Preston & Lincoln Child
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michèle Garène
Éditions : L’Archipel (9 mai 2012)
ISBN : 978-2809807103
510 pages

Quatrième de couverture

Depuis que les parents de Nora Kelly sont morts, le ranch familial a été laissé à l'abandon. Un soir, elle s'y rend et découvre la maison saccagée quand, soudain, une étrange créature velue, tenant autant de l'homme que de l'animal, lui saute dessus en lui réclamant la lettre. Heureusement, une voisine réussit à mettre en fuite l'agresseur...Avant de partir, Nora découvre une lettre écrite il y a quinze ans par son père, alors en quête de Quivira, la légendaire cité de l'or, dont il confirme l'existence et la localisation. Nora, stagiaire à l'Institut archéologique de Santa Fe, parvient à convaincre le patron de l'Institut de financer une expédition archéologique pour mettre au jour Quivira, la cité perdue des Indiens anasazis. Nora prend la tête de l'expédition. Mais au fur et à mesure que son équipe approche du but, elle est confrontée à l'horreur et à la mort.

Mon avis

Nora Kelly, jeune stagiaire à l'Institut archéologique de Santa Fe, ne sait pas ce qui est arrivé à son père, disparu depuis des années.
Maintenant, sa mère est, elle aussi, décédée et il ne lui reste que son jeune frère pas très courageux, plutôt porté sur la bouteille et les jolies femmes que sur le travail.
Il n’a qu’un souhait, que sa sœur vende le vieux ranch hérité de leurs parents, non habité, laissé à l’abandon, qui s’abime et perd de sa valeur.
Nora n’a pas envie de céder…
Elle se rend dans la maison familiale pour faire un tour et se fait agresser par deux créatures recouvertes de peaux de bêtes. Une gentille voisine vient à son secours et Nora en sera quitte pour une belle frayeur. En repartant, elle découvrira une lettre écrite par son père des années auparavant mais postée récemment. Il évoque dans ce courrier une découverte archéologique inestimable.
Tous les sens en éveil, Nora veut partir mais …. elle est en stage et ne maîtrise pas la logique des projets de l’Université….
Comment arriver à ses fins ? Comment trouver les renseignements manquants, l’équipe et surtout le financement ? Sans vouloir vexer les messieurs qui me lisent, Nora est une femme…qui plus est une femme de tête…. Donc alliant courage, ténacité, ruse avec un sourire et des arguments convaincants, elle va pouvoir partir et nous à sa suite….

Nous allons donc nous retrouver embarqués dans une expédition scientifique à but archéologique.
Ici, c’est de la cité de Quivira qu’il s’agit, mythe ou réalité, ce lieu a été évoqué par Vásquez de Coronado (voir Wikipédia, je ne vais pas faire un cours). Toujours est-il que c’est dans une nature hostile (le Grand Canyon américain difficile d’accès et où l’on trouve peu d’eau) à la météo changeante, que nos protagonistes vont évoluer. Il y aura, bien entendu, une tribu indigène pas très contente de les voir progresser et bien décidée à les détourner de leur but final.

Mêlant habilement le contenu du roman avec des informations captivantes (qui peuvent donner envie aux lecteurs d’aller plus loin dans la découverte et la connaissance), Douglas Preston et Lincoln Child ont le don de nous mettre dans l’ambiance et de nous donner envie de tourner les pages au plus vite.

Ce roman pourrait donner une apparence de « déjà vu »: une expédition avec des personnages au caractère marqué (la chef, celle qui voudrait être khalife à la place du khalife, le courageux, le peureux, le taiseux, sans oublier ceux dont on pense qu’ils sont « comme ça » alors qu’ils sont tout à fait différents ….); ceci entraînant des tensions, des échanges de sentiments, des situations conflictuelles comme toujours lorsqu’on vit en vase clos…. Mais l’apport de connaissances archéologiques: les porteurs de peau, les kivas …. agrémentées avec discernement et intelligence d’un peu d’ésotérisme (léger et supportable) donne un livre qui a tout pour plaire et qui est une vraie détente.

L’écriture est de qualité, travaillée sans être ostentatoire, les dialogues bien vivants. Les relations entre les uns et les autres, parfois un peu caricaturales…. Mais en petit comité, dans des conditions particulièrement éprouvantes, les personnalités se dévoilent plus et se laissent aller, les masques tombent très vite et ceci peut expliquer cela.

Nora, le centre de tout cela, m’a vivement intéressée. Elle est intègre, elle sait ce qu’elle veut, elle est constructive dans ses actes, attentive à l’autre; de plus elle a un regard sur le passé qui est celui d’une femme qui sait prendre du recul, honorer ceux qui nous ont précédés, respecter ce qu’ils ont laissé pour éviter les pillages dangereux….

Sur la fin, le rythme s’accélère, nous forçant à retenir notre souffle devant tout ce qui se passe…
Bien sûr, ça fait beaucoup d’aléas mais tout cela reste un roman, n’est ce pas ?

"La Guilde des Merlins - Tome 1: Le Magicien" de Cendrine Nougué

 

La Guilde des Merlins - Tome 1: Le Magicien
Auteur : Cendrine Nougué
Éditions : Aconitum (25 Août 2016)
ISBN : 979-1096017058
185 pages

Quatrième de couverture

Arthur Sullivan, collégien vivant à Nantes, partage sa vie entre sa passion pour la magie et ses amis. Jusqu'au jour où sa mère est hospitalisée à Londres, le laissant aux mains de sa grand-mère anglaise, richissime éditrice qu'il n'avait jamais vue. Arthur découvre alors un univers où se manifestent des créatures étranges, et où les contes pour enfants semblent avoir ... une extraordinaire importance.

Mon avis

Quel adulte n’a pas gardé une part d’enfance en lui ? Aucun, j’espère, sinon, ce serait trop triste. Je reste persuadée que, pour être heureux, il faut maintenir sa capacité à s’émerveiller, à ouvrir son esprit au rêve.

C’est ce que nous offre, de fort belle manière, Cendrine Nougué dans le premier tome de sa série « La Guilde des Merlins ». Arthur vit à Nantes et sa maman vient de partir à Londres. Malheureusement, elle va être hospitalisée là-bas et le jeune garçon est dans l’obligation de la rejoindre. Pas facile, pour un adolescent, de laisser ses copains (surtout ses deux amis préférés…), son collège (même si ses camarades de classe ne sont pas toujours tendres avec lui) et ses habitudes…Mais il n’a pas le choix…

Arrivé de l’autre côté de la Manche, il va aller de surprise en surprise, découvrant auprès de sa grand-mère, un univers qu’il ne soupçonnait pas. Des situations surprenantes se succèdent, et loin de toute rationalité, Arthur ne sait plus que penser, ni comment réagir …. Au fil des pages, on part avec lui dans un monde extraordinaire, on bascule du présent au passé, aux passés devrais-je écrire car ce n’est pas un événement qui est évoqué mais bien plusieurs se déroulant à différentes périodes…. Avec doigté, l’auteur nous fait voyager dans l’histoire et revisiter des légendes comme celle de Merlin etc….

Le style est vif, léger mais pas mièvre, agréable, on sent l’enthousiasme et la vivacité de celle qui a pris la plume (ou le clavier). Elle a dû avoir beaucoup de plaisir à écrire et ça se sent. Du coup, elle le transmet et nous la lisons avec bonheur…. Son écriture est fluide, le récit bien construit.

Je mettrai une mention très bien à la première de couverture : elle est magnifique et bien pensée !

"Les algues mortes" de Claude Soloy

 

Les algues mortes
Auteur : Claude Soloy
Éditions : Krakoën (14 Septembre 2011)
ISBN : 9791090324107
245 pages

Quelques mots sur l’auteur :

Claude Soloy est né en 1941 sous une pluie de bombes... Fils d’une corsetière et d’un aiguilleur-S.N.C.F. (Baleines et petites aiguilles ! Joli titre pour un roman…)
Professeur de lettres de L.E.P. dans la banlieue rouennaise, il mène de front une activité picturale (24 expos), une activité littéraire (Rencontre avec Louis Aragon, René Char… ) à laquelle il s’adonne désormais.
Comédien et auteur (Adaptation du « Taureau blanc » de Voltaire, des « Oiseaux » d’Aristophane…), il crée le Théâtre de l’Ecart en 1981 et participe à de nombreux récitals poétiques.
Intervenant « expression corporelle » et « atelier d’écriture(s) » dans les écoles de la petite enfance et les collèges, il monte des spectacles variés (Sur la préhistoire, les chiffres, les euclidiennes…)

Quatrième de couverture :

Névé, belle à damner le diable, tourne en rond sur son île. Elle compte les fourmis et se branlote entre deux vagues… toujours en quête d’un père. Illustre inconnu à l’état civil de la planète, elle décide néanmoins de le tuer. Quoi de plus normal pour la fille d’Ella la Rouge, adepte de Sigmund Freud. Mais peut-elle passer à l’acte, y compris symbolique, sans qu’elle sache qui est son véritable géniteur ? Aussi une incursion sur le continent s’impose-t-elle pour y mener enquête et y célébrer officiellement les noces de sa mère et de son amant sur un modeste banc de béton fouetté par les embruns, quelque part sur le plancher des algues. Tant pis pour l’excès de sel et ses conséquences néfastes …

Mon avis :

Surréaliste ?

Lorsqu’on découvre le parcours de Claude Soloy, on ne peut que comprendre son écriture …..

Surréaliste, déjanté, déstructuré, surprenant, virevoltant, curieux, étrange, fascinant, son roman est tout cela à la fois …

Il faut accepter de rentrer dans « l’esprit des lieux », de se laisser happer par l’instabilité des mots, par la folie des images, par l’originalité des situations pour appréhender l’écriture, la savourer, s’en délecter et parfois murmurer un « Oh…. » légèrement offusqué ….

L’écriture est présentée de trois façons, avec trois polices de caractères différentes.
Il y a les caractères gras, pour les mots un peu « gras », parfois choquants, qui représentent essentiellement les pensées du personnage principal, Névé. Le plus souvent, elle « parle » ainsi à son père qu’elle recherche. Peut-être est-ce pour elle le seul moyen de se défouler, de vider son sac, d’exprimer tout ce qui la ronge, l’étouffe …
« Et la pauvre logeuse cul esseulé comptant ses écus. »
Qui, dans son esprit, ne se laisse pas parfois aller à abreuver une autre personne d’insultes dissonantes, que jamais il ne prononcerait à voix haute. Qui n’a pas lâché un « mais quel c… ! », seul dans sa voiture, alors qu’en public, jamais ce mot ne franchira ses lèvres ?
Nous découvrons donc l’esprit de Névé, ses raisonnements troublés, ses idées dissolues ….
C’est dérangeant, parfois choquant … Il n’y a pas toujours une ponctuation régulière, adaptée … C’est halluciné, comme un poème "Baudelairien", sans queue ni tête pour certains, empli de poésie pour d’autres ….

Il y a les phrases en italiques pour les dialogues, assez classiques, structurés, posés qui éclairent sur le contenu de l’histoire, les relations entre les personnages, les différents événements ….

Enfin, il y a le texte du roman, des phrases quelquefois longues, très longues, faites de descriptions lyriques où les mots s’emballent mais restent dans un cadre ….
« Quand on arrivait à la gare, après avoir coupé à travers les pelouses du jardin public, c’était d’autres saveurs, celle du béton craquelé et des guichets à l’ancienne aux fers corrodés, celle des traverses du chemin métallique …… »
Parfois au milieu d’une phrase emphatique, un détail ou un mot un peu cru, histoire de nous remettre les pieds sur terre si on croit être partis en « poésie » ….

Car il est là, le cœur du roman, pas tellement dans l’intrigue, plus ou moins débridée, pas forcément fascinante, mais dans la construction originale, déroutante, intrigante … et aussi dans la capacité de l’auteur à faire vivre les mots de toutes les façons possibles …
En effet, Claude Soloy manie le « verbe » avec dextérité, avec jubilation et enthousiasme. Il joue avec les mots, les fait résonner, les fait chanter, murmurer ou hurler … Avec lui, les mots sont comme autant d’outils pour toucher le lecteur, que ce soit pour l’émerveiller, le charmer, le mettre en colère, le déstabiliser ….

Névé, au centre de ce récit, mène l’enquête pour retrouver son père. Ses recherches l’emmèneront ça et là, au gré de ses pas, au fil de ses visites …. Elle cheminera en actes, mais aussi en pensées …. Nous nous attacherons à ses pas car sous ses airs arrogants, hautains, c’est une fille sensible, torturée, qui souffre ….

Je crois que l’auteur a eu beaucoup de plaisir à nous faire découvrir la langue française sous différentes formes dans le contexte d’un seul et même roman, en traitant une intrigue sous différents regards …
Je pense qu’il faut avoir l’âme un peu poète et un certain goût pour le surréalisme (mon poète préféré est Paul Eluard ….) pour ressentir toute la puissance d’écriture de ce livre ….

A noter : la photo de couverture, négatif d’une photo de visage, signée C.S. …. Initiales de l’auteur …. Est-il le photographe?
Photo d’un visage surpris, les cheveux ressemblant à des algues ….


"Le règne de la nuit" de Kate Atkinson (Shrines of Gaiety)

 

Le règne de la nuit (Shrines of Gaiety)
Auteur : Kate Atkinson
Traduit de l’anglais par Colin Reingewirtz
Éditions : Christian Bourgois (8 Mai 2025)
ISBN : 9782267054804
524 pages

Quatrième de couverture

En 1926, dans un pays où plane encore l'ombre de la Grande Guerre, Londres est devenue le lieu d'une vie nocturne débridée. Nellie Cocker règne sur les dancings de Soho, à la tête d'un empire florissant qu'elle a construit toute seule. Mais son succès suscite des jalousies, et Nellie doit se méfier autant des policiers corrompus que de ses propres enfants.

Mon avis

Librement inspiré de la vie de Kate Meyrick (187561933) qui fut la reine de la vie nocturne de Soho, ce roman est intéressant pour de nombreux aspects. D’ailleurs, l’auteur a lu la biographie de Kate ainsi que de nombreux autres documents avant de se lancer dans la rédaction de cette histoire où se mêlent réalité et fiction avec une plus grande part de la seconde. On découvre ici toute une famille dans les années vingt d’après-guerre, à Londres.

En 1926, une grève a secoué le pays et c’est à ce moment-là que le lecteur fait connaissance avec Nellie Coker, une mère de famille nombreuse, qui sort de prison. Malgré quelques accointances secrètes avec la police, elle n’a pas pu échapper à un séjour en cellule. Elle est propriétaire de nombreux dancings et de clubs (mais elle n’est pas toujours dans la légalité) où se côtoient des personnes diverses et variées. On peut y voir quelques riches bourgeois ou des gens bien moins recommandables. Dans ses boîtes de nuit, tout le monde trouve sa place et se sent bien. C’est tout l’art de cette femme exceptionnelle, partie de rien et qui a réussi. Mais à quel prix ?

Quelques retours en arrière permettent de se rendre compte du chemin parcouru pour amasser cette fortune. Il y a eu ce que l’on peut qualifier d’heureux concours de circonstances, des opportunités, du travail et surtout une volonté de fer et un tempérament de battante. Elle est observatrice, organisée, elle sait créer les bonnes alliances et gère progéniture et personnel d’une main de fer.

En parallèle de tout ça, des jeunes filles disparaissent dans cette bonne ville de Londres et Frobisher, un policier un peu plus courageux que les autres, mène l’enquête. Il rencontre une bibliothécaire, en congés pour quelque temps, Gwendolen, venue pour rechercher deux adolescentes enfuies de chez elles, qu’elle connaît. Il « s’associe » avec elle pour ses investigations. C’est une dame effacée, discrète, avec une vie assez terne et linéaire. Ces prospections vont la sortir de sa routine, d’autant plus qu’un événement inattendu surgit dans sa vie. Elle va se révéler et son côté féministe s’épanouit. Voir sa personnalité évoluer est une agréable surprise. En outre, comme Kate Atkinson manie l’humour british à la perfection, elle présente ça avec finesse et c’est très bien fait.

Pour en revenir à Nellie, ses gamins grandissent et veulent voler de leurs propres ailes, au sein de ses propriétés ou en dehors. Qui peut être calife à la place du calife ? Madame vieillit. Prépare-t-elle la suite ? Qui rode dans l’ombre et semble vouloir la détruire ainsi que son « empire » ? Des représailles ? De la jalousie ? Des gens aimés qui se retournent contre elle ? Tout peut être envisagé…

C’est avec une écriture (merci au traducteur) vivante et pétillante que Kate Atkinson nous entraîne dans son récit. Le contexte historique est suffisamment riche pour être crédible. Le côté psychologique des protagonistes est particulièrement travaillé pour qu’on comprenne pourquoi ils sont ainsi. Leur cheminement, les réflexions intimes qui les poussent à agir d’une façon ou d’une autre sont analysés. Le rythme soutenu maintient l’intérêt. Je n’aurais jamais pensé être captivée à ce point par ce monde de la nuit que je n’ai jamais fréquenté. C’est passionnant car cela permet de comprendre certains modes de vie, voire les choix des uns et des autres.

J’ai eu énormément de plaisir à lire « Le règne de la nuit »et à suivre les déboires de chacun. C’est un opus très abouti, sans temps mort, qui donne envie de tourner les pages au plus vite.


"C'est l'histoire d'un amour" d'Isabelle Lagarrigue

 

C’est l’histoire d’un amour
Auteur : Isabelle Lagarrigue
Éditions : Récamier (7 Mai 2025)
ISBN : 978-2385771904
320 pages

Quatrième de couverture

Réveillon 1993. Charlie rencontre Côme. Elle vit à Paris et danse pour oublier sa mère défaillante. Il grandit en Bretagne et regarde des films pour se rapprocher de son père absent. Ils ont 14 ans et la vie devant eux. Le lien qu'ils tissent ce soir-là est de ceux dont on ne se défait jamais vraiment... et pourtant. Des années plus tard, des événements les incitent à replonger dans leurs souvenirs. Chaque choix est déterminant. Charlie et Côme ont-ils fait les bons ? Et nous, qu'aurions-nous fait à leur place ?

Mon avis

Elles sont amies et, comme elles n’habitent pas près l’une de l’autre, elles ont, pour habitude de fêter la Saint Sylvestre, toues les ans ensemble. Chacune est avec son enfant, un garçon pour l’une, une fille pour l’autre. Un réveillon à quatre. C’est comme ça que Côme et Charlie se rencontrent à l’adolescence. L’âge des premiers émois…

Un lien se tisse entre ces deux jeunes, quelque chose d’unique, mais à quatorze ans, que peut-on bâtir ? Ils ont toute une vie devant eux, des choses à accomplir, une personnalité à définir, une histoire personnelle à créer. Et puis, ils sont trop jeunes pour décider de leur lieu de vie. Ce sont les parents, qui en fonction de leur situation choisissent. Eux, ils doivent s’adapter. On est en 1993, internet, les téléphones portables n’existent pas…

On pourrait s’attendre à un récit linéaire suivant l’évolution de chaque jeune, confronté aux aléas de la vie, aux espoirs, aux difficultés, aux petits bonheurs etc. Ce roman est beaucoup plus subtil. La construction, dont je ne dirai rien, est absolument géniale. Il y a des retours en arrière, mais rien n’est fait de façon classique. C’est à la fois original, intimiste, délicat, bien pensé. J’ai été conquise et encore plus quand j’ai découvert la fin.

Isabelle Lagarrigue aborde, avec ce que je qualifie « d’intelligence du cœur », de nombreux thèmes. Elle le fait en profondeur, avec des mots choisis qui transmettent de nombreuses émotions.

Elle évoque l’enfance, où l’individu se construit dans un environnement qui l’accompagne avec plus ou moins de réussite.

« Est-ce que les blessures de l’enfance déterminent vraiment notre vie ou est-ce une excuse qui permet de se déresponsabiliser ? »

Elle parle également des études que chacun suit et du pourquoi de celles-ci plutôt que d’autres. Qu’est-ce qui conditionne nos préférences ? Par qui, par quoi est-on influencé ? A-t-on le droit, la possibilité de vivre nos rêves ? Est-ce raisonnable ?

« Peut-être que nous avions peur de briser nos rêves en les confrontant à la réalité ? »

« C’est l’histoire d’un amour » c’est l’histoire de l’amour, du nôtre, de celui des autres, de celui qu’on imagine…. C’est universel et il y aura forcément un passage où le lecteur se sentira concerné, soit pour lui, soit pour quelqu’un qu’il connaît. Ce récit résonne en chacun de nous.

J’ai trouvé l’écriture de l’auteur fine, respectueuse de ses personnages. J’ai « senti », en lisant, le plaisir qu’elle avait eu à écrire, à faire grandir Côme et Charlie, à nous les confier. Parce que ce texte est un partage de tout ce qui fait le quotidien des protagonistes avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs qualités, leurs défauts, leurs questionnements, tout ce qui les rend terriblement humains et vrais. Tout ce qui les rapproche de nous.

Ce livre est, à mon sens, très réussi. Sous des dehors légers, des thématiques sérieuses sont présentées sans que ce soit trop lourd, trop moralisateur ou trop psychologique. C’est parfaitement équilibré. J’ai quitté ce recueil à regret, il m’a permis de passer un excellent moment !

NB : Titre et couverture sont parfaitement en accord avec cet opus. Ainsi que le petit plus dont je ne dirai rien...

"Éteignez mes yeux" de Claude Soloy

 

Éteignez mes yeux
Auteur : Claude Soloy
Éditions : Krakoen (1 er Décembre 2011)
ISBN : 978-2916330747
260 pages

Quatrième de couverture
 :

Contempler son portrait accroché au mur, c’est sympathique, à moins qu’on y reconnaisse sa propre peau. Un artiste fou, adepte de la peinture au couteau, est à l’œuvre pour extraire les sucs et la lumière si chère aux Impressionnistes. Deux étages à gravir et la toile prend vie, le temps que Karène H, la cinquantaine lumineuse et les yeux joliment bridés, vêtue d’un kimono rouge fourré d’astrakan, tienne la pose… Au fil des jours s’afficheront les visages des passants musardant dans le quartier des Brocantueurs où s’activent Marie-Antoinette, généreusement prostituée, et autres malfrats de petite envergure. Des têtes fraîchement coupées y trônent aux vitrines, entre deux chandeliers Napoléon III, tandis que Claude Monet et Marcel Proust conversent au sujet des saisons qui passent et de la neige qui tombe.

Mon avis :

Sur la corde raide ….

Tout au long de ce roman, l’écriture de Claude Soloy oscille entre …..

Entre quoi et quoi ?

Oh, non, il n’y a pas que deux choix, ce serait trop peu pour un joueur de mots, un passionné de la déstabilisation, un remueur de sens, un poète qui cache son âme sous une «couverture» parfois troublante …

Rien n’est lisse, linéaire, les sauts entre les mots, les mondes (réel, imaginaire), les sentiments (colère, dégoût; irritation mais aussi attraction, attendrissement, compassion …) vous bousculent, vous transportent à droite, à gauche sans que vous puissiez vous poser ….
Chaque fois que vous croyez vous être approprié son style, il vous échappe, vous ne savez plus ce qu’il en est (fantasme d’écrivain, réalité d’auteur?)…. Parallèlement, sa substance vous attire comme un fruit défendu que l’on souhaite goûter malgré tout, et alors, vous y revenez, vous replongeant avec un curieux mélange de sentiments dans cet océan de mots qui vous englobe sans tout à fait vous noyer …
C’est tour à tour, doux, violent, perturbant, apaisant, dérangeant ….
Chorégraphie des mots, mouvante, émouvante, muante, mutante, émuante (moi aussi j’aime à jouer avec eux …)
Sans arrêt, l’écriture saute d’une forme à une autre, à tel point que vous ne savez plus que penser … mais qui vous demande de penser ? Il suffit de ….

Eteindre pour mieux percevoir …
Se taire pour mieux écouter, entendre (même ce qui n’est pas dit …. Lire entre les lignes, écouter les silences …)
Passer au noir et blanc pour oublier les couleurs qui agressent et revenir à la pureté (regardez la photo de couverture … qui est de l’auteur et qu’il a, sans aucun doute, soigneusement choisie …) avant de se laisser embraser ….
Utiliser les mots différemment pour mieux s’exprimer, provoquant ainsi des émotions nouvelles, des sensations renversantes, des perceptions avec les cinq sens ….
Comme entre …..
1) Raphaël Dallih (tient quel drôle de nom ;-), l’artiste fou et son idéal féminin (pour une peinture). Leur relation occupe une grande place dans ce livre. Rencontre fortuite la première fois puis savamment orchestrée par la suite. Ambiguïté, quiproquo, tout peut être prétexte à équivoque, modifiant ce qui se construit entre le peintre et le modèle … ébranlant aussi le lecteur …
Le premier jouant de sa prétendue connaissance, de son supposé talent pour mieux malaxer la seconde et l’attirer là où il l’a décidé ….
La seconde, flattée, et qui se croit forte, persuadée qu’elle peut mener la danse, le ballet entre l’artiste et le modèle, souhaitant vivre quelque chose de fort, de beau, d’unique, ….

2) Peut-être aussi …comme entre …… l’auteur et son lecteur …

Genre : roman policier
Collection : forcément noir


Attention ! Ne vous attendez pas à une intrigue policière classique, un meurtre, un viol, un vol, une enquête, des prospections, une recherche de coupables, des indices semés ici ou là …
Non, rien de tout cela ou alors si peu …
L’essence du roman n’est pas là …elle est dans les sens (je n’ai pas fait exprès, c’est venu tout seul ;-) mais cela, je vous le laisse découvrir ….

Petite précision : même les personnes très rationnelles, (je pense en faire partie), peuvent apprécier cet auteur et sa façon d’appréhender l’écrit… pour peu que le jour où l’on ouvre son livre, on soit prêt pour la rencontre ….


"Amères thunes" de Jérôme Zolma

 

Amères Thunes
Auteur : Zolma
Éditions : Krakoen (1er Décembre 2011)
ISBN : 979-1090324176
260 pages

Quatrième de couverture :

Un boulot en or, une collègue charmante pour laquelle il serait bien venu bosser même le dimanche, un avenir radieux… Patatras, un jeune manager parachuté a imposé en quelques mois ses méthodes pour pressurer les employés dans le but d’augmenter le rendement du « capital apatride ». Adieu bonheur sans nuages ! Mais comment leur faire payer ces agissements ? Alors germe en lui une idée : taper dans la caisse, puisque c’est le fric qui leur importe, bref casser le coffre du magasin. Las avec les pieds nickelés qu’il a engagés pour faire le coup, sa retraite dorée va se transformer en chemin de croix.

Mon avis :

Bien mal acquis profite parfois …. mais provoque des dégâts …..

Jean-Edgar, jeune loup aux dents longues, très longues, reprend un hypermarché et sa kyrielle d’employés lorsque le responsable prend sa retraite.
Bien entendu, formé au management : « rendement avant humanité », il va exiger de ses subalternes qu’ils agissent comme lui l’entend et pas autrement. Inutile de discuter, de parlementer, d’argumenter pour rester dans la ligne de conduite du prédécesseur, c’est lui qui a raison, tout le temps et sur toute la ligne. Malheur à celui qui le contrarie ou essaie de lui montrer que l’on peut agir autrement …

Rémy Baugé se croit tranquille, lui, le pilier, le fidèle, l’habitué, le bras droit de l’ancien patron …
Il est l’homme de la situation, l’hyper et son personnel, il connaît par cœur. Il sait comment agir avec le syndicaliste pour qu’il reste mesuré et que rien ne déborde, il arrive à gérer des situations délicates, il connaît la sécurité, il fait tout pour que les clients soient heureux et trouvent dans le magasin la qualité qu’ils recherchent en quantité suffisante …
Il pense que le nouveau boss va s’appuyer sur lui, la valeur sûre de l’établissement, et que tout va continuer comme avant à un ou deux détails près …
Sauf que …. c’est sans compter sur l’ambition et l’égo démesurés du nouveau …
L’essentiel n’est plus où Rémy le pense, le principal c’est l’argent, peu importe s’il faut se défaire des producteurs locaux, renvoyer des salariés efficaces et fidèles …. Peu importe si le client ne retrouve pas ses repères, ses marques préférées, il s’habituera au nouveau concept « le hard discount » ….

« Vingt ans qu’on se démène pour maintenir un certain niveau qualitatif, qu’on draine une clientèle plutôt à l’aise prête à raquer pour de la bonne came et nos penseurs en Loden nous suggèrent, nous imposent, une conversion en bazar soviétique. »

C’est avec un vocabulaire assez familier mais jamais de mauvais goût que Zolma nous emmène à la suite de Rémy Baugé qui nous raconte son histoire. Lente descente aux enfers, de cet homme qui se trouve coincé entre l’enclume et le marteau, entre son patron (à qui il ne peut pas vraiment désobéir s’il veut garder sa place) et ses collègues (qu’il ne veut pas trahir) …

Refrain bien connu, on perd son travail, puis sa femme, puis ses proches amis (mal à l’aise devant votre détresse …) puis l’estime de soi …. vêtements froissés, visage mal rasé, deviennent quotidiens …
Il faut alors un déclic, que ce soit un nouvel amour, un désir de vengeance ou autre, quelque chose qui pousse à agir, réagir, pour inverser la tendance et ne pas sombrer …
Rémy élira la vengeance …

Un plan bien construit, huilé où tout est pensé, réfléchi …
Le casse du siècle …
A partir de ce moment, le roman, qui jusqu’à présent, ressemblait plus à une satire sociale, basculera dans l’enquête policière, très légère (je n’ai pas trouvé les enquêteurs très vindicatifs, ils ne creusaient pas beaucoup, ils auraient pu chercher du côté de la famille …)

On pourrait ressortir le vieil adage de nos grands-mères « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs …), de dommages collatéraux en dommages collatéraux, l’argent volé n’aura pas forcément le goût du bonheur ….

"Moscou X" de David McCloskey (Moscow X)

 

Moscou X (Moscow X)
Auteur : David McCloskey
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Hel Guedj
Éditions : Verso (21 Mars 2025)
ISBN :  978-2386431074
594 pages

Quatrième de couverture

Une opération de la CIA menace de plonger le Kremlin dans le chaos. Les agents Sia Fox et Maximiliano Castillo ont reçu pour mission d’entrer en Russie, sous prétexte d’une transaction commerciale, pour y recruter l’un des grands argentiers de Vladimir Poutine.

Mon avis

David McCloskey est un ancien analyste de la CIA et consultant pour McKinsey &Company. À la CIA, il a travaillé sur la politique étrangère de la Russie et dans plusieurs antennes à travers le Moyen-Orient. Après l’excellent « Mission Damas », il a écrit « Moscou X ». Les deux titres vont être adaptés au cinéma. Pour lire celui-ci, il est préférable d’avoir découvert le précédent, même si les deux lectures sont indépendantes. Cela permet de connaître le style et l’univers de l’auteur.

Comme il a côtoyé les milieux du renseignement, son roman a des accents très réalistes. Dans ce récit, espionnage, magouilles, trahisons, sont très présents.

La première partie installe les différents protagonistes avec qui le lecteur doit faire connaissance. Il y a Anna, agent de renseignements du SVR (Service des renseignements extérieurs de la Russie). Elle est mariée à Vadim, un banquier en lien avec Vladimir Poutine. Ils forment un couple singulier, pas vraiment aimant ou amoureux. On a également Sia, une avocate londonienne aux dents très longues, qui sait tricher et dissimuler les gains des super-riches, elle a une cote d’enfer auprès d’eux, notamment chez les russes. En plus, elle travaille pour la CIA qui la met en liaison avec l’un de leurs « employés », Max, propriétaire d’un haras au Mexique (belle « couverture »). Ils devront faire équipe tous les deux et surtout donner l’illusion d’être en couple.

Leur but ? Aller en Russie et mettre dans leur poche Vadim, le financier de Poutine. Pour arriver à leurs fins, Sia va entrer en relation avec Anna, mais bien entendu, elle ignore qu’elle est, comme elle, une espionne et que leurs intérêts divergent. Anna est une femme forte, parfois borderline, capable du meilleur comme du pire. On a l’impression qu’elle se cache derrière un masque, qu’elle ne veut pas montrer la moindre faille.

Rien ne va être facile dans cette mission. Comme souvent, le suspense est à son comble, les événements s’enchaînent et les pages se tournent car on veut savoir. Les discussions entre les uns et les autres, déstabilisent tout le monde autour et fragilisent les relations politiques. Les mensonges ne favorisent pas la confiance et chacun doit se méfier. En outre, ils ont tous une part d’ombre importante, des secrets personnels qu’ils ne livrent à personne et que nous cernons petit à petit. Cela maintient notre intérêt en permanence parce qu’on sent très vite qu’on ne sait pas tout.

C’est un récit très dense, il faut se concentrer pour ne rien perdre mais c’est captivant. On voit la mise en place des diverses stratégies. La violence physique ou psychologique, les manipulations… Bienvenue dans le monde (corrompu ?) de l’espionnage ! D’ailleurs, on s’interroge régulièrement : qui utilise qui ? L’action se situe dans différents pays, c’est très vivant. Après un début qui peut sembler lent, le temps d’installer le contexte, le rythme s’accélère et devient trépidant. Comme ça se passe à notre époque, avec la guerre en Ukraine et les conversations tendues entre russes et américains, on est vraiment imprégné du texte.

L’écriture (merci au traducteur) est prenante, très visuelle, les dialogues percutants. On en prend plein les yeux !  Les chapitres sont courts mais l’auteur livre une fine analyse de chaque situation, on a également l’aspect psychologique qui est bien développé. C’est un roman riche, qui mérite le détour !

"L’adoption Cycle 3 : Le sourire du plombier" de Zidrou et Monin

L’adoption Cycle 3 : Le sourire du plombier
Auteurs : Zidrou (scénariste) & Arno Monin (dessinateur, coloriste)
Éditions : Bamboo (11 septembre 2024)
ISBN : 979-1041103188
76 pages

Quatrième de couverture

C'est une famille où le papa espagnol a déposé une demande d'adoption en Espagne, et où la maman française a déposé une demande d'adoption en France. Une famille où les deux demandes aboutissent en même temps et comme souvent dans ces cas-là, une famille où la nature se remet en route, et la maman tombe enceinte.

Mon avis

Quel plaisir de retrouver les jolis croquis de Monin et le scénario de Zidrou ! Quelle belle histoire !

Ce sont trois sœurs dont deux adoptées par des parents touchants, un peu atypiques mais pas trop, juste ce qu’il faut pour les rendre attachants.

On découvre comment elles sont arrivées dans cette famille, les liens qu’elles ont tissés. C’est beau et émouvant.

Le lecteur passe par toutes sortes d’émotions. Le texte est lui-même, porteur de sens.

« Les bons moments, il faut les provoquer !
Les mauvais, eux, arrivent tout seuls ! »

Lue par des adolescents et des adultes, cette bande dessinée peut donner lieu à de nombreux échanges.

J’ai particulièrement apprécié la page sur l’absence.

« L’absence…
Rien ne ravive plus notre petite machine intérieure à souvenirs que l’absence.
Quand tout ou presque, tristement, se conjugue au passé.
Quand l’absence se fait manque.
Le manque souffrance.
Et qu’il faut désormais garder les yeux fermés pour revoir l’être aimé. »

J’ai trouvé cet album très réussi, très riche et bouleversant !