"Faux-semblants" de Didier Esposito

 

Faux-semblants
Auteur : Didier Esposito
Éditions du Caïman (12 Juin 2025)
ISBN : 978-2493739278
250 pages

Quatrième de couverture

Cartier travaille à la brigade criminelle de Valence et enquête sur une série de meurtres et de viols. Quand l'opportunité de mettre la main sur le suspect se présente, son groupe met en place au petit matin un dispositif de surveillance aux abords du domicile de sa maîtresse supposée. Mais l’affaire tourne mal et sous un déluge de balles, Cartier tire sur le suspect, celui-ci sombrant immédiatement dans le coma. Le policier est alors placé en garde à vue, les éléments allant à l’encontre de sa version s’accumulant. Mis en examen et suspendu, il commence alors une descente aux enfers. Il est même jeté en pâture aux médias et aux réseaux sociaux, sur la base d’images partielles de vidéo-surveillance se contentant pour la plupart de laisser libre court aux préjugés et aux raccourcis sur sa profession. Mais une fois les braises refroidies, des morts suspectes s’enchaînent dans l’entourage du policier suspendu. La chasse à l’homme reprend, loin des règles du code de procédure pénale...

Mon avis

Valence dans la Drôme, il pleut énormément ce soir-là et Cartier est au boulot. Avec ses collègues, il a enquêté sur plusieurs affaires qui semblent liées, des faits graves de viols et de meurtres. Recoupant leurs informations, ils pensent avoir trouvé le suspect. Comme celui-ci a une maîtresse, qu’il fréquente régulièrement, ils sont tous en place pour l’interpeler lorsqu’il viendra lui rendre visite.

Tout ne se passe pas comme prévu et Cartier tire sur l’homme qui finit à l’hôpital, dans le coma. Il faut prouver la légitime défense, ce devrait être simple mais ça ne l’est pas. Il est placé en garde à vue. Tout s’enchaîne et dégénère très vite. Quelques secondes d’une vidéo de l’altercation sur les réseaux sociaux et le voilà accusé de racisme (le blessé est d’origine africaine). Une bavure policière ? Certains médias s’acharnent sur lui, c’est l’engrenage avec des réactions en chaîne. La lente destruction d’un homme …

« Presque du jour au lendemain, l’enquêteur se retrouva sans emploi, sans fonction. Expulsé de la société. »

Comment quelqu’un qui est là pour faire régner la loi peut se retrouver de l’autre côté de la barrière ? Au début, il est confiant, il connaît les rouages, le timing. Il suffit d’être patient, tout cela va se régler vite. Sauf qu’il ne maîtrise rien, il subit. Et le peu d’éléments récupérés ne confortent pas sa version. Il se retrouve mis en examen et suspendu. Sa vie professionnelle vole en éclats et, dégât collatéral, sa vie personnelle ne vaut guère mieux.

Impuissant à se justifier, il perd pied, les nuits blanches s’accumulent. Que faire ? Il choisit de s’éloigner de la ville, pour être plus tranquille mais …. des événements bizarres surviennent dans son environnement immédiat. Relation de cause à effet ? Comment analyser ce qui lui arrive ? Entre ce qu’il croit percevoir et la réalité, il ne doit pas se tromper. De plus, il n’est pas censé travailler donc il se doit d’être prudent dans ces agissements.

Dans cet excellent roman, à l’écriture addictive, au rythme trépidant, l’auteur, officier de police judiciaire, démontre qu’une info sortie de son contexte, une image mal interprétée, peuvent fausser les réponses qu’on donne et les décisions qui sont prises. Il souligne l’influence de la presse, de la radio, de la télévision et de tous les réseaux sociaux. Certains sont avides de « scandale » pour faire de l’audimat et ne cherchent pas à vérifier ce qu’ils ont récupéré. Peu importe les dommages que cela peut engendrer.

Cette lecture m’a énormément plu. Je suis rentrée dans l’histoire et je n’avais plus envie de lâcher le livre. Je me suis interrogée. Après la suspension de Cartier, comment Didier Esposito allai-t-il faire rebondir son récit ? Il s’en est sorti de main de maître ! Chapeau ! Je n’aurais pas pensé à ce qu’il a mis en place et ça tient la route !

L’atmosphère des différents lieux est parfaitement retranscrite, les scènes également, ça pourrait donner naissance à un bon téléfilm !

Une intrigue bien ficelée et un suspense qui vous tiennent en haleine !

"La Sage-Femme d’Auschwitz" d'Anna Stuart (The Midwife of Auschwitz)

 

La Sage-Femme d’Auschwitz (The Midwife of Auschwitz)
Auteur : Anna Stuart
Traduit de l’anglais par Maryline Beury
Éditions :  City Edition (15 Mars 2023)
ISBN : 978-2824637464
386 pages

Quatrième de couverture

Lorsqu'elle arrive à Auschwitz, sous un ciel bas et gris, Ana est persuadée qu'elle ne survivra pas à l'enfer du camp. Mais elle possède une compétence que les nazis recherchent : elle est sage-femme. Son travail sera de donner naissance aux enfants des autres prisonnières. Une mission terrible car, dès qu'ils ont poussé leur premier cri, les nouveau-nés sont arrachés à leurs mères et donnés à des familles allemandes. Malgré la détresse de ces femmes à qui on vole leurs bébés, Ana essaie d'apporter un peu de réconfort autour d'elle. Et puis un jour, elle réalise qu'elle peut faire plus.

Mon avis

Inspiré d’une histoire vraie, ce récit est bouleversant. Bien sûr, il est très « grand public » et joue sur tous les ressorts émotionnels pour nous prendre dans ses rets. Mais savoir que des personnes, comme Stanislawa Leszczynska (la fameuse sage-femme) ont existé, ça permet de se réconcilier avec le genre humain. Au péril de sa vie, elle n’a jamais renoncé et a tout fait pour les mères et les enfants qu’elle aidait à venir au monde.

Ana est une sage-femme qui est prisonnière à Auschwitz, mais sa compétence permet qu’elle « travaille » pour les nazis et reste en vie, même si les conditions sont abominables. Dans cette histoire, on voit le quotidien dans les camps, l’enfer vécu par les personnes qui y vivaient. Après s’être bien documentée, Anna Stuart écrit un texte crédible, poignant, terriblement réaliste.

Je me suis attachée à ces femmes qui se battent chaque jour, pour elle et pour les autres. Elles ne lâchent rien, essaient de tenir tête, de rester humaines malgré ce qu’elles subissent. Parce qu’un des buts des nazis est de leur enlever leur âme, de les passer du statut d’êtres humains à un simple élément de comptabilité, en leur tatouant un numéro et en les appelant par leur matricule. Une lente et cruelle déshumanisation, détruisant tout.

C’est un sujet délicat auquel s’est attelé l’écrivaine mais elle l’a fait avec intelligence. Elle n’a pas sombré dans le pathos, n’a pas délayé avec des détails, elle est restée globalement « sobre » dans son écriture même si, comme je l’ai déjà dit, elle insiste sur ce qui peut nous toucher (et c’est normal).

L’écriture (merci à la traductrice) est fluide, prenante. Il se passe toujours quelque chose et je suis restée scotchée aux pages, presqu’en apnée, à espérer, à serrer les poings, à m’interroger sur le rôle des uns et des autres …

Un roman magnifique, pour ne pas oublier tous ceux qui dans l’ombre ont agi, ou agissent (car il y a encore des personnes qui luttent pour une vie meilleure).

Les notes en fin d’ouvrage complètent bien la lecture et sont intéressantes.


"Des pas dans le grenier" d'Andrea Mara (Someone in the attic)

 

Des pas dans le grenier (Someone in the attic)
Auteur : Andrea Mara
Traduit de l’irlandais par Anna Durand
Éditions : Mera éditions (17 Octobre 2025)
ISBN : 978-2487149311
380 pages

Quatrième de couverture

Lorsque votre fille vous montre la vidéo d'un homme masqué qui s'échappe d'un grenier, vous n’y prêtez d'abord pas attention. Mais voilà que vous reconnaissez la moquette, les escaliers et les tableaux. Lorsque des bruits étranges résonnent au coeur de la nuit, que des objets disparaissent, puis réapparaissent ailleurs, vous commencer à douter. Votre imagination vous joue-t-elle des tours ?

Mon avis

Malgré leur divorce, Gabe et Julia ont chois de tout faire pour que leurs enfants soient sereins. Obligés de quitter San Diego, ils s’installent en Irlande d’où ils sont originaires. Leur fille et leur fils le vivent mal, ils sont nés aux Etats-Unis et ne comprennent pas ce déménagement. Les parents sont présents, en fonction de leur tour de garde, dans une maison sécurisée, au sein d’un ensemble résidentiel. Comme ça les deux jeunes restent au même endroit et le père et la mère se déplacent. Le reste du temps, ils utilisent à tour de rôle un appartement. Lui est peintre, elle, chef d’entreprise. Ce n’est pas toujours parfaitement fluide mais la situation semble stable.

Et puis, un jour, Isla, la fille du couple, découvre une vidéo sur Tik Tok. Elle dévoile l’intérieur de leur maison. Est-ce réelle ou a-t-elle été créée à partir de ce que l’adolescente publie ? Pas le temps de vraiment creuser, le petit film a disparu. Faut-il s’inquiéter ou pas ? Y-en-aura-t-il d’autres ?

Habilement, l’autrice nous plonge dans le passé des personnages, notamment de Julia et de trois de ses amies. Elles étaient très souvent ensemble. Elles ont beaucoup partagé : les soirées, les vacances, es secrets, les fous rires, les mensonges, les amoureux …. Elles n’ont pas tout dit à leur famille … Il n’y a pas de raison de revenir sur le passé et pourtant tout cela n’est-il pas lié ?

Les questions sont nombreuses surtout lorsque d’autres événements et zones d’ombre perturbent le quotidien de Julia. Elle cherche, ne sait pas à qui faire confiance et vers qui se tourner. C’est difficile pour elle de tout gérer, d’autant plus que l’angoisse monte. D’abord chez son fils, puis en elle-même.

Tout n’est pas, à mon avis, tout à fait vraisemblable. Mais globalement, c’est un récit qui se tient, parfaitement ficelé et totalement addictif. Les personnages ne sont pas tous lisses et bien gentils. J’ai senti que plusieurs ne disaient pas tout mais difficile de savoir ce qu’ils cachaient. La vérité d’une page n’est pas celle de la suivante et Andrea Mara vous retourne comme une crêpe. Elle sait semer des indices pour que le lecteur envisage plusieurs hypothèses, elle nous égare volontairement.

Ce roman parle d’amitié, d’influence, de travail, de harcèlement etc. Tous ces sujets sont abordés avec doigté, sans trop en faire pour que la lecture reste abordable. C’est souvent vu par le prisme des ressentis de chacun et c’est intéressant car on n’est pas uniquement dans le factuel, mais également dans l’émotionnel. C’est bien écrit (merci à la traductrice) et les nombreux rebondissements ainsi que la montée en puissance de la tension au fil des pages maintiennent le suspense. Les chapitres courts donnent du rythme, on passe d’un fait à l’autre sans temps mort.

L’aspect psychologique n’est pas très approfondi, ce qui donne un texte très fluide et facile à lire. Dans les premières pages, on trouve la liste des différents protagonistes pour suivre sans problème cette histoire.

J’ai bien apprécié ce nouveau titre d’Andrea Mara. C’est prenant, ça se lit tout seul et on ne s’ennuie pas une seconde ! Je salue l’imagination de l’auteur et je la lirai encore !


"L'eau courante" d'Ernest Pérochon

 

L’eau courante
Auteur : Ernest Pérochon
Éditions : Brissaud (1er Janvier 1982) Première édition en 1943
ISBN : 978B0000DPB2Y
250 Pages

Quatrième de couverture

L'histoire se déroule dans un village de la Vienne où les habitants voient leur quotidien bouleversé par l'arrivée de l'eau courante. Ce progrès technique va révéler les tensions et les secrets enfouis au sein de la communauté.

Mon avis

Ce livre édité la première fois en 1943 est d’une incroyable modernité dans le sens où l’on observe les difficultés et les ressentis des individus suite à un changement majeur dans la vie quotidienne d’une bourgade.

Bien sûr, le thème est ancien mais la plupart des réflexions sont encore bien de notre époque. Il y a une vraie atmosphère dans ce village et c’est intéressant de voir comment réagissent les uns et les autres à l’idée de l’arrivée de l’eau courante.

On découvre l’attitude de chacun, les enjeux pour les uns et les autres. Un propriétaire terrien a décidé de permettre à tous de profiter du modernisme avec l’eau courante. D’autant plus que, depuis peu, l’électricité est là. Mais quelle source choisir ? Un ingénieur vient et sa visite bouleverse pas mal de choses.

On découvre différents personnages dont Monique une jeune fille candide, obligée de travailler pour aider sa famille. On rentre dans le quotidien des habitants avec les tiraillements, les jalousies, les secrets plus ou moins bien gardés. La réunion du conseil municipal m’a fait sourire et n’est pas loin de rappeler ce qu’on peut vivre de nos jours. Il y a le râleur, celui qui a toujours raison, celui qui va de l’avant, celui qui n’écoute pas et fonce avec ses seules idées etc… Ce n’est pas caricatural, c’est un réel reflet de la société.

Certains personnages sont un peu bruts de décoffrage dans leurs expressions et leurs relations aux autres. Mais je pense que c’est parce qu’ils ne savent pas dire les choses avec des nuances, pas parce qu’ils ne respectent pas les autres. Ils vivent à la campagne et ont beaucoup à faire dans leurs exploitations, pas le temps de discuter !

L’écriture est très agréable, sobre mais bien complète avec parfois des mots anciens mais plaisants à lire comme emblavure qui sonne bien à l’oreille. J’ai vraiment apprécié cette lecture. Je ne connaissais pas cet auteur, je n’avais jamais entendu parler de lui et c’est dommage vu qu’il a eu le prix Goncourt en 1920 ! Et un de ses romans (Les Gardiennes) a été adapté en film en 2017 !

Une belle découverte !


"L'ogre de la Part-Dieu" de Jacques Morize

 

L’ogre de la Part-Dieu
Une enquête du commissaire Séverac
Auteur : Jacques Morize
Éditions : AO-André Odemard (16 Octobre 2025)
ISBN : 978-2382000427
274 pages

Quatrième de couverture

Le printemps s’annonce chaud pour le commissaire Abel Séverac et ses "sbires" ! Le corps démembré et affreusement mutilé d’une femme est découvert par des gamins dans des poubelles en face de l’hôtel de la Métropole lyonnaise. Un rapprochement entre cet atroce fait divers et la disparition de deux autres jeunes femmes est rapidement établi. L’enjeu pour l’équipe de Nicolas Lesteban est de neutraliser le tueur avant qu’il ne passe de nouveau à l’acte.

Mon avis

Avec le commissaire Abel Séverac, chaque enquête explore un quartier lyonnais. Cette fois-ci, il y aura même un petit détour par Saint-Etienne (pour préparer la suite quand tout aura été exploré dans la capitale des gones ?). Je visualise parfaitement les lieux évoqués (sauf les bars et les bouchons lyonnais – il faut dire qu’Abel aime bien boire et manger, ses potes également) et c’est un atout supplémentaire pour le plaisir de lecture. Il m’a d’ailleurs fallu un samedimanche (expression chère à Séverac et à Monsieur Morize) pour découvrir ce nouveau roman.

Tout commence avec une bande gamins qui fouillent dans des poubelles, espérant dénicher quelque chose. En fait, ils découvrent des membres humains. La police est dépêchée sur place et des investigations d’envergure commencent. En parallèle de leurs recherches, on suit un petit malfrat qui a été volé par une rencontre d’une nuit. L’alcool et la drogue aidant, il s’est fait délester d’une somme coquette qu’il doit remettre de toute urgence à son dealeur. Il court après la voleuse. Comme il n’est pas en état de réfléchir avec son cerveau embrumé et encore moins en bon état physique, je vous laisse imaginer son périple …. D’un autre côté, nos fins limiers (fins c’est une façon de parler car plusieurs ont la peau du ventre bien tendue…) essaient de stopper le tueur/découpeur car il semblerait qu’il n’en soit pas à son coup d’essai.

Les deux affaires sont menées de main de maître par des coéquipiers motivés, efficaces (sauf pause pour « et plus si affinités »), capables de prendre le temps de la réflexion afin de cerner au mieux ceux qu’ils recherchent. En comprenant le raisonnement et les motivations, en recoupant les points similaires pour les victimes, ils pourront avancer.

J’aime beaucoup l’écriture de Jacques Morize. Il manie les mots comme le faisait Raymond Devos, avec humour de bon goût et dérision, il se permet même d’en inventer ! Les notes de bas de pages sont un régal et ne manquent pas de glisser une petite pique si possible, et c’est excellent !

J’apprécie que le récit ne s’attarde pas trop sur les événements violents. Pas besoin d’en rajouter. Cela reste factuel et ça me convient bien (j’évite les cauchemars). On en sait suffisamment pour imaginer les situations graves ou délicates lorsque les détectives risquent leur vie pour obtenir des résultats.

Les personnages sont bien décrits, plutôt humains pour la plupart avec leurs défauts, leurs qualités et leurs petits travers (que ce soit les femmes ou la bonne bouffe pour les uns, les hommes et le sexe pour les autres…)

Des avancées plus ou moins importantes, des faits notables, permettent de maintenir l’intérêt et de ne pas voir le temps passer. On est bien immergé dans l’histoire. C’est plaisant. Le rythme s’accélère sur la fin et on a encore plus envie de tourner les pages.

Comme tout (ou presque) se déroule à Lyon, quelques éléments de vocabulaire du cru sont intégrés au texte (mais tout est expliqué, je vous rassure) ainsi que quelques plats typiques comme le tablier de sapeur (je préfère la râpée stéphanoise). Non seulement ça donne du « charme » au contenu mais c’est un peu la marque de fabrique, « l’accent » du rédacteur et c’est amusant !


"Le cabanon à l'étoile" d'Hélène Legrais

 

Le cabanon à l’étoile
Auteur : Hélène Legrais
Éditions : Calmann-Lévy (3 Novembre 2021)
ISBN : 978-2702182918
310 pages

Quatrième de couverture

L’été est là. Au volant de sa Deudeuche, Estelle, artiste-peintre désargentée et bohème, part rejoindre son cabanon du Bourdigou, un de ces villages de vacances « sauvages » faits de cabanes bricolées qui fleurissent sur le littoral catalan en ce début des années 1960. Elle prend en stop une toute jeune fille partie à l’aventure, qui dit s’appeler Cassiopée. Estelle n’est pas dupe mais elle lui offre son affection et le gîte dans sa paillotte. D’une beauté ravageuse, la nouvelle venue ne tarde pas à provoquer des remous dans le village.

Mon avis

Elle s’appelle Cassiopée, enfin c’est ce qu’elle dit. Sans doute parce que c’est plus facile de se cacher sous un nom de constellation. Elle est tellement belle quand elle brille là-haut. Choisir ce nom, c’est porter une part de rêve, non ? Avec sa robe courte et sa valise cabossée, elle s’est avachie sur le siège de la Deudeuche (on est dans les années soixante) d’Estelle lorsque celle-ci s’est arrêtée et a ouvert sa porte. Pourquoi a-t-elle stoppé devant cette jeune fille ? Pourrait-elle l’expliquer si on lui demandait ? Je ne crois pas. Il y a des rencontres (comme la mienne avec l’auteur) qui n’ont pas besoin de mots. Tout ce qu’Estelle sait de Cassiopée, c’est qu’elle veut voir la mer et le soleil. Ça tombe bien, Estelle a un petit cabanon en bord de plage. Alors elles y vont et les étoiles dans les yeux de « Cass » valent tous les remerciements.

Une étrange relation se noue entre Estelle, artiste peintre, non conformiste, installée au Bourdigou pour s’adonner à son art et Cassiopée, insaisissable, imprévisible mais tellement attachante. Mais le Bourdigou est un endroit calme, avec des paillotes où on partage un repas, un rire, une conversation, en totale liberté sous le soleil de l’été. Tout le monde se connaît, se respecte. L’arrivée de Cassiopée, belle et lumineuse, qui joue avec son corps, déstabilise les habitants de ce coin tranquille. Elle dérange mais elle reste chez Estelle qui l’a prise sous son aile. Cette dernière s’interroge, elle essaie d’avoir des informations mais la gosse ne lâche rien ou des bribes qui n’apportent pas grand-chose. Elle a bien, pourtant, quelque part, des parents inquiets qui l’attendent, ou une mère, ou un père, un frère ? Que cache-telle, de qui se cache-t-elle et pourquoi ?

C’est toute la subtilité des relations humaines que nous présente Hélène Legrais dans ce roman. Sous des dehors légers de sable blond, de mer chaude, elle aborde avec délicatesse des sujets graves. Elle évoque les difficultés dans les couples, la famille, le sens des priorités, la maladie, les choix de chacun face à un aléa de la vie. Quel chemin prendre lorsqu’on est seul à pouvoir décider sans partager, sans discuter ? Y-a-t-il des bons ou des mauvais choix ? L’auteur ne juge pas, ses personnages non plus, ils acceptent et font preuve d’empathie.

Estelle et Cassiopée ne sont pas de la même génération mais elles se comprennent car elles ont, toutes les deux, soif de liberté, envie de vivre sans qu’on leur dicte leur conduite. Ce sont des femmes épanouies, qui dégagent quelque chose.

L’écriture est plaisante, fluide. Les paysages, le contexte, sont bien décrits, on situe facilement les lieux, l’époque. Je visualisais ce petit « paradis » et j’aurais bien voulu y faire un tour (en fin de livre, il y a des explications intéressantes)

 Si, au début, je me suis imaginée une lecture légère, j’ai rapidement compris que c’était plus profond que je le pensais. Les thèmes sont présentés avec doigté et intelligence. Tout cela m’a permis de passer un bon moment et de contempler « ma » constellation avec un autre regard.


"Surface" d'Olivier Norek

 

Surface
Auteur : Olivier Norek
Éditions : Michel Lafon (4 Avril 2019)
ISBN : 978-2749934983
424 pages

Quatrième de couverture

Ici, personne ne veut plus de cette capitaine de police. Là-bas, personne ne veut de son enquête. Après un grave accident, Noémie, une capitaine de la police judiciaire parisienne, est envoyée dans le petit village d'Avalone bien malgré elle. C'est alors que le cadavre d'un enfant disparu vingt-cinq ans auparavant est découvert. L'enquête bouleverse à la fois le quotidien des villageois et la reconstruction de la policière.

Mon avis

Surface, c’est ce qu’on voit mais souvent il faut aller dessous pour trouver…

Noémie, capitaine de police renommé au 36, a eu le visage ravagé par un tir suite à une interpellation. Difficile pour elle de se reconstruire dans tous les sens du mot. En plus, la laisser travailler au même endroit, c’est se rappeler tous les jours, en la voyant, la fragilité et les risques du métier.

Alors, son chef tranche, elle ira quelques mois dans l’Aveyron, faire une espèce d’audit dans un commissariat où il ne se passe jamais rien et que les autorités envisagent de fermer. Cela l’éloignera et permettra de réfléchir à l’avenir parce qu’évidemment, personne n’a vraiment envie qu’elle revienne.

Blessée, en colère, énervée, Noémie sait qu’elle n’a pas le choix et elle part à reculons dans le petit village d’Avalone. Elle y découvre la vie à la campagne où tout se sait et où également tout se « tait ». Il y a vingt-cinq ans, une partie des habitations a été engloutie sous les eaux pour un projet d’envergure…

Voilà qu’un corps d’enfant est découvert et Noémie emmène sa nouvelle équipe pour une enquête. Elle dérange avec ses questions, son visage abimé, sa ténacité, sa volonté d’aller plus loin que les apparences, que la surface des choses… Elle creuse, ne lâche rien….se met en danger mais continue encore et encore… Elle retrouve de l’énergie, elle reprend sa vie et son métier en main…

J’ai beaucoup aimé cette lecture. L’écriture nerveuse de l’auteur m’a captivée, pas de temps mort, du rythme, une capitaine attachante dans sa fragilité mais aussi sa force. Des rebondissements et une intrigue qui se tient. Les échanges de Noémie avec le psy qui la suit depuis son accident sont intéressants et apportent, à mon sens, un plus à ce récit (même si l’interprétation des rêves ne m’a pas fascinée).

Une très belle découverte !


"ASSE Une histoire de légendes" de Clément Goutelle & Olivier Paire

 

ASSE Une histoire de légendes
Auteurs : Clément Goutelle (textes) & Olivier Paire (dessins°
Éditions : Jarjille (8 Octobre 2025)
ISBN : 9782493649355
50 pages

Quatrième de couverture

L’histoire du mythe vert
Le passage sous pavillon canadien en juin 2024 avec Kilmer Spors Ventures, a ouvert une nouvelle ère pour le club stéphanois.
Il referme une page de plus de 90 ans d’histoire qui a fait de l’AS Saint-Etienne un véritable mythe.
Ce qui rend ce club unique, ce n’est pas un ou dix trophées, son public, son stade, ses joueurs ou ses entraîneurs, mais un peu tout ça à la fois. Une succession de légendes et d’anecdotes incroyables qu’on vous raconte ici. Pour les découvrir, nous vous emmenons dans les travées du seul témoin de toute cette aventure : le stade Geoffroy-Guichard.
Le Chaudron dévoile ici l’histoire d’un club novateur, capable d’exploits retentissants, ayant connu des joueurs iconiques mais aussi des périodes sombres…
Bref, l’histoire du mythe Vert !

Mon avis

Je suis stéphanoise, je devais avoir huit ans quand je suis allée au stade Geoffroy Guichard la première fois. Alors les verts, le chaudron et l’ASSE, c’est dans mon ADN parce que ça se transmet de génération en génération. J’ai mes propres souvenirs (pour certains matchs, je peux dire « J’y étais »), et ceux que m’a transmis ma famille avec quelques grands noms de joueurs que je n’ai pas vus balle au pied. L’histoire du club, je la connais, j’ai visité les lieux, j’ai lu des livres, des documents.

Eh bien, incroyable ! Avec cette bande dessinée, j’ai découvert de nouvelles informations, très intéressantes. Notamment sur les hommes qui ont donné leur nom aux tribunes et le rôle qu’ils ont eu pour faire progresser le club. Je suis enchantée !

Mettant en scène Philippe Gastal, le conservateur du Musée des Verts qui « raconte » la création du club, les grands joueurs, les matchs de référence, les anecdotes (Salif Keita venu en taxi de Paris, les crampons vissés, la panthère et bien d’autres), ce livre est une vraie pépite pour tous les passionnés ou ceux qui veulent en apprendre plus.

Les auteurs nous rappellent que quelques-uns de ceux qui ont œuvré pour « nos » verts étaient des visionnaires (l’aménagement du stade à l’anglaise pour la proximité des spectateurs, il fallait y penser…). En outre, ils savaient s’entourer des bonnes personnes (Pierre Garonnaire était un génie du recrutement), structurer le management et réfléchir à l’avenir sans oublier le passé et ses valeurs… Chaque fois qu’il y a eu une belle réussite, les encadrants étaient des gens qui croyaient à ce qu’ils faisaient et se donnaient à fond.

Les dessins aux couleurs pastel peuvent tenir sur une page de trois cases (ou plus) ou en chevaucher deux. Ils sont très « limpides », avec de belles couleurs, style peinture à l’eau et aquarelles. On reconnaît aisément ceux qui sont représentés tant ils font partie de notre culture, de notre patrimoine. Le texte complète parfaitement les images. Rien de rébarbatif, c’est clair, précis, pointu. Comme une visite réelle avec Monsieur Gastal où on parle de ce qui a bien fonctionné mais aussi des erreurs ….

On peut penser que cinquante pages pour parler de ce club mythique, c’est trop court. Je crois qu’il fallait trouver le bon équilibre et les éditions Jarjille ont tout juste. C’est d’une part le bon format, maniable, pas trop lourd, avec du papier de qualité et des croquis qui parlent à tous. Et d’autre part, c’est plus que plaisant à lire.

C’est le cadeau (à offrir ou à s’offrir) idéal pour transmettre tout ce qui fait que les verts font vivre des choses exceptionnelles à leurs supporters.

PS : Qui c’est les plus forts ? Allez les Verts !



"Transitions Journal d'Anne Marbot" d' Elodie Durand

 

Transitions – Journal d’Anne Marbot
Auteur : Elodie Durand
Éditions : Delcourt (7 Avril 2021)
ISBN : 978-2413024316
180 pages

Quatrième de couverture

" Vous savez, les genres féminin et masculin sont les deux extrêmes d'un état. Chacun est libre de mettre le curseur où il veut, où il peut." Les mots de la psychologue du planning familial bousculent Anne. Elle n'a rien vu venir.  Sa fille est un garçon...  Anne bataille, se déconstruit, apprend, s'ajuste à son enfant, pour se fabriquer un autre regard, un nouveau paradigme.

Mon avis

Ce roman graphique reprend le journal d’Anne Marbot, une mère confrontée au changement de genre de son enfant. Avec les dessins d’Elodie Durand en soutien, elle partage son cheminement difficile pendant plusieurs mois avant l’acceptation et la compréhension.

À travers les textes et les croquis, on découvre ce qu’il se passe dans d’autres pays, les réactions des uns et des autres. On cerne tout ce que traverse cette famille : l’annonce, les questions (avec l’espoir d’un retour en arrière), le ressenti d’Alex qui se sait, se sent garçon et qui se bat pour être reconnu, les peurs, les doutes de chacun, les obstacles, les interrogations etc.

Le graphisme est assez simple, peu coloré et les mots bien lisibles. Il y a parfois des dessins qui tiennent toute une page, je n’ai pas toujours compris leur utilité sauf, peut-être, pour rappeler la difficulté du rapport au corps.

Je ne sais pas comment j’aurais réagi face à la même situation mais la mère m’a étonnée, elle parle de cette transition comme d’un deuil en disant qu’elle perd un passé, un futur … J’ai encore le mail du fils d’un de nos amis qui nous a informés de son changement de genre en écrivant « J’ai les mêmes idées, j’aime les mêmes choses, je reste la même personne ! » D’ailleurs, pour les deux petits frères, tout semble plus simple. Est-ce parce qu’ils n’ont pas encore été « formatés », que pour eux, on est une personne avant d’être un garçon ou une fille ?

Pourtant cette maman et son compagnon se renseignent, rencontrent médecin et psychologue pour mieux cerner cette mutation mais ça reste compliqué et douloureux pour elle surtout. Elle s’ouvre petit à petit et un jour le déclic se fait, lorsqu’elle voit son fils en pleine détresse. Elle veut l’aider.

Le livre a été fait après tout ce parcours, on voit donc comment elle a évolué. Elle a été très dure au début et a dû sans doute beaucoup culpabiliser par la suite. Peut-être que ce recueil aidera d’autres parents ?

J’ai trouvé ce roman graphique intéressant mais pas aussi profond que je le pensais. Toutefois, je suis satisfaite de ma lecture !




"Le banc de pierre" d'Alain Chanudet

 

Le banc de pierre
Auteur : Alain Chanudet
Éditions : 5 sens (15 Septembre 2025)
ISBN : 978-2889498291
212 pages

Quatrième de couverture

Des amis se retrouvent pour passer les fêtes de Noël dans un chalet à Hautacam dans les Pyrénées. Une nuit, Gabriel, voisin et faisant partie du groupe, découvre le corps de l’un d’eux au pied du chalet. Un retour en arrière permet de faire connaissance avec tous les personnages et les soucis qui accompagnent les uns et les autres. Mais qui est la victime et quel est son meurtrier ?

Mon avis

C’est un presque huis clos, très bien ficelé, et parfaitement construit que nous offre Alain Chanudet dans son roman. Noël approche et plusieurs amis de plus ou moins longue date, se retrouvent pour faire la fête à cette occasion. Ce n’est pas la première fois et en général ils sont très heureux d’être ensemble. Il y a plusieurs couples et quelques personnes seules car célibataires ou parce que leur conjoint n’a pas pu se libérer. Certains sont déjà sur place, d’autres arrivent petit à petit. La neige est là, ils pourront skier s’ils le souhaitent. Tout devrait bien se dérouler !

Sauf que… on le sait dès le prologue, Il s’est passé quelque chose de grave puisque Gabriel, un des participants, découvre un corps près du chalet des retrouvailles. Que s’est-il passé ? Il appelle les autres et tous sont catastrophés. Le récit revient alors aux premiers jours de l’installation des uns et des autres. On s’aperçoit alors que, sous des dehors sereins, quelques tensions existent au sein du groupe. La fille de Gabriel s’est mise en ménage avec un des potes de son père. Il ne supporte pas l’idée de la différence d’âge. De plus, le petit ami est artiste ! Il y a également des problèmes chez un autre couple, bien que chacun essaie de donner le change pour ne pas gâcher le séjour. D’autres protagonistes sont dans des situations plus que délicates…  Rien n’est aussi lisse que semblent le laisser croire les apparences. 

Petit à petit, le lecteur se rend compte que certains ont menti, que d’autres ne sont pas nets, que les secrets les mieux gardés peuvent ressurgir à n’importe quel moment et que personne ne sera épargné. L’atmosphère se tend au fil des pages. Quelques-uns veulent faire comme si tout était comme d’habitude mais en observant ils réalisent qu’il n’en est rien, sans toutefois comprendre. Sans forcément espionner, des faits sont mis au jour et la question se pose : en parler ou pas ? Face à tout cela, il est tout à fait légitime de s’interroger sur le rôle de chacun et les raisons qui auraient pu les pousser à agir dans un sens ou un autre.

Les enquêteurs dépêchés sur place auraient bien autre chose à faire en cette fin décembre mais ils prennent l’affaire au sérieux et investiguent avec intelligence et doigté pour obtenir des informations et ne braquer personne. Auront-ils des réponses ?

Cette lecture a été une belle découverte. Je vais suivre l’auteur avec attention. Son écriture est fluide et addictive. Les nombreux dialogues nous maintiennent dans le mouvement et les différents rebondissements donnent du rythme. Au-delà de l’intrigue elle-même, il présente la vie sous toutes ses formes, des quotidiens ordinaires qui ont quelques fois une face cachée. C’est très réaliste. Le contexte, avec la montagne enneigée, les beaux paysages, la bonne « bouffe » (petits plats et bouteilles de bon cru) laissent penser que ces quelques jours, animés d’une belle amitié, seront idylliques mais tout vire au cauchemar….

« Le banc de pierre » est le témoin silencieux, on s’y assoit pour se confier, téléphoner, penser … et c’est, en outre, un excellent roman !


"La limite de Hayflick" de Nicolas Gorodetzky

 

La limite de Hayflick
Auteur : Nicolas Gorodetzky
Éditions : Yanat (15 Octobre 2025)
ISBN : 978-2-9550712-9-8
252 pages

Quatrième de couverture

Stanislas Verlaine, à peine remis de sa précédente aventure contre le Mandarinia, est parti se faire oublier en Suède, où il suit un master de criminologie. Il va se retrouver malgré lui au cœur d’une guerre souterraine entre des forces occultes, puissantes, qui joueront l’avenir de l’humanité à la roulette russe.

Mon avis

Stanislas Verlaine a besoin, d’une part, de se changer les idées car il a souffert au niveau personnel et professionnel, et, d’autre part, de se faire oublier. Il a donc pris la décision de s’installer en Suède, où il a une tante qu’il n’a pas vue depuis longtemps et de suivre dans ce pays, un master de criminologie. Il a déjà participé, un peu par hasard, à une enquête où sa contribution a été appréciée. Il voit là l’occasion de compléter ce qu’il a découvert sur le terrain et de, peut-être, orienter sa carrière.

Il s’installe dans une partie du logement de la tantine qu’il partage avec deux autres étudiants : Erik et Ida. Cette dernière est étudiante en médecine, fait de nombreuses gardes et il la croise peu. Il se sent plus proche d’Erik avec qui il passe de bons moments. Échangeant même quelques confidences, celui-ci lui explique, en détails, comment Ida et lui arrondissent leur fin de mois. C’est assez surprenant mais Stanislas n’est pas un homme qui juge. Il absorbe les informations, et respecte les choix de ses colocataires bien que cela l’interroge.

On sent que ce qu’il a vécu le « travaille », il est parfois un peu torturé, il se questionne sur ce qu’il n’a pas maîtrisé et qui a provoqué la situation de mal être dans laquelle il se trouve. C’est quelqu’un qui a besoin d’actions, de challenge, de mouvement…Si l’occasion se présente de pouvoir agir et enquêter, il ne dira pas non, bien au contraire !

Dans le cadre d’un stage, et parce que les policiers ont entendu parler de ses précédents « exploits », il se retrouve à mener quelques investigations en binôme. Il est étudiant, on ne peut pas l’autoriser à se lancer seul. Mais bien sûr, il est très volontaire et il cherche, fouille et observe, quelques fois en cachette, sans rien dire. Il a également une espèce de sixième sens qui lui permet de visualiser et d’interpréter les événements. J’aime bien cet aspect de sa personnalité et je pense que ça pourrait être encore plus exploité dans les titres suivants (tout en dosant correctement pour ne pas tomber dans l’exagération). Au cœur de l’action, il se démène et essaie d’obtenir des réponses. Il est intuitif, opiniâtre, intelligent, un peu fougueux, attachant.

Avec des chapitres courts, Nicolas Gorodetzky nous entraîne rapidement dans son récit. L’histoire débute tranquillement puis le rythme monte et la tension s’intensifie au fil des pages. L’atmosphère calme devient angoissante et la peur s’installe. L’auteur sait bien manier les mots pour retranscrire les scènes, les ressentis. Il y a de l’action, des rebondissements et on ne s’ennuie pas une seconde. Comme, de plus, il est musicien, il glisse de temps en temps un titre et souvent, j’écoute les morceaux évoqués.

L’écriture est plaisante, fluide, sans temps mort, avec des phrases courtes qui vont à l’essentiel. C’est addictif et j’avais sans cesse le souhait d’aller plus vite, de comprendre. J’ai particulièrement aimé que des informations médicales étoffent le texte (l’auteur est aussi médecin). C’est le plaisir d’apprendre et ça me donne toujours envie d’aller plus loin.

Ce roman est très bien fait, intéressant et captivant. J’espère retrouver Stanislas dans d’autres aventures.


"J'aimerais te dire" de Christian Pernoud

J’aimerais te dire
Auteur : Christian Pernoud
Éditions : Taurnada (9 Octobre 2025)
ISBN : 978-2372581660
246 pages

Quatrième de couverture

Il y a toi… il y a elle… il y a nous… Quand Thomas emmène sa fille, April, camper au lac Sebago, Angela, son ex-femme, pense qu'il veut simplement lui offrir un dernier moment d'insouciance avant son hospitalisation. Elle regarde son enfant partir sans imaginer une seule seconde que ce voyage va tout changer… et la hantera à jamais.

Mon avis

April, dix-sept ans, est une jeune fille dont les parents, Thomas et Angela, se sont séparés après une belle histoire d’amour. Elle doit subir une opération médicale importante car elle a une malformation cardiaque. Sa mère, médecin, est en couple avec un autre homme. L’entrée à l’hôpital est prévue dans quelques jours et son père se pointe au domicile, proposant de « sortir » leur fille quelques jours, histoire de lui changer les idées avant la chirurgie prévue. Angela n’est pas super enthousiaste mais elle cède car elle sait que son ex-mari prendra soin de leur enfant, elle lui fait confiance. Cette escapade fera du bien à la lycéenne. Ils iront au bord d’un lac où ils ont leurs habitudes. C’est un peu isolé, il n’y a pas de réseau téléphonique mais le séjour sera court et les hébergements nombreux.

Dans la voiture, le père se confie et profite du trajet pour revenir sur sa relation avec Angela. Il explique comment ils se sont connus, aimés etc. April découvre ses parents sous un nouveau jour et écoute attentivement, même si parfois, elle charrie son paternel lorsqu’il donne trop de détails… Elle est étonnée lorsqu’elle constate qu’ils ne prennent pas la route du lac, elle s’interroge, pose des questions mais n’obtient pas de réponse.

À partir de ce moment-là, on reste pendant de nombreux chapitres dans le passé. Le cheminement du couple est présenté, aves ses hauts, ses bas, les épreuves qu’ils ont affrontées, leur complicité, leurs difficultés avant le divorce. On comprend mieux pourquoi ils ne sont plus ensemble. Thomas est quelques fois trop impulsif et imprévisible et la vie n’a pas toujours été tendre avec eux…

Où vont le père et sa fille ? Pourquoi ce changement de lieu ? La tension monte au fil des pages lorsqu’on constate que le retour au bercail ne semble pas d’actualité. La personnalité des différents protagonistes se précise, on cerne les caractères, les idées de chacun. Plusieurs hypothèses se dessinent, et comme on a le souhait de savoir, on tourne les pages…

L’écriture est addictive, on s’attache à ceux qui nous sont présentés en essayant de comprendre leurs réactions, le pourquoi de leurs choix. Et de temps en temps, on se demande ce qu’on aurait fait à leur place…

Ce récit aborde des questions scientifiques mais aussi l’amour dans une famille, les liens qui s’établissent entre les uns et les autres. Jusqu’où est-on capable d’aller par amour ? Qu’est-ce qui donne de la force aux sentiments dans un groupe familial ?

Je suis rentrée très rapidement dans l’histoire. J’ai trouvé les faits bien décrits. En comprenant tout ce qui a posé problème, les attitudes et les décisions m’ont paru plus claires. J’avais envie parfois de glisser « Attention aux conséquences » car certains ne mesuraient pas tout.

Le style est fluide. Comme il n’y a pas pléthore de personnages, l’histoire est aisée à suivre, les retours en arrière sont très clairs.

J’ai eu beaucoup de plaisir à cette lecture. J’ai aimé les explications données par l’auteur sur le pourquoi du lieu (les Etats-Unis), la façon dont ceux qui peuplent le livre « prennent la main » et les « événements » qui l’incitent à écrire dans un sens ou un autre.

 

"Un beau jour ... " de Peter-H Reynolds & Alison McGhee (Someday)

 

Un beau jour (Someday)
Auteurs : Peter-H Reynolds (illustrations) & Alison McGhee (texte)
Traduction de Michelle Nicly
Éditions : Albin Michel (5 Septembre 2007)
ISBN : 978-2226177544
40 pages

Quatrième de couverture

En le regardant dormir, quelle mère n'a jamais imaginé ce que l'avenir réservait à son enfant, et rêvé qu'il vive sa vie intensément ? Un livre qui parle simplement des choses essentielles : la vie, l'amour, le temps qui passe. À partager dès aujourd'hui.

Mon avis

Un petit album à offrir à l’occasion d’une naissance ou tout simplement parce qu’il est beau et porte un message fort.

Des illustrations délicates, épurées, mais très expressives. Des textes, écrits en cursive, porteurs de sens, célébrant l’amour d’une mère pour sa fille, la transmission, le partage de tout ce qu’on offre de soi mais également de tout ce qu’on reçoit de son enfant.

C’est tendre, émouvant, sublime. Tellement réaliste devant le temps qui passe, le bébé qui grandit et deviendra mère à son tour….

J’ai été conquise par cette lecture !


"Les âmes fracassées" d'Alfred Lenglet

 

Les âmes fracassées
Auteur : Alfred Lenglet
Éditions : Taurnada (11 Septembre 2025)
ISBN : 978-2372581646
248 pages

Quatrième de couverture

Jean-Baptiste Meningi, chef de l'orchestre de Lyon, vient d'être assassiné au moyen d'un drone, alors qu'il faisait son footing dans le parc de la Tête-d'Or. Meurtre ciblé ou attaque terroriste ? Sur place, le commandant de police Nolan Diethelm et son équipe d'enquêteurs sont sur le pied de guerre. Les autorités s'en mêlent et, lorsque l'expertise des débris de l'appareil révèle l'utilisation d'un logiciel de reconnaissance faciale, le doute n'est plus permis : la victime n'a pas été choisie par hasard. Entre course judiciaire, faux-semblants et pression médiatique, la tension monte.

Mon avis

Chef d’orchestre à Lyon, assez réputé, Jean-Baptiste Meningi vient d’être assassiné alors qu’il faisait son footing au Parc de la Tête d’or. La méthode est pour le moins moderne et originale… C’est un drone qui l’a visé au visage avant de le tuer. La figure et le cerveau en charpie, il n’avait aucune chance de s’en tirer…. Qui et pourquoi ? Est-ce une erreur ? Une attaque terroriste avec une personne choisie au hasard ? Ou ?

 C’est au commandant de police Nolan Diethelm et à son équipe que l’enquête est confiée. Après étude, il s’avère que le drone était équipé pour la reconnaissance faciale donc le mort est bien celui que l’ « on » (mais qui ?) voulait éliminer…. La première tâche des policiers est de fouiller dans l’entourage professionnel et personnel de la victime. Monsieur n’était pas des plus appréciés au boulot avec des idées bien arrêtées et peu de dialogues. Quant à son couple, assez atypique, plutôt « lisse » en apparence, rien à signaler, vraiment ? Chacun sait qu’il ne faut pas se fier à ce qu’on voit et qu’il faut creuser un peu plus.

Bien épaulé par ses co équipiers, Nolan avance, tâtonne, fait des découvertes déstabilisantes qu’il essaie d’interpréter au mieux. Le contexte est intéressant car le lecteur sent assez vite que les personnages ne sont pas clairs, qu’ils ne montrent qu’une facette d’eux-mêmes. Le plus compliqué, c’est de faire le tri, de classer les informations, de les vérifier et de savoir qu’en faire. Le travail, au niveau des investigations, est très bien expliqué et c’est très intéressant.

Nolan est un individu humain, sans super pouvoirs, il peut faire des erreurs, être débordé ou dépassé, ce qui donne beaucoup de crédibilité au récit. Il est célibataire, avec une tante âgée. Il partage de temps en temps un repas avec elle et ils échangent sur les affaires qu’il suit, sans trop en dire.

J’ai trouvé cette intrigue bien construite, bien pensée. Petit à petit, les indices arrivent et même si j’ai deviné quelques petites choses, ce n’était pas gênant, plutôt gratifiant (j’étais contente de moi) car cela n’enlevait rien au suspense. Les événements se déroulent dans la ville de Lyon que je connais plutôt bien, cela m’a permis de bien intégrer les situations et de visualiser les différents lieux.

L’atmosphère est présentée avec intelligence, on imagine sans peine la course effrénée des enquêteurs qui doivent rendre des comptes à leurs supérieurs. L’écriture est fluide, prenante, je n’ai pas ressenti de temps mort, j’étais dedans, à fond. Les différents protagonistes sont bien campés. On ne mesure pas toujours le poids du passé, des traumatismes, et ce roman nous rappelle d’être à l’écoute des blessures anciennes de chacun, elles marquent et pour cicatriser, il est nécessaire de dire la vérité, d’être à l’écoute, d’accompagner.

L’auteur, policier, nous immerge parfaitement dans la vie du poste, les relations entre collègues, la tension permanente pour obtenir des réponses. C’est évidemment un plus indéniable car « ça sent le vrai ». Les dialogues, les réflexions (pensées ou exprimées à haute voix) des uns et des autres apportent un bon rythme.  Ce roman est une belle réussite !


"Les bains de Kiev" d'Andreï Kourkov (Samson i bannoye delo) (Самсон и Надежда)

 

Les bains de Kiev (Samson i bannoye delo) (Самсон и Надежда)
Auteur : Andreï Kourkov
Traduit du Russe 5ukraine) par Paul Lequesne
Éditions : Liana Levi (9 Octobre 2025)
ISBN : 979-1034911332
386 pages

Quatrième de couverture

Kiev, printemps 1919. Vingt-huit soldats de l’Armée rouge ont mystérieusement disparu aux bains municipaux. N’ont été retrouvés que leurs vêtements laissés au vestiaire. Ont-ils déserté ? Ont-ils été assassinés ? Et par qui ? Des brigands, des agents de la contre-révolution ? Samson mène l’enquête. Il arpente les rues de Kiev, met à profit les rudiments de formation qu’il a reçus, et progresse dans l’art d’interroger témoins et suspects. Méthodiquement, il remonte la trace des disparus, utilisant les pouvoirs de son oreille coupée. Au fil de ses investigations, il explore les fausses pistes et met à jour d’autres affaires d’importance.

Mon avis

Ce roman fait partie d’une série (le contexte et quelques individus récurrents sont présents) mais peut être lu indépendamment.

1919, Kiev. Samson est devenu milicien enquêteur un peu par hasard. Il vit avec Nadejda qu’il a épousée. Il rentre parfois tard mais leur couple tient bon, ils s’aiment. Au travail, il arrive que ses supérieurs lui demandent de résoudre des affaires délicates. Il doit se faire discret pour mener ses investigations, se méfier de certains et être vigilant pour ne pas se mettre en danger inutilement.

Dans la ville, différents groupes s’opposent, l’Armée rouge ou blanche, des russes, des ukrainiens, des chinois. Les bolcheviks ont pris le pouvoir. C’est la guerre d’indépendance ukrainienne et le moins qu’on puisse dire, c’est que la vie quotidienne, les soirées, les nuits sont agitées et qu’il est très difficile de savoir à qui faire confiance. Sortir seul le soir n’est pas recommandé car même ceux qui surveillent la ville peuvent ne pas être d’accord entre eux sur qui doit être surveillé ou arrêté. Alors, il faut être prudent en permanence sur ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on partage.

Les bains municipaux ont du succès. On y vient en couple ou entre amis. Un soir, vingt-huit soldats de l’Armée rouge fêtent un anniversaire avec du caviar et des bouteilles. Mais le lendemain, il ne reste que leurs vêtements et aucun indice sur ce qu’ils ont pu devenir. Auraient-ils déserté ? Pourquoi de cette manière et où sont-ils maintenant ? Ont-ils été tués, et par quoi et pourquoi ? Toutes les hypothèses sont possibles…. C’est Samson qui essaie de résoudre cette affaire pour le moins surprenante, une trentaine d’hommes d’un coup, ça fait beaucoup ! Il s’aide de son oreille amputée qui entend à distance et qu’il peut cacher car elle ne se détériore pas.

Lorsqu’il découvre un indice aux Bains, il pense qu’il a trouvé lé solution et que tout va se terminer très vite. Mais pas du tout. La piste ne s’avère pas être celle qu’il croyait et il doit réfléchir pour avancer. Il ne manque pas d’imagination et a un excellent sens de l’observation. Il tente des « expériences » (le coup du cheval est amusant) et ça fonctionne.

Je crois que c’est ce que j’aime le plus lorsque je lis cet auteur, ce savoureux mélange d’absurdité (très très bien dosée) et de rationnel. Les petites « choses » décalées sont absolument « délicieuses » car c’est très fin, on a les yeux qui « frisent » même plusieurs jours après avoir lu.

La cité de Kiev a une place à part entière dans le récit. On dirait qu’elle a un cœur, qu’elle « respire ». Samson ne s’y trompe pas, il voit bien que, suivant les lieux ou les quartiers, il doit donner une image de lui-même qui correspond à l’endroit et aux personnes rencontrées. Il fait le caméléon, il s’adapte. Quelques fois, on se dit qu’il est un peu naïf mais pas du tout, il examine avec certaine forme de candeur mais également beaucoup de sérieux.

L’écriture d’Andreï Kourkov (merci au traducteur) est plaisante, raffinée dans le sens où elle est posée, de qualité, avec des scènes, des dialogues et les ressentis des protagonistes parfaitement exprimées. En situant les aventures de Samson dans ce « décor », l’écrivain fait passer un message sur les relations humaines, lorsque les hommes se heurtent, se disputent, se battent sans réfléchir ni se mettre à la place de celui qui est en face.

Pour moi, tout cela est tout à fait équilibré et réussi !

L’origine de cette série de livres sur Kiev en 1919 est intéressante. L’auteur explique qu’une personne lui a remis lors de l’automne 2019, en pleine pandémie, un carton avec des documents datant 1919 et provenant de la police secrète bolchevique. Il s’est alors plongé dans cette période de l’Histoire et a été totalement passionné. Voulant partager ce qu’il s’est passé à ce moment, il a fait d’autres recherches puis a pris la décision d’écrire. Petit à petit tout s’est mis en place. Il a le sentiment d’arpenter la ville et ses rues à l’époque, il « visualise » les lieux et les événements qu’ils décrits … pour notre plus grand plaisir !

"La villa aux étoffes - Tome 1" d'Anne Jacobs (Die Tuchvilla)

 

La villa aux étoffes - Tome 1 (Die Tuchvilla)
Auteur : Anne Jacobs
Traduit de l’allemand par Anne-Judith Descombey
Éditions : Charleston (16 Juin 2020)
ISBN : 978-2368125090
596 pages

Quatrième de couverture

Augsbourg, automne 1913. Marie quitte l'orphelinat pour entrer comme femme de cuisine dans la somptueuse villa des Melzer, une famille de riches industriels du textile. Tandis qu'elle tente de trouver sa place parmi les domestiques, à l'étage des maîtres, c'est l'ouverture de la saison des bals qui occupe tous les esprits. Car cette année, Katharina, la fille des Melzer, doit faire son entrée dans le monde. Seul Paul, l'héritier, semble étranger à cette agitation, déterminé à prendre ses distances avec sa famille...

Mon avis

Premier tome d’une saga familiale commençant en 1913, ce roman est très plaisant à lire.

On fait connaissance avec la famille Melzer, les parents, leurs deux filles et leur fils. Ce sont de riches industriels dans le domaine du textile. Vu leur niveau de vie, ils ont de nombreux employés avec qui, pour la plupart, ils sont assez exigeants. C’est comme ça que la jeune Marie, qui a passé beaucoup de temps à l’orphelinat, arrive comme fille de cuisine dans cette propriété.

Dès les premières pages, on sent qu’elle a du caractère, qu’elle n’aime ni le mensonge ni l’injustice et qu’elle ne se laissera pas faire. Je me suis attachée à elle face à cette attitude un peu « rebelle » dans le sens où elle se démarque des domestiques habituels.

Les trois enfants de la famille sont différents. Katharina a un tempérament artiste et est plutôt jolie. Paul, c’est le fils dont on espère (et attend) qu’il reprenne l’usine bien que cela ne semble pas sa priorité. Elisabeth est plus discrète, moins belle, on la remarque moins et de fait, on s’intéresse moins à elle ce qui la chagrine. Quelques tensions existent entre eux trois au grand des parents.

On va donc suivre l’histoire de tous ces personnages, suffisamment bien décrits pour qu’on ne se mélange pas. On découvre les relations entre patrons et employés tant à l’usine qu’à la villa. Les rôles bien définis (surtout pour les femmes), les petites révoltes qu’on essaie d’étouffer, les non-dits, les jeux d’influence pour les mariages et la vie à cette époque qui est bien présentée.

L’obligation d’être « dans la norme », dans les conventions est omniprésent. Le lecteur comprend vite qu’il n’est pas aisé de sortir de ce qu’on attend de vous …. Mais que de cachotteries ! C’est parfait pour maintenir notre intérêt, nous faire poser des questions …

À part une ou deux petites erreurs de temporalité, j’ai trouvé le contexte intéressant et parfaitement expliqué. L’écriture est fluide, le vocabulaire bien choisi, merci à la traductrice.

C’est une lecture détente, abordable et agréable. Le récit se termine à la veille de la première guerre mondiale et on se doute bien que les hommes vont partir… qui fera tourner l’usine ? À suivre ….


"Les braises de l'incendie" d'Éric Decouty

 

Les braises de l’incendie
Auteur : Éric Decouty
Éditions : Liana Levi (2 Octobre 2025)
ISBN : 979-1034911387
354 pages

Quatrième de couverture

« Ne pas faire de zèle. » Voilà ce qu’on rabâche au juge Krause depuis qu’il est chargé d’instruire l’affaire de l’hôtel Caumartin. Dans la nuit du 8 avril 2005, cet hôtel social délabré où s’entassaient des immigrés africains a été réduit en cendres par un violent incendie. Comment « ne pas faire de zèle » quand 28 personnes ont perdu la vie ? Pris dans une tourmente personnelle, le juge Krause n’est pas sûr d’avoir la force de mener à bien cette enquête. Jusqu’à ce qu’il croise la route de Nathalie Ségurel, une jeune avocate qui lui remet un témoignage inédit. Tano, un adolescent ivoirien, a disparu après avoir vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ce soir-là. Le juge et l’avocate se lancent à sa recherche, écoutant leur instinct quitte à franchir la ligne rouge.

Mon avis

Le juge Krause est dans un « placard ». Il y a quelques années, sa façon de faire, en remuant ce qui ne sent pas bon, a dérangé, surtout parce que ça touchait des collègues corrompus. Alors, maintenant, il est sur la touche, un peu oublié de tous, avec des petits dossiers à régler.

Et puis, voilà qu’on lui confie une affaire délicate. La nuit du 8 Avril 2005, vingt-huit personnes, dont des enfants, sont décédés dans un incendie. Elles étaient installées, en surpopulation, avec d’autres, dans un hôtel insalubre. À lui de mener l’instruction avec pour consigne principale de « Ne pas faire de zèle ». Deux courants « opposés » encadrent sa « nomination », certains voudraient que, comme, autrefois, il aille au fond des choses, qu’il ose et d’autres qu’il ne creuse pas trop, que tout cela reste un fait divers, certes, tragique, mais sans remous car du côté des propriétaires, ce n’est pas très « propre ».

Alors que va choisir cet homme, miné par des problèmes personnels ? Aura-t-il l’envie, la force de s’investir dans des investigations qui peuvent le mettre face à des situations où les choix seront difficiles ?

Sa rencontre avec Nathalie Ségurel, une jeune avocate, le motive. Elle a recueilli le témoignage d’une petite fille rescapée de la fournaise. Elle a perdu sa mère et sa sœur et cherche son grand-frère sorti avant que le feu prenne. Le juge et l’avocate forment un duo atypique, improbable, mais attachant. Ils n’auront de cesse de comprendre tous les enjeux qui se cachent derrière les apparences. Mais trouver la vérité peut parfois provoquer des dommages qu’on ne maîtrise plus, qui protéger et pourquoi ?

« La vérité contre la promesse d’un avenir ravagé. »

Est-ce que la doyenne en lui confiant ce dossier espère des réponses ou veut-elle l’aider à avancer, à tenir le coup, lui qui a un quotidien difficile ? En tout cas, elle a bien fait car il ne lâche rien. Ce qui est le plus compliqué pour lui, c’est de gérer les informations qu’il récolte, pouvant mettre des personnes en danger ou les compromettre.

Krause et Ségurel prennent des risques, transgressent un peu les règles pour obtenir des éléments afin de cerner la personnalité de chacun. Mais ils sont face à des décisions qui peuvent tout bouleverser. Que vont-ils faire ?
C’est très intéressant de suivre leurs raisonnements parce qu’on s’interroge. Quelle position aurait été la mienne à leur place ? Qu’est-ce qui est le mieux, qui croire ?

C’est le quatrième roman que je lis de cet auteur et je l’ai trouvé extrêmement juste, complet. Éric Decouty était journaliste spécialisé dans les affaires politico-financières. Son écriture est très précise, « fouillée », jamais rébarbative car il insère des dialogues, évitant ainsi toute monotonie dans le propos. Son récit fait froid dans le dos, il nous ouvre les yeux ou nous rappelle ce qu’on connaît déjà. La précarité dont on sait qu’elle existe mais qu’on « oublie » parfois. Les jeunes d’origine étrangère qui, même avec Bac + 5, galèrent à trouver un boulot. L’embrigadement dans les cités entre trafic de drogues ou influence des islamistes radicaux. Quel avenir leur propose la société ? Quel encadrement, quelles propositions d’accompagnement ont-ils ? Que mettre en place pour éviter les erreurs de « trajectoire » ? Et quid des marchands de sommeil, de ceux qui se remplissent les poches en profitant de la vulnérabilité des autres ?

C’est un livre édifiant, au contenu lucide. Le rythme est excellent, pas de temps mort, des protagonistes bien campés et très crédibles. Le texte est abouti et l’ensemble absolument réussi.  À conseiller et à lire !


"Enfant brûlée cherche le feu" de Cordelia Edvarson (Bränt barn söker sig till elden)

 

Enfant brûlée cherche le feu (Bränt barn söker sig till elden)
Auteur : Cordelia Edvardson
Traduit du suédois par Anna Gibson
Éditions : Christian Bourgois (2 Octobre 2025)
ISBN : 978-2267056013
210 pages

Quatrième de couverture

Élevée dans la tradition catholique dans le Berlin des années 1930, Cordelia est une jeune fille à part. Elle aime la poésie, surtout celle qu'écrit sa mère, la belle et reconnue écrivaine Elisabeth Langgässer, qu'elle admire tant. Mais la jeune Cordelia ignore que le père qu'elle n'a jamais connu était juif. Sa mère est quant à elle plus occupée à poursuivre sa carrière en faisant oublier ses propres origines juives auprès des dignitaires nazis qu'à protéger sa fille. Alors, à quatorze ans, Cordelia est déportée. Elle survit à l'enfermement à Theresienstadt puis à l'enfer d'Auschwitz. Grâce à la Croix-Rouge suédoise, elle se retrouve après la libération à Stockholm, où elle réapprend à vivre.

Mon avis

Cordelia Edvardson est née en 1929 à Berlin et morte à Stockholm en 2012, après une longue vie consacrée au journalisme et à l'écriture. En 1977, après la guerre de Kippour, elle s'installe en Israël, où elle travaille en tant que correspondante pour un grand quotidien suédois.

Née d’un père juif inconnu, Cordelia a été élevée par sa mère, une écrivaine. Celle-ci lui lisait des extraits de ses romans, de ses poèmes, même lorsqu’elle était enfant. Cela lui a donné le goût des mots.

« Emplie, submergée, enivrée par les mots, leur texture, leur goût, leur parfum, leur couleur, la gamine s’ouvrait alors. […] Qu’ils soient prononcés, lus ou écrits, les mots sont nourriture. »

Les mots la sauveront, la soutiendront dans toutes les épreuves de la vie (et rien ne lui sera épargné). Oserais-je écrire que c’est la seule chose positive que lui a offert celle qui, en lui faisant la lecture, lui a donné l’amour des mots ?
Elle lui a également donné une petite croix, quand elles ont été séparées mais, vu les circonstances, à mon avis, c’était une façon, pour sa génitrice, de se dédouaner face à une situation où elle n’avait pas le beau rôle….

Cette dernière se marie lorsqu’elle est petite et son beau-père la frappe. Elle souffre mais personne ne s’en rend compte. Elle commence à être « invisible » ce qui continuera lorsque, pendant la seconde guerre mondiale, elle sera déportée à quatorze ans. Pourquoi ? Parce qu’à moitié juive…  

Enfant, elle a baigné dans la religion catholique alors, elle ne comprend pas que d’un coup, elle soit juive. Dans un premier temps, elle rejette l’étoile jaune. Mais elle sent qu’elle met sa famille en danger, qu’elle est le petit coucou qu’il faut expulser du nid. C’est tellement dur pour elle….

Sa mère essaie un stratagème en la plaçant pour la cacher aux yeux de la loi mais ça ne fonctionne pas. Et elle se retrouve dans les camps, à se battre chaque jour pour manger, marcher, dormir…. Devenue un numéro, elle doit lutter pour survivre. Elle saisit vite qu’il vaut mieux avoir l’air en bonne santé pour être jugée apte au travail et ainsi rester en vie. Comme d’autres, elle apprend à faire de la soumission un acte : au lieu de se résigner à son sort, il est mieux de le revendiquer. Malgré son désir de vivre, elle reste hantée par une question : pourquoi maman, m’as-tu abandonnée ? Parfois elle tisse des liens mais tout cela reste fragile. Le quotidien qu’elle décrit est abominable, terrible et dire qu’elle n’est qu’une jeune fille…. Comment continuer à avancer ? Ne pas avoir le souhait de se coucher pour ne plus jamais se relever ? J’étais en apnée pendant ma lecture lorsque pendant ces passages.

Cordelia a été une femme forte, capable de rester droite malgré une relation difficile avec ce qu’on nomme aujourd’hui, une mère dysfonctionnelle, indifférente. Comment peut-on aimer si mal sa fille ? Et comment se construire en vivant de tels événements ?

Dans ce récit, Cordelia parle d’elle en disant « elle », « la fillette » etc. je me suis interrogée sur ce « je » qui est absent. Est-ce une façon de mettre à distance la souffrance, de se protéger des souvenirs douloureux qui remontent afin de les éloigner, de les rendre moins présents ? Je ne sais pas. Mais, même avec cette forme d’expression, ses phrases (merci à la traductrice) font mouche et nous touchent. Elle a une écriture lumineuse, vibrante, qui irradie. La lire, c’est être sentir chaque mot pénétrer en nous, c’est absorber ce qu’elle a vécu, c’est serrer les poings en se disant « non, pas ça »….

On peut dire qu’elle a été courageuse, volontaire, droite etc. Les qualificatifs sont bien pauvres pour une femme exceptionnelle qui aurait pu mourir plusieurs fois mais qui a toujours tenu bon.

Ce livre restera gravé en moi.