Une enquête philosophique (A Philosophical Investigation)
Auteur : Philip Kerr
Traduit de l’anglais par Claude Demanuelli
Éditions du Masque (1 er Juin 2011)
ISBN : 978-2702434840
391 pages
Quatrième de couverture
« Je tue, donc je suis. »
L’action d’ « Une enquête philosophique », écrite en
1992, est située en 2013.Le lecteur d’aujourd’hui va se délecter de
l’intelligence, de l’humour carnassier et du sens du suspense de Philip Kerr.
Il constatera aussi que le texte n’a pas pris une ride : l’auteur avait
anticipé les dérives policières et sécuritaires, le racisme banalisé, les
risques informatiques, et jusqu’à la grande sécheresse ! L’inspecteur principal
« Jake » Jacowicz mène l’enquête. Une dure à cuire drôlement futée, dont la
particularité est de détester les hommes. Son adversaire est à la hauteur : un
serial killer qui figure sur une liste ultra secrète de criminels sexuels
potentiels, tous affublés-sécurité oblige !- d’un nom de philosophe Le méchant,
baptisé Wittgenstein, ayant infiltré l’ordinateur central du ministère de
l’intérieur, entreprend d’éliminer ses compères un à un. Le duel hautement
philosophique et pervers qui se livre ici oscille entre le cynisme et une
extrême drôlerie. Un régal.
Mon avis
Ce livre porte son nom à merveille.
La philosophie est omniprésente, de façon originale : par
l’intermédiaire des criminels potentiels affublés de noms de philosophes mais
aussi par la présence de références nombreuses. En effet, les courants de
pensées philosophiques sont évoqués de façon précise et les idées du philosophe
autrichien Wittgenstein particulièrement détaillées.
Cela a entraîné chez moi, le réflexe habituel : je suis
allée consulter, ingurgiter, lire, décortiquer des pages et des pages
d’informations sur lui et les autres cités pour comprendre, savoir ce qui était
vrai ou pas, d’où la nécessité de plusieurs jours de lecture pour arriver au
bout des trois cent quatre vingt onze pages qui composent ce roman.
Une histoire complexe, complète, mais pas compliquée.
Complexe de par son contenu : les références littéraires et
philosophiques instillent un rythme lent qui peut donner l’impression d’être
frustrant. On pourrait souhaiter « sauter » ces allusions mais le livre
perdrait de sa richesse. Complexe aussi parce qu’on va alterner l’intrigue
écrite à la troisième personne du singulier avec les réflexions du tueur
principal livrées dans deux carnets : un brun, un bleu (cela n’a pas été sans
me rappeler « Le carnet d’or » de Dors Lessing.
Complète parce que l’histoire est « fouillée », le
vocabulaire choisi, les situations analysées, les ressentis (peut-on parler de
« sentiments » pour un tueur ?) des uns et des autres bien décrits. Complète
aussi parce que rien n’est laissé au hasard.
Pas compliquée car tout se déroule à Londres et il n’y a pas
foultitude de personnages.
Le tueur dissèque la philosophie, et pas seulement ça, il se
fond dans l’esprit de Wittgenstein. C’est tellement bien fait que cela semble
tout naturel qu’il pense ainsi.
« L’attribution d’un nom à une chose est-elle toujours
réellement arbitraire, ou bien peut-on trouver un sens à la manière dont sont
nommées les choses ? »
L’analyse (page 195) sur notre attitude de lecteur est un
régal.
Son esprit est enfiévré, ses écrits tortueux, de temps à
autre torturés, ses méthodes de piratage informatique pas si futuristes que ça
… Mais on accompagne Jake dans la découverte du tueur et on a le souhait de
comprendre.
L’inspecteur Jacowicz, « Jake » qui déteste les hommes (est
ce pour cela qu’on dit « Jake ?», refuse-t-elle son « état féminin » ?) mène
l’enquête. D’habitude, elle s’occupe plutôt de tueurs en série s’en prenant aux
femmes. Or, là c’est le contraire.
Têtue, opiniâtre, tenace, elle traque le tueur, essayant de
comprendre son mode de fonctionnement, se faisant aider par un génie de
l’informatique et un philosophe très doué. Les raisonnements logiques de Jake
m’ont interpelés, aurais-je cheminé ainsi à sa place ?
Jake ne manque pas d’humour. Se faisant draguer par un homme
demandant si le siège voisin est libre, elle répond qu’il est occupé par le
Seigneur et interpelle le prétendant en le questionnant pour savoir s’il se
préoccupe du salut de son âme. La réaction escomptée sera la bonne, il va
s’enfuir précipitamment ….
C’est une femme très intelligente, licenciée en psychologie,
qui suit une psychothérapie et porte en elle une part d’ombre qui la rend très
humaine. Son attitude, l’énergie qu’elle met à déchiffrer les événements, la
rendent attachante.
La réalité virtuelle et le coma punitif sont les deux
visions très futuristes de l’auteur. Mais il y a aussi le « dialogue » entre le
tueur et Jake, qui apporte « un plus » au roman. Arrivera-t-il à contenir sa
violence, à discuter avec elle ? Sera-t-elle capable de rentrer en contact avec
lui alors qu’elle déteste les hommes ?
À éviter sur la plage ou si on a peu de temps, ce livre demande de la concentration pour en apprécier la qualité et l’originalité qui lui donnent toute sa valeur.
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