Fracassé (Shattered)
Auteur : Hanif Kureishi
Traduit de l’anglais par Florence Cabaret
Éditions : Bourgois (2 Janvier 2025)
ISBN : 978-2267053326
314 pages
Quatrième de couverture
Le 26 décembre 2022, alors qu’il passe les fêtes de fin
d’année à Rome dans la famille de son épouse, Hanif Kureishi perd connaissance
et fait une chute. Quand il se réveille, on lui apprend que cet accident le
laissera définitivement paralysé. Mais très vite, pour ne pas se laisser
abattre sur son lit d’hôpital, Hanif Kureishi veut écrire, s’exprimer, pour
survivre, ne pas devenir fou. N’étant plus capable de faire usage de ses mains,
il commence à dicter des phrases à ses proches. Pour faire le récit, jour après
jour, de sa nouvelle vie. Sa famille devient sa plume et le témoin de ses
pensées les plus personnelles, sur son état de santé, mais également sur son
passé, son couple et ses enfants, l’amour, l’immigration, le sexe et
l’écriture.
Mon avis
Autrefois, j’avais la capacité d’agir, j’ai eu un aperçu
d’une certaine liberté, avant que tout ne me soit retiré, pour me laisser face
à cette seule dépendance et à la rage de l’impuissance.
D’Hanif Kureishi, je ne connaissais que « My Beautiful
Laundrette », film dont il a écrit le scénario. J’ignore tout de ses romans.
Maintenant que j’ai lu son dernier livre, je connais un peu l’homme à travers
tout ce qu’il partage dans ce dernier écrit et j’ai envie de lire d’autres
titres de lui.
Le lendemain de Noël 2022, il s’évanouit et se réveille
tétraplégique. Non seulement, il ne peut plus tenir ses stylos et écrire sur la
page, mais il a besoin d’être assisté pour tout ! D’abord hospitalisé en Italie,
où il était avec sa femme au moment où sa vie a basculé, il finit par revenir
en Angleterre et après une rééducation pour récupérer un peu d’autonomie, il
rentre chez lui, en décembre 2023. Bien entendu des aménagements ont été mis en
place tant humains que matériels.
Dans ce livre, on découvre des « chroniques », dictées
à sa famille pendant cette année de « transition », d’acceptation. Il
se confie sans tabou, il parle de son quotidien bouleversé, de sa perte de
dignité, de l’obligation « d’apprendre la patience ». Il a décidé de
continuer d’écrire « pour s’empêcher de mourir de l’intérieur ».
Malgré le contexte difficile, la révolte qui l’habite, il ne
reste pas concentré sur son nombril, il décrit son expérience de malade,
raconte ses rencontres. Il explique comment il est venu à l’écriture, ce besoin
impérieux de coucher les mots sur le papier. Il présente le processus d’écriture
qui était le sien, par « association ». Il n’oublie pas son amour de
la lecture.
« Une fois que j’ai su lire, j’ai été libre. » (comme
je le comprends !)
Il a le sentiment d’avoir perdu son corps, il a fallu qu’il
s’en accommode après le choc de ce qui lui est arrivé. Les journées sont longues
lorsqu’on ne peut pas se gratter l’oreille, mettre la télévision en route,
tourner les pages d’un journal ou utiliser la souris de son ordinateur (et j’en
passe…)
Alors, il attend et espère les visites car la conversation, l’écoute, prennent
tout leur sens. Dialoguer éloigne les démons, la déprime, permet de revenir à
une espèce de normalité.
Dans ces pages qui ressemblent à celles d’un journal intime,
Hanif Kuresihi n’élude aucun sujet. Il n’oublie pas que ce tsunami a des répercussions
sur toute sa famille. Il cite des anecdotes de son passé, d’autres de ce « nouveau »
présent. Il évoque le sexe, l’amour, les difficultés de la dépendance, son
corps qui ne lui répond plus et qui est ausculté en un an plus que dans toute
sa vie d’avant. Il rappelle l’obligation de subir des soins intimes, d’entendre
parfois certains commentaires comme lorsqu’on observe son pénis pour vérifier qu’il
n’y a pas d’infection. Il se met à nu et ne nous cache pas grand-chose, c’est
courageux ! Malgré sa situation, il nous fait sourire, il fait preuve de
dérision, d’ironie mordante et surtout d’une intelligence exceptionnelle.
Son corps ne répond plus comme avant mais son esprit vif est
intact. Il ne se plaint pas, mais parfois il lâche un « j’aurais aimé
que ce qui m'est arrivé ne se soit jamais produit ». Il s’est même
posé la question : pourquoi moi ?
Ce recueil ne présente pas le cheminement d’un homme vers la
résilience. Il y a des hauts, des bas, des coups de déprime, de colère, de
révolte, des petites joies (le retour à la maison même si son bureau est à l’étage
donc inaccessible… )
J’ai trouvé l’extrait ci-dessous particulièrement édifiant.
« Je ne serai plus jamais comme eux ; je vais
devoir apprendre comment habiter cette personne que je suis devenue. Mais
je n’en ai aucune envie, je suis aux prises avec un combat intérieur, je ne
veux pas abandonner celui que j’étais avant. »
Plusieurs émotions se glissent entre les pages, parfois il
remercie ceux qui l’aident, parfois les souvenirs reviennent au galop, avec
nostalgie ou un petit sourire pour ce qu’il a vécu avec les uns ou les autres.
La douleur est quelques fois violente et il n’en peut plus.
Pourtant il éprouve le besoin d’écrire encore et encore, pas tout de suite un
roman, car ce qu’il vit l’occupe trop, mais écrire… Qu’il se rassure, c’est
magnifique, émouvant, ça sonne juste et c’est un coup de cœur !
NB : merci à la traductrice.