"Les bains de Kiev" d'Andreï Kourkov (Samson i bannoye delo) (Самсон и Надежда)

 

Les bains de Kiev (Samson i bannoye delo) (Самсон и Надежда)
Auteur : Andreï Kourkov
Traduit du Russe 5ukraine) par Paul Lequesne
Éditions : Liana Levi (9 Octobre 2025)
ISBN : 979-1034911332
386 pages

Quatrième de couverture

Kiev, printemps 1919. Vingt-huit soldats de l’Armée rouge ont mystérieusement disparu aux bains municipaux. N’ont été retrouvés que leurs vêtements laissés au vestiaire. Ont-ils déserté ? Ont-ils été assassinés ? Et par qui ? Des brigands, des agents de la contre-révolution ? Samson mène l’enquête. Il arpente les rues de Kiev, met à profit les rudiments de formation qu’il a reçus, et progresse dans l’art d’interroger témoins et suspects. Méthodiquement, il remonte la trace des disparus, utilisant les pouvoirs de son oreille coupée. Au fil de ses investigations, il explore les fausses pistes et met à jour d’autres affaires d’importance.

Mon avis

Ce roman fait partie d’une série (le contexte et quelques individus récurrents sont présents) mais peut être lu indépendamment.

1919, Kiev. Samson est devenu milicien enquêteur un peu par hasard. Il vit avec Nadejda qu’il a épousée. Il rentre parfois tard mais leur couple tient bon, ils s’aiment. Au travail, il arrive que ses supérieurs lui demandent de résoudre des affaires délicates. Il doit se faire discret pour mener ses investigations, se méfier de certains et être vigilant pour ne pas se mettre en danger inutilement.

Dans la ville, différents groupes s’opposent, l’Armée rouge ou blanche, des russes, des ukrainiens, des chinois. Les bolcheviks ont pris le pouvoir. C’est la guerre d’indépendance ukrainienne et le moins qu’on puisse dire, c’est que la vie quotidienne, les soirées, les nuits sont agitées et qu’il est très difficile de savoir à qui faire confiance. Sortir seul le soir n’est pas recommandé car même ceux qui surveillent la ville peuvent ne pas être d’accord entre eux sur qui doit être surveillé ou arrêté. Alors, il faut être prudent en permanence sur ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on partage.

Les bains municipaux ont du succès. On y vient en couple ou entre amis. Un soir, vingt-huit soldats de l’Armée rouge fêtent un anniversaire avec du caviar et des bouteilles. Mais le lendemain, il ne reste que leurs vêtements et aucun indice sur ce qu’ils ont pu devenir. Auraient-ils déserté ? Pourquoi de cette manière et où sont-ils maintenant ? Ont-ils été tués, et par quoi et pourquoi ? Toutes les hypothèses sont possibles…. C’est Samson qui essaie de résoudre cette affaire pour le moins surprenante, une trentaine d’hommes d’un coup, ça fait beaucoup ! Il s’aide de son oreille amputée qui entend à distance et qu’il peut cacher car elle ne se détériore pas.

Lorsqu’il découvre un indice aux Bains, il pense qu’il a trouvé lé solution et que tout va se terminer très vite. Mais pas du tout. La piste ne s’avère pas être celle qu’il croyait et il doit réfléchir pour avancer. Il ne manque pas d’imagination et a un excellent sens de l’observation. Il tente des « expériences » (le coup du cheval est amusant) et ça fonctionne.

Je crois que c’est ce que j’aime le plus lorsque je lis cet auteur, ce savoureux mélange d’absurdité (très très bien dosée) et de rationnel. Les petites « choses » décalées sont absolument « délicieuses » car c’est très fin, on a les yeux qui « frisent » même plusieurs jours après avoir lu.

La cité de Kiev a une place à part entière dans le récit. On dirait qu’elle a un cœur, qu’elle « respire ». Samson ne s’y trompe pas, il voit bien que, suivant les lieux ou les quartiers, il doit donner une image de lui-même qui correspond à l’endroit et aux personnes rencontrées. Il fait le caméléon, il s’adapte. Quelques fois, on se dit qu’il est un peu naïf mais pas du tout, il examine avec certaine forme de candeur mais également beaucoup de sérieux.

L’écriture d’Andreï Kourkov (merci au traducteur) est plaisante, raffinée dans le sens où elle est posée, de qualité, avec des scènes, des dialogues et les ressentis des protagonistes parfaitement exprimées. En situant les aventures de Samson dans ce « décor », l’écrivain fait passer un message sur les relations humaines, lorsque les hommes se heurtent, se disputent, se battent sans réfléchir ni se mettre à la place de celui qui est en face.

Pour moi, tout cela est tout à fait équilibré et réussi !

L’origine de cette série de livres sur Kiev en 1919 est intéressante. L’auteur explique qu’une personne lui a remis lors de l’automne 2019, en pleine pandémie, un carton avec des documents datant 1919 et provenant de la police secrète bolchevique. Il s’est alors plongé dans cette période de l’Histoire et a été totalement passionné. Voulant partager ce qu’il s’est passé à ce moment, il a fait d’autres recherches puis a pris la décision d’écrire. Petit à petit tout s’est mis en place. Il a le sentiment d’arpenter la ville et ses rues à l’époque, il « visualise » les lieux et les événements qu’ils décrits … pour notre plus grand plaisir !

"La villa aux étoffes - Tome 1" d'Anne Jacobs (Die Tuchvilla)

 

La villa aux étoffes - Tome 1 (Die Tuchvilla)
Auteur : Anne Jacobs
Traduit de l’allemand par Anne-Judith Descombey
Éditions : Charleston (16 Juin 2020)
ISBN : 978-2368125090
596 pages

Quatrième de couverture

Augsbourg, automne 1913. Marie quitte l'orphelinat pour entrer comme femme de cuisine dans la somptueuse villa des Melzer, une famille de riches industriels du textile. Tandis qu'elle tente de trouver sa place parmi les domestiques, à l'étage des maîtres, c'est l'ouverture de la saison des bals qui occupe tous les esprits. Car cette année, Katharina, la fille des Melzer, doit faire son entrée dans le monde. Seul Paul, l'héritier, semble étranger à cette agitation, déterminé à prendre ses distances avec sa famille...

Mon avis

Premier tome d’une saga familiale commençant en 1913, ce roman est très plaisant à lire.

On fait connaissance avec la famille Melzer, les parents, leurs deux filles et leur fils. Ce sont de riches industriels dans le domaine du textile. Vu leur niveau de vie, ils ont de nombreux employés avec qui, pour la plupart, ils sont assez exigeants. C’est comme ça que la jeune Marie, qui a passé beaucoup de temps à l’orphelinat, arrive comme fille de cuisine dans cette propriété.

Dès les premières pages, on sent qu’elle a du caractère, qu’elle n’aime ni le mensonge ni l’injustice et qu’elle ne se laissera pas faire. Je me suis attachée à elle face à cette attitude un peu « rebelle » dans le sens où elle se démarque des domestiques habituels.

Les trois enfants de la famille sont différents. Katharina a un tempérament artiste et est plutôt jolie. Paul, c’est le fils dont on espère (et attend) qu’il reprenne l’usine bien que cela ne semble pas sa priorité. Elisabeth est plus discrète, moins belle, on la remarque moins et de fait, on s’intéresse moins à elle ce qui la chagrine. Quelques tensions existent entre eux trois au grand des parents.

On va donc suivre l’histoire de tous ces personnages, suffisamment bien décrits pour qu’on ne se mélange pas. On découvre les relations entre patrons et employés tant à l’usine qu’à la villa. Les rôles bien définis (surtout pour les femmes), les petites révoltes qu’on essaie d’étouffer, les non-dits, les jeux d’influence pour les mariages et la vie à cette époque qui est bien présentée.

L’obligation d’être « dans la norme », dans les conventions est omniprésent. Le lecteur comprend vite qu’il n’est pas aisé de sortir de ce qu’on attend de vous …. Mais que de cachotteries ! C’est parfait pour maintenir notre intérêt, nous faire poser des questions …

À part une ou deux petites erreurs de temporalité, j’ai trouvé le contexte intéressant et parfaitement expliqué. L’écriture est fluide, le vocabulaire bien choisi, merci à la traductrice.

C’est une lecture détente, abordable et agréable. Le récit se termine à la veille de la première guerre mondiale et on se doute bien que les hommes vont partir… qui fera tourner l’usine ? À suivre ….


"Les braises de l'incendie" d'Éric Decouty

 

Les braises de l’incendie
Auteur : Éric Decouty
Éditions : Liana Levi (2 Octobre 2025)
ISBN : 979-1034911387
354 pages

Quatrième de couverture

« Ne pas faire de zèle. » Voilà ce qu’on rabâche au juge Krause depuis qu’il est chargé d’instruire l’affaire de l’hôtel Caumartin. Dans la nuit du 8 avril 2005, cet hôtel social délabré où s’entassaient des immigrés africains a été réduit en cendres par un violent incendie. Comment « ne pas faire de zèle » quand 28 personnes ont perdu la vie ? Pris dans une tourmente personnelle, le juge Krause n’est pas sûr d’avoir la force de mener à bien cette enquête. Jusqu’à ce qu’il croise la route de Nathalie Ségurel, une jeune avocate qui lui remet un témoignage inédit. Tano, un adolescent ivoirien, a disparu après avoir vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ce soir-là. Le juge et l’avocate se lancent à sa recherche, écoutant leur instinct quitte à franchir la ligne rouge.

Mon avis

Le juge Krause est dans un « placard ». Il y a quelques années, sa façon de faire, en remuant ce qui ne sent pas bon, a dérangé, surtout parce que ça touchait des collègues corrompus. Alors, maintenant, il est sur la touche, un peu oublié de tous, avec des petits dossiers à régler.

Et puis, voilà qu’on lui confie une affaire délicate. La nuit du 8 Avril 2005, vingt-huit personnes, dont des enfants, sont décédés dans un incendie. Elles étaient installées, en surpopulation, avec d’autres, dans un hôtel insalubre. À lui de mener l’instruction avec pour consigne principale de « Ne pas faire de zèle ». Deux courants « opposés » encadrent sa « nomination », certains voudraient que, comme, autrefois, il aille au fond des choses, qu’il ose et d’autres qu’il ne creuse pas trop, que tout cela reste un fait divers, certes, tragique, mais sans remous car du côté des propriétaires, ce n’est pas très « propre ».

Alors que va choisir cet homme, miné par des problèmes personnels ? Aura-t-il l’envie, la force de s’investir dans des investigations qui peuvent le mettre face à des situations où les choix seront difficiles ?

Sa rencontre avec Nathalie Ségurel, une jeune avocate, le motive. Elle a recueilli le témoignage d’une petite fille rescapée de la fournaise. Elle a perdu sa mère et sa sœur et cherche son grand-frère sorti avant que le feu prenne. Le juge et l’avocate forment un duo atypique, improbable, mais attachant. Ils n’auront de cesse de comprendre tous les enjeux qui se cachent derrière les apparences. Mais trouver la vérité peut parfois provoquer des dommages qu’on ne maîtrise plus, qui protéger et pourquoi ?

« La vérité contre la promesse d’un avenir ravagé. »

Est-ce que la doyenne en lui confiant ce dossier espère des réponses ou veut-elle l’aider à avancer, à tenir le coup, lui qui a un quotidien difficile ? En tout cas, elle a bien fait car il ne lâche rien. Ce qui est le plus compliqué pour lui, c’est de gérer les informations qu’il récolte, pouvant mettre des personnes en danger ou les compromettre.

Krause et Ségurel prennent des risques, transgressent un peu les règles pour obtenir des éléments afin de cerner la personnalité de chacun. Mais ils sont face à des décisions qui peuvent tout bouleverser. Que vont-ils faire ?
C’est très intéressant de suivre leurs raisonnements parce qu’on s’interroge. Quelle position aurait été la mienne à leur place ? Qu’est-ce qui est le mieux, qui croire ?

C’est le quatrième roman que je lis de cet auteur et je l’ai trouvé extrêmement juste, complet. Éric Decouty était journaliste spécialisé dans les affaires politico-financières. Son écriture est très précise, « fouillée », jamais rébarbative car il insère des dialogues, évitant ainsi toute monotonie dans le propos. Son récit fait froid dans le dos, il nous ouvre les yeux ou nous rappelle ce qu’on connaît déjà. La précarité dont on sait qu’elle existe mais qu’on « oublie » parfois. Les jeunes d’origine étrangère qui, même avec Bac + 5, galèrent à trouver un boulot. L’embrigadement dans les cités entre trafic de drogues ou influence des islamistes radicaux. Quel avenir leur propose la société ? Quel encadrement, quelles propositions d’accompagnement ont-ils ? Que mettre en place pour éviter les erreurs de « trajectoire » ? Et quid des marchands de sommeil, de ceux qui se remplissent les poches en profitant de la vulnérabilité des autres ?

C’est un livre édifiant, au contenu lucide. Le rythme est excellent, pas de temps mort, des protagonistes bien campés et très crédibles. Le texte est abouti et l’ensemble absolument réussi.  À conseiller et à lire !


"Enfant brûlée cherche le feu" de Cordelia Edvarson (Bränt barn söker sig till elden)

 

Enfant brûlée cherche le feu (Bränt barn söker sig till elden)
Auteur : Cordelia Edvardson
Traduit du suédois par Anna Gibson
Éditions : Christian Bourgois (2 Octobre 2025)
ISBN : 978-2267056013
210 pages

Quatrième de couverture

Élevée dans la tradition catholique dans le Berlin des années 1930, Cordelia est une jeune fille à part. Elle aime la poésie, surtout celle qu'écrit sa mère, la belle et reconnue écrivaine Elisabeth Langgässer, qu'elle admire tant. Mais la jeune Cordelia ignore que le père qu'elle n'a jamais connu était juif. Sa mère est quant à elle plus occupée à poursuivre sa carrière en faisant oublier ses propres origines juives auprès des dignitaires nazis qu'à protéger sa fille. Alors, à quatorze ans, Cordelia est déportée. Elle survit à l'enfermement à Theresienstadt puis à l'enfer d'Auschwitz. Grâce à la Croix-Rouge suédoise, elle se retrouve après la libération à Stockholm, où elle réapprend à vivre.

Mon avis

Cordelia Edvardson est née en 1929 à Berlin et morte à Stockholm en 2012, après une longue vie consacrée au journalisme et à l'écriture. En 1977, après la guerre de Kippour, elle s'installe en Israël, où elle travaille en tant que correspondante pour un grand quotidien suédois.

Née d’un père juif inconnu, Cordelia a été élevée par sa mère, une écrivaine. Celle-ci lui lisait des extraits de ses romans, de ses poèmes, même lorsqu’elle était enfant. Cela lui a donné le goût des mots.

« Emplie, submergée, enivrée par les mots, leur texture, leur goût, leur parfum, leur couleur, la gamine s’ouvrait alors. […] Qu’ils soient prononcés, lus ou écrits, les mots sont nourriture. »

Les mots la sauveront, la soutiendront dans toutes les épreuves de la vie (et rien ne lui sera épargné). Oserais-je écrire que c’est la seule chose positive que lui a offert celle qui, en lui faisant la lecture, lui a donné l’amour des mots ?
Elle lui a également donné une petite croix, quand elles ont été séparées mais, vu les circonstances, à mon avis, c’était une façon, pour sa génitrice, de se dédouaner face à une situation où elle n’avait pas le beau rôle….

Cette dernière se marie lorsqu’elle est petite et son beau-père la frappe. Elle souffre mais personne ne s’en rend compte. Elle commence à être « invisible » ce qui continuera lorsque, pendant la seconde guerre mondiale, elle sera déportée à quatorze ans. Pourquoi ? Parce qu’à moitié juive…  

Enfant, elle a baigné dans la religion catholique alors, elle ne comprend pas que d’un coup, elle soit juive. Dans un premier temps, elle rejette l’étoile jaune. Mais elle sent qu’elle met sa famille en danger, qu’elle est le petit coucou qu’il faut expulser du nid. C’est tellement dur pour elle….

Sa mère essaie un stratagème en la plaçant pour la cacher aux yeux de la loi mais ça ne fonctionne pas. Et elle se retrouve dans les camps, à se battre chaque jour pour manger, marcher, dormir…. Devenue un numéro, elle doit lutter pour survivre. Elle saisit vite qu’il vaut mieux avoir l’air en bonne santé pour être jugée apte au travail et ainsi rester en vie. Comme d’autres, elle apprend à faire de la soumission un acte : au lieu de se résigner à son sort, il est mieux de le revendiquer. Malgré son désir de vivre, elle reste hantée par une question : pourquoi maman, m’as-tu abandonnée ? Parfois elle tisse des liens mais tout cela reste fragile. Le quotidien qu’elle décrit est abominable, terrible et dire qu’elle n’est qu’une jeune fille…. Comment continuer à avancer ? Ne pas avoir le souhait de se coucher pour ne plus jamais se relever ? J’étais en apnée pendant ma lecture lorsque pendant ces passages.

Cordelia a été une femme forte, capable de rester droite malgré une relation difficile avec ce qu’on nomme aujourd’hui, une mère dysfonctionnelle, indifférente. Comment peut-on aimer si mal sa fille ? Et comment se construire en vivant de tels événements ?

Dans ce récit, Cordelia parle d’elle en disant « elle », « la fillette » etc. je me suis interrogée sur ce « je » qui est absent. Est-ce une façon de mettre à distance la souffrance, de se protéger des souvenirs douloureux qui remontent afin de les éloigner, de les rendre moins présents ? Je ne sais pas. Mais, même avec cette forme d’expression, ses phrases (merci à la traductrice) font mouche et nous touchent. Elle a une écriture lumineuse, vibrante, qui irradie. La lire, c’est être sentir chaque mot pénétrer en nous, c’est absorber ce qu’elle a vécu, c’est serrer les poings en se disant « non, pas ça »….

On peut dire qu’elle a été courageuse, volontaire, droite etc. Les qualificatifs sont bien pauvres pour une femme exceptionnelle qui aurait pu mourir plusieurs fois mais qui a toujours tenu bon.

Ce livre restera gravé en moi.

"Bruxelles Guide vert voyage & cultures" de collectif (Michelin)

 

Bruxelles
Guide vert voyage & cultures
Éditions : Michelin (26 Septembre 2024)
ISBN : 978-2067265585
180 pages

Quatrième de couverture

- Les incontournables (classés 1, 2 ou 3 étoiles) :  La Grand-Place***, Musées royaux des Beaux-Arts***, Atomium** ...
- Les coups de coeur : «Gravir» le Mont des Arts et arpenter les allées de ses musées. S’adonner sans retenue à la streetfood bruxelloise. Découvrir le port et les quartiers en pleine mutation le long du canal ...
- Les bonnes adresses pour tous les budgets :  se restaurer, prendre un verre, shopping, sortir, se loger
- De nombreux plans détaillés et des suggestions d’itinéraires.
- Un plan d'ensemble détachable pour retrouver les adresses et les principaux sites étoilés de la destination.

Mon avis

Ce guide vert est très bien fait et les conseils donnés sont excellents !

Il y a un plan détachable où on retrouve les principaux lieux à visiter. Ensuite, les points d’intérêt sont détaillés par quartiers avec plans et photos. Et évidemment les meilleurs restaurants, bars et boutiques à explorer. On trouve également un résumé pour un séjour de trois jours.

J’ai beaucoup apprécié ce guide, varié, complet, et avec un résumé historique de certains monuments, ce qui complète parfaitement ce qu’on observe sans toutefois connaître toute l’histoire des lieux.

Le livre est très bien agencé, le haut des pages en couleurs permet de se repérer, les symboles, les classements par étoiles et les repères sont très clairs. C’est vraiment pratique car en plus il n’est pas volumineux (12 cm sur 16 cm pour une épaisseur d’1 cm) et rentre dans une poche ou un petit sac.

Toutes les bonnes adresses étaient à jour.

Désireuse de visiter d’autres villes européennes, je ferai confiance au petit guide Michelin.





"Les communications animales de Milo et Jade" de Aurélie Gombault & Florine Danjou

 

Les communications animales de Milo et Jade
Tara est agressive avec les autres chiens
Auteurs : Aurélie Gombault & Florine Danjou
Éditions : Chérubins Éditions (16 Mai 2025)
ISBN : 978-2487628151
162 pages

Quatrième de couverture

Milo et Jade ont une capacité particulière : ils communiquent avec les animaux ! Lorsque Tara, une chienne agressive avec ses congénères, est privée de promenades par ses gardiens inquiets, les deux amis décident d’intervenir. Avec l’aide de Lisa, une spécialiste en communication animale, ils vont tenter de percer le mystère de son comportement. Et si Tara essayait simplement d’envoyer un message que personne ne comprend ?

Mon avis

Florine Danjou est animaste, naturopathe pour les animaux, praticienne en communication animale. De sa rencontre avec Aurélie Gombault est né ce recueil qui donne des pistes pour mieux appréhender les réactions des animaux familiers, être à leur écoute, les comprendre et ainsi apporter des réponses lorsque leurs comportements surprennent, voire dérangent.

En partant de l’histoire de deux amis Milo et Jade, le récit présente une chienne, Tara, qui a une attitude agressive avec les autres chiens. Florine Danjou explique dans la préface que les enfants sont intuitifs et savent plus facilement communiquer avec les animaux pour leur redonner confiance. De plus, partir d’eux permettra de toucher un public de jeunes.

La pratique évoquée dans ce livre fait appel aux cinq sens et à une certaine forme d’intuition. La personne qui cherche à établir un lien avec l’animal doit être calme, « se couper » du bruit extérieur et des sollicitations pour « entendre » ce que veut transmettre l’animal.

Parfois, il faut d’abord faire appel à un ou une éducateur trice avant de tester cette façon de faire car c’est trop compliqué à gérer.

À travers les événements vécus par les personnages de ce livret, le lecteur découvre ce qui peut être mis en place, en confiance, pour faire évoluer une situation délicate.

Le texte, très clair, est accompagné de belles illustrations (les protagonistes sont d’ailleurs dessinés dans les premières pages pour bien situer les différents intervenants). Le vocabulaire est à la portée de jeunes à partir de huit / neuf ans et pour des collégiens. Le rythme est plaisant et les nombreux dialogues donnent de la vie à l’ensemble. J’ai trouvé le contenu intéressant, j’ai beaucoup appris.

Une annexe donne la parole à Tara, on cerne son passé et on a des explications sur ce qu’elle a vécu et qui a pu engendrer son attitude bagarreuse. Comme quoi, il est important de se pencher sur le passé de nos amis les bêtes.

Dans la seconde annexe, les points clés pour réussir sont évoqués, simplement, sans fioriture. Suivront deux petits tests et quelques mots sur les autrices.

Ce recueil, très complet est une belle entrée en matière sur le sujet de la communication animale.

Animaste

"Les enfants sont rois" de Delphine de Vigan

 

Les enfants sont rois
Auteur : Delphine de Vigan
Éditions : Gallimard (4 Mars 2021)
ISBN : 978-2072915819
352 pages

Quatrième de couverture

"La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s'étonna de l'autorité qui émanait d'une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l'obscurité. “ On dirait une enfant ”, pensa la première, “elle ressemble à une poupée”, songea la seconde. Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire." À travers l'histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d'une époque où l'on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine de Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s'expose et se vend, jusqu'au bonheur familial.

Mon avis

Mêlant faits réels (et édifiants) à de la fiction, Delphine de Vigan nous éclaire, si besoin est, sur l’emprise du numérique, ses déviances, ses dangers….

Elle commence son récit en 2019, à une époque où, déjà, certains se mettent en scène sur les réseaux sociaux ou les chaînes YouTube. C’est le cas de Mélanie, qui, admirative des « stars » (si on peut parler de star) de la téléréalité, a tenté de percer dans une émission. Elle n’a pas été retenue et elle est ressortie blessée de cet échec. Des années plus tard, mariée et mère de deux enfants, elle tient sa revanche. C’est une des femmes les plus suivies grâce à la chaîne qu’elle a mise en place pour mettre en avant le quotidien de sa progéniture. Eux, ils ont suivi, que ne feraient-ils pas pour plaire à leur mère. Ils déballent les cadeaux offerts par les marques, commentent, signent des autographes et font des selfies avec tous les gosses qui les admirent, les aiment et peut-être, pour certains, les envient. Une vie de paillettes où tout n’est qu’apparence ….

Ce qui, au début, pourrait s’apparenter à un jeu, un loisir, est devenu, au fil du temps, un vrai travail, minuté pour être rentable. Tout est calculé, mesuré, il y a même un studio d’enregistrement au domicile familial… L’auteur montre la lente mais sûre dérive vers cette mainmise, cette quasi impossibilité de revenir en arrière. La mère est heureuse, mais son fils et sa fille sont-ils épanouis ? En étant jalousés, ne risquent-ils pas de souffrir ?

Un jour, la fille de Mélanie disparaît et une enquêtrice, Clara, se charge des investigations. Cette fillette a-t-elle été enlevée ? Par qui ? Et pourquoi ? Clara découvre ce monde totalement différent du sien. C’est un choc. En avançant dans ses recherches, elle souhaite des réponses, mais tout ce qu’elle entrevoit va au-delà de ce qu’elle avait imaginé ….

« C’est un monde dont l’existence nous échappe. »

Delphine le Vigan s’est beaucoup renseigné, son récit contient de nombreuses informations, notamment sur les financements de ces chaînes et le vide juridique en matière de protection de l’enfance. Les jeunes chanteurs, comédiens, sont soumis à une réglementation mais pour les mineurs youtubeurs, en 2019, il n’y avait rien, aucune contrainte, aucune loi …

La procédurière, Clara, qui investigue, essaie de cerner le mécanisme et les rouages de cet univers « parallèle » et elle tombe des nues face à certaines situations. Elle visionne des images, réfléchit, creuse, pousse le père et la mère dans leurs retranchements …

Les portraits de ces deux femmes, que tout oppose, sont saisissants de réalisme. Peuvent-elles se comprendre ?

On bascule ensuite dans les années 2030 où l’on voit ce que chacun est devenu. C’est alors une réflexion profonde, nourrie, qui nous projette dans un futur qui sera bientôt un présent si « on » laisse les dérives s’installer…

J’ai été scotchée par tout ce qui est transmis dans ce récit. C’est, malheureusement, très juste.

Ce roman est une piqûre de rappel, un texte fort, addictif, effrayant par certains aspects. On y va tout droit, il est temps d’agir….. Il faut communiquer sur ces sujets, faire de la prévention dans les écoles et ailleurs. À offrir, à prêter, à faire lire encore et encore.


"Une terrible délicatesse" de Jo Browning Wroe (A Terrible Kindness)

 

Une terrible délicatesse (A Terrible Kindness)
Auteur : Jo Browning Wroe
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Carine Chichereau
Éditions : Les Escales (25 Août 2022)
ISBN : 978-2365695916
448 pages

Quatrième de couverture

Octobre 1966. William Lavery, dix-neuf ans, vient de recevoir son diplôme. Il va rejoindre, comme son père et son grand-père avant lui, l'entreprise de pompes funèbres familiale. Mais alors que la soirée de remise des diplômes bat son plein, un télégramme annonce une terrible nouvelle : un glissement de terrain dans la petite ville minière d'Aberfan a enseveli une école. William se porte immédiatement volontaire pour prêter main-forte aux autres embaumeurs. Sa vie sera irrémédiablement bouleversée par cette tragédie qui jette une lumière aveuglante sur les secrets enfouis de son passé. Pourquoi William a-t-il arrêté de chanter, lui qui est doué d'une voix exceptionnelle ? Pourquoi ne parle-t-il plus à sa mère, ni à son meilleur ami ?

Mon avis 

1966. William a dix-neuf ans, il a reçu récemment son diplôme d’embaumeur, un métier « familial » puisque son père, son grand-père, son oncle, ont eu ou ont encore le même emploi dans l’ entreprise qu’ils ont fondée. Il est jeune et pourtant, il ne peut pas dire non et se rend, avec d’autres à Aberfan, au pays de Galles, où un glissement de terrain a englouti une école et des maisons, tuant cent seize enfants et vingt-huit adultes (c’est un fait réel). Pendant des heures, il redonne allure humaine aux corps pour que les parents puissent les identifier et « faire leur deuil ». Il est concentré, il accompagne autant les vivants dans leurs démarches de reconnaissance que les morts pour les rendre « beaux »…. Mais ces journées intenses ne le laisseront pas indemne, il voit la souffrance des mères confrontées à la perte d’un enfant, ce qui n’est pas dans « la logique ». Comment va -t-il ressortir de cette mission, comment « se retrouver » et continuer d’avancer lorsqu’on a vu l’indicible ? Il est non seulement bouleversé, mais il a perdu toute forme d’innocence.

« Mais Aberfan lui a arraché ses entrailles, l’a broyé et expédié dans une dimension insondable. »

Mais pourquoi a-t-il choisi cette profession, quel a été son cheminement ? Plusieurs retours en arrière permettent de comprendre le parcours de ce jeune homme, excellent chanteur, choriste, qui aurait pu « vivre » de sa voix. Pourquoi a-t-il cessé de chanter, lui qui avait une tessiture exceptionnelle ? Pourquoi a-t-il coupé tout contact avec certaines personnes ?

William n’a pas de soutien psychologique alors qu’il intervient sur les lieux d’une tragédie (à l’époque, je pense que ça n’existait pas). Il doit se débrouiller seul avec le traumatisme, les cauchemars, tout ce qu’il rapporte avec lui. Il avait déjà un passé un peu difficile et ça n’arrange rien.

J’ai découvert tout ça au fil des chapitres. C’est un magnifique roman d’apprentissage, qui parle de la masculinité sous toutes ses formes. De nombreux aspects sont explorés, à l’école, pendant les études supérieures, en famille, en couple, avec des amis -es.  

 J’ai lu que l’auteur a grandi dans un crématorium. Est-ce pour cette raison qu’elle a choisi de parler des thanatopracteurs dans son premier titre ? A-t-elle des souvenirs de la catastrophe d’Abferfan ? (Je n’ai pas sa date de naissance). J’ai trouvé l’approche de cet emploi, très « particulier », bien faite. J’ai ouvert les yeux sur toute l’humanité qu’il y a derrière les gestes « médicaux », on peut même parler d’amour.  Ce récit aurait pu être un peu trop « on va pleurer dans les chaumières » mais l’écueil a été évité. Le texte ne s’appesantit pas sur les moments douloureux, quels qu’ils soient, ni pathos, ni voyeurisme. La construction, avec différentes temporalités, permet d’envisager plusieurs hypothèses avant de savoir la vérité et de cerner tout ce qui a fait que William est tel qu’on le rencontre au début de l’histoire.

L’écriture est plaisante, addictive (merci à la traductrice). Les scènes sont bien décrites, les émotions des personnages également. On voit toute la complexité des relations humaines, le poids du passé dans les familles, les difficultés à dialoguer, à s’écouter, à accepter les choix des uns ou des autres lorsqu’ils ne sont pas ceux qu’on aurait espérés … J’ai apprécié les différents personnages avec une préférence pour Betty (même si elle intervient peu) et sa sagesse….

Une chanson galloise : Myfanwy, ainsi que le Miserere sont des fils conducteurs émouvants (je vous conseille d’écouter la première).

Une belle réussite pour un premier opus !


"La Revue Dessinée été 2025 n°48" de Collectif

 

La revue dessinée été 2025 n° 48
Auteurs : Collectif
Éditions : La Revue Dessinée (4 Juin 2025)
ISBN : 9782382640289
180 pages

Sommaire

Jean-Marie Le Pen / "Le poignard d'Algérie" - 1957 : Ahmed Moulay est tué par des parachutistes français. Bien plus tard, une journaliste opiniâtre retrouvera la preuve accusant le fondateur du Front national.
Aide sociale à l'enfance / "À bout de souffle" - Des jeunes en danger laissés dans des familles qui les maltraitent, ou logés dans des campings, faute de places en foyer... Mission publique historique, la protection de l'enfance traverse une crise profonde.
Écologie / "Sève qui peut" - Comment recréer des forêts sans se planter ?
Armée / "Absents à l'appel" - Tous les ans, un millier de soldats sont jugés pour désertion.
Précarité alimentaire / "Changer de recette" - Cinq millions de Français ont faim : les dons ne suffisent plus.

Mon avis

Abonnée depuis plusieurs années à « La Revue Dessinée », je ne me lasse pas de cette forme de lecture. Des journalistes et des dessinateurs traitent de nombreux sujets sous formes de bandes dessinées, ce qui rend le propos agréable à lire.

Le sommaire ne reprend pas tous les thèmes abordés. Certains sont récurrents comme Face B qui parle de musique, toujours en noir et blanc et avec le même style de vignettes. Il y a également « la sémantique est élastique » sur des mystères de la langue française où l’on retrouve tout le temps les mêmes personnages qui dialoguent. Ou mi-temps sur la présentation d’un sport, testé par un des journalistes.

 


C’est une revue trimestrielle, ce qui permet de la lire à son rythme, sans se presser. Le premier numéro est paru en septembre 2013, après une campagne de financement participatif. Je pense que ce genre de lecture a toute sa place dans les CDI pour les collégiens et les lycéens.

Les reportages n’ont pas tous le même nombre de pages, ils sont plus ou moins longs. On y voit des personnages qui dialoguent, qui échangent. Cette forme de présentation est très vivante et moins rébarbative qu’un long article. C’est très documenté, fouillé. Parfois, il y a des numéros hors-séries avec un seul sujet traité comme, par exemple, les algues vertes. Comme les scénaristes et les dessinateurs changent régulièrement, il n’y a pas toujours le même style de BD.

Les enquêtes sont toujours édifiantes. Dans ce numéro, celle consacrée à l’aide sociale à l’enfance fait froid dans le dos. Les accompagnements sont à bout de souffle et rien n’est fait !

C'est aussi ce que j'apprécie beaucoup avec cette publication, je découvre des informations que j'ignorais...

C’est un beau cadeau à offrir à des adultes ou des jeunes qui ont envie de mieux connaître l’actualité sans se prendre la tête avec des écrits compliqués.


"Poupée" de Sylvie Callet

 

Poupée
Auteur : Sylvie Callet
Éditions  du Caïman (26 Novembre 2024)
ISBN : 978-2493739209
250 pages

Quatrième de couverture

Un soir d’hiver, sur la côte méditerranéenne, une femme surnommée Poupée se jette à la mer. Non loin de là... À vingt-cinq ans passés, Laurie, privée de revenus, est contrainte de revenir vivre chez ses parents, dans un petit village côtier du Var, à proximité de Toulon. Père manipulateur, mère sous emprise... La jeune femme a bien du mal à se réadapter à cet environnement toxique.

Mon avis

En prélude, une femme qui choisit la mort… Qui et pourquoi ?

Puis, quatre saisons, de l’hiver à l’automne suivant pour faire connaissance avec Laurie. Elle a vingt-cinq ans, plus travail, ni de revenus, elle n’a pas d’autres solutions que le retour chez ses parents, même si elle n’en a pas envie… Elle sait qu’elle va étouffer.

Le père, Benoît, fait régner un régime de terreur, il est le mâle alpha, celui qui décide de tout, des vêtements, de la musique qu’on écoute (ou pas) à la maison, des sorties (ou pas) qui sont autorisées. La mère, Ingrid, obéit, même si en cachette, parfois, elle semble, non pas se rebeller (la chape, sur ses épaules est bien trop lourde) mais transgresser, un peu, juste un peu… Laurie observe, se tait, essaie de se faire oublier, tout en espérant une autre vie….

Elle n’aurait sans doute jamais imaginé, ne serait-ce qu’une partie de ce que le destin lui réservait. Elle se retrouve confrontée à une situation qui lui échappe. Elle découvre sa mère sous un autre jour et ne sait qu’en penser. Elle se questionne mais elle-même vit des choses très fortes et elle est un peu perdue.

Dans ce décor méditerranéen où le ciel bleu est souvent là, Sylvie Callet écrit une histoire sombre. On est loin des clichés ensoleillés du midi où tout le monde profite du bon temps.

C’est un récit « habité » par les différents protagonistes. Ils sont « palpables », tout comme les lieux et les scènes présentés. Le lecteur est au cœur de l’intrigue, au plus près de chacun. Leurs émotions nous touchent ou nous hérissent, leurs peurs nous angoissent, leurs interrogations sont les nôtres…

L’écriture de l’auteur est immersive, belle car elle magnifie chaque mot pour en tirer ce qu’il a de meilleur. Le vocabulaire est celui qui correspond le mieux à ce qu’elle veut nous transmettre. Il est à la fois fort,lyrique et porteur de sens car sélectionné avec soin, chaque terme étant à sa juste place.

« Son apparition inattendue contraste de façon dérangeante avec le souvenir brouillé qu’elle s’est construit de lui, un portrait emmiellé par la sépia du temps, imprégné d’un fantasme de conte de fée auquel elle a succombé après seulement quelques jours d’absence, donnant à celle-ci une valeur d’épreuve, Pénélope moderne tricotant le jour des tresses de sagesse et de résignation, détricotant la nuit son ouvrage de patience en sanglots d’abandon – des larmes d’alcool blanc infusé de racines essouchées, d’absinthe à ravaler, de mille écorces amères – suivis d’étreintes désespérées avec son traversin . »

Ce roman aborde plusieurs thèmes, la trahison, la manipulation, l’emprise que certaines personnes ont sur d’autres, le mensonge, les non-dits familiaux, la vengeance…. La tension s’installe assez vite et monte en puissance au fil des pages, on ne souffle pas ou si peu…

Ce qui est très fort, c’est d’associer ce style incisif, marquant, parlant de noirceur, avec une certaine forme de poésie et de belles métaphores.

« Et de planter dans les siens des yeux d’une noirceur abyssale, deux sabres d’obsidienne dégouttant d’une encre luisante, épaisse comme une coulée de lave. »

Je ne savais pas à qui faire confiance, que croire. Les individus de cet opus ne sont pas « lisses », ils ont tous une face cachée, ils ne se dévoilent jamais en entier ou alors ils nous bernent. C’est toute la complexité de l’âme humaine, de ceux qui portent, parfois, un passé si lourd, qu’ils ont besoin de l’éliminer de n’importe quelle façon, parce qu’ils doivent « se libérer ». Les relations humaines ne sont pas simples et parfois le dialogue est très compliqué car certains jugent vite, trop vite et agissent sans mesurer les dégâts collatéraux.

J’ai énormément apprécié ce recueil, ces protagonistes cabossés par la vie, tellement « vivants » que je ne les oublierai pas.


"La madone rouge" de Yves Badyh al-Dahdah

 

La Madone Rouge
Thriller historique basé sur des faits réels
Auteur : Yves Badyh al-Dahdah
Éditions : Erick Bonnier (1er Mai 2015)
ISBN : 978-2367600468
470 pages

Quatrième de couverture

Rome, au premier jour de l’année 1597. Lorsque le capitaine Luigi Galoni et le substitut du procureur Boezio Giunta se retrouvent à la Chancellerie, l’atmosphère est tendue. Un ordre de mission leur a été remis pour procéder à l’arrestation du seigneur Francesco Cenci. Ils connaissent l’homme et savent que la tâche sera éprouvante, mais ils ignorent qu’ils sont sur le point de déclencher involontairement le mécanisme d’une infernale machination dont les rouages vont entraîner un déchaînement de violences, de meurtres, de complots, de trahisons dont les conséquences iront jusqu’à conduire le peuple de Rome à la révolte.

Mon avis

Si belle, si seule…..

En Italie, Béatrice Cenci est très connue. Une sorte d’icône, représentant la rébellion de ceux qui doivent toujours se taire face aux puissants, arrogants, riches et méprisants. Et quand on sait que dans ces hommes ignobles, il y avait son père…. On comprend qu’elle se soit révoltée. Elle était belle, comme on le découvre dans un petit tableau qui clôt chaque fin de chapitre. Ce visage ne nous quitte pas et son doux sourire nous hante. Était-elle résignée car sa dernière lutte n’aboutissait pas comme elle l’espérait ? Ou cette figure paisible n’est qu’apparence ?

Celle à qui son amant dit :

« Ta résolution ne pourra que t’être bénéfique. Elle est une manne dont se nourrira ton esprit, l’étincelle qui embrasera ton appétit de vengeance. »
démontre d’une force de caractère hors du commun.  On se demande toujours ce qui aide quelqu’un dans une situation extrême à tenir, à rester droit.  Je pense que l’être humain repousse sans cesse plus loin ses limites, puisant au fond de lui, la force de se battre.

Francesco Cenci, le père, est ce qu’on appelle de nos jours, un pervers narcissique. Manipulateur, dangereux,  violent (et violeur), cet homme est détestable mais craint de tous car ses réactions sont totalement imprévisibles( il peut tout écraser sur son passage tellement il est puissant). D’autant plus, que dans Rome, à cette époque, il est connu, respecté et entouré d’un réseau qui le vénère et le protège malgré tous ses excès.  Sa seconde épouse est soumise et la vie est belle, Monsieur se fait servir !!

Un adage dit que la roue finit toujours par tourner….Et un jour Francesco se retrouve en prison…. Va-t-il enfin payer pour son attitude odieuse ou trouvera-t-il un stratagème pour s’en sortir ? A votre avis ? La morale va-t-elle triompher ?

Remarquablement documenté (dans « Note de l’auteur », au début du roman, Yves Badyh al-Dahdah explique comment il a eu des éléments nouveaux sur cette histoire), bien écrit, dans un style accrocheur, agrémenté de dialogues bien ciblés,  l’auteur signe là un thriller historique de très bonne qualité.

Je ne suis pas spécialement attirée par les romans historiques mais j’ai eu envie de découvrir cet opus pour changer un peu de mes lectures habituelles. Bien m’en a pris ! Le contenu est intéressant, la présentation parfaite (je me répète mais le petit visage de Béatrice en médaillon à chaque fin de chapitre est une idée qui m’a bien plu), les dialogues, consignés avec un phrasé de l’époque, sont vifs, édifiants pour certains, apportant ainsi un éclairage sur le rôle des uns ou des autres. Il n’y a aucun temps mort et les événements se mettent en place très vite.  On peut observer l’ implication des domestiques, qui peuvent être mis à contribution et obligés d’agir par loyauté envers leur maître. J’ai apprécié de constater que, quelques uns, avaient envie de donner leur avis, de passer à l’action en tant qu’homme ou femme, forts de certaines convictions, même si cela était très délicat pour eux et qu’ils risquaient ainsi leur place. Face à l’adversité, on découvre deux attitudes : les langues se délient ou le mutisme s’installe. Faire l’autruche n’est jamais la bonne solution, tout finit par se savoir.

Cette famille Cenci, embourbée dans les non-dits, dans des relations ambigües avec son Seigneur et Maître, gagne à être connue.  En effet, aussi influente fut-elle, aussi forte fut-elle, il n’en est pas moins vraie que des « confréries » secrètes la manipulaient dans l’ombre mais cela je vous le laisse découvrir au fil des pages….


"Denys Passementier" d'Alain Géraud

 

Denys Passementier
Auteur : Alain Géraud
Éditions : Paulo-Ramand (15 Février 2016)
ISBN : 978-2754304733
240 pages

Quatrième de couverture

Cet ouvrage raconte l’adolescence d’un rural de 13 ans dans le Comtat Venaissin en 1490. Drapier majeur de Carpentras, homme massif, bon mais stérile, son oncle forme Denys pour lui succéder. L’apprenti découvre la grande ville et ses dangers, le monde ingrat du travail drapier et celui, plus attractif, de la confection luxueuse. Il fait la connaissance de la truculente communauté israélite, à l’étonnant cadre de vie.

Mon avis

La couverture est sobre, d’une élégance rare et le tissu représenté serait presque palpable sous nos doigts. D’ailleurs n’est-il pas là pour nous rappeler qu’il a, autant que Denys, son propre rôle à jouer dans ce livre ?

On découvre un jeune garçon au quinzième siècle, dans sa vie de tous les jours. A cette époque, on ne choisit pas réellement son destin. On fait partie d’une famille et cela induit des choix qui n’en sont pas forcément…. La voie de Denys, c’est celle qui est toute tracée et pour laquelle personne n’a besoin de lui demander son avis: prendre la succession de son oncle…
Mais être au plus près du travail quotidien permet à Denys de découvrir d’autres choses, d’autres aspects des activités professionnelles liées aux textiles. Et avec lui, nous ouvrons les yeux, sentons les odeurs, observons : des ateliers de tailleurs aux marchés en passant pas l’intérieur des demeures. Il y a également tout ce qui est vu par le côté « émotionnel » du jeune homme : ses premiers émois, sa rencontre avec l’amour, l’amitié….Le contact avec la communauté israélite et les filles …. Ce livre est foisonnant d’informations malgré un petit nombre de pages.

Denys ne choisit pas la simplicité, la facilité, et il est d’autant plus attachant qu’autrefois rare était ceux qui osait se positionner. Ce n’est pas toujours aisé pour lui mais il essaie de faire ce qu’il aime et pas ce qu’on souhaite qu’il fasse… Parfois il se met dans des situations bien délicates mais il continue d’avancer….

L’écriture est soignée, le vocabulaire en adéquation avec le contexte (j’ai même utilisé mon dictionnaire deux ou trois fois). L’atmosphère est parfaitement décrite, avec force détails de la période présentée.

Ce roman a été une belle découverte et une agréable surprise tant je me suis intéressée à ce milieu et aux relations humaines entre les différents protagonistes.

"Syngué Sabour : Pierre de patience" de Atiq Rahimi

 

Syngué Sabour : Pierre de patience
Auteur : Atiq Rahimi
Éditions : POL (20 Août 2008)
ISBN : 978-2-84682-277-0
160 pages

Quatrième de couverture

En persan, Syngué sabour est le nom d’une pierre noire magique, une pierre de patience, qui accueille la détresse de ceux qui se confient à elle. Certains, dans ce livre en tout cas, disent même que c’est elle qui est à La Mecque, et autour de quoi tournent les millions de pèlerins. Le jour où elle explosera d’avoir ainsi reçu trop de malheur, ce sera l’Apocalypse. Mais ici, la Syngué sabour, c’est un homme allongé, comme décérébré après qu’une balle se soit logée dans sa nuque sans pour autant le tuer. Sa femme est auprès de lui. Elle lui en veut de l’avoir sacrifiée à la guerre, de n’avoir jamais...

Mon avis

« Je possède ton corps et toi mes secrets. Mes secrets te font vivre. J’ai trouvé ma pierre de patience »
« Ce qui me libérait, c’était de tout te dire….toi, tu ne pouvais rien me répondre, tu ne pouvais rien faire contre moi …tout ça me réconfortait, m’apaisait… »
« Cette voix qui émerge de ma gorge, c'est la voix enfouie depuis des milliers d'années. »

Le souffle de cet homme, immobile, rythme le livre.
Sa femme parle, s’en veut de parler mais continue … C’est un monologue en huis clos. Elle dit, déverse tout ce qu’elle n’a jamais osé dire…Cherche-t-elle le pardon, l’absolution de cet homme qui ne peut pas réagir ?
Il ne répond pas alors elle peut tout dire, parfois de façon très dure, elle se révolte, se met en colère. A d’autres moments elle parle avec des mots crus ou bien avec tendresse …. Elle passe, repasse par tout une palette de sentiments, d’émotions et nous les fait ressentir à travers ses mots.

Elle souffre parce qu’il semble ne pas souffrir alors qu’elle est malheureuse. Malheureuse de ne plus le sentir vivant à ses côtés, malheureuse de ne pas avoir eu la vie dont elle avait rêvé…

Parfois quelques phrases.
Très courtes ;
Saccadées, présentées
Comme un poème.
Pourquoi ?

Pour parler d’elle, de ce qu’elle ressent et des événements qui ont lieu à l’extérieur de cette maison.

Cette femme est la voix des femmes afghanes, des femmes pour qui on choisit, des femmes qui se taisent et qui, un jour, se décident à parler.

C’est magnifiquement écrit. Le rythme parfois lent, parfois saccadé, parfois rapide, parfois poétique … nous rappelle sans cesse, l’homme allongé et l’on croit entendre, derrière les mots, sa respiration ….

"Nulle part sur la terre" de Michael Farris Smith (Desperation Road)

 

Nulle part sur la terre (Desperation Road)
Auteur : Michael Farris Smith
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty
Éditions : Sonatine (24 Août 2017)
ISBN : 978-2-35584-609-0
375 pages

Quatrième de couverture

Une femme marche seule avec une petite fille sur une route de Louisiane. Elle n’a nulle part où aller. Partie sans rien quelques années plus tôt de la ville où elle a grandi, elle revient tout aussi démunie. Elle pense avoir connu le pire. Elle se trompe. Russel a lui aussi quitté sa ville natale, onze ans plus tôt. Pour une peine de prison qui vient tout juste d’arriver à son terme. Il retourne chez lui en pensant avoir réglé sa dette. C’est sans compter sur le désir de vengeance de ceux qui l’attendent.
Dans les paysages désolés de la campagne américaine, un meurtre va réunir ces âmes perdues, dont les vies vont bientôt ne plus tenir qu’à un fil.

Mon avis

Une écriture sublime et poétique, un univers dépouillé, des personnages attachants et un roman excellent….

Maben et Russell sont deux personnes cabossées par la vie, ballottées et un peu en rupture avec la société bien pensante. Le genre d’individus qui dérangent et qu’on préfère voir de loin. Lui, sort de prison et revient au pays où l’accueil est pour le moins tumultueux…Elle, elle marche avec sa fille, cherchant un point d’appui, du travail, de l’aide….

Chacun des deux a souffert, plus que de raison et traîne sa douleur comme une seconde peau. Tous les deux ont eu un passé qui n’a pas pris le chemin de l’avenir qu’ils envisageaient. Ils ont des tas de raisons de haïr ceux qui sont responsables de leur mal-être mais à garder des ressentiments, est-ce qu’on peut avancer ?

Nous les suivons ou plutôt nous les accompagnons dans ce coin, vers la Nouvelle Orléans, où les paysages désolés se succèdent, où l’inaction pèse et est remplacée parfois, par un trop plein d’alcool et de débauche. La ville est loin, tout se sait, tout le monde connaît tout le monde…difficile de se noyer dans la masse, de se faire oublier….

C’est avec un phrasé qui m’a tout de suite conquise que l’auteur s’exprime. Pas de larmoiement, pas de pathos mais des faits analysés avec un regard acéré qui retranscrit les émotions des protagonistes. Pas de jugement, ni de leçons de morale, on sent que la destinée choisit parfois et qu’il faut se plier à ce qu’elle a décidé. Maben espère un mieux, Russell souhaite qu’on le laisse en paix…mais rien n’est jamais aussi simple, n’est-ce pas ? Ces deux là m’ont tout de suite plu, ils deviennent, en quelques lignes, des familiers, des gens qu’on a l’impression de connaître depuis toujours.

C’est sans doute le style de l’auteur qui confère ce sentiment. On est tout de suite dans le contexte avec la sensation très nette d’avoir toujours été là. De ce fait, dès les premières lignes, on s’imprègne de cette atmosphère que l’on pourrait croire un peu désabusée mais où une infime lueur d’espoir apparaît régulièrement …. même si elle peut être balayée rapidement dans les pages suivantes.

« …il était facile de haïr tout le reste mais se haïr soi-même était une torture…. »

Avec leur part d’ombre, leur mal être, Russell, Maben et les autres nous offrent une histoire comme on les aime, empreinte de tendresse et de délicatesse malgré la dureté de certains passages qui nous rappellent que rien n’est jamais acquis à l’homme.

J’ai lu ce roman en apnée comme si je craignais qu’en respirant trop fort, en m’approchant trop près, j’effleure les blessures de ces malheureux et que je rouvre certaines cicatrices …. L’auteur (et la personne qui m’a fait parvenir ce livre) m’ont offert ce que je cherche dans une lecture : des étoiles dans les yeux d’un bout à l’autre….


"kilomètre zéro" de Maud Ankaoua

 

Kilomètre zéro
Auteur : Maud Ankaoua
Éditions : Eyrolles (21 Septembre 2017)
ISBN : 978-2212567434
304 pages

Quatrième de couverture

Maëlle, directrice financière d'une start-up en pleine expansion, vit le rythme effréné de ses journées ; sa vie se résume au travail, au luxe et à sa salle de sport. Ses rêves... quels rêves ? Cette vie bien rodée ne lui en laisse pas la place ; jusqu'au jour où sa meilleures amie, Romane, lui demande un immense service. Question de vie ou de mort.  Maëlle sceptique, accepte la mission malgré elle. Elle rejoint le Népal, où l'ascension des Annapurnas sera un véritable parcours initiatique.

Mon avis

Maëlle est une femme active, qui est toujours sur la brèche. Ce rythme lui convient, peut-être même qu’elle en est un peu fière. Elle, elle est active, efficace, dynamique… Peu importe si elle néglige un peu ses amis, elle a une belle réussite professionnelle et sans elle…. Se croit-elle indispensable ? Pas vraiment mais elle sent bien qu’on a besoin d’elle tout le temps et qu’elle ne peut pas dire non, ni s’absenter n’importe quand….

Un jour, son amie Romane lui demande de boire un coup avec elle. Bien sûr, elle n’a pas trop le temps mais elle y va. Elle se retrouve face à un choix cornélien, ne rien faire ou s’absenter quelques jours pour une mission unique afin de soutenir sa copine.

Tout le cheminement de Maëlle est présenté à travers un voyage qu’elle ne souhaitait pas faire mais qu’elle fait, au départ, pour faire plaisir à celle qui lui l’a demandé. Elle rouspète, elle a du boulot qui l’attend….mais elle part, pensant que ce sera très court.

Bien sûr, rien ne se passera comme elle le veut, elle s’adaptera, ou pas, à certaines situations. Mais elle n’aura pas toujours le choix….

Ce roman, d’abord sorti en autoédition puis repris et complété face à son succès, est, ce qu’on qualifie de récit initiatique. En s’ouvrant petit à petit aux autres, à une vie différente, Maëlle va à la rencontre d’elle-même et des priorités de la vie.

Un air de déjà vu ? Des bonnes paroles qu’on connaît déjà ? Des conseils, tels le carpe diem ? Oui, évidemment… Après on adhère ou pas.

En ce qui me concerne, j’ai lu rapidement car certains faits me semblaient prévisibles et un peu « trop ». Mais je ne suis pas négative, je comprends que ça puisse plaire, aider certaines personnes à avoir une autre philosophie de vie et rien que pour ça, c’est bien.

Mais ça ne deviendra pas un livre de chevet …


"Sa majesté du carnage Journal d'Ukraine" de Philippe Lobjois

 

Sa majesté du carnage
Journal d’Ukraine
Auteur : Philippe Lobjois
Éditions : Récamier (11 Septembre 2025)
ISBN : 978-2385772048
274 pages

Quatrième de couverture

" La guerre est un voyage dans le temps, dans un monde où tout est possible, le plus grand courage comme la plus grande cruauté. Sur ce territoire règne un monstre plurimillénaire qui surgit là où l'on ne l'attend pas. Un phénomène qui déchire le quotidien quand les hommes sont fatigués de vivre. Sa majesté du Carnage." Le journal de guerre en Ukraine de Philippe Lobjois.

Mon avis

La guerre était la seule action humaine qui n’avait pas changé depuis 10 000 ans, depuis que la civilisation existait. *

« Sa majesté du carnage », je ne sais pas qui a trouvé le titre mais c’est tout à fait ça. La puissance de la majesté et l’horreur du carnage.

« La guerre est un voyage dans le temps, dans un monde où tout est possible, le plus grand courage comme la plus grande cruauté. Sur ce territoire règne un monstre plurimillénaire qui surgit là où l`on ne l`attend pas. Un phénomène qui déchire le quotidien quand les hommes sont fatigués de vivre. Sa majesté du Carnage. »

Philippe Lobjois est reporter de guerre, il va sur le terrain depuis des années. Il a appris à se protéger des images insoutenables lorsque les morts sont trop « présents ». Il a besoin de témoigner, de nous montrer ce qu’il voit, ce qu’il constate sur le terrain. Il parle de l’Ukraine, de l’évolution du conflit au fil des mois. Il nous emmène de ville, en ville, à la rencontre de ceux qu’il a côtoyés, de ceux qui restent et en sont fiers, de ceux qui s’organisent, sous terre (chez eux ou dans le métro où les enseignants font la classe), en espérant se protéger et continuer à vivre, de ceux qui se battent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.

C’est brut, réel, on en prend plein les yeux, plein la tête. Impossible de dire ou d’écrire » Ah bon, je ne savais pas. » Son témoignage est puissant, bien rédigé sans tabou, sans silence, comme s’il lui était nécessaire d’écrire et de décrire la réalité pour que le lecteur comprenne, enregistre, dessille.

À travers les faits qu’il nous présente, c’est le quotidien des habitants qu’on découvre, les difficultés, les obstacles à une vie « normale », la peur, l’angoisse permanente, le corps qui sursaute au moindre de bruit et à qui on « apprend » à s’habituer. C’est la vie qui s’organise différemment. C’est l’ennemi, méthodique, appliqué, qui poursuit son but inlassablement.

Il explique comment après une journée éprouvante sur le terrain, quand il se pose (un peu), il se doit de faire le tri. D’enfouir au plus profond certaines images, dans un coffre-fort personnel dont elles ne ressortiront jamais car elles risquent de le détruire. Garder seulement ce qui est utile au témoignage, à la transmission de l’information pour que ceux de l’extérieur cernent les événements.

Même s’il pense qu’avec les caméras GoPro, les téléphones, et tous les nouveaux moyens de communication, son métier est faussé, transformé, différent, il continue. Certains filment la guerre et l’offrent sur les réseaux sociaux, tout est changé dans l’approche des conflits au niveau reportage.

Il partage cette invitée qui parfois débarque dans sa mission : la peur. Alors il faut la museler pour qu’elle cesse. L’enfermer. La faire taire. Mais elle reste tapie, prête à s’incruster, à sortir les griffes….

Quelques fois, une pause, la guerre semble « cadenassée », elle s’enlise. Les hommes perdent leur « enthousiasme », leur force, une lassitude s’installe et puis ça repart.

Ce livre est un vrai documentaire, une vision réaliste du terrain, de tout ce qu’ils se passe et de certaines choses qu’on ignore ou qu’on choisit d’ignorer… J’ai été bouleversée par ce que j’ai lu. J’ai tremblé en lisant que Philippe Lobjois avait tout fait pour donner un nom à un corps, lui rendre son humanité… Son écriture est poignante, elle sonne vraie.

Une lecture édifiante, coup de poing, que je ne suis pas près d’oublier !

*page 215

"Alan" de Jean-Marc Dhainaut

 

Alan
Auteur : Jean-Marc Dhainaut
Éditions : Taurnada (21 Août 2025)
ISBN : 978-2372581622
256 pages

Quatrième de couverture

Hiver 1948, Côtes-d'Armor. Dans un hameau isolé, quatre enfants s'évanouissent dans la nuit sans laisser de trace. Aucun témoin, aucun indice. Très vite, la panique cède la place à la suspicion, et les regards se tournent vers une maison. Sa propriétaire traîne une sombre réputation, certains murmurent même qu'elle pratique la sorcellerie. Mais la terreur atteint son paroxysme quand Alan, 6 ans, le petit-fils de Madenn Carvec, disparaît à son tour.

Mon avis

Ah enfin, on le retrouve ! Alan, le héros récurrent de Jean-Marc Dhainaut. Dans ce préquel qui se déroule en 1948, on le rencontre enfant. On remonte le temps et on comprend ce qui l’a toujours porté. Ce sont des éléments qui complètent à merveille celui qu’il est devenu.

Alan est un petit garçon qui vit dans un village des côtes d’Armor. Le père est instituteur, très cartésien. La mère et la grand-mère, qui habite tout près, sont plus portées sur les légendes bretonnes. Pour la mamie, Madenn Carvec, ça va même plus loin, les fantômes font partie de sa vie, si j’ose dire…Elle a souvent été évoquée dans les enquêtes d’Alan (dans les tomes précédents) et là, on fait sa connaissance. Elle aime énormément son petit-fils et veut le protéger car elle sent bien que des « entités dangereuses » ont des vues sur lui…

J’ai énormément apprécié cette femme qui, pour l’époque, ose tenir tête, aux hommes, au curé, aux copines mauvaises conseillères, aux gendarmes…. Des enfants ont disparu, puis le petit Alan… Personne ne comprend ce qu’il s’est passé, où ils sont, qui les a enlevés car il est évident qu’ils n’ont pas fui…. Elle, elle a compris qu’il faut s’éloigner de l’enquête classique pour aller plus loin, pour creuser quitte à prendre des risques. Elle est solide, capable de raisonner avec intelligence pour agir avec discernement. C’est une femme exceptionnelle et Alan ne serait pas celui qu’on connaît sans elle. Elle lui a donné son approche d’un monde parallèle, sa force, ses capacités pour séparer le bien du mal, sa finesse.

Dans le village, tous les regards sont braqués sur une vieille dame, effrayante, terrifiante qui semble mettre en place des rites sataniques ou équivalents. C’est probablement elle la coupable, la personne qui a kidnappé les petits…. Mais comment l’empêcher d’entraîner les mômes dans l’ombre ? Comment stopper cette lente descente aux enfers ? C’est une course contre la montre qui commence. Et si personne ne croit Madenn, elle va être seule, trop seule et empêchée d’agir.

Une fois encore, la principale qualité de l’auteur c’est de nous faire pénétrer dans un univers avec une pointe de fantastique savamment dosée. C’est excessivement bien fait, l’équilibre entre paranormal et réalité est le bon, ni trop, ni trop peu. Je trouve ça fascinant, captivant, intéressant. Jean-Marc Dhainaut m’impressionne car il maîtrise parfaitement ce qu’il met en place. De plus, dans ce dernier titre, il est parfois fait allusion à des événements du passé et il n’y aucune fausse note. Bravo !

L’atmosphère et le contexte sont retranscrits avec précision, on frisonne dans le froid de l’hiver, on se fige en entendant les coups sourds dans des endroits clos, on serre les poings de rage, de colère… les émotions sont décuplées, il s’agit d’enfants, d’Alan, on veut qu’ils s’en sortent sans séquelle …

Découvrir les premières années d’Alan, cerner la relation qu’il a eue avec ses parents et sa merveilleuse mamie est un plus. On pourrait penser que ce récit aurait dû être le premier. Je ne pense pas, il arrive à point nommé pour expliquer, remplir les quelques vides et permettre à chaque lecteur de s’attacher encore plus à cet homme fragile, aimant, volontaire et unique.

L’écriture immersive est un régal, le vocabulaire est adapté, les lieux et les personnages bien décrits. Une belle réussite !


"Elisabeth Lima" de Lola Gruber

 

Elisabeth Lima
Auteur : Lola Gruber
Éditions : Christian Bourgois (4 Septembre 2025)
ISBN : 978-2267055290
282 pages

Quatrième de couverture

Des flans aux anchois, une épaule d'agneau et un entremets nougat-basilic sont au menu quand Livia et Domenic, une écrivaine et un éditeur, reçoivent à déjeuner leur ami Camille, traducteur de poésie polonaise. Mais l'humeur est maussade en ce lendemain de remise de prix littéraire. Car pour une fois, ils estiment que le livre récompensé ne valait pas tant d'honneurs. C'est alors que surgit une idée dans l'esprit de Do : écrire ensemble un best-seller. Peu à peu, les trois convives se prennent au jeu, commencent à imaginer des personnages, une intrigue... Et décident de dissimuler leurs identités sous un pseudonyme. Débute alors l'écriture d'un roman à six mains, qui va devenir bien plus qu'un simple divertissement.

Mon avis

Les Doli (Domenic et Liv, un couple d’éditeur et écrivain) reçoivent Camille leu ami traducteur. Au menu, des plats délicieux, des discussions sur la littérature et …. un arrière-goût désagréable. La veille, un prix littéraire a été décerné et ils sont bien d’accord tous les trois, le livre ne méritait pas cette récompense. Comment le jury a-t-il pu prendre une telle décision ? D’ailleurs, ils le savent, eux, ce qu’il faut pour un succès. À eux trois, avec leurs « profils » qui se complètent, ils sont tout à fait capables de créer une très belle histoire, tout en restant incognito pour ne rien dévoiler. Ils inventeront un nouvel homme de lettres, à moins qu’ils choisissent une femme… à qui il faudra trouver un nom, un prénom et une petite biographie….

Et c’est parti ! Un peu comme un jeu, un pari, les voilà à se distribuer les rôles pour écrire à six mains. Un remue-méninge plus tard, les missions sont partagées. Rédaction, documentation, reformulation ou compléments, chacun sait ce qu’il a à faire. Une espèce de frénésie s’empare d’eux. Ils se cacheront pour communiquer (le moins possible pour ne pas être découverts). Ils mettent en place une stratégie digne des meilleurs espions ! Ils se prennent « au jeu » et se lancent.

C’est l’occasion pour Lola Gruber, de se pencher sur le processus d’écriture, sur la genèse d’un roman, sur le lien entre auteur et livre (ils s’aperçoivent que, pour que leur idée tienne la route, ils doivent également penser à la personne qui a rédigé et lui donner « corps » bien qu’elle soit fictive). Le mécanisme des récompenses littéraires, le principe de la page blanche, les réactions des protagonistes face à ce projet sont bien exploitées. Tout cela est très intéressant et on comprend mieux ce milieu.

Les trois copains n’imaginaient pas que cette aventure allait bouleverser leur vie. Des souvenirs remontent, des événements plus ou moins douloureux à évoquer leur reviennent en mémoire. Parfois, ils se mentent avec les conséquences que cela implique. Ce qui devait resserrer leurs liens, les unir encore plus, ne va-t-il pas les désunir, gâcher leur amitié ? Leurs relations, qui semblaient simples, fluides et complices, se transforment et les mettent parfois mal à l’aise. Ce n’est pas si facile que ça le paraissait. Il ne faut pas juger ce que l’autre a fait mais en parler malgré tout pour avancer mais comment faire pour ne pas vexer, gêner ?

J’ai particulièrement apprécié que le rapport de chaque auteur à ses personnages soit creusé. Certains se contenteraient presque de la vie avec eux, comme s’ils étaient vivants. Ils les intégreraient dans leur quotidien pour qu’ils l’investissent totalement ou presque, et ce serait suffisant ….

On partage également les pensées de chaque co rédacteur, ses réflexions face aux différentes situations, c’est assez dense (il ne faut pas sauter des phrases) mais c’est pertinent parce que ça permet de cerner le fonctionnement de chaque individu et son caractère.

Cette lecture, originale, procure de nombreuses émotions. On frôle l’intime, on sourit parfois et on voit comment évolue l’amitié de trois personnes qui œuvrent pour un même objectif mais pas forcément au même rythme et dans la même direction.

Une belle découverte !

"Où tu seras reine" de Chrystel Duchamp

 

Où tu seras reine
Auteur : Chrystel Duchamp
Éditions : Verso (17 Janvier 2025)
ISBN : 978-2386432217
320 pages

Quatrième de couverture

Maud, vingt-cinq ans, entretient une relation fusionnelle avec sa mère. Quand sa psychiatre lui explique que ce lien l’empêche de s’épanouir, la jeune femme décide de prendre ses distances avec la figure maternelle. Jusqu’au jour où Maud découvre sur son répondeur un message paniqué de cette dernière. Un message qui se conclut par « Je l’ai tué ». Maud se précipite dans la maison de son enfance.

Mon avis

Maud et sa mère sont fusionnelles. Trop. C’est d’ailleurs ce que la psychiatre de Maud lui a confirmé. Malgré ses problèmes de santé mentale (à peu près régulés par un traitement), il est nécessaire qu’elle prenne de la distance, qu’elle voit moins celle qui l’a mise au monde afin de s’épanouir. Elle a vingt-cinq ans, il est grand temps !

Alors elle essaie, moins de textos, moins de visites, moins d’appels. Mais un message de sa génitrice, enregistré sur son répondeur, l’affole et elle retourne dans la maison de son enfance. Là, beaucoup de souvenirs remontent et elle les partage avec le lecteur.

On est donc au cœur d’un esprit dérangé. Chrystel Duchamp a sans aucun doute beaucoup lu et s’est documentée pour rendre crédible son récit. Avec moi, ça n’a pas vraiment pris. Je me suis un peu lassée de Maud, de ses ressentis parfois redondants, de ses élucubrations, de ses confusions …  C’était trop pour moi. La fin, où tout s’explique, est très rapide, elle aurait pu intervenir cinquante pages plus tôt et cela n’aurait pas changé grand-chose à mon avis.

Pourtant, l’idée de départ est bonne. Se placer du côté de la fille et petit à petit nous dévoiler ce qu’était réellement la relation avec sa mère. On s’interroge, qui est la plus toxique des deux ? Qui a vraiment besoin de l’autre ?  L’autrice laisse planer le doute, elle nous balade au gré des pensées de Maud qui nous égarent. Mais ça manque un peu de mouvement, d’actions. On est en permanence dans cette atmosphère lourde, poisseuse et j’avais envie de mouvement.

Je reconnais que le propos est bien développé. L’écriture détaille les différentes étapes de la pathologie mais, pour moi, ça n’a pas été une lecture prenante avec de la tension nerveuse et le souhait permanent de tourner les pages. Dommage.