"La boîte à musique d'Oléron" d'Aurore Charbonnaud

 

La boîte à musique d’Oléron
Auteur : Aurore Charbonnaud
Éditions : Rose de Pierre (7 Juin 2024)
ISBN : 9782956964766
212 pages

Quatrième de couverture

Qui a dit que l'on prenait des congés pour se détendre ? Le Lieutenant Pierre Delanaud va en faire la triste expérience en se confrontant à son histoire familiale. Après tout, on ne connaît pas vraiment les personnes qui nous entourent. Un simple journal intime appartenant à sa grand-mère va déterrer un passé plus que trouble et l'entraîner dans une quête douloureuse de la vérité... Mais quelle vérité ?

Mon avis

Pierre Delanaud est lieutenant de police. Il a connu un drame familial alors qu’enfant, il venait avec ses parents, rendre visite à sa grand-mère habitant l’île d’Oléron.  Elle s’est beaucoup occupée de lui. Il habite maintenant Cognac.

Cela fait presque un an que sa mamie est décédée et il prend la décision de poser une semaine de congés pour retourner sur l’île. Son idée de base étant de régler la succession au plus vite, voir ce qu’il fait de la maison, un tour au cimetière, un merci au voisin âgé qui donnait un coup de main et hop tout sera réglé et il ne reviendra pas.

Sauf que rien ne se passe comme prévu. Lorsqu’il arrive vers le logis, il entend du bruit, une porte bat alors qu’en toute logique, tout est fermé. Il retourne à sa voiture, prend des gants (en bon policier, il a son matériel avec lui), une lampe et revient en ne faisant aucun bruit. Personne ! Mais une trace de poussière montre qu’un objet a disparu sur un meuble dans la chambre de son aïeule. La boîte à musique qu’il avait interdiction de toucher !

Commence alors un espèce jeu de piste, assez bizarre mais qui interpelle tellement Pierre qu’il se lance. Face à certains éléments et faits déstabilisants il demande de l’aide à son chef qui le met en contact avec les gendarmes d’Oléron.

Une enquête sera alors diligentée. J’ai trouvé d’ailleurs que tout le monde était presque trop réceptif et rapide mais ce n’est qu’un détail. En parallèle de ces investigations, Pierre lit le journal intime écrit par sa grand-mère et il va de découverte en découverte. Il s’aperçoit qu’il est loin de tout savoir sur sa famille.

Je m’attendais à un roman assez simple, avec une intrigue classique et bien pas du tout ! Il y a un réel travail de fond sur l’histoire de Pierre et des siens. La façon dont tout est amené est très intéressante. Il y a de nombreuses ramifications (d’ailleurs la présentation des principaux personnages en début d’ouvrage est une excellente idée) mais on ne se perd pas. Les protagonistes ont des personnalités parfois complexes car ils sont tiraillés, la vie n’est pas toujours simple !

L’écriture est fluide, bien dosée entre les dialogues, les descriptions des situations du présent et les écrits du passé. L’alternance des deux permet d’avoir un autre regard sur ce qu’on observe. On se pose des questions, on cherche, on tire un fil, un autre, en se disant qu’on n’a peut-être pas tout envisagé… Il y a suffisamment de rebondissements pour maintenir le suspense et notre intérêt.

J’ai vraiment apprécié cette lecture, d’autant plus que je connais Oléron (et Cognac). Le fait de « voyager » dans des lieux familiers que je visualisais à la perfection m’a permis de m’imprégner encore plus des événements présentés.


"Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques" de Iain Levison (The Whistleblower)

 

Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques (The Whistleblower)
Auteur : Iain Levison
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson
Éditions : Liana Levi (29 Août 2024)
ISBN : 979-1034909537
242 pages

Quatrième de couverture

Mille dollars de l’heure. Un tarif qui ne se refuse pas quand on est avocat commis d’office obligé de passer ses journées, dimanches compris, à plancher sur les dossiers attristants de petits malfaiteurs sans envergure. Puis à négocier des peines avec un procureur plus puissant que soi mais tellement moins compétent. Alors Justin Sykes, lassé par ce quotidien déprimant, accepte pour ce tarif de se mettre, un soir par semaine, au service des filles d’un gentlemen’s club et de passer la nuit dans le motel d’en face. Sans trop chercher à comprendre. Parce que, c’est bien connu, les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques.

Mon avis

Jubilatoire !

C’est avec impatience que j’attends chaque nouveau titre de Iain Levison. Il m’emporte à chaque fois et il se renouvelle tout le temps. Il met en scène des personnes ordinaires, avec un quotidien calme, et qui se retrouvent face à des situations déstabilisantes, voire troublantes mais a priori pas dangereuses. Pourtant les faits prouvent plus ou moins rapidement le contraire : l’équilibre de leur vie n’est plus le même et il arrive même que le danger rode….

Dans ce dernier roman, on fait connaissance avec Justin Sykes, un avocat commis d’office qui gère une cinquantaine d’affaire de front. Afin de gagner du temps et de ne pas se retrouver obligé d’aller jusqu’au procès, il négocie les peines avec le procureur. Le plus souvent ils tombent d’accord. Mais, dernièrement, ça se complique pour un homme dont le délit ne mérite pas les six ans de prison envisagés par le procureur. Justin s’interroge. Ça sent « la magouille », comme si le but était de « faire un exemple » mais pourquoi ? L’enjeu serait-il politique ?  Tout cela le lasse, ses journées manquent de fantaisie.

Aussi, lorsqu’on lui propose, pour mille dollars, de donner une heure par semaine de son temps pour dispenser des conseils à des jeunes femmes employées dans un club de striptease, il dit oui. Même s’il y a une clause un peu surprenante : passer la nuit dans le motel d’en face… Une fois réfléchi, Justin cède, ce n’est pas si compliqué et les soirées au calme lui permettront d’avancer ses dossiers. Il n’est pas sans remarquer quelques petites bizarreries …  Les mille dollars ne le rendent pas amnésique mais ça aide bien à ne pas s’appesantir sur les étrangetés, au demeurant, non dérangeantes.

Les stripteaseuses sont assez attachantes quand elles viennent lui expliquer leurs petites et grosses galères. Et lui, Justin, il essaie de faire de son mieux. Parfois maladroit, parfois méfiant, il pense quand même plus aux autres qu’à lui.

Je suis totalement fan du style « l’air de rien » de l’auteur. Il veut donner l’impression d’être détaché, de raconter une histoire pas forcément digne d’intérêt, comme vu de loin ou d’en haut alors que c’est tout le contraire, chaque détail est pensé. De plus, il « égratigne » le système judiciaire des Etats-Unis (cinquante états, cinquante façons de gérer la justice) et justifie son propos.

« Ce ne sont pas vos actes qui caractérisent le crime, mais l’endroit où vous vous trouvez. »

Suivant la berge du fleuve où vous fumez du cannabis, vous vous retrouvez en tort ou pas…. Il explique que les jugements sont posés en fonction des fautes et des personnes mais que ce n’est pas toujours adapté et réfléchi.  Il y a pas mal d’informations sur la justice en Amérique et c’est très intéressant d’en comprendre le fonctionnement, les rouages.

« Il sait qu’il est quasiment impossible qu’on gagne, qu’il est un kamikaze fonçant droit sur le navire de guerre du système judiciaire. »

J'ai beaucoup aimé le mélange politique/justice/malfrats et la façon dont les fils sont reliés sans qu’on le voie forcément arriver.

C’est avec une ironie de bon aloi, un humour décalé (parfois on rit jaune) que Iain Levison nous captive, nous scotche aux pages. Car son récit est addictif, il faut le dire. Un excellent remède contre la morosité !


"L'heure bleue" de Peter Stamm (In einer dunkelblauen Stunde)

 

L’heure bleue (In einer dunkelblauen Stunde)
Auteur : Peter Stamm
Traduit de l’allemand (Suisse) par Pierre Deshusses
Éditions : Bourgois (22 Août 2024)
ISBN : 978-2267048414
234 pages

Quatrième de couverture

La jeune réalisatrice Andrea et son petit ami Tom espèrent beaucoup du documentaire sur l'écrivain Richard Wechsler qu’ils sont en train de tourner. Après un début laborieux à Paris, où le romancier vit depuis de longues années, ils l’attendent dans son village natal en Suisse, afin de poursuivre la production du film. Mais en l'absence de Wechsler, Andrea doit se contenter des indices trouvés dans ses livres ou les rares rushes captés sur les quais de Seine et au cimetière du Montparnasse pour obtenir des réponses à ses questions.

Mon avis

« L’heure bleue » sert de fil conducteur à ce roman presqu’insaisissable.

« J’aime bien cette heure bleue entre la nuit et le jour, cet état entre sommeil et veille. », « À une heure bleue, bleu sombre, de la nuit, et une fois passée personne ne sait si elle a été.»  Il y a également l’heure bleue de Guerlain et d’autres clins d’œil.

Andrea et Tom ont décidé de tourner un film sur l’écrivain Richard Wechsler. Ils veulent faire une présentation générale de lui, ensuite ils envisagent de le ramener dans le village de son enfance à la rencontre de ceux qui l’ont connu. Lui pense qu’à part ses dates de naissance et de mort, tout, entre les deux, lui appartient.  Autant dire qu’il va être délicat de le faire parler. Déjà répondre à des questions sera compliqué mais se confier…

Andrea et Tom ne savent plus où ils en sont de leur couple, ce qui ne simplifie pas les interviews avec l’auteur. C’est Andrea qui s’exprime dans ce récit, elle prend ses distances, fait cavalier seul. Elle entretient une relation ambiguë avec Richard. Il lui file entre les doigts, ne se présente pas toujours aux rendez-vous, peut répondre à côté, laisser dériver la conversation…

On s’interroge souvent sur ce qui est de la réalité ou des états de semi rêve où, comme dans l’heure bleue, tout est flouté car on est entre somnolence et pleine conscience.

« Savoir s’il portait déjà tout ça en lui ? Cette sombre attente de la douleur ? »

Celui qu’Andrea interroge a une personnalité troublante, oscillant entre collaboration et observation extérieure. Il avait dit oui pour le film car il imaginait que le regard des cinéastes allait lui faire découvrir des choses sur lui. Il n’est pas vraiment participatif alors Andrea cherche par elle-même, elle essaie de croiser des gens qui le connaissent afin d’obtenir des éléments sur son parcours, sa personnalité.

En lisant ce récit, il ne faut pas attendre de certitudes. Les ramifications sont nombreuses, il y a des histoires dans l’histoire principale, semblables à des mises en abyme. On peut d’ailleurs se questionner : est-ce que l’auteur ne s’identifie pas à ce personnage mystérieux, qui échappe à ceux qui veulent construire un film sur lui ?

J’ai eu le sentiment, en lisant, que le texte se dévoilait à travers un kaléidoscope et suivant comme on tournait, les images formées par les mots étaient différentes. C’est comme une vague, calme, impérieuse ou silencieuse, s’approchant pour repartir aussitôt, effaçant les traces (ce qui a été rédigé) pour que d’autres se créent, apparaissent …

Ce livre singulier, qui se démarque, est un vrai labyrinthe dans lequel il ne faut pas hésiter à s’aventurer. Le traducteur, Pierre Deshusses, a donné du sens à chaque mot qu’il a choisi pour rendre au mieux l’écriture de Peter Stamm ainsi que l’atmosphère qu’il souhaitait transmettre. Cette lecture m’a offert un moment hors du temps, où je n’ai pas cherché à démêler les fils. J’ai simplement laissé le phrasé glisser en moi pour profiter de ce recueil au maximum.


"Les mains pleines" de Guillaume Collet

 

Les mains pleines
Auteur : Guillaume Collet
Éditions : Bourgois (22 août 2024)
ISBN : 978-2267048353
112 pages

Quatrième de couverture

Le couple, aisé, vit confortablement dans une grande maison bourgeoise à la campagne. Ils sont parents et grands-parents, mais la famille n’a jamais été leur priorité. Partir en vacances aux quatre coins de la planète leur a toujours semblé plus important que passer les fêtes de fin d’année avec leurs proches. Même à leur âge avancé, ils ne demandent jamais de l’aide, malgré les difficultés, les peurs paranoïaques et les problèmes de mémoire qui s’intensifient. Et quand leur petit-fils, alerté par les voisins, sonne à la porte, il n’est pas vraiment le bienvenu. Il doit essayer de gagner leur confiance, et progresser pièce par pièce, avant de pouvoir leur porter secours…

Mon avis

C’est un couple vieillissant, Grand-Père et Grand-Mère. Ils vivent dans une belle maison, ont beaucoup voyagé, se sont peu préoccupés de la famille. Indépendants, riches, ils ont toujours menés leur barque à leur guise.

Mais il semble y avoir une petite alerte. Il faudrait aller voir sur place mais qui ? Oncle, Mère, ou autre ? Ce sera Petit-Fils, celui qui a pour ambition d’être cascadeur (et qui galère … alors il a du temps, après tout ça l’occupera). Un petit tour sur place juste pour voir et se rassurer car Famille le sait bien, on s’alarme sans doute pour rien.

Pas très motivé le garçon mais bon quand faut y aller, faut y aller …. Il se rend dans la grande et belle demeure et ….

« Petit-Fils prend conscience qu’il n’arrive pas après un cataclysme, mais juste avant. »

Il reçoit en pleine face tout ce qui ne va pas : le réfrigérateur vide ou avec des denrées périmées, les idées fixes de Grand-Mère, persuadée d’être épiée, volée, …, les silences de Grand-Père qui semble ailleurs, les serrures changées, les cartes bancaires renouvelées sous différents prétextes…. C’est sûr les anciens perdent pied mais est-ce que Famille va le comprendre ? D’ailleurs la réponse c’est : si ce n’est qu’un problème de clés, ça peut se régler, non ? En gros, débrouille toi et tiens nous au courant.

Difficile pour Petit-Fils d’expliquer, il ne veut pas noircir le tableau mais il est nécessaire d’être réaliste. Alors que faire ? Comment agir ?

C’est en passant dans les différentes pièces de la maison que le lecteur découvre le quotidien de ce couple. Pas de noms, pas de dialogues, on reste dans la distance (ou encore plus près car en « anonymisant », ne se sent-on pas tous concernés ?) pas dans l’indifférence. Est-ce que ce procédé d’écriture a été choisi pour que chacun de nous ait le sentiment de vivre ce problème ? Cela pourrait être nos parents, des gens qu’on connaît, qu’on côtoie ….

Le livre est court, les phrases syncopées, l’écriture coup de poing. Comment faire face à toutes les difficultés qui s’accumulent, se télescopent, envahissant les journées du missionné ? Pourquoi porterait-il tout cela seul ? Quelles décisions prendre ? Y-en-a-t-il des bonnes, des mauvaises ? Qui faut-il préserver ? Dire la vérité à Grand-Père et Grand-Mère ? L’entendront-ils ? Saisiront-ils les enjeux ? Quelle suite envisageable ou envisagée ?

Et puis cette situation dérange, ça fait désordre, non ? Famille était fier du couple qui a réussi, qui voyage, qui n’a besoin de personne pour s’assumer.…

« Famille veut rétablir cette image de réussite. Personne ne veut de deux égarés tournant en rond dans leurs angoisses. »

Peu de pages mais c’est bien suffisant car on s’interroge, et si c’était moi ? Moi, quand je serai âgée ou moi maintenant confrontée à des événements semblables avec quelqu’un que j’apprécie, que je ne veux ni rejeter, ni choquer ?

Est-on capable d’accepter la perte d’autonomie pour nous, pour ceux qu’on aime ? Qu’elles sont douloureuses ces questions, qu’elles sont laborieuses ces décisions à prendre quand tout le monde n’est pas d’accord … et qu’il faut agir parce qu’on n’a plus d’autre possibilité…

Ce roman est bouleversant, j’ai aimé la forme épurée qui nous renvoie à l’essentiel, nous obligeant à intégrer ce qu’on voudrait oublier ou mettre de côté….


"Reprendre corps" de Déborah Costes

 

Reprendre corps
Auteur : Déborah Costes
Éditions : Globe (22 Août 2024)
ISBN : 978-2383613053
176 pages

Quatrième de couverture

À vingt et un ans, la maladie contraint Déborah à interrompre ses études. Confrontée à une extrême précarité, elle décide alors de devenir camgirl. Mais très vite, cette activité ne suffit pas pour survivre financièrement. Elle sort de l’écran et devient escort puis dominatrice.

Mon avis

Dire que je suis travailleuse du sexe me dessine un corps.

Déborah Costes a une licence de psychologie mais des problèmes de santé l’ont contrainte à arrêter ses études. Maladies physiques et mentales non reconnues, elle s’est retrouvée sans aide financière. Sa famille n’étant pas en mesure de la soutenir suffisamment, il lui a fallu trouver une solution et vite.

Comme elle le dit elle-même, on ne raconte pas les maux de ventre, les diarrhées qui handicapent, les angoisses qui hantent et empêchent d’être soi, on ne raconte pas la honte, la peur, l’anxiété des fins de mois, on ne raconte pas la solitude face aux problèmes….

Alors, il faut agir, parce qu’il faut vivre, manger, se loger…. Déborah sera camgirl. Une caméra, sa chambre, des dessous affriolants, l’investissement est moindre… Elle ne donne pas son corps, il lui appartient encore. Elle rentre dans un personnage, elle est une autre, elle joue un rôle, des rôles, ceux que lui demandent ses clients et ils paient pour cela.

Difficile de parler de ce métier, que ce soit à la famille ou aux amis. Qui peut comprendre ? Et pourtant, on peut considérer qu’elle est cheffe d’entreprise. Étant son propre patron, elle choisit ses jours, ses horaires et organise son quotidien et ses vacances comme elle le veut.

Ensuite ? Et bien elle continue et « monte » en grade, elle devient escort puis dominatrice. Il faut bien comprendre une chose essentielle lorsqu’on lit ce livre : c’est son choix. Personne ne la force, personne ne l’influence.

Elle a vite compris que pour garder les clients, il ne faut pas se plaindre, pas parler de soi, rester dans ce qui les fait fantasmer, enjoliver la vie. Ils viennent pour se détendre, s’offrir une parenthèse. Eux aussi, c’est leur choix, ils paient pour un service. On pourrait aller jusqu’à écrire que la relation est honnête de part et d’autre. Déborah explique que ça touche tous les milieux, ce sont toujours des personnes consentantes et majeures. Alors ?

Alors qui est-on pour juger ? On peut comprendre ou pas. On peut être d’accord ou pas. On peut crier au scandale, à l’horreur ou pas. On peut lire ou pas….

Mais on doit reconnaître que Déborah a osé mettre des mots sur ce qu’on sait tous, les travailleuses du sexe existent et ont une vie. Elle a pris la plume pour expliquer son parcours, ses décisions, ses difficultés, ses galères. Je ne sais pas si on peut parler du courage d’écrire ce témoignage, de la nécessité d’exprimer tout cela et de le rendre public.

Rédiger ce texte a permis à Déborah de sortir d’elle tout ce qui aurait pu l’étouffer, l’enfermer. Son écriture est brute, sans filtre, les mots sont crus. Je ne pense pas qu’elle veuille choquer, c’est simplement son style, direct, parce qu’elle ne veut plus se cacher, encore moins taire ses activités.

C’est un livre qui remue les tripes, qui bouleverse, et je souhaite, sincèrement, à Déborah d’être heureuse et apaisée dans sa vie.

 


"Les os noirs" d'Agnès Jésupret

 

Les os noirs
Auteur : Agnès Jésupret
Éditions : Liana Levi (22 Août 2024)
ISBN : 979-1034909483
194 pages

Quatrième de couverture

Au crépuscule de sa vie, Clara Ignorante raconte avec nostalgie l'histoire de ses grands-parents siciliens arrivés en Tunisie pour fuir la misère. Sur cette terre que tous se sont appropriée - colons français, migrants italiens, occupants allemands - sa famille connaîtra la prospérité puis la déchéance. Et de cette terre seront exhumés les os de son père devenus noirs, preuve d'un empoisonnement. Vengeance, trahison ou malédiction ?

Mon avis

Marie Ignorante Concialdi s’est confiée à Agnès Jésupret et cette dernière a écrit une fiction inspirée de son histoire.

On est en 2022 et la narratrice écrit, à la demande, des « biographies » en écoutant les souvenirs de personnes âgées. C’est comme que, dans une maison de retraite, elle rencontre Clara. Fascinée par ce qu’elle entrevoit à travers quelques échanges, elle décide de recueillir tout ce que la vieille dame (95 ans) voudra bien partager avec elle.

Clara raconte. Sa famille a quitté l’Italie pour s’installer en Tunisie en espérant vivre mieux. C’est la période entre les deux guerres et les migrants sont nombreux à venir s’installer à Tunis.  Si la famille réussit à faire fortune, le quotidien n’est pas forcément simple. Difficile de créer des liens entre les différentes ethnies accueillis dans ce pays. Chacun tient à ses origines.

« L’univers de la Nonna était fait d’anchois, de raisins cuits et d’olives farcies. La Tunisie de la Nonna, c’était la Sicile. »

Mais vivre ensemble n’est pas aisé, mais les tensions sont très présentes.

« Peu à peu, tout est remis en cause. Arabes, Français, Italiens, Siciliens, qui a le droit d’être ici, de vivre paisiblement sur cette terre, et qui ne l’a pas ? »

Et en Novembre 1942, c’est l’occupation allemande pour six mois. Dénonciations, chasse aux juifs… La vie se complique pour tous. À travers le récit de Clara, on verra la famille perdre sa fortune.

Très documenté, avec une construction originale, ce roman est une belle découverte. On a, en italiques, les paroles de Clara, et entre ces passages, toutes les recherches et réflexions que cela entraîne chez la narratrice sur cette période historique qui est rarement mise en avant.

Dans le récit, les événements de l’actualité sont insérés et j’ai beaucoup appris. On comprend que les tunisiens ont pu se sentir déposséder de leur pays, de leurs terres, par ceux qui arrivaient.

L’écriture de l’auteur est fluide, le style adapté selon qui s’exprime. Elle mêle habilement petite et grande histoire, sans lourdeur, sans que ce soit trop documentaire. On s’attache à Clara et sa famille, on a de la peine pour le père qui s’est fait piéger.

Le côté saga familial maintient l’intérêt du lecteur et évite toute lassitude.


"Traverser les montagnes et venir naître ici" de Marie Pavlenko

 

Traverser les montagnes, et venir naître ici
Auteur : Marie Pavlenko
Éditions : Les Escales (22 Août 2024)
ISBN : 9782365698078 
354 pages

Quatrième de couverture

Astrid a tout perdu. À quarante ans, plus rien ne la retient, alors elle part. Elle achète sans l’avoir visitée une maison isolée dans la région montagneuse et sauvage du Mercantour. Parmi ses bagages, un carton marqué d’une croix rouge, ce qu’il lui reste de sa vie passée.
Soraya a tout laissé derrière elle. Sa Syrie natale, sa famille, ses amis, son insouciance. Elle traverse la montagne pour rejoindre la frontière française en se cachant de la police. Dans son ventre, une vie qu’elle déteste grandit.

Mon avis

L’une a quarante, l’autre est adolescente. Un point commun ?  Ce sont deux femmes brisées, blessées, meurtries. La première a choisi de s’installer et de s’isoler en montagne, une façon pour elle de fuir sa douleur, omniprésente, qui se rappelle à elle par vagues, la nuit, le jour, tout le temps. La seconde a quitté la Syrie pour espérer arriver dans un pays accueillant et avoir une meilleure vie. Mais elle a vu et vécu des horreurs alors qu’elle est à peine sortie de l’enfance…

« Ils sont amputés d’un pied, d’orteils, comme s’ils n’étaient déjà pas tous amputés, de famille, de liberté, d’avenir. »

Leur rencontre n’était pas programmée. C’est ça le hasard, celui qui se joue des hommes et des femmes, qui intervient dans leur quotidien, et quelques fois, bouleverse tout sur son passage.

Elles vont s’apprivoiser, apprendre à se connaître et partager un bout de chemin… Elles se comprennent à demi-mots et se rejoignent dans la peine.            

« Elle est sa sœur, leurs souffrances se font écho, un écho terrible, froid et désolé. »

Ce recueil parle de culpabilité, de deuil, de solidarité, de peur, de communication plus ou moins maladroite, de résilience …  de ces mains qui se tendent ou pas, qu’on accepte ou pas, de ce désir d’en finir pour ne plus penser, ne plus être assailli par les souvenirs qui font mal et les verbes conjugués au conditionnel… mais également de ces petits riens qui aident à avancer, à tenir, un pas après l’autre ….

L’auteur présente deux beaux portraits de femmes, des battantes qui deviennent plus fortes parce qu’elles sont deux, voire plus. Autour d’elles gravitent d’autres personnages, quelques-uns sont un peu caricaturaux par leur comportement, mais ce n’est gênant tant on est pris par l’histoire. On suit l’évolution de chacune et le cheminement pour se réconcilier avec la vie ….

J’ai beaucoup aimé ce roman qui offre toute une palette d’émotions. Marie Pavlenko ne fait pas dans le pathos ou le larmoyant, elle part de deux situations crédibles et le charme du récit fait le reste ….
Le choix des extraits de poèmes est judicieux, de bon goût. Un même événement peut être éclairé de plusieurs points de vue, avec des retours en arrière et une sensibilité différente. L’écriture est délicate, toute en nuances et c’est un plaisir de la lire.


"La couronne du serpent" de Guillaume Perilhou

 

La couronne du serpent
Auteur : Guillaume Perilhou
Éditions : de l’Observatoire (21 Août 2024)
ISBN : 9791032927397
230 pages

Quatrième de couverture

Stockholm, hiver 1970 : le jeune Björn, quinze ans, se présente aux auditions de Mort à Venise. Il ignore que sa rencontre avec Luchino Visconti est sur le point de changer sa vie : le maestro a trouvé « le plus beau garçon du monde ». Deux destins s’entremêlent, unis par cette beauté – offerte à l’un, révérée par l’autre. C’est l’histoire d’un orphelin et de sa traversée du miroir aux alouettes ; l’histoire d’une famille souveraine et victorieuse dont les relents, déjà, se font sentir. C’est l’histoire d’un regard, celui d’un homme, devenu celui des autres.

Mon avis

« Chez Visconti, ça passe. Il n’y a pas de détournement de mineur, juste un détournement de regard. »

Pour jouer Tadzio, dans « Mort à Venise », Luchino Visconti a choisi Björn Andrésen, un jeune suédois de quatorze ans, élevé par sa grand-mère (c’est elle qui lui a fait passer le casting). Ce livre, inspiré de faits réels, avec quelques documents d’époque, explore l’influence de Visconti et du tournage de ce film sur le devenir de l’adolescent, parachuté acteur vedette du jour au lendemain.

Björn incarne une beauté parfaite, éthérée, il sait à peine ce qu’il joue, on lui demande de s’asseoir, d’avancer, de reculer… Il ne maîtrise pas la langue et obéit. Il est « façonné » par le grand maître à tel point que quelques-uns se demandent s’il ne va pas devenir homosexuel comme lui.

À l’adolescence, on l’envoie au Japon où ses cheveux blonds et son air angélique font fureur. On se bat pour l’approcher, lui couper une mèche en souvenir. Publicités, chansons, mangas où son visage est reproduit, le succès est là et puis il n’en peut plus, il craque…

On a l’impression que Björn adulte est devenu une ombre, comme si le rôle de Tadzio l’avait définitivement éteint en le marquant trop. Il a été étouffé, son véritable « moi » a-t-il disparu ? J’ai été peinée pour lui. J’aurais voulu qu’il soit accompagné, encadré, qu’on l’aide à retrouver sa place.

On ressent que Visconti accapare ses comédiens, ils deviennent presque des marionnettes entre ses mains. Il leur demande « d’être » le rôle qu’ils jouent. C’est normal c’est le but du cinéma. Mais pas au point de s’oublier, de « se perdre ».

C’est avec des lettres rédigées par plusieurs protagonistes : Visconti, Björn et d’autres, des réflexions profondes et intéressantes ainsi que de courts extraits de documents qu’est construit ce magnifique roman. On a le sentiment que l’acteur se confie, se met à nu, révélant toutes les difficultés qu’il a rencontrées après ce tournage. Il a perdu pied, s'interroge sur le sens de sa vie. Il a sans doute compris qu’on s’était servi de lui, presque comme un objet sexuel. De l’autre côté du miroir, c’est Luchino qui écrit, principalement à Helmut Berger, son amant et compagnon, à qui il a offert une belle notoriété à travers certains personnages. Les points de vue et les regards sur les situations évoquées ont peu de points communs …

Cette lecture a été un pur moment de plaisir littéraire. L’écriture est stylée, ciselée, précise sans être ostentatoire. Le vocabulaire est de qualité, bien choisi. La construction avec les différents courriers, le ressenti de Björn, avec du recul, sur sa vie, est finement mise en place avec un équilibre parfait.

Je ne connaissais pas cet auteur et je suis ravie de ma découverte ! Il m’a présenté le destin d’un homme et il l’a fait avec brio !

NB : Pour compléter, à regarder en accès libre :  L'ange blond de Visconti : Björn Andrésen, de l'éphèbe à l'acteur. Un documentaire Arte.


"Kiffe kiffe hier?" de Faïza Guène

 

Kiffe kiffe hier ?
Auteur : Faïza Guène
Éditions : Fayard (21 Août 2024)
ISBN : 9782213726823
258 pages

Quatrième de couverture

A 35 ans, Doria vit heureuse entre son fils, sa mère et ses amis fidèles. Elle essaye de concilier ce bonheur avec la présence du père de l'enfant, dont elle est séparée, ainsi qu'avec ses ex-beaux-parents racistes. Parfois, elle regrette l'impression de célébration commune qui avait suivi la Coupe du monde de 1998, mais son humour l'aide à surmonter les tensions du présent.

Mon avis

« Kiffe kiffe demain ? » a été publié en 2004 alors que Faïza Guène avait 19 ans. Elle y présentait Doria, 15 ans, née de parents marocains, vivant en HLM. Je ne l’ai pas lu.

2024, Faïza a vieilli, Doria aussi. Elle a 35 ans, vient de se séparer du père d’Adam, 7 ans. Elle commente son quotidien avec humour, égratignant ceux qu’elle croise, l’enseignante un peu rigide, l’ex-mari trop laxiste, etc. Dès le début, le ton est donné, beaucoup d’humour, de dérision, parfois un peu trop de clichés, de caricatures.

« Si personne ne s’était aperçu que j’étais myope, j’aurais continué à trouver le monde flou tout à fait acceptable. »

Tout au long de ses journées, les anecdotes se succèdent, plus ou moins drôles. De nombreux thèmes sont abordés : le mariage, la travail, l’éducation des enfants, les amis-es, la religion, les complotistes …. Elle prend le lecteur à témoin, l’interpelle.

L’écriture pétille au début. Le ton est décalé, ironique, peut-être un peu « trop » tout ça, pas vraiment lourd mais à trop vouloir faire rire, ce n’est plus amusant… On se lasse …. Puis arrive le chapitre 9, plus long, plus grave, presque plus sérieux…. Je l’ai préféré dans ce registre.

Dans la dernière partie du livre, il arrive que Doria pense à celle qu’elle a été et à ce qu’elle aurait souhaité lui dire pour la rassurer, l’aiguiller….

« J’aimerais dire à l’ancienne Doria qu’elle finira par se pardonner un jour, à elle et peut-être même à son père. J’aimerais lui dire qu’elle mérite de vivre dans la joie, et qu’être une fille, même si tout tend à prouver le contraire, ce n’est pas une malédiction mais une grâce. »

Cette lecture me laisse sur ma faim. J’ai trouvé le style irrégulier entre le souhait de rédiger de réelles réflexions (mais comme tout est survolé, ça reste superficiel) sur des thèmes d’actualité, et un humour potache. Le contenu manque d’unité et c’est dommage car l’idée de ce regard sur le passé était intéressante.


"Archipels" de Hélène Gaudy

 

Archipels
Auteur : Hélène Gaudy
Éditions : de l’Olivier (19 Août 2024)
ISBN : 9782823621150
290 pages

Quatrième de couverture

« Aux confins de la Louisiane, une île porte le prénom de mon père.
Chaque jour, elle s’enfonce un peu plus sous les eaux. »
Il a fallu que son esprit vogue jusqu’à l’Isle de Jean-Charles pour qu’elle se retrouve enfin face à son père. Qui est cet homme à la présence tranquille, à la parole rare, qui se dit sans mémoire ? Pour le découvrir elle se lance dans un projet singulier : lui rendre ses souvenirs, les faire resurgir des objets et des paysages.

Mon avis

« Il ne dit pas grand-chose mais il sait dire : Regarde. »

C’est avec une plume délicate et tendre, voire poétique qu’Hélène Gaudy évoque son père, sa mère et ceux qui ont vécu avant eux. En voulant mieux connaître son papa, elle a, par ricochet, porté son attention sur d’autres membres de la famille, dénouant quelques secrets, s’imprégnant d’éléments mal connus du passé.

Quand ceux que nous avons aimés nous quittent ou commencent à perdre pied, on ressent souvent le besoin de retrouver nos racines, de les « consolider » en comprenant tout ce qui a « construit » le noyau familial.

Alors, nous accompagnons cette femme dans sa quête. Des poèmes (limpides où chaque mot a sa juste place mais dont le cœur reste insaisissable), des carnets (lui faire lire les mots écrits et voir s’ils changent de couleur au contact de sa mémoire), des collections, des photographies, des souvenirs de vacances, de paysages, de moments particuliers ou pas, des conversations …. Tout ceci est entassé, exploré, dans le désordre, ce qui fait que sa pensée va et vient, se répète parfois. Elle cherche, fait des hypothèses ou des déductions, revient à un premier ressenti, en partage un autre. On est vraiment au cœur de son esprit, absorbant chaque émotion pour qu’elle résonne ou pas en nous.

Parfois, elle s’arrête, elle hésite….

« Je n’ai pas réussi à lire toutes leurs lettres. L’écriture, l’attention, avaient dénoué l’écheveau, rapproché ce qui pouvait l’être, mais là, c’est comme s’il retournait à sa place, réintégrait son rôle. »

Finalement, est-on obligé de tout savoir ? Ceux qui nous ont précédés n’ont-ils pas droit à une part de mystère, de silence ? Hélène Gaudy nous rappelle que le processus de mémoire n’est pas le même pour tous, que décide-t-on de garder gravé en nous ? En choisissant de lancer ces investigations, elle va à la rencontre des siens mais également d’elle-même.

On adhère ou pas à ce style de livre car le contenu relève de l’intime. En ce qui me concerne, j’ai été conquise par le phrasé. L’écriture de l’auteur tisse les mots comme une dentelle, c’est léger, fin, agréable à lire.


"Jacaranda" de Gaël Faye

 

Jacaranda
Auteur : Gaël Faye
Éditions : Grasset (14 août 2024)
ISBN : 978-2246831457
288 pages

Quatrième de couverture

Quels secrets cache l’ombre du jacaranda, l’arbre fétiche de Stella ? Il faudra à son ami Milan des années pour le découvrir. Des années pour percer les silences du Rwanda, dévasté après le génocide des Tutsis. En rendant leur parole aux disparus, les jeunes gens échapperont à la solitude. Et trouveront la paix près des rivages magnifiques du lac Kivu.

Mon avis

Jacaranda…un arbre ressemblant un peu au flamboyant. Majestueux, magnifique avec ses fleurs qui ont donné la couleur violette à la couverture de ce roman. L’arbre racine, l’arbre confident, l’arbre refuge.

« Elle est racine de mon arbre de vie. Elle existe pour toujours sous l’écorce de ma peau. »

Voilà ce que dit Stella de son arrière-grand-mère, qui lui a transmis son histoire, celle de sa famille, celle de son pays.

De 1994 à 2020, nous suivons Milan, d’enfant à l’âge adulte. Né de père française et de mère rwandaise, il a des difficultés à appréhender l’histoire de sa mère, le passé de son pays. Elle ne dit rien du génocide, des souffrances de ceux qu’elle connaît.

Milan se rendra sur place, d’abord avec elle, puis seul. Un long cheminement pour comprendre, souffrir, se fâcher, pardonner, avancer …. Mais tout cela marque profondément sa personnalité. Il ne sort pas indemne de ses rencontres et on constate combien tout cela est difficile pour lui et ceux qu’il côtoie avec qui il est parfois bien maladroit. Mais c’est également ce qui le fait grandir et devenir un homme avec ses forces, ses faiblesses et une humanité à fleur de peau.

Le parcours de Milan est intéressant. Il est d’abord « extérieur » à tout cela, il n’en voit que des bribes à travers les médias en France, puis ses voyages vont être l’occasion d’une réelle et profonde prise de conscience. Il rencontre les survivants du massacre avec leur soif de vengeance, ceux qui n’ont pas eu le choix, ceux qui ont dû tricher pour sauver leur peau.

Il est toujours très ardu d’écrire un second titre lorsque le premier a connu énormément de succès. Si « Jacaranda », à mon sens, n’a pas la force poétique de « Petit pays », il n’en reste pas moins un récit à découvrir. La seconde moitié m’a semblé puis puissante dans son contenu, son propos.

L’écriture est précise, fluide. Parfois j’ai ressenti un petit manque d’affect. Peut-être que ce n’était pas évident d’écrire sur ce thème pour Gaël Faye ? Il n’en reste pas moins qu’on a envie de savoir où tout cela va entraîner Milan et comment il va s’en sortir.

En ce triste anniversaire des trente ans du génocide, il est certain que ce recueil ne laissera personne indifférent.


"Attaquer la terre et le soleil" de Mathieu Belezi

 

Attaquer la terre et le soleil
Auteur : Mathieu Belezi
Éditions : Le Tripode (1er Septembre 2022)
ISBN : 9782370553331
160 pages

Quatrième de couverture

Attaquer la terre et le soleil narre le destin d’une poignée de colons et de soldats pris dans l’enfer oublié de la colonisation algérienne, au dix-neuvième siècle.

Mon avis

Pas de majuscule, pas de point….Comme si cette histoire n’avait pas de début, ni de fin….Peut-être parce que ce qu’elle présente existera toujours, ailleurs, sous une autre forme mais malheureusement encore présente…

On est en 1830/40, l’Algérie est devenue française. On envoie sur cette terre et sous ce soleil, des familles pour s’installer sur place après un long voyage. Mais deux « univers » se heurtent.

Les uns et les unes qui luttent pour survivre, s’en sortir malgré la maladie, le lieu qui n’est pas propice, les difficultés quotidiennes. On les a balancés là en leur faisant des promesses ou au moins en leur laissant croire à un avenir meilleur… mais ce qu’ils découvrent est tout autre….

Les autres ? Des soldats, des durs, pas le droit d’être faibles, il faut obéir…. « On n’est pas des anges. »
Galvanisés et entraînés par l’effet de groupe, ils pillent, tuent, violent, sans vraiment réfléchir. Celui qui raconte pensait venir pour une mission de paix mais ce n’est pas ce qu’on lui fait vivre ….

Les deux voix alternent et le lecteur en prend plein les yeux, plein la tête, plein le cœur.

L’écriture, la langue plutôt, est brute, dépouillée, expressive, elle envoie les mots comme autant d’uppercuts, violents, traumatisants mais témoins de cette triste réalité.

Un roman fort, à découvrir !


"Contre l'espèce" d'Estelle Tharreau

 

Contre l’espèce
Auteur : Estelle Tharreau
Éditions : Taurnada (6 Juin 2024)
ISBN : B0CW1F7HXW (en numérique uniquement)
483 pages

Quatrième de couverture

Le miracle écologique a eu lieu. Partout sur la planète, des recycleurs démontent l'ancien monde et la nature reprend ses droits. Seuls subsistent les hypercentres où chaque acte de la vie est piloté par huit plateformes numériques. Mais que se passe-t-il lorsqu'il ne reste plus rien à démonter et que les dirigeants de ces plateformes fomentent des projets génocidaires ? Quel destin attend John, le recycleur désabusé, Futhi, la jeune aveugle presciente, Olsen, le policier subversif, Ousmane, l'homme qui en sait trop, et Rosa, la ravisseuse du petit Willy ?

Mon avis

Dans cette dystopie, le papier a disparu, les êtres humains sont triés, catalogués dès le départ, « pucés » et tout passe par ce système : les commandes de repas, les choix etc. Le but ? Une humanité parfaite. Les plateformes numériques, aux noms très évocateurs, gèrent tout. L’éducation scolaire, les transports, le commerce etc. Et bien sûr il y a des « hypercentres » sécurisés. Vous imaginez le jour où il y a une panne ou un sabotage ? Les portes ne s’ouvrent plus, le ventre reste vide, et personne ne sait dialoguer vu que tout le monde passait son temps sur le téléphone…

Les autres ? Ils tentent de survivre, comme ils peuvent, en se demandant sans cesse à qui faire confiance, qui croire, qu’attendre de demain….  Il y a des employés, « des robots domestiques » qui agissent sans avoir droit à la parole, en étant « transparents » et efficaces. Et là, on se dit que parfois, on ne regarde pas dans les yeux celui qui nous tend un ticket au cinéma ou ailleurs et qu’on oublie de lui dire bonjour ou merci …

Le lecteur suit les différents et assez nombreux personnages. Il découvre des comptes-rendus, les interventions d’une radio clandestine, le quotidien des uns et des autres. On passe par de nombreuses émotions, on a peur, la colère nous habite, on lève les yeux au ciel en se disant que l’auteur exagère et pourtant… Il n’est pas si loin le premier ordinateur et tout va tellement vite… Où l’homme s’arrêtera-t-il ? Alors on s’accroche dès qu’on sent une lueur d’espoir aussi minime soit elle.

Avec de nombreuses références, une écriture acérée et pointilleuse, Estelle Tharreau nous entraîne dans un monde apocalyptique où les hommes ont oublié « que nos différences sont nos richesses » et qu’on est plus forts quand on s’écoute, lorsqu’on partage et se respecte.

C’est un texte noir, sombre, qui fait frissonner, qui fait peur. Même si les hypothèses sont poussées au maximum et que c’est caricatural, on n’est pas sans ignorer que si on baisse la vigilance, on finira par tomber dans un univers comme celui qui est présenté. Et on s’interroge sur notre rôle au milieu de tout ça, sur la place qu’on donne au numérique dans nos vies et les dérives qui en découlent.

Le récit est complexe et complet. Je pense que plus « ramassé » il aurait touché plus de lecteurs. L’auteur a probablement réfléchi, fait des investigations et voulant nous mettre en garde, elle n’a rien laissé au hasard afin de nous transmettre tout ce à quoi elle a pensé. Mais parfois trop d’informations risque de noyer l’essentiel. J’ai parfois eu parfois besoin de faire une pause dans ma lecture, comme si tout cela allait me plomber le moral. Il me fallait respirer…

C’est difficile de dire si on a aimé ou pas une telle histoire. Elle nous montre un côté tellement noir de l’homme … on voudrait que ce ne soit pas possible…la lueur d’espoir est infime mais elle a le mérite d’exister n’est-ce pas ?

NB : Of course, ce titre est uniquement disponible en numérique.


"Wendy au pays imaginaire" de Floppiz

 

Wendy au pays imaginaire
Auteur : Floppiz
Éditions : Jarjille (7 Juin 2024)
ISBN : 978-2-493-64920-1
68 pages

Quatrième de couverture

« … et les choses continueront ainsi,
aussi longtemps que les enfants seront joyeux,
innocents et sans cœur. »

                           J.M. Barrie

Mon avis

Dans cet album, comme expliqué dans le dossier graphique que l’on peut découvrir dans les dernières pages, l’auteur a choisi de réécrire l’histoire de Peter Pan en donnant à Wendy une place au premier plan. Elle est toujours là pour veiller sur les enfants mais elle se méfie de Peter Pan. C’est un vil manipulateur, dangereux et pas fréquentable.

Mêlant habilement planches avec le récit et le journal intime de Wendy, Floppiz nous entraîne au Pays Imaginaire revisité. On découvre les mêmes personnages que dans « l’original » mais Wendy a le rôle principal, c’est elle qui est mise en avant et qui doit agir, avec discernement, pour maîtriser au mieux les événements. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié l’attitude du capitaine Crochet, c’est très bien pensé.

Entre le diariste et la fiction avec les protagonistes, les dessins, l’écriture, les couleurs et le tracé sont tout à fait différents. « Style » crayonnés pour l’un et aquarelles délavées pour l’autre. J’ai trouvé ces représentations parfaitement adaptées aux propos. Les textes sont fins, réfléchis, détournés juste ce qu’il faut pour rester dans l’esprit de l’œuvre de James Matthew Barrie tout en offrant un regard sous un autre angle. Floppiz a parfaitement « dosé » les libertés qu’il a prises.

Je pense qu’il serait intéressant de travailler avec l’album et le texte réel dans une classe pour voir comment les élèves appréhenderaient cette « mise en scène » qui sort de l’ordinaire. Cela les aiderait, sans doute, à développer leur imagination.

Cet album est pour moi très réussi. J’aime le mélange des genres, la forme et le fond. À offrir ou à s’offrir car n’oublions jamais que toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants, mais peu d'entre elles s'en souviennent (Antoine de Saint-Exupéry).


"Un jour d'avril" de Michael Cunningham (Day)

Un jour d’avril (Day)
Auteur : Michael Cunningham
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par David Fauquemberg
Éditions : Seuil (19 Août 2024)
ISBN : 9782021547825
324 pages

Quatrième de couverture

5 avril 2019. Dans une maison de Brooklyn, le vernis du bonheur familial se fissure. Dan et Isabel s’éloignent peu à peu mais trouvent refuge auprès de Robbie, le jeune frère d’Isabel. Robbie qui habite toujours dans le grenier et vit par procuration à travers un avatar glamour en ligne. Il y a aussi Nathan, dix ans, et sa sœur Violet, cinq ans.5 avril 2020. Alors que le monde est confiné, la maison se transforme en prison. 5 avril 2021. La famille doit faire face à une nouvelle réalité, très différente.

Mon avis

L’heure incandescente….

 5 Avril 2019/2020/2021,
pour le premier, le matin, à l’heure où toutes les espérances sont encore offertes,
pour le deuxième, l’après-midi aux heures de doute en plein confinement
pour le dernier le soir, à l’heure où le rêve arrive et où chacun peut s’évader et laisser libre cours à ses pensées.

Trois dates, trois parties.

Les protagonistes sont peu nombreux. Un couple (Dan et Isabel) et ses enfants (Nathan et Violet), le frère (Robbie) de madame qui vit à l’étage, en attendant de s’installer seul ou accompagné. Un autre binôme avec le frère de monsieur qui est le père d’un bébé conçu avec une femme qui ne souhaite pas vivre avec lui. Gravitant autour d’eux, des copains, des connaissances, le père de l’épouse.
Et Wolfe qui remplit le quotidien d’Isabel et son frangin. C’est un personnage créé de toutes pièces, mais qui est là, comme s’il était vivant. Ils le font communiquer sur Instagram et cela prend beaucoup de leur temps (chaque photo et chaque commentaire postés sont très réfléchis, précédés quelques fois de discussions).

Des individus ordinaires auxquels l’auteur donnent une place extra-ordinaire (en deux mots). Ils sont parfois coincés dans leur quotidien qu’ils assument par procuration, n’osant pas être ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux-mêmes. Et Michael Cunningham, ainsi, nous interroge sur nos propres désirs : étouffés ou épanouis ?

On découvre les différents membres de la famille. Leurs incertitudes, leurs peurs, leurs joies, leurs mensonges, leurs non-dits, leurs espoirs, leurs difficultés à communiquer (malgré de nombreux dialogues) car ils ne veulent pas blesser l’autre, n’y se tromper dans leurs choix …. Chacun évolue sur la pointe des pieds mais Robbie apporte un peu de fantaisie. J’ai apprécié Violet qui est une petite fille prometteuse au regard acéré.

« Quel choc, donc, d’être là et de se rendre compte qu’une famille, c’est exactement ce que ces gens sont devenus, plus ou moins involontairement -un genre de conglomérat qui survivra à ses propres ruptures […] »

C’est un récit sur l’intimité, l’intériorité des personnes. Tout est scruté, analysé, développé au maximum. On observe l’évolution de chacun. Ce à quoi on s’attache, ce qui devient, au fil du temps, secondaire…
Certains esprits chagrins diront (et je peux le concevoir) qu’il ne se passe rien, que les échanges verbaux sont trop nombreux …

Pour moi, c’est l’essence même de ce roman. On est au cœur des ressentis, des pensées secrètes, au plus près de ce qu’on tait parfois par peur, par maladresse …

Le style et l’écriture (merci au traducteur) sont d’une infinie délicatesse, offrant un texte profond, tissé avec finesse et doigté.

 

"Le Lièvre aux yeux d'ambre" d'Edmund de Waal (The Hare with Amber Eyes)

 

Le Lièvre aux yeux d’ambre (The Hare with Amber Eyes)
Auteur : Edmund de Waal
Traduit de l’anglais par Marina Boraso
Éditions : Flammarion (25 février 2015)
ISBN : 978-2081347243
480 pages

Quatrième de couverture

Charles Éphrussi, qui inspira à Proust le personnage de Swann, fut le patriarche d'une des plus grandes familles de la bourgeoisie juive du XIXe siècle. Amis de Schnitzler, d'Hofmannsthal, mécènes des impressionnistes, les Éphrussi menèrent grand train entre Paris et Vienne jusqu'à ce que le pillage nazi et la guerre les précipitent dans la tragédie. De leur splendeur, égale en son temps à celle des Rothschild et des Camondo, rien ne survivra, sinon une étonnante collection de miniatures japonaises - les netsukes -, parmi lesquelles, comme sur la couverture de ce livre, un certain lièvre aux yeux d'ambre.

Mon avis

Edmund de Waal est céramiste, il a commencé à s’intéresser à cet art lorsqu’il avait cinq ans. C’est en 2010 que ce livre a été publié, il s’agit en quelque sorte, des « mémoires » de sa famille sur plusieurs générations. Il y développe l’histoire d’une collection de deux-cent soixante-quatre netsuke-s (le s n’est pas « obligatoire ») japonais (des sculptures miniatures en ivoire et en bois, parfois utilisées comme boutons). Propriété de la famille Éphrussi, elle a finalement atterri chez les de Waal, apparenté par un grand oncle.

De 1871 à 2009, nous faisons connaissance avec plusieurs membres de la famille (un arbre généalogique est à disposition dans les dernières pages), et parfois avec des domestiques dont Anna qui a caché et « sauvé » les miniatures. Sans elle, l’héritage était perdu.

« Pour Anna, chacun de ces netsukes est un acte de résistance à l’oblitération de la mémoire. »

C’est auprès d’Iggie, son grand-oncle, que l’auteur a récupéré de nombreux éléments pour relater le vécu de ces miniatures. Il est potier et il se révèle comme un grand écrivain. Il a fait des recherches. Parfois il glisse une photo, un document. Le texte n’est pas lourd, chaque mot coule de source, choisi avec soin. Tout est parfaitement agencé pour captiver le lecteur. Il parle des siens, de leur exil, de leurs difficultés. Il décrit l’art japonais et sa place. Les netsukes mériteraient d’avoir la parole, ils ont vu des mains les toucher, les caresser, les transporter, les offrir, les cacher. Ils ont entendu et vu tant de choses.

Chacun de ceux qui les ont eu en mains a réagi avec ses ressentis. On a tous une relation particulière, personnelle, face à des objets d’art suivant ce qu’ils représentent pour nous. Si j’allais les voir, je sais que je serais bouleversée parce que ce livre leur offre une reconnaissance, une « vie ».

Le récit est riche, précis, mettant en lien ce qu’il présente avec les événements historiques du moment. L’écriture est fluide (merci à la traductrice) et le propos fascinant. En premier pour chaque personne évoquée mais également pour tout ce qu’on apprend sur ces petits objets. Le toucher, la forme, la matière, leur rôle, c’est toute une histoire et plus encore. Une passion pour ceux qui les gardent en vitrine, regroupés avec soin par catégories.

Cette lecture est « marquante », elle fait voyager (les lieux sont décrits avec finesse), elle offre des savoirs étoffés, jamais « rasants » car intéressants et elle permet de comprendre la démarche d’Edmund de Waal.

L’art, l’Histoire (avec un grand H), la saga familiale, tout est réuni tant sur le fond que la forme pour un coup de cœur !



"Dark Horse" de Craig Johnson (The Dark Horse)

 

Dark Horse (The Dark Horse)
Auteur : Craig Johnson
Traduit de l’américain par Sophie Aslanides
Éditions : Gallmeister (7 Février 2013)
ISBN : 978-2-35178-060-2
340 pages

Quatrième de couverture

L'affaire paraissait pourtant simple. Wade Barsad, un homme au passé trouble, a enfermé les chevaux de sa femme Mary dans une grange avant d'y mettre le feu. En retour, celle-ci lui a tiré six balles dans la tête durant son sommeil. Telle est du moins la version officielle. Mais le shérif Walt Longmire ne croit pas aux aveux de Mary. Persuadé de son innocence, Walt décide de se rendre sur les lieux du crime. Il débarque incognito à Absalom, la petite ville du comté voisin – où il n'a pas juridiction – et se heurte très vite à l'hostilité de la plupart des habitants.

Mon avis

Les enquêtes de Walt Longmire, shérif dans le Wyoming, sont assez lentes. Pas de recherche d’ADN, de traçage de téléphones portables, de mails ou autres modernités. Non, un bon cheval, une voiture tout terrain, un chapeau de cow boy, des armes et une bonne dose d’observation et d’intuition, ça suffit au bonheur du lecteur.

Walt a récupéré dans sa prison, Mary, l’épouse de Wade Barsad. Il a brûlé les chevaux auxquels elle tenait et elle lui a tiré six balles dans la tête en représailles. Fin de l’histoire. Sauf que cette version ne convient pas à Walt, il n’y croit pas. Il interroge sa prisonnière mais rien, pas un mot, pas d’échange, elle est complètement fermée.

Comme il veut comprendre, il va dans le comté voisin, où se sont déroulés les faits, et se fait passer pour un agent d’assurance. Il rencontre plusieurs personnes, questionne à droite à gauche et réalise très vite que le mort n’était pas aimé et que la plupart pensent qu’il a eu ce qu’il méritait.

Le livre est construit sur deux chronologies à une dizaine (ou moins) de jours d’intervalle. Il est nécessaire de regarder la date et l’heure pour savoir où on est et avec qui (mais il n’y a pas pléthore de personnages, la ville où il va est petite et les gens peu accueillants). Cela maintient notre intérêt et évite la lassitude d’une longue suite d’investigations. En plus, cela nous offre des éléments de compréhension.

Les protagonistes sont intéressants, ils ont tous un petit quelque chose à cacher. Les non-dits, les mensonges, les secrets sont très présents dans ce roman. Ils contribuent à mettre en place une atmosphère où on n’est jamais sûr de rien, ni de personne. Dans ce tome, les adjoints du shérif n’ont pas beaucoup de place et c’est un peu dommage.

J’apprécie cette série pour plusieurs raisons. Il y a les lieux, un peu déserts et désolés, poussiéreux, que l’on visualise parfaitement car avant de mettre des actions, l’auteur plante le décor et on y est. Ensuite Walt, taciturne, taiseux, capable de se battre et dont on découvre un peu plus qui il est dans ce titre.  Et puis l’écriture (merci à la traductrice) de Craig Johnson qui est un régal. Il installe une ambiance inimitable, avec une pointe d’humour bourru. En le lisant, j’ai l’impression de voir un film. Tout se déroule sous mes yeux. Il n’oublie pas de montrer les difficultés des habitants de ces bourgades isolées qui font elles aussi partie de l’Amérique, on l’oublie souvent…

Un excellent livre, plaisant et dépaysant !


"Les Amazones" de Jim Fergus (Strongheart)

 

Les Amazones (Strongheart)
Auteur : Jim Fergus
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Luc Piningre
Éditions : Cherche Midi (19 septembre 2019)
ISBN : 978-2749155586 
376 pages

Quatrième de couverture

1875. Un chef cheyenne propose au président Grant d'échanger mille chevaux contre mille femmes blanches, afin de les marier à ses guerriers.
1876. Après la bataille de Little Big Horn, quelques survivantes décident de prendre les armes contre cette prétendue " civilisation " qui vole aux Indiens leurs terres, leur mode de vie, leur culture et leur histoire. Cette tribu fantôme de femmes rebelles va bientôt passer dans la clandestinité pour livrer une bataille implacable.
Dans cet ultime volume de la trilogie Mille femmes blanches, Jim Fergus mêle avec une rare maestria la lutte des femmes et des Indiens face à l'oppression, depuis la fin du xixe siècle jusqu'à aujourd'hui.

Mon avis

Pour conclure la trilogie commencée avec le magnifique « Mille femmes blanches », Jim Fergus a rédigé les Amazones. On y trouve principalement des journaux intimes, des « registres » écrits par ces femmes qui ont choisi de lutter avec les indiens pour récupérer ce qui leur a été volé (terres, culture, mœurs, vie…). Elles ont « épousé » leur cause. Elles les ont compris soit parce qu’elles sont de leur peuple, soit parce que, déçues par les américains, elles ont choisi de rester auprès d’eux.

Les écrits que l’on découvre sont réalistes. Les femmes partagent leurs pensées intimes, leurs batailles, leurs peurs, leurs espoirs, leurs souffrances, leurs défaites. Le propos est parfois sans filtre mais c’est comme ça qu’on s’exprimait à l’époque. On a forcément des faits vus sous plusieurs angles et racontés avec différentes émotions.

L’auteur est un excellent conteur, il sait parfaitement doser son texte. Il n’oublie pas l’amour, les rebondissements, les injustices, l’amitié etc. Les descendants prennent la parole également et apportent un dernier éclairage.

Ce sont des portraits de femmes fortes, qui ont souffert. Elles n’ont jamais baissé les bras. Elles se sont battues jusqu’au bout, unies et portées par la force collective. Même quand il arrivait qu’elles n’aient pas de nouvelles les unes des autres, elles continuaient de serrer les dents, de penser aux copines et de tout faire pour que les choses avancent dans le bon sens.

L’écriture (merci au traducteur) est fluide, accrocheuse, précise. Lire Jim Fergus, c’est aller au plus près des vies de ces indiens d’Amérique, leur redonner l’humanité à laquelle ils ont droit.

Ce dernier titre complète à merveille les deux premiers. Il permet d’emboîter les dernières pièces du puzzle, de comprendre ce qu’on ne savait pas. Quelques éléments restent sans réponse (ou avec des réponses qu’on aimerait voir évoluer) mais globalement, on a ce qu’il faut pour bien cerner tous les événements décrits.

J’ai eu du plaisir à retrouver ces femmes, leurs histoires mais je pense qu’il est plus facile de lire ce livre assez rapidement à la suite des deux premiers pour ne pas perdre le fil des nombreux personnages (et leurs déboires). Et ne lire que celui-ci n’aurait, à mon avis, aucun sens.


"Des âmes consolées" de Mary Lawson

 

Des âmes consolées (A Town called Solace)
Traduit de l’anglais par Valérie Bourgeois
Auteur : Mary Lawson
Éditions : Belfond (17 Février 2022)
ISBN : 978-2714495655
278 pages

Quatrième de couverture

Postée comme chaque jour derrière la fenêtre du salon, Clara, sept ans, guette le retour de sa sœur et épie l'inconnu qui a investi la maison de la voisine, Mme Orchard.
En plein divorce, au chômage, récemment arrivé dans cette petite ville de Solace Liam Kane est tout juste installé dans la maison que lui a léguée Mme Orchard.
En fin de vie, Elizabeth Orchard repense à une faute commise il y a trente ans.

Mon avis

Elle s’appelle Clara, elle a sept ans. Installée dans un pavillon avec ses parents et sa sœur (Rose, 16 ans, un peu rebelle) dans la petite ville de Solace, elle a un quotidien tranquille. Elle rend visite à une voisine âgée, Mme Orchard, qui habite juste en face et qui possède un chat : Moïse. Elles discutent toutes les deux, cette petite-fille aime communiquer, comprendre. Elle mène une vie agréable avec des repères, elle en a besoin.

Un jour, la vieille dame lui fait une annonce. Elle doit se rendre à l’hôpital, elle lui confie la clé de chez elle et une mission : nourrir le félin. Clara accepte et prend cette tâche très au sérieux mais la voisine tarde à revenir et elle aperçoit un homme qui semble s’installer chez elle, ce n’est pas normal. En parallèle, Rose, sa frangine qu’elle admire, fugue et ne donne pas de nouvelles malgré sa promesse.

Tout son univers s’écroule, elle ne peut compter sur personne. Ses parents sont préoccupés et ne répondent pas à ses questions, Rose ne rentre pas et elle s’inquiète car l’intrus ne part pas, elle doit même donner à manger à Moïse en cachette, lorsqu’il s’absente.

Le lecteur, de chapitres en chapitres, va suivre l’histoire de ces trois personnages et découvrir leur passé, leurs raisonnements, leurs choix. Ils ont en commun d’être méfiants, sur leurs gardes et de ne pas aller facilement vers les autres. Ce qu’ils vont vivre leur permettra de s’ouvrir aux autres, au monde extérieur. Parfois, on observe une même situation sous plusieurs angles.
Dans cette bourgade, tout le monde se connaît et l’étranger qui arrive et se pose dans la demeure de Mme Orchard, intrigue pas mal de monde. Qui est-il ? Va-t-il rester ? La police cherche Rose mais où est-elle ?

Je me suis attachée à Clara. On la croit fragile mais pour ceux qu’elle aime (sa sœur, le chat), elle est capable de remuer ciel et terre, de tenir tête, de ne rien lâcher. Elle réfléchit avant d’agir pour obtenir ce qu’elle veut. Elle a tout d’une grande, elle est attentive aux autres, fait preuve d’empathie, c’est une belle personne.

Dans ce triptyque, on alterne entre passé et présent, on perçoit la face cachée des protagonistes, leurs pensées intimes, leurs peurs, leurs remords, leurs hésitations, leurs espoirs…. Je ne sais pas si c’est parce que l’auteur a fait des études de psychologie mais elle explore les âmes avec une acuité subtile et adaptée à chaque individu ce qui est très fort.

Son écriture (merci à la traductrice) d’une infinie délicatesse, tendre avec ceux dont elle parle, est un délicieux mélange d’humour (les contractions de son vieux cou maigrelet m’ont évoqué celles d’un serpent avalant une balle de golf), d’analyse, de poésie. J’ai été conquise tant par la forme que par le fond. Elle retranscrit l’atmosphère de cette cité et présente les relations entre les gens avec l’intelligence du cœur, elle leur donne leur place tout simplement. Aucun ne s’impose, ils sont là, présences palpables entre les pages et on les quitte à regret.

Je ne connaissais pas Mary Lawson et je n’avais pas entendue parler d’elle. C’est en suivant un conseil que j’ai lu ce titre et je sais déjà que ce ne sera pas le seul.

PS : le titre est magnifique !