"Mourir en Juin" d'Alan Parks (To Die In June)

 

Mourir en Juin (To Die In June)
Auteur : Alan Parks
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Olivier Deparis
Éditions : Rivages (12 février 2025)
ISBN : 978-2743665524
370 pages

Quatrième de couverture

Une femme vient signaler à la police que son fils a disparu mais on ne trouve aucune trace de l’existence du jeune garçon. L’inspecteur Harry McCoy ne tarde pas à découvrir que la famille est membre d’une secte chrétienne, ce qui jette une tout autre lumière sur cette disparition. Par ailleurs, des vieillards esseulés et marginaux sont victimes d’empoisonnements et parmi ces hommes considérés comme des rebuts de la société se trouve le propre père d’Harry.

Mon avis

J’ai fait connaissance de l'inspecteur Harry McCoy avec Janvier noir, qui se déroule en 1970 à Glasgow. De mois en mois, me voici en Juin, à la moitié de la série qui monte en puissance. Cette fois-ci, c’est en 1975 que se déroule cette nouvelle aventure mettant en scène Harry et son collègue et ami Wattie.

C’est sans doute le tome le plus sombre, le plus noir, celui qui m’a serré le cœur au-delà du raisonnable parce que Harry va mal et que je me suis attachée à lui comme s’il existait vraiment. Il perd pied, se perd lui-même, l’espoir semble le déserter. Il mange mal, boit trop, ne fréquente pas toujours les bonnes personnes. Son passé difficile le hante, il ne prend pas soin de lui comme s’il ne s’autorisait pas à être heureux. Pourtant des personnes lui témoignent leur amour ou leur affection : Margo, Murray etc. Il semble ne pas en tenir compte…

Wattie et Harry viennent d’être « relocalisés » au commissariat de Possil, dans un autre quartier de la ville, officiellement pour une restructuration. Wattie est persuadé qu’il y a une raison précise pour ce « déplacement » et que son camarade le sait et ne lui dit rien… Alors, parfois, les relations sont un peu compliquées entre les deux hommes qui pourtant s’apprécient.

Un jour, une femme débarque au bureau en disant que son fils a disparu. En creusant, il s’avère que ce n’est pas clair et que l’enfant n’existe pas. Elle fait partie d’une communauté religieuse où les gens semblent un peu « illuminés ». En parallèle des sans-abris sont retrouvés morts. Mort naturelle ou alcool frelaté par leurs soins ? Ou autre chose ? D’ailleurs qui pourrait regretter ces gens-là ?

Nos deux policiers ont du travail. En outre, la guerre des gangs est ouverte en continu. De ce fait, l’atmosphère est particulièrement lourde, tendue. McCoy est sur tous les fronts, souvent seul car collaborer, se confier, tout cela n’est pas naturel chez lui. C’est un électron libre, qui détourne les règles. Il a un sens aigu de la justice. On peut lui faire confiance mais il a ses propres idées, ses propres méthodes. Il est impulsif et ça lui joue des tours, le mettant dans des situations qu’il ne maîtrise pas. C’est un personnage intéressant, il a besoin de solitude, navigue entre deux eaux, entre le bien et le mal. Il hésite pour ses choix, se trompe quelques fois et ne sait plus que faire…

Alan Parks retranscrit bien l’ambiance de cette ville, aux quartiers abîmés, qu’il faudrait rénover, gangrénés par la pègre mais pas que … Il nous envoie sur des fausses pistes. Il montre parfaitement les conditions de travail de la police, les mensonges, les « arrangements » avec la vérité.

L’écriture est forte, fluide (merci à Olivier Deparis, le fidèle traducteur). Le vocabulaire est bien choisi, que ce soit pour présenter les événements ou les émotions et pensées des individus. C’est une force de l’auteur, il partage avec nous le quotidien, sous toutes ses formes, de ceux qui « habitent » son récit.

J’ai beaucoup aimé les différentes problématiques abordées, notamment sur la place de la religion, ses dérives ainsi que tout ce qui concerne l’influence que ce soit au commissariat, dans la rue ou ailleurs. Ce n’est pas évident de dire non lorsque ceux qui sont face à vous semblent avoir raison et ne vous laissent pas le choix.

Vivement le roman de Juillet pour voir ce que devient Harry !


"Ticoco Ramdam chez les hippos" de Anne Surrault & Delphes Marchal

 

Ticoco Ramdam chez les hippos
Auteurs : Anne Surrault (textes) & Delphes Marchal (dessins)
Éditions : Ella éditions (17 novembre 2023)
ISBN : 978-2368036242
64 pages

Quatrième de couverture

Dans la forêt tropicale, les singes capucins se préparent pour les vacances. Ticoco et ses cousins, Tikiki et Titlili vont partir tout seuls, comme des grands… chez leurs amis hippopotames.
Eh ! là, regardez, les jumeaux, Popotine et Popotoum. C’est bizarre, pourquoi sont-ils à l’écart ? se demande Tikiki en les rejoignant.

Mon avis

Un très bel album, à lire à de jeunes enfants ou à mettre dans les mains des lecteurs qui débutent.

La couverture est en carton solide, les pages en papier assez épais, brillant. Le texte est à gauche ou à droite, écrit assez gros et centré, de l’autre côté, il y a un beau croquis avec des couleurs vives. Les têtes des animaux sont très expressives.

Dès la première page de gauche, les neuf principaux personnages (singes, hippopotames ou oiseaux) sont présentés, un dessin en couleurs et leur nom (que l’on retrouve en caractères gras dans le livre). C’est très pratique pour y revenir au cours de la lecture. D’autre part, pour les capucins, ça commence par Ti et pour les oiseaux par Pic, facile à repérer à l’oreille ou en lisant.

Cette histoire met en scène des animaux, certains se moquent, d’autres ne supportent pas de voir leur corps trop gros, ou autres problématiques, et rien n’est facile. Passer par l’intermédiaire d’animaux est une bonne idée. Cela évite d’associer les types de caractères à un style d’humains, ce qui serait un raccourci pour l’enfant, trop caricatural (tel style harcèle par exemple).

Au fil des pages, le dialogue s’installe entre tous et ils essaient de mettre en place des choses pour améliorer les relations entre les uns et les autres. Cela peut entraîner des discussions avec des petits dans la même situation ou connaissant des camarades concernés.

Les illustrations sont magnifiques, douces, arrondies, et bien imagées. Elles ont de belles couleurs. J’ai particulièrement apprécié les scènes de nuit, elles ont un petit côté féérique et magique.

La fin est consacrée à quelques conseils, en lien avec le thème principal (la moquerie). Ce sont des idées bien ciblées, adaptées.

Je pense que cet album peut être acheté pour aborder certains sujets dans une classe ou en famille.


"Dans cette vie et la suivante" de Léa Volène

 

Dans cette vie et la suivante
Auteur : Léa Volène
Éditions : L’Archipel (20 Février 2025)
ISBN : 978-2809851823
338 pages

Quatrième de couverture

Léonie apprend qu'elle est rayée de la sécurité sociale car elle est déclarée morte. Une erreur qui tombe mal dans la vie de cette trentenaire qui peine à surmonter une rupture amoureuse. Elle va découvrir que d'autres personnes sont confrontées au même problème et se lier d'amitié à deux d'entre eux. Ils vont s'entraider pour ce retour à la vie...

Mon avis

En commençant ce roman, je m’attendais à une histoire un peu originale (vu le thème) et assez « tranquille ». Et puis…

Léonie, lors d’une visite médicale, apprend que sa carte vitale ne fonctionne plus car elle a été déclarée morte. Sa responsable ne la veut plus à la bibliothèque où elle travaille, ses comptes sont bloqués et en plus son conjoint vient de la laisser. Peut-on tomber plus bas ?

Par hasard, et oui, il y en a d’heureux de temps en temps, elle apprend qu’une association existe afin d’aider les personnes dans son cas. Un groupe de soutien pour « les morts toujours vivants » afin d’échanger, de se donner des conseils pour les démarches etc. Elle n’a pas vraiment envie de s’y rendre mais face à l’inertie des administrations, elle se décide. Elle fait connaissance avec plusieurs personnes dont Guy et Alma, deux membres atypiques. Lui, un peu mystérieux, secret et elle très exubérante, fuyant les questions. Que font-ils là ? Leur cas est-il résolu ? En parallèle, on lit de temps en temps, les courtes interventions d’une jeune journaliste aux dents longues.

Chacun des protagonistes traînent des casseroles. En découvrant leur vie, au fil des chapitres, on en apprend plus sur leur passé. Ils ont tous eu quelque chose de terriblement difficile à affronter, et ça les hante encore. Alors que faire ? Se refermer ? Baisser les bras ? Ou essayer de trouver la force d’avancer pas à pas, jour après jour ?  Chacun ses choix, mais il y a forcément des hauts, des bas car la vie n’est pas un long fleuve tranquille…

Les sujets abordés sont graves, sérieux et on pourrait penser que la lecture va être « plombante » et bien, pas du tout ! Et c’est sans doute la grande force de ce récit. L’auteur a su aborder tout cela avec une écriture pétillante, parfois teintée d’humour (avec des anecdotes, une scène, une tenue, un dialogue...) et des relations humaines bien présentées, que ce soit facile ou pas entre les uns et les autres. Elle ne nie pas les problèmes, les difficultés, de communication, d’écoute, de partage, quand on a souffert. Elle en parle mais elle ne s’appesantit pas. Cela ne veut pas dire qu’elle effleure, mais ses protagonistes essaient d’aller de l’avant donc inutile de tourner en boucle dans le marasme.

Cela donne un « élan » à ce livre. Alma, Guy et Léonie se transforment au fil des pages, déploient leurs ailes, comme le papillon de la couverture. Oui, les bons sentiments sont présents. Ceux qu’on devrait rencontrer plus souvent dans notre quotidien, parce qu’ils donnent de la force. Peu importe qu’il y ait un côté improbable, l’essentiel n’est pas là. Il est dans ce que transmet Léa Volène. Malgré les obstacles, les coups durs, certaines rencontres valent le détour et peuvent aider à être mieux.

J’ai apprécié que cette histoire ne soit pas aussi prévisible que je l’avais imaginé, que ce ne soit pas « bisounours » en permanence. L’auteur a parfaitement dosé tout ce qu’elle voulait transmettre et ce n’est pas un exercice facile contrairement à ce qu’on croit. C’est très réussi !

PS : Je pense qu’un petit Amigurumi pourrait être offert avec ce titre 😉

"Mauvais coeur" d'Audrey Brière

 

Mauvais cœur
Auteur : Audrey Brière
Éditions : Seuil (7 Février 2025)
ISBN : 978-2021552348
384 pages

Quatrième de couverture

1922. Dans un petit bourg du nord de la France se dresse le Familistère, un immense bâtiment de brique rouge, de verre et d'acier, où sont logés les employés des fonderies Godin et leurs familles. Une communauté ouvrière unique, fondée sur une utopie humaniste. Pourtant, ce matin-là, leur institutrice est retrouvée assassinée. Dépêché sur les lieux, l'imperturbable Matthias Lavau, enquêteur aux capacités remarquables, ne peut s'empêcher d'être étonné. Quel étrange endroit, quelle drôle de façon de vivre...

Mon avis

Familistère, ça vous dit quelque chose ? Moi, non, ou alors je ne me souvenais pas. Il a été fermé en 1968 et c’est maintenant un musée. Jean-Baptiste Godin (des poêles Godin) a pensé, créé et construit « une utopie réalisée » dans les années 1860 et suivantes. C’est un lieu de vie où les ouvriers ont accès à des logements, une piscine, des économats pour les achats, une buanderie, un pouponnat, une école etc… Le tout est bien géré, mais forcément ça se passe en vase clos. Si l’usine se développe, il n’y a pas assez d’appartements alors des jalousies peuvent voir le jour entre ceux d’en haut et ceux d’en bas (les ouvriers qui n’ont pas accès au familistère et à ses services).

C’est là, en 1922, qu’Audrey Brière situe son nouveau roman. Elle s’est énormément documentée pour que son récit tienne la route. Le côté historique est parfait pour la description et l’utilisation des locaux, le quotidien de l’époque, le vocabulaire employé, les vêtements (Esther qui ose mettre un pantalon !), les méthodes d’investigation des enquêteurs, les progrès scientifiques etc.

Dans ce familistère où en apparence, tout se déroule toujours bien, une institutrice est assassinée. Diligenté sur place, c’est l’inspecteur principal, Matthias Lavau, qui va essayer de comprendre et d’empêcher que la situation dégénère. C’est un homme grand, taciturne, pas très à l’aise avec les autres, avec une mémoire exceptionnelle, un sens de l’observation aigu mais il a peur du sang… On ne peut pas être parfait…. Il donne tout pour réussir.

Dans cette communauté, les inimités ne sont pas visibles. Il faut montrer un front uni et lisse mais on s’aperçoit que certains individus ne sont pas « nets » et cachent certaines choses. Mais comment les « coincer » ?

Il faudra beaucoup de ténacité à cet homme et l’aide d’Esther Louve, une collègue, pour avancer pas à pas et tout faire pour résoudre cette affaire. Quelques éléments du passé sont habilement glissés au bon moment soit pour éclairer un fait, soit pour fournir une nouvelle piste.

L’écriture de l’auteur est « racée », de belle qualité. Le phrasé nous plonge dans l’intrigue, crée une atmosphère légèrement surannée. Les personnages sont intéressants. Si on connaît Matthias et Esther depuis le livre « Les malvenus », on découvre leur évolution, si non, ça ne pose aucun problème. J’apprécie que ces deux-là soient maladroits dans leur relation à l’autre. Leur enfance a été suffisamment ardue pour expliquer leurs difficultés. On les observe. Ils sont parfois un peu brusques, parfois perdus car ils voudraient et n’osent pas …  Mais cela ne les empêche pas d’être terriblement professionnels, avec des interprétations très pointues. Ils se complètent à merveille.

Cette lecture m’a beaucoup plu. Un mini bémol pour un élément de la fin, pas totalement indispensable à mon sens, mais qui ne m’a pas gênée plus que ça, tant le reste tient la route. Pour moi, Audrey Brière est montée en puissance !

"Zéro Karma" de Marco Pianelli

 

Zéro Karma
Auteur : Marco Pianelli
Éditions : Les éditions du 38 (8 Novembre 2024)
ISBN : 9782384831319
280 pages

Quatrième de couverture

Il est midi dans une station-service égarée quelque part dans les Vosges. Un ado de 14 ans, Dimitri, s’accuse de l’assassinat de son père. Il se constitue prisonnier à l’arrivée des gendarmes. Paco Sabian, de passage, écoute son récit. Et si le destin, manipulateur, avait placé le garçon sur son chemin pour lui révéler une vérité qui lui avait jusqu’ici échappé ?

Mon avis

Il y a des rencontres qui ne s’expliquent pas. Ça « matche » tout de suite, on ne sait pas pourquoi, on peine à donner des raisons mais c’est ainsi et en général « c’est fort ».

C’est ce qu’il s’est produit la première fois que j’ai lu un roman de Marco Pianelli. L’impression que son personnage était là pour moi, me parlait, me jetait au cœur de son histoire. Je vibrais avec lui comme si le connaissais depuis toujours, comme s’il existait vraiment. Ce sentiment ne m’a pas quitté quel que soit le titre de cet auteur.  Alors, en découvrir un nouveau, c’est prendre le risque que cette espèce de « magie » inexplicable ne fonctionne plus.

À peine quelques lignes et Paco était là « présent ». Cette fois-ci, il roulait tranquille, sans s’occuper de personne. Et puis, il a vu quelque chose. Cet homme a un besoin viscéral : que justice soit faite, que ceux qui ont fait souffrir, qui ont tué, soient punis. Alors qu’il est sur le point de prendre de l’essence, il aperçoit un adolescent qui sort d’une voiture et qui se retrouve seul, bizarre… Il le suit dans la station-service et entend le jeune garçon s’accuser du meurtre de son père et demander que la police soit appelée. Pour Paco, tout ça n’est pas net. Il décide de ne pas continuer la route ce soir. Il veut comprendre. Ce gosse lui « parle », il sent ce qu’il ne dit pas, il veut l’aider et il reprendra son chemin lorsqu’il aura réussi.

Rien ne va être simple mais le mystérieux Paco a l’esprit vif, il observe, enregistre, déduit et agit en fonction de ce qu’il a cerné. C’est un homme exceptionnel comme le saisit très vite Edwige Ravel la responsable de l’enquête. Que ce soit au niveau physique ou intellectuel, ses capacités sont hors normes.  Il vaut peut-être mieux l’avoir avec soi que contre soi, même s’il flirte avec la ligne rouge en permanence. C’est un électron libre, juste et tenace.

Ce récit plaira autant aux hommes qu’aux femmes : de l’action, un peu de sensualité, des rebondissements, pas de temps mort. En quelques lignes, le décor et les individus sont installés. L’atmosphère est très bien retranscrite, souvent tendue, nous nouant les tripes, parfois plus douce pour nous faire souffler. C’est « palpable ».

Les phrases courtes, percutantes, vont à l’essentiel. L’auteur, comme son héros, ne s’embarrasse pas de fioritures, de blablas inutiles. À quoi bon délayer ? Faire vite et bien est son leitmotiv. Collaborer avec la police n’est pas son fort mais il essaie, ne serait-ce que parce que ce gosse le perturbe et qu’il souhaite le soutenir, le sortir de la situation dans laquelle il est étant donné qu’elle n’a rien de « logique ».

Une fois encore, je me suis laissée emporter par le style de l’auteur. Punch lines, rythme trépidant, métaphores à l’ironie grinçante, dialogues hauts en couleurs, rien ne manque. Une fois commencé, je n’ai pas pu quitter ce livre. Le suspense est omniprésent.

J’ai énormément apprécié cette nouvelle aventure et je n’ai qu’une demande : c’est quand le prochain titre ?

"La vallée des égarés" de Céline Servat

 

La vallée des égarés
Auteur : Céline Servat
Éditions : Taurnada (13 Février 2025)
ISBN : 978-2372581448
288 pages

Quatrième de couverture

Le Comminges. Dans ce coin tranquille, au pied des Pyrénées, la présence incongrue d'un corps mutilé va mobiliser les gendarmes de Salies-du-Salat, associés pour l'occasion à la section de recherche de Toulouse. Marco Minelli, comptable sans histoires, se retrouve mêlé bien malgré lui à une enquête angoissante qui va le plonger dans les affres du doute, tiraillé entre la raison et la folie. Ces petites bourgades aux ruelles paisibles abritent-elles la tanière d'un tueur sanguinaire ? Qui sera la prochaine victime ?

Mon avis

Une petite cité au pied des Pyrénées, Marco Minelli est un comptable solitaire. Au travail, il a parfois des difficultés à communiquer et à se mêler à ses collègues. Alors, certains ne sont pas très à l’aise avec lui et il ne fait pas d’efforts, il n’est pas à la recherche de relations amicales. Il a hérité d’un don familial : il coupe le feu. Il guérit les blessures et soulage les malaises. Il n’étale pas cette « facilité », il en est presque gêné mais lorsqu’on lui demande de l’aide, il y va. Il est ami avec sa voisine Manu. Elle l’oblige à sortir, à aller de l’avant, à ne pas se couper du monde.

Un jour, un copain lui téléphone et lui demande d’aller soigner une connaissance à lui. Il accepte et s’y rend en voiture car ce n’est pas à côté. Il rencontre un homme avec qui le contact est difficile mais il réussit à lui faire du bien. Ce dernier le rappelle et il y retourne. Là, il se trouve confronté à une scène de carnage et un homme assassiné. Il prend peur et fuit mais passe un coup de fil anonyme aux autorités.

À la gendarmerie, Vincent Vivès, qui avait choisi cette petite bourgade pour être tranquille, est bousculé par les événements. D’autant plus que la section de recherches de Toulouse est envoyée sur place pour mener l’enquête avec eux et éviter d’autres meurtres. Le calme et la vie pépère c’est terminé. En fouillant le passé de la victime, les gendarmes découvrent qu’il a été placé par l’aide sociale à l’enfance. Est-ce que cela a un rapport avec sa mort ? Est-il nécessaire de voir les familles qui l’ont accueilli ? Tout le monde sait qu’il n’est jamais bon de remuer le passé… Et pourtant pour comprendre et cerner celui qu’il était et résoudre le mystère de son décès, c’est sans doute essentiel.

Les investigations se déroulent sur un rythme assez lent. On suit les « officiels » d’une part et Marco, quelques fois avec Manu, d’autre part. Tous ont le même objectif : empêcher d’autres crimes et surtout répondre aux questions : qui, comment, pourquoi ?

Il y a une atmosphère particulière dans ce récit. Marco n’est pas quelqu’un d’ordinaire. Un mal-être l’habite comme s’il ne maîtrisait pas tout de sa vie, dans sa vie. Et cela le fait souffrir. On aimerait qu’il trouve un équilibre. C’est un personnage intéressant, sans doute inspiré par quelques situations que l’auteur a connu dans le cadre de son activité professionnelle.

Céline Servat aborde de nombreux thèmes que je ne dévoilerai pas. Elle creuse le caractère et les raisons d’agir des différents protagonistes. Son écriture est fluide, on sent qu’elle sait de quoi elle parle et où elle veut nous entraîner. Les indices arrivent petit à petit et nous permettent d’envisager une autre piste et forcément ce n’est pas franchement net alors on se demande bien où est la vérité.

C’est un roman qui se lit bien car on a le souhait d’avoir des réponses à nos interrogations. Et même si quelques petites choses peuvent se deviner, l’intérêt ne faiblit pas et c’est le principal !

"Pierre & Rose-Andrée Itinérances" de Joub

 

Pierre & Rose-Andrée Itinérances
Auteur : Joub
Éditions : Jarjille (31 Janvier 2025)
ISBN : 9782493649317
114 pages

Quatrième de couverture

Comment concilier vie professionnelle et épanouissement personnel quand on est jeune adulte ? Comment s’adapter face aux aléas de la vie ? Comment vivre au mieux ses relations amoureuses ? Pendant 5 ans Joub a recueilli les témoignages de deux de ses proches aux parcours de vie très différents, mais aux questionnements similaires : Rose, 24 ans, guyanaise et jeune maman, attirée par les voyages et le monde du cinéma et Pierre, 20 ans, étudiant en histoire à Rennes, passionné de musique et en perpétuel questionnement sur le monde.

Mon avis

Pendant cinq ans, Joub a rencontré régulièrement Pierre et Rose-Andrée. Il a partagé leurs témoignages en bande dessinée. Des tranches de vie entre 2018 et 2023 (donc des bouleversements dus au COVID).

Ils se confient sur leurs difficultés au niveau professionnel entre ce qu’ils rêvent de vivre et la réalité du terrain. C’est difficile mais ils s’accrochent essayant de rester positifs. Ils sont tous les deux loin de leur famille, isolés mais volontaires et ont un bon niveau d’études. Au niveau amoureux, ce n’est pas plus facile, ils ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent. Il est célibataire, elle a un enfant. Ils « affichent » une certaine forme de calme, prenant les jours les uns après les autres. Le stress vient de temps à autre mais moins que ce qu’on pourrait imaginer vu la précarité de leur situation.

On découvre leur quotidien, par exemple : Rose-Andrée explique sa déprime hivernale car elle manque de soleil ; Pierre dit que seule la musique le motive mais ça « c’est rien », c’est parfois bien plus compliqué et ils doivent faire face.

Les dessins aquarellés sont très réalistes. Les visages, les attitudes, tout est expressif.  L’auteur fait preuve de respect et de délicatesse pour montrer leur parcours. C’est intéressant d’observer de l’extérieur leurs ressentis et leur comportement face à ce qu’ils vivent. J’ai trouvé qu’ils se confiaient sans tabou, sans gêne. Bien sûr, tous les deux connaissent Joub mais ce n’est jamais simple de parler de soi, surtout en profondeur et avec différents angles de vue. Parfois ils doutent, se questionnent sur l’avenir. Ils sont attachants car on les sent à la fois forts et fragiles, donc humains tout simplement.

Les textes sont édifiants, exprimant en toute simplicité ce que les deux jeunes pensent vraiment.

Les cases ne sont pas régulières, parfois le croquis tient toute la page ou un regard emplit une case avec quelques mots. Les couleurs sont chaudes. L’arrière-plan n’est pas trop détaillé et c’est mieux car les personnes sont « présences » et « habitent » cet album.

J’ai beaucoup apprécié cette lecture, c’est presque un documentaire et les deux personnalités présentées sont une belle rencontre pour le lecteur !

NB : j’ai choisi d’écrire « ils » plutôt que « il-elle » sans arrêt.

 



"Le tombeau oublié" de Douglas Preston (The Lost Tomb)

 

Le tombeau oublié (The Lost Tomb)
Et autres histoires d'ossements et de meurtres
Auteur : Douglas Preston
Traduit de l’américain par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (16 Janvier 2025)
ISBN : 978-2809848854
384 pages

Quatrième de couverture

Des jungles du Honduras aux pyramides d'Égypte, des montagnes de l'Oural aux collines de Florence, Douglas Preston a sillonné le monde et les mystères qu'il recèle. Meurtres non résolus, sort de civilisations brusquement disparues, découvertes de charniers anciens.

Mon avis

Ce livre est composé de treize articles parus entre 1988 et 2021, écrits par Douglas Preston pour des journaux ou des magazines, entre autres, The New Yorker.

Je me suis souvent demandée où, avec son complice Lincoln Child, ils allaient chercher l’inspiration pour leurs romans très prenants, souvent écrits à partir de faits réels. Et bien avec cette lecture, je connais quelques-unes de leurs sources et je n’aurais pas cru en apprendre autant. D’abord cet écrivain ne se contente pas de rédiger des opus, il est également journaliste (au magazine Natural History) et a une excellente formation scientifique. Il fait preuve de ce que j’appellerai une « curiosité intelligente » avec une soif de connaissances importante.

Il a participé à des expéditions (il en a même fait seul, à cheval à la recherche de traces historiques ou préhistoriques) dans le monde entier. Pour relater certains faits, avant éventuellement de les étoffer pour en faire une histoire, il les a présentés dans la presse américaine. Pour « le tombeau oublié », il en reprend treize parmi les plus marquants et rajoute une partie « Prolongements » pour dire s’il y a eu une « suite » depuis leur parution. J’ai reconnu ce qui avait pu être le point de départ de certains titres que j’ai lus.

Ce qu’il a choisi est très intéressant, ce ne sont en rien des événements ordinaires. Certains sont troublants, d’autres carrément affolants (soupçons de cannibalisme) voire terrifiants tant il se met en danger (sur les traces d’un tueur en Italie). Il en fait une analyse fine, pointue. Il rencontre les protagonistes, il questionne, fouille, creuse, ne lâche rien, s’interroge…

« Je me suis alors posé la question : la vérité a-t-elle des vertus salvatrices lorsqu’on la regarde en face, ou bien aurais-je été mieux inspiré de ne jamais chercher à savoir ? »

Il se rend sur place pour mieux cerner ce qu’il découvre, il part et revient si besoin. Il fait, à chaque fois, une présentation « historique » de ce qu’il évoque, donnant son avis avec des arguments ciblés et précis, ne laissant rien au hasard. Quand le fait est violent, il essaie de comprendre comment des personnes peuvent « tomber dans le mal » et semer la terreur. Il parle aussi des musées où certains squelettes sont conservés, ce qui n’est pas une bonne chose pour les peuples auxquels ils appartiennent (car pour eux, leurs morts ne peuvent pas reposer en paix sans leurs rituels). Il en est de même pour quelques objets. Il explique alors comment les choses ont évolué, plutôt dans le bon sens, même s’il reste beaucoup à faire afin de respecter les croyances.

Il vérifie la crédibilité de ce qu’on lui transmet, de ce qu’on lui apprend. Il dissèque le rôle d’internet avec les rumeurs, les répercussions qui peuvent détruire une personne. Il en a été victime lorsque son intérêt pour une femme, Amanda, qu’il jugeait innocente, a été détourné. Tout a été déformé, instrumentalisé….

L’écriture est addictive, on a envie de savoir. Sebastian Danchin a encore fait une excellente traduction car on sent que le vocabulaire est choisi avec soin pour que la lecture soit fluide et plaisante.

Pour chacune des treize situations, il propose une ou plusieurs théories. Certaines fois, il y a une réponse, pour d’autres, tout peut encore être envisagé… Ce recueil fait le lien entre son travail de journaliste d’investigation et son activité d’écrivain et c’est une réussite.

"Ligne rouge" de Laure Rollier

 

Ligne rouge
Auteur : Laure Rollier
Éditions : Récamier (30 Janvier 2025)
ISBN : 978-2385771348
290 pages

Quatrième de couverture

Les secrets bien gardés ne le restent jamais pour l'éternité. Niels et Jennifer, anciens amis d'enfance, pensaient pouvoir composer avec leurs secrets respectifs mais le moment est venu pour eux de s'y confronter.

Mon avis

En refermant ce livre, j’ai pensé « waouhh ». En effet, je le trouve excellent, plein de surprises, bien rédigé et habilement construit. J’ai été happée dès les premières lignes et je ne l’ai plus lâché.

Ils seront trois à s’exprimer : Niels, sapeur-pompier, Jennifer, une femme mariée, commerçante, qu’il a connu lorsqu’ils étaient jeunes et Slimane, un ami de Niels. Pour chaque partie, leur prénom au début donc on sait immédiatement qui parle (pendant plusieurs chapitres quelques fois). On passe de l’un à l’autre. Parfois un même événement est présenté et forcément les ressentis sont différents en fonction des personnes. Cette approche est très intéressante car le lecteur se demande lui aussi comment interpréter chaque situation et qui croire. D’autant plus que Laure Rollier laisse le doute s’installer, glissant des indices qui peuvent s’avérer fiables ou pas….

La grand-mère de Niels, mamie Jeanne, est décédée. Niels se rend vers Seignosse, dans les Landes pour vider la maison. Dans quelques jours sa sœur le rejoindra. Quant à son père, il devrait venir aussi puisqu’il s’agit de sa mère. Comme l’entente n’est pas terrible entre deux enfants et le paternel, Niels espère passer le premier et récupérer quelques souvenirs pour sa frangine et lui. Quand il arrive, c’est la surprise et ce qu’il découvre le déstabilise complètement. C’est son passé qui lui revient en pleine figure et il n’est pas serein.

Jennifer, de son côté, reçoit des messages pour le moins bizarres et qui eux aussi font référence à ce qu’elle a vécu enfant. À qui peut-elle se confier ? En ce moment, ça ne va pas très fort avec son époux et elle n’est pas à l’aise pour dialoguer avec lui. Elle se sent seule. Elle n’a pas revu Niels depuis des années et ne le souhaite pas mais il se pourrait que leurs routes se croisent à nouveau. Comment vont-ils réagir ? Les problèmes auxquels ils sont chacun confrontés sont-ils liés ?

Je me suis rapidement demandée comment allait être établi un lien entre les deux personnages. Et franchement chapeau ! Je serais curieuse de connaître la façon dont l’auteur a établi les grandes lignes de son intrigue, j’aimerais voir son brouillon (une carte heuristique ?). Il n’y a aucune faille et c’est captivant d’un bout à l’autre, l’intérêt ne retombe jamais car au contraire, on rebondit sur un autre élément et on se met à regarder les faits sous un autre angle. C’est très bien amené et parfaitement pensé.

Les protagonistes ont de l’étoffe. Ils n’ont pas pu maîtriser certains agissements antérieurs qui les ont blessés mais ils ont essayé d’avancer malgré leurs blessures, trouvant un équilibre un peu fragile. Maintenant, tout est remis en question et ils sont mal dans leur vie et leur tête. Leurs peurs, leurs angoisses, leurs interrogations sont très bien retranscrites. On est en totale empathie avec eux même si, de temps en temps, on se pose des questions. C’est une des grandes forces de ce récit, on se sent partie prenante, comme si on y était, en train d’observer, de suivre le déroulement de chaque journée au plus près de chacun.

J’ai été totalement séduite par l’écriture et le style. Un vocabulaire adapté, un phrasé percutant, de l’action et des rebondissements bien ciblés. J’ai particulièrement apprécié que rien ne soit aussi simple ou linéaire qu’on le penserait au premier abord. Même la fin est renversante, c’est dire que Laure Rollier tient à merveille les rênes de son histoire et qu’elle sait où elle veut nous emmener. Bravo !

"Le jeu de la rumeur" de Thomas Mullen (The Rumor Game)

 

Le jeu de la rumeur (The Rumor Game)
Auteur : Thomas Mullen
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Bondil
Éditions : Rivages (5 février 2025)
ISBN : 978-2743665517
512 pages

Quatrième de couverture

Une journaliste déterminée et un agent du FBI récalcitrant affrontent des éléments fascistes dans ce thriller historique qui se déroule à Boston durant la Seconde Guerre mondiale.

Mon avis

Boston, Juin 1943. La ville est tiraillée entre ceux qui veulent participer à « l’effort de guerre », ceux qui font courir des bruits, ceux qui veulent se débarrasser des juifs, ceux qui magouillent pour améliorer leurs conditions de vie, ceux qui voudraient se battre et sont restés là pour diverses raisons.

C’est le cas de Devon Mulvey, un agent du FBI, il est en ville. Il est d’origine irlandaise et cherche sa place. Il n’est pas toujours d’accord avec sa famille, notamment son père. Pour le « bureau », sa tâche habituelle est l’espionnage industriel mais Il est amené à collaborer avec la police et à enquêter sur le meurtre d’un ouvrier immigré. Là aussi, il n’est pas en phase, il n’interprète pas les faits comme ses collègues. Il les dérange également car sa façon de mener les investigations ne suit pas toujours les procédures officielles. C’est un personnage intéressant car il est ambivalent. Il est attiré par les femmes mariées et se met rarement des limites, il aime les beaux costumes … alors qu’il devrait se montrer plutôt discret pour avancer …

En parallèle, le lecteur fait connaissance avec Anne Lemine, une jeune femme intrépide. Elle est juive même si elle ne suit pas tous les « enseignements » de cette religion. Elle vit avec sa mère, son cousin et son jeune frère. Elle travaille pour un journal où elle a créé une rubrique appelée « La clinique des rumeurs ». Elle remonte à l’origine des « on dit » pour prouver que rien n’est vrai. Mais elle rêve d’un sujet plus « marquant » car ceux qu’elle aborde restent légers. Des pamphlets antisémites sont distribués « sous le manteau », ça la motive et elle décide de creuser l’affaire. Ce qu’elle n’a pas imaginé en évoquant un sccop comme celui-ci c’est qu’elle va se mettre en danger.

Sa route croise celle de Devon car leurs recherches ont un point commun. Que vont-ils faire ? Collaborer ? Se soutenir ? Ne partager qu’en partie ce qui peut aider l’autre ? Est-ce qu’un irlandais catholique peut coopérer avec une juive ?

Thomas Mullen a ancré son récit dans un contexte historique riche, en glissant des événements réels de temps à autre. Ses protagonistes suivent l’évolution de la guerre, sont partagés et hésitent sur les choix que devrait faire le pays. Il a beaucoup lu avant d’écrire, s’est documenté et il s’est même inspiré de personnes connues comme il l’explique dans sa note en fin de livre.

Il sait parfaitement nous plonger dans la vie d’une ville et de ses habitants, dans les ressentis et le quotidien des protagonistes. On observe à leurs côtés certains individus manipulateurs, menteurs (entre autres les haut placés de la ville), tricheurs, les espions, les faux jetons, ceux qui ont peur pour eux ou pour les leurs, ceux qui refusent de baisser la tête, comme Anne dont j’ai admiré le courage et la ténacité tout au long des chapitres.

J’ai trouvé le début un peu lent, sans doute parce que l’auteur a pris le temps de tout installer. Après, le rythme a été plus soutenu et j’ai été captivée. L’écriture (merci au traducteur) est fluide mais pas légère car tout ce qui présenté est profond, les situations sont graves.

Ce roman se passe en 1943 et pourtant… L’extrême droite, le racisme, les problèmes de religion etc … tout cela est encore d’actualité. Les hommes n’apprennent-ils rien de leur passé ?

NB : La photographie de couverture (la même que pour la version originale) a été fournie par la Boston Public Library (Leslie Jones Collection) et elle est vraiment en phase avec l’histoire.

"Tenir debout" de Mélissa Da Costa

 

Tenir debout
Auteur : Mélissa Da Costa
Éditions : Albin Michel (14 Août 2024)
ISBN : 978-2226472731
608 pages

Quatrième de couverture

Jusqu’où peut-on aimer ? Jusqu’à s’oublier…
Le nouveau roman de Mélissa Da Costa nous plonge au cœur de l’intimité d’un couple en miettes et affronte, avec une force inouïe, la réalité de l’amour, du désespoir, et la soif de vivre, malgré les épreuves.

Mon avis

Je n’ai pas lu les derniers livres de Mélissa Da Costa, j’ai été déçue par « Je revenais des autres ». Devant l’enthousiasme pour « Tenir debout », j’ai retenté.

François, comédien professionnel, va laisser son épouse Isabelle, metteuse en scène, pour s’installer avec Éléonore, dix-huit ans plus jeune que lui. Elle est pétillante, pleine de fantaisie et ils sont fous amoureux. Mais alors que tout semble se mettre en place, c’est le drame. Un accident et François est hospitalisé. Le verdict tombe, il ne marchera plus jamais.

Mélissa Da Costa décrit les étapes du deuil « du corps d’avant » : le choc, le déni, la colère, la dépression avant de se résigner, d’accepter, et si possible se reconstruire.

Elle s’est renseignée auprès d’un jeune couple : Yann et Pauline, très présents sur les réseaux pour parler du handicap. Elle a écouté des médecins, des soignants pour la rééducation, des psychologues, des familles. Ça se sent car elle décrit sans tabou toutes les difficultés : le sexe, la toilette, le quotidien où le lieu de vie n’est pas forcément adapté, les sentiments de chacun. Les amis qui ne savent plus comment agir etc.

Rien de révolutionnaire, ces thèmes ont déjà été abordés par d’autres. Elle le fait bien mais ça reste une écriture assez « appliquée », un peu lisse mais bien en phase avec le sujet.

Elle donne la parole à François ou Éléonore, les deux disent « je » et partagent leurs ressentis, quelques fois sur une même situation. Que peut devenir leur couple, quel avenir pour François pour qui le théâtre, c’était se sentir vivant ?

Elle explique que la jeune femme ne sait plus à quoi se raccrocher, que tout prend l’eau, même ses amitiés. C’est un tsunami et elle n’est pas prête à encaisser la haine, la révolte de son compagnon. Lui, il est abimé et pas seulement physiquement… Légèreté et insouciance ont disparu pour eux deux. Éléonore est dévouée, mais elle a besoin de souffler sans culpabiliser.

« Je suis toujours heureuse de prendre mon sandwich à la cafétéria, hors de sa chambre. Je reconstitue mon masque, je me prépare à retourner au combat. Je fais durer cette trêve avant la bataille suivante. C’est ma respiration. Quand je suis ici, j’ai parfois envie de le fuir. Quand je me trouve à l’appartement, je rêve d’être à ses côtés. Je ne suis jamais pleinement heureuse. Ni ici ni là-bas. »

Le côté le plus intéressant, pour moi, c’est celui-ci, lorsque l’auteur parle du combat, non pas du blessé, mais de celui qui est à côté. Quelle attitude adopter ? Comment gérer le mal être de l’autre, ses cris, le fait qu’il rejette celui ou celle qui est resté le, la, même ? Comment trouver la bonne « distance » ? Aider, être présent-e mais sans trop en faire et sans tout accepter parce qu’on a le souhait que celui ou celle qui a été touché-e dans sa chair s’en sorte, puisse sourire à nouveau, être passionné, avoir envie de vivre, de reprendre une activité professionnelle (mais laquelle ?).

Pour cette approche de « l’aidant », les mots m’ont semblé justes, moins « convenus », tout est exprimé avec beaucoup d’intelligence, de doigté.  

Bien sûr, certains événements sont prévisibles, d’autres sont un peu « trop », un tantinet « exagérés ». J’ai ressenti un coup de mou dans l’intérêt lors d’un de ces faits.

Je reconnais le formidable et sérieux travail de fond de Mélissa Da Costa pour la rédaction de ce récit. Je me suis ainsi « réconciliée » avec elle. J’ai lu cette histoire d’une traite, sans sauter de pages, pour voir le devenir des personnages. Même si je ne suis pas totalement conquise, je ne regrette pas cette lecture.

"Mémoire céleste" de Nona Fernández (Voyager)

 

Mémoire céleste (Voyager)
Auteur : Nona Fernández
Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet
Éditions : Globe (6 Février 2025)
ISBN : 978-2383613275
176 pages

Quatrième de couverture

Le 19 octobre 1973, cinq semaines après le putsch mené par le général Augusto Pinochet, la Caravane de la mort, l’escadron de l’armée chilienne qui semait la terreur en opérant des raids dans tout le pays, a conduit vingt-six prisonniers politiques dans le désert d’Atacama où ils ont été sauvagement assassinés. Les corps n’ont jamais été retrouvés. Confrontée à la mémoire défaillante de sa mère âgée, Nona Fernández se donne pour mission de sonder cette violence omniprésente qui peine toujours à être reconnue en exhumant les traces de ces vingt-six hommes. 

Mon avis

Nous voici, ne nous oubliez pas.

Alors qu’elle accompagne sa mère, qui fait des malaises imprévisibles (dont elle ne se souvient pas), à l’hôpital, Nona Fernández observe les schémas de l’activité cérébrale de celle-ci pendant l’examen médical. Elle établit alors un parallèle avec les étoiles, les constellations, qui représentent quelque chose. Et cela l’entraîne dans le désert d’Acatama, au Chili, où vingt-six personnes furent exécutées par la Caravane de la Mort (un commando qui supprimait les opposants à Pinochet quelques jours après le coup d’état en septembre 1973).

Ce drame a été terrible. Les corps ont été enterrés n’importe comment puis déterrés pour être jetés à la mort afin de ne pas laisser de traces… Les familles n’arrivaient pas à « faire leur deuil ». Nona Fernández a rencontré une épouse qui tenait à retrouver les ossements de son époux pour lui donner une sépulture correcte. Elle a cherché pendant des années sans jamais baisser les bras.

Une proposition de créer une constellation « mémoire » pour eux a été faite par Amnesty International (Le désert d’Acatama est un lieu exceptionnel pour observer le ciel). Elle nous explique comment cette proposition a été mise en place puis elle rebondit sur des souvenirs d’enfance toujours en lien avec le ciel.

Présenté comme cela, on peut imaginer un récit confus mais ce n’est pas le cas, c’est remarquablement bien construit et très intéressant. À travers ses réflexions sur le cosmos (où les étoiles brillent quand elles meurent et ne sont peut-être plus vivantes lorsqu’on voit leur lumière…), sur la vie et la mort, sur les combats des hommes contre la dictature, sur ceux qui perpétuent le souvenir pour qu’ils ne « disparaissent pas », Nona Fernández tisse un livre qui se démarque. Elle a une écriture (merci à la traductrice) emplie de délicatesse. En parlant du passé, le sien avec sa mère et sa grand-mère, celui de ceux qui ont été assassinés et de leur famille, elle lutte contre l’oubli. Et en le faisant, elle laisse « vivant » chaque humain qui un jour a dit « non » et a mis en place ce qu’il fallait pour empêcher les exactions ou ceux qui se sont donné les moyens de « laisser » une trace pour les générations futures.

Ce témoignage, car c’est ainsi que je le vois, est fort, puissant, porteur de sens. En le rédigeant, l’auteur continue la révolte contre la violence, le racisme, la bêtise humaine, contre tout ce qui ne va pas dans ce monde gangréné par l’égoïsme, le désir de puissance. Certains penseront que ça ne sert à rien de se battre car c’est très difficile, voire insurmontable quelques fois, mais il ne faut jamais désespérer. C’est bouleversant à lire et ça m’a donné envie de découvrir les autres titres de cet écrivain.

Les écrits, comme celui-ci, sont là pour la mémoire, pour le passé, le présent mais aussi le futur afin que l’espoir soit toujours une flamme vive dans nos vies et nos esprits.

"Game Over" d'Isabelle Villain

 

Game Over
Auteur : Isabelle Villain
Éditions : Taurnada (16 Janvier 2025)
ISBN : 978-2372581424
256 pages

Quatrième de couverture

Une vieille dame meurt écrasée sous les roues d'un bus. Un nouveau fait divers dans les rues de Paris.
Cependant, d'autres « accidents » sont rapidement à déplorer, laissant présager que ces tragiques événements ne sont que les prémices d'un sombre dessein.
Le groupe de Lost se retrouve à la tête d'une affaire qui va bousculer toutes ses certitudes.
Frustration. Colère. Incompréhension. Impuissance…

Mon avis

Rebecca de Lost est commandant de police. Avec son équipe, elle mène des enquêtes de main de maître. Mais cette fois-ci, c’est très compliqué. Tout part de faits divers qui pris séparément n’éveilleraient pas forcément de soupçons et puis …. Les jours, les heures des décès similaires, toujours commis dans deux quartiers ciblés laissent à penser que tout cela n’est pas dû au hasard.

Qui agit ? Quelqu’un tire-t-il les ficelles dans l’ombre ? Comment sont choisis les victimes et surtout pourquoi ? Dès le début on perçoit que les enquêteurs ne savent pas par quel bout commencer leurs investigations. De plus, Rebecca est préoccupée par une découverte en lien avec sa famille. Elle ne sait pas ce qu’elle risque de mettre au jour et cela la perturbe énormément. À tel point que ça joue sur son travail et que ça interfère. Est-elle moins performante à cause de tout ça ? Elle ne veut pas en parler et pourtant les collègues la sentent moins disponible et se posent des questions… Ne risque-t-elle pas de faire des erreurs, d’oublier une procédure ? Est-elle consciente de son état ? Pourquoi ne se confie-t-elle pas à son compagnon, à ses coéquipiers ? Son silence crée un mal être et ce n’est pas bon.

J’ai trouvé cet aspect de l’histoire très intéressant. Il nous montre l’humanité de Rebecca, les limites entre vie privée et professionnelle. Le point de rupture et comment tout cela s’enchaîne, se noue, se tisse. Elle n’est pas infaillible, elle est comme tout le monde, elle a des forces et des faiblesses. Mais dans son métier, il faut agir vite et bien, ne pas se tromper et surtout pour cette affaire, arrêter ce qui semble être une spirale infernale que personne ne maîtrise.

L’écriture fluide, addictive, d’Isabelle Villain entraîne le lecteur, la lectrice, dans les méandres d’une aventure terrible. On sait que les réseaux sociaux peuvent être dangereux, voire manipulateurs, on n’ose pas penser que ce pourrait être possible et pourtant… Il en faut peu pour embobiner quelqu’un qui se cherche, qui a besoin d’un but dans sa vie, qui a subi des traumatismes. Lorsque l’individu a le sentiment d’être, enfin, compris et écouté, il est prêt à tout pour obtenir des réponses, de l’adrénaline, une certaine forme de reconnaissance.

Ce nouveau roman fait froid dans le dos, la tension monte au fil des pages. Est-ce que c’est possible de stopper la folie des hommes ? L’auteur donne des explications à une partie de l’engrenage qui se met en place et qui conduit à ses exactions terrifiantes, mais on se demande sans cesse comment on peut en arriver à de telles horreurs…. Et pourtant, on connaît des réalités qui ne sont pas loin de cette fiction… Brr …

J’ai suivi la course poursuite des gendarmes, la quête personnelle de Rebecca (avec une incursion dans le passé captivante), plusieurs thèmes sont abordés, tels les liens familiaux, les non-dits, le passé qui nous hante, la culpabilité, les dangers du numérique lorsqu’on est inactif et réceptif parce que trop isolés.

Un récit particulièrement réussi !

"Les bons sentiments" de Karine Sulpice

 

Les bons sentiments
Auteur : Karine Sulpice
Éditions : Liana Levi (6 Février 2025)
ISBN : 979-1034910403
176 pages

Quatrième de couverture

Nuit de Noël. Dans les locaux de l’Association, une prise d’otage est en cours. Julien, employé de l’organisation caritative, retient trois de ses collègues sous la menace d’une arme. À l’extérieur, la commandante Maurane Le Queuvre a écourté sa soirée de réveillon pour négocier la libération des prisonniers.

Mon avis

Maurane Le Queuvre est commandante de police, elle aime son métier et sait très bien que, parfois, elle n’a pas le choix, elle doit aller sur le terrain parce qu’on a besoin d’elle. En cette nuit de Noël, elle est tranquille chez elle avec son mari et ses filles, le réveillon se passe au mieux, repas, jeux, sourires et bouderies, tout est conforme à l’habitude dans une ambiance sereine. Jusqu’à ce qu’elle soit appelée pour bosser. Une prise d’otages, même pas l’ombre d’une pensée de refus, elle doit foncer et agir au plus vite. L’obligation ? Négocier afin de libérer les prisonniers, limiter les dégâts pour l’homme qui tient trois collègues en joue, faire retomber au plus vite la pression.

Une fois arrivée, elle établit un contact téléphonique avec Julien, dit Ju. C’est lui, l’employé modèle qui devait assurer la permanence pour cette soirée du 24 décembre dans l’association caritative où il travaille depuis quelques années. Il était sur place lorsqu’il a, sans aucun doute, « pété un câble » en séquestrant ceux avec qui il collabore au quotidien. Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? Comment peut-on en arriver à de telles extrémités ?

C’est un lien ténu que Maurane tisse avec Ju. Elle sait faire, c’est son métier, mais la prudence s’impose. Ne pas lâcher la conversation, ne pas être trop inquisitrice mais s’intéresser quand même, trouver le juste équilibre. Obtenir des réponses, comprendre, faire avancer la situation vers une résolution mettant le moins de monde en danger. Ju déverse, se confie, se raconte ….

Dehors, devant les locaux de cet organisme, les badauds traînent dont une femme avec sa petite fille. On se demande bien si elles n’auraient pas mieux à faire que de rester là, au froid. D’ailleurs un policier leur conseille de rentrer et elles se dirigent vers l’immeuble voisin. Il s’avère que cette personne est une de celles qui sont aidées par ce groupe. Elle doit connaître Ju mais on ne lui demande rien à part de retourner à son domicile, au chaud. On sent malgré tout, de la détresse chez elle.

Les gens sont sur un fil, tout peut vriller en pensées ou en actes, d’un coup. Si c’est en actes, c’est beaucoup plus dangereux bien entendu. Karine Sulpice montre dans son roman les fragilités humaines, les non-dits par omission, qui font plus de mal que de bien. On croit protéger quelqu’un en ne disant pas tout et c’est le contraire qui se passe… Mais ça part d’un bon sentiment, n’est-ce pas ?

Ah les bons sentiments ! Met-on tous les mêmes ressentis derrière cette expression ? Ils sont censés nous porter, nous aider à faire de « bonnes actions », à bien nous comporter avec les autres … Comme un code de conduite… Mais ce n’est pas ça la vraie vie. Ce sont des rencontres qui soutiennent, d’autres qui détruisent, qui bouleversent, qui posent question, qui mettent mal à l’aise ou au contraire qui permettent de s’épanouir…

En nous présentant différents points de vue, l’auteur décrit les émotions et les réflexions de chacun, leur cheminement au cours de cette longue nuit mais également ce qui les a amenés ici et maintenant. Son écriture est précise, elle explore les caractères, tout ce qui fait que les situations s’enchaînent d’une façon et pas d’une autre. C’est bien pensé.

Ce livre fait moins de deux-cents pages mais il est très profond. Les personnalités sont fouillées, décortiquées pour qu’on cerne le pourquoi de l’évolution des faits. Je l’ai lu d’une traite et je l’ai trouvé particulièrement réussi !


"Coeur noir" de Silvia Avallone (Cuore Nero)

 

Cœur noir (Cuore Nero)
Auteur : Silvia Avallone
Traduit de l’italien par Lise Chapuis
Éditions : Liana Levi (6 Février 2025)
ISBN : 979-1034910359
450 pages

Quatrième de couverture

C’est dans les hauteurs d’un petit bourg de montagne qu’Emilia vient s’installer. De la maison d’en face, le maître d’école l’épie par la fenêtre, bien résolu à défendre son espace de tranquillité et à ne pas tisser des liens avec sa nouvelle voisine. La jeune femme finit pourtant par entrer dans sa vie, sans rien dévoiler d’elle-même. Pourquoi est-elle-là ? Quel est son passé ? Même la liaison amoureuse entre les deux trentenaires ne suffit pas à faire tomber les masques. Chacun sent cependant chez l’autre un abîme semblable au sien et une même certitude : le village de Sassaia est leur refuge, la seule solution pour échapper au passé et à un avenir auquel tous deux ont cessé de croire.

Mon avis

L’indicible, ce n’est jamais le moment où, l’instant bouleversant. C’est le lent, l’inexorable après. 

Sassaia est un village minuscule, quelques maisons, deux seulement habitées à l’année, par des hommes solitaires. Pour y arriver, il faut quitter la ville d’Alma et prendre un chemin à pied qui monte dans la forêt de châtaigniers. Si quelqu’un s’aventure dans ce coin, c’est vraiment par choix. C’est celui d’Emilia qui, un jour de 2015, accompagnée de son père, grimpe le sentier jusqu’à une bâtisse où elle s’installe, seule, avec ses bagages.

Bruno, le voisin d’en face, professeur à l’école du bas, ne voit pas cette arrivée d’un bon œil. Sa solitude, sa tranquillité, il y tient. Pourtant, il est un peu attiré, peut-être par curiosité, il se pose des questions. Qui est-elle et qu’est-elle venue faire dans ce coin perdu ? Il ne veut pas d’elle. Ça tombe bien, elle souhaite qu’on la laisse tranquille.

« Qui je suis, qui je veux être, je ne sais pas.
Je le déciderai pas à pas, en écoutant ce que me dit la vie. »

Quand Bruno intervient dans le récit, donnant son point de vue, il dit « je ». Pour les autres chapitres, c’est un narrateur. De chapitre en chapitre, des éléments se mettent en place, des informations du passé parviennent au lecteur qui assemble les pièces du puzzle, découvrant petit à petit ces deux personnages.

Ce sont deux vies brisées qui doivent se relever, qui essaient de reconstruire « l’après ». Cet après qui est souvent si douloureux lorsque le passé le hante, le ronge. Bruno et Emilia vont-ils réussir à dialoguer alors que chacun défend farouchement son indépendance et refuse de parler de l’avant ? Et puis, pourquoi se confier ? Pour dire ce qu’ils ont toujours tu ? Pour se libérer ? Pour être « vrai » et se dévoiler ? Peut-être pour vivre tout simplement …

« Une personne qui ne m’était pas étrangère, ou plutôt que j’avais gardée bâillonnée à l’intérieur de moi pendant tant de temps, à qui j’avais interdit toute forme et mesure de bonheur. »

Silvia Avallone est une grande écrivaine, elle tisse des histoires exceptionnelles. Son écriture profonde s’attache aux individus, elle leur donne vie, mettant des paroles très justes dans leur bouche, leur offrant des pensées intimes précises et des actes réalistes.

Ces deux êtres fracassés, cabossés, vont s’apprivoiser mais rien n’est simple. Dire oui à la rencontre, c’est prendre un risque…

« Si vous aimez une personne, vous ne pouvez pas faire abstraction de ce qu’elle est, et a été. Vous ne pouvez pas la diviser en parties, choisir celles qui vous conviennent. Vous devez l’accepter tout entière »

Ce qu’ils ont vécu est totalement opposé et on peut légitimement se poser la question de savoir s’il est possible qu’ils « s’acceptent »…

C’est avec beaucoup de doigté, de finesse, d’intelligence que l’auteur explore ces deux âmes qui souffrent. Elle les accompagne vers une possible résilience. Elle construit son texte avec quelques incursions dans le passé, apportant un éclairage sur Bruno et Emilia. Ils sont imprévisibles, leurs blessures ne sont pas cicatrisées et parfois la colère remonte à la surface et les pousse à des réactions inattendues …

Ce roman est bouleversant, tellement bien rédigé (merci à la traductrice !). Il nous touche au cœur, parce qu’il parle de la détresse humaine, de l’amour dans la famille, de la culpabilité, de tout ce qui détruit et construit les relations humaines, si complexes, mais aussi si belles … Un coup de cœur !

"Antoine, un fils aimant" de Sandrine Cohen

 

Antoine, un fils aimant
Auteur : Sandrine Cohen
Éditions : Belfond (6 Février 2025)
ISBN : 9782714404688
386 pages

Quatrième de couverture

À dix-sept ans, Antoine Durand est un lycéen brillant, sans histoires, qui grandit dans la banlieue huppée de Meudon. Jusqu’à ce dimanche de février où, dans la cuisine, Antoine pointe un fusil de chasse sur son père. Pour le braver, le faire rire, mais l’arme est chargée et le coup part. Xavier Durand meurt sur le coup. Enquêtrice de personnalité, Clélia Rivoire se charge du dossier. Son travail : retracer la trajectoire de vie du prévenu, comprendre les raisons de son passage à l’acte et apporter des pièces au dossier en vue du procès.

Mon avis

La justice devrait réparer, soigner, prendre en charge. Et non punir.

Il a dix-sept ans, il s’appelle Antoine, Antoine Durand, lycéen plutôt brillant qui veut apprendre le droit après son bac. Un jour, il appelle la police. Son père est rentré de la chasse et il l’a tué avec la carabine alors que sa mère et sa sœur étaient sorties dans le jardin pour récupérer du basilic pour la salade. Il semble froid, détaché de cet événement pourtant dramatique. Pourquoi a-t-il fait ça ?

C’est ce que Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité, est chargée de cerner. Elle doit comprendre le pourquoi du passage à l’acte. Pour elle, ce n’est pas anodin. Ce genre de geste s’inscrit dans l’histoire personnelle de l’individu, dans un « ensemble ». C’est ce qu’elle pense.

Étape numéro un, elle rencontre Antoine. Elle sent que quelque chose lui échappe. Il l’intrigue, elle a du mal à le cerner. Elle va creuser, questionner, aller plus loin que sa première impression. D’abord c’est son boulot, et puis, chez elle, c’est un besoin viscéral d’avoir tous les éléments. Elle a une intelligence en arborescence, elle suit un fil, puis un autre, elle est dotée d’une intuition exceptionnelle, mais il lui arrive d’être trop impulsive. C’est une pro dans son domaine. Sans doute parce qu’elle a une sensibilité à fleur de peau, ça l’aide et ça la dessert également. Elle a cette capacité à absorber et observer, permettant d’imaginer les différents scénarios afin de déchiffrer peu à peu ce qui a pu se passer. Mais, en parallèle, ce fonctionnement la ronge, d’autant plus que sa propre histoire est douloureuse comme on le découvre au fil des pages. Elle a un sens exacerbé de la justice.

« […} elle veut pouvoir décider seule ce qui servira le mieux la justice, pas celle des hommes, la sienne, celle qui prend en compte l’ensemble de l’équation d’un crime, pas seulement l’acte en lui-même [..] »

Elle va questionner Antoine, sa mère, sa sœur, ses copains de lycée. Elle ne lâche rien, c’est une femme d’excès, que ça soit dans sa vie, dans son travail, elle ne sait rien faire à moitié. Ses excès ne risquent-ils pas de la détruire ? N’est-elle pas hantée par la peur, des peurs ? Cette affaire envahit son quotidien jour et nuit.

L’écriture percutante de Sandrine Cohen nous permet de pénétrer les âmes des protagonistes, elle les fouille, comme Clélia fouille celles de la famille Durand.  Ce qui est impressionnant c’est que, tout comme pour l’enquêtrice, tout cela nous « colle » à la peau. Je me suis sentie « imprégnée » par ce que je lisais, j’aurais voulu donner mon avis, échanger avec tous ces individus, crier, pleurer, ou me taire parfois, tendre l’oreille, puis la main …

Les thèmes abordés sont très intéressants. Comment rompre la chaîne de la violence lorsque c’est un mode d’éducation ? Est-ce que ça se transmet lorsqu’on n’a vu que ça ? Quel est le poids du passé ? La place de chacun dans un couple ? Qu’est-ce qu’être libre ?

C’est avec beaucoup de doigté que tout cela est développé. Quelques incursions dans le passé permettent d’éclairer le présent de chacun. Clélia est attachante avec ses forces et ses fragilités. Antoine également, ainsi que sa mère. L’auteur insiste sur ce qui nous construit, elle souligne combien « savoir aimer » est essentiel pour grandir. Elle ne fait pas la morale, elle approche les personnalités de ceux qu’elle présente au plus profond et avec beaucoup de justesse.

Ce roman m’a bouleversée. J’ai eu le sentiment de lire un fait divers réel et ses ramifications. J’aurais pu être jurée et quelle aurait été ma conviction intime, qui aurais-je écouté ?  

"Berceuse pour Octave et Paul" d'Arthur Cahn

 

Berceuse pour Octave et Paul
Auteur : Arthur Cahn
Éditions : Christian Bourgois (6 Février 2025)
ISBN : 978-2267053371
256 pages

Quatrième de couverture

Paul, un musicien, et Fabien, son compagnon, vivent un bonheur doux avec leur fils adoptif, Octave. Mais un matin, tout bascule : Octave est retrouvé sans vie, victime d’un tragique accident domestique. Alors que Paul tente de survivre à l’insurmontable, son deuil intime est brutalement exposé. Une figure politique détourne le drame pour alimenter un discours de haine contre l’homoparentalité, plongeant Paul et son couple dans une détresse plus profonde encore.

Mon avis

Paul est musicien. Il a eu du succès mais depuis quelque temps, il a mis sa vie professionnelle entre parenthèses, par choix. Il l’a voulu, décidé. Avec son compagnon, Fabien, ils sont devenus pères. Bien sûr, ils auraient pu, dû -diraient certains- rencontrer des difficultés, deux hommes, ce n’est pas évident mais non. Oscar, un petit garçon d’un peu plus d’un an, les a rejoints pour leur plus grand bonheur. Oui, Fabien a sans doute plus « porté » le projet que Paul mais cet enfant ils l’ont souhaité, attendu, tous les deux. Il a transformé leur vie, ils l’aiment. Il remplit leurs jours et leurs nuits d’amour, de rires, de câlins, de chuchotements, de vie, surtout de vie !

Mais un matin, Octave n’est pas dans son lit. Le silence est lourd, terrible et terrifiant. Il est retrouvé mort. Tout s’écroule. Un stupide accident, rien à faire, c’est trop tard. Chacun des deux hommes va devoir apprivoiser le deuil, le faire sien pour continuer à avancer. Mais rien n’est aisé lorsqu’une famille perd un enfant. Ce n’est pas dans la logique des choses, ce n’est pas « normal », c’est injuste. Alors, entre les partenaires, il faut beaucoup d’écoute, de respect, de compréhension pour que le fossé ne se creuse pas.

Paul est connu et ce qu’il a vécu est mis en exergue, interprété. L’extrême-droite s’en mêle.
Un couple composé de deux hommes ? Vous voyez bien qu’ils ont fauté, qu’ils ont mal surveillé leur fils, qu’ils ne sont pas à la hauteur. L’homoparentalité ce n’est pas la norme, la preuve, ils ont failli.
La haine, les jugements hâtifs se déversent. C’est tellement plus facile de critiquer, de les offrir en pâture aux médias. Comment peuvent-ils réagir ? Que faire, que dire ? Ils ont déjà leur immense chagrin à gérer…

Ce livre est bouleversant. L’auteur décrit avec doigté le tsunami auxquels sont confrontés les parents qui perdent leur enfant. Les démarches à faire, manger, dormir alors qu’il ne respire plus, qu’il n’est plus là. En a-t-on le droit ? Et puis pour ce couple, les regards extérieurs, les attaques, destructrices, violentes. Fuir ? Se battre ? Se taire ? Hurler ? Comment peuvent-ils, doivent-ils faire face ? Ont-ils le même ressenti, la même approche de cette poussée médiatique qui s’ajoute à la béance, la perte de leur tout petit ? Où puiser la force de s’épauler, de rester unis, d’être un soutien pour l’autre alors qu’on perd pied ?

Tout cela les ronge, comme une rouille qui s’insinue partout, attaquant les points les plus cachés, mordant, blessant …

L’écriture de l’auteur est emplie de réalisme, c’est percutant, on est au cœur de cette histoire, les nerfs à fleur de peau, prêt à intervenir. Car oui, malheureusement, ça pourrait être vrai. Pas besoin de chercher bien loin pour savoir que ce genre de situation, même s’il s’agit d’une fiction, est très proche de ce qu’on peut voir dans notre quotidien.

Ce roman est un cri de colère, d’amour, de liberté de parole. Il permet de ne pas fermer les yeux, de ne pas oublier et d’entendre toutes les voix que quelques-uns voudraient étouffer et à que nous devons écouter avec respect.

"Longtemps je t'ai cherché" de Myrlène Sarrazin

 

Longtemps je t’ai cherché
Auteur : Myrlène Sarrazin
Éditions : ‎ L ET M PROD (17 novembre 2024)
ISBN : 978-2959665301
220 pages

Quatrième de couverture

« Vivre, c’est crier ».

Pour l’auteure Myrlène SARRAZIN, ce livre est écrit pour partager certaines étapes de sa Vie, heureuses ou malheureuses, qui l'ont aidée à Vivre, à se Construire et à se Reconstruire. C’est un vrai parcours de résilience, sur des échecs et des souffrances terribles. Mais nous pouvons survivre aux pires épreuves et continuer à espérer. Car c’est bien la première leçon de cet ouvrage souvent déchirant, poétique, un vrai point d’appui pour que chacun trouve dans le combat de tout être humain une réflexion positive jusqu’à se tenir debout et repartir.

Mon avis

Dans ce livre, Myrlène Sarrazin se confie et en le faisant, elle espère aider d’autres personnes à vivre mieux. Ses écrits sont simplement des instants partagés, elle ne se pose pas en moraliste. Elle souhaite que son expérience, les « leçons » et conclusions qu’elle a tirées de son vécu permettent à d’autres de ne pas commettre les mêmes erreurs.

C’est bien construit car elle ne nous noie pas sous les mots avec un texte trop verbeux. Elle consacre quelques pages à ce qu’elle souhaite mettre en avant : quelqu’un de sa famille, l’un ou l’une de ses amis-es, un fait qui la concerne ou qu’elle a observé. Si nécessaire, elle utilise les caractères gras pour souligner le propos, souvent un ressenti, ou ce qui, pour elle, est important de garder en mémoire. Pour ne pas rester uniquement dans ce style d’écrits, elle glisse entre les différentes parties, des poèmes très qualitatifs. Ils lui ont sans doute permis d’exprimer, d’une autre façon, ses émotions. Ils sont très beaux, porteurs de sens.

C’est un peu une introspection, délicate et fine, une prise de recul sur sa vie. Elle a choisi de « grandir », de ne pas se laisser détruire malgré les difficultés, les obstacles, les peurs.

Écrire l’a aidée, l’a portée, l’a apaisée.

« À travers l’écriture, j’ai brisé la cage dans laquelle je m’étais enfermée … »

Je pense qu’elle a raison, poser des phrases sur le papier c’est ouvrir les vannes, les barrières, pour faire sortir ce qu’on a le besoin d’expulser. Je suis consciente que ce terme peut paraître fort mais je l’entends dans le sens « libération ». Elle s’est délivrée du poids du passé. Il n’a pas disparu, elle ne l’a pas oublié mais elle l’a laissé derrière elle, à sa place, et elle s’est appuyée sur lui pour devenir plus forte et continuer la route. Elle a trouvé son équilibre, l’amour et elle le dit joliment.

Ce témoignage peut être soutenant pour certains, certaines qui croient qu’ils, elles, ne vont pas s’en sortir, n’auront pas le droit d’être aimé -e -s, respecté-e-s et c’est certainement aussi efficace qu’un médicament. On peut relire si on a des doutes et ainsi se sentir mieux.

Une belle découverte !

"Les sept soeurs -Tome 8: Atlas: L'histoire de Pas Salt" de Lucinda Riley & Harry Whittaker (Atlas : The Story of Pa Salt)

 

Atlas : L'Histoire de Pa Salt (Atlas : The Story of Pa Salt)
Auteurs : Lucinda Riley & Harry Whittaker
Traduit de l’irlandais par Marie-Axelle de La Rochefoucauld
Éditions : Charleston (11 mai 2023)
ISBN : 978-2368128091
780 pages

Quatrième de couverture

Comme l’a souhaité leur père, l’énigmatique milliardaire Pa Salt, les sept sœurs d’Aplièse sont enfin réunies. C'est à bord du Titan, sur la mer Égée, qu'elles vont lui rendre un dernier hommage. Si chacune a découvert sa propre histoire, la véritable identité de leur père bien-aimé leur demeure inconnue. D’où vient cet homme qui les a élevées et quels secrets cachait-il ? Les réponses se trouvent peut-être dans le journal qu’il a laissé en héritage…

Mon avis

Voilà, j’ai fini le dernier tome de cette saga. Toutes les pièces du puzzle se sont emboîtées, les zones d’ombre se sont éclairées. Je sais pourquoi les sœurs ont été adoptées, je sais pourquoi leur père était si riche. J’ai découvert l’enfance de ce papa. Un début de vie parsemé d’embuches, de difficultés mais déjà « un petit bout d’homme » avec de la volonté. Et des rencontres qui ont déterminé son avenir.

Jalonné par les faits historiques de chaque période évoquée, on découvre les événements de son vécu dans le journal intime de Pa Salt que ses filles lisent. De temps à autre, on repart dans le présent et elles échangent sur ce qu’elles viennent de comprendre.

Bien sûr, ce n’est pas vraisemblable mais je crois pouvoir dire que peu me chaut. Le plaisir de la lecture a été important (j’ai fait attention à ne pas enchaîner les titres pour éviter toute lassitude). J’ai trouvé certaines histoires plus intéressantes que d’autres, moins prévisibles mais globalement c’était super bien pensé. Il faut reconnaître le travail de l’auteur de départ : Lucinda Riley puis de son fils pour terminer tout ça sans fausse note. Et c’est une belle réussite !

L’écriture est fluide, plaisante (merci à la fidèle traductrice). Je n’ai pas trop ressenti le fait que le fils de Lucinda avait pris le relais de sa maman pour conclure cette aventure. C’est d’ailleurs bien qu’il l’ait fait sinon on n’aurait jamais su !

NB : j’aurais bien aimé qu’il y ait une liste des personnages et le lieu où ils avaient principalement vécu.