"Le poisson de glaces" de Balthazar Kaplan

 

Le poisson des glaces
Auteur : Balthazar Kaplan
Éditions : M+ (20 Juin 2024)
ISBN : 978-2382112410
372 pages

Quatrième de couverture

Antarctique, années 2040… Alors que le continent s’enfonce dans une crise grave, qui fait craindre le pire, Apollon Maubrey est chargé d’arrêter un jeune leader écologiste, responsable d’une action qui a mal tourné. Mais pourquoi ce jeune homme semble-t-il soudain intéresser plusieurs puissances ? Apollon va se retrouver happé dans une enquête dont chaque étape l’enfoncera davantage dans le chaos et l’horreur à venir…

Mon avis

Un lieu magique et préservé : l’Antarctique, un homme : Apollon Maubrey responsable de l’ASA (agence de sauvegarde de l’Antarctique), une année : 2040.

Apollon doit gérer tout le continent mais il ne peut pas être partout à la fois et se déplace (parfois difficilement vu les conditions météo) suivant les priorités. Il a deux assistants et c’est bien peu pour couvrir tout le territoire. Le protocole de Madrid a volé en éclats (il faisait de l’Antarctique, une “réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ») et la gouverneure compte sur lui pour essayer d’en maintenir l’esprit.

On pourrait penser que ce lieu, loin de tout et le plus souvent glacé ne présente que peu d’intérêt à part pour les scientifiques. Pourtant des touristes viennent et leur attitude est parfois déroutante, pas du tout en phase avec ce qu’elle devrait être. D’ailleurs, Apollon se trouve confronté à une situation délicate, une bande de jeunes écologistes qui viennent manifester. Mal équipés, leur comportement irréfléchi les met en danger et leur action tourne court. Leur leader est interpelé et tenu « au frais » pour être interrogé. Il n’a pas l’intention de coopérer et le dialogue semble inutile. Pourtant il semble intéressé pas mal de monde dont, Brian Zaguine, un milliardaire qui vient de débarquer dans le coin. Le genre d’homme pourri par l’argent, qui sait tout, veut tout commander et est tellement imbu de sa personne qu’il écrase tout sur son passage ! Bien sûr, si on creuse, on peut penser qu’il a fait beaucoup pour le progrès (notamment le transfert de données) mais est-ce bien son but ? N’est-il pas mégalomane ? C’est une anguille, il se glisse où il veut, sait se faire oublier si nécessaire et filer entre vos doigts quand vous croyez le cerner….

On découvre également Jenny, une jeune universitaire qu’une grosse structure : Ice Future center, souhaite recruter. C’est l’occasion pour elle d’avoir un nouveau challenge, motivant et probablement novateur. Mais au fil du temps, on s’aperçoit qu’elle se pose des questions sur le projet auquel elle est associée. Est-ce qu’elle a vraiment tous les éléments en mains ?

On suit donc tout ce petit monde et d’autres personnages dans les cinq parties qui constituent ce roman, sans aucun problème tant l’écriture de l’auteur est fluide, accrocheuse et captivante. Il a parfaitement intégré plusieurs sujets, il y a des faits historiques qui nous rappellent l’histoire des lieux qu’ils décrits, ensuite il nous met en garde sur les prouesses liées à l’intelligence artificielle et à tout ce qui concerne le numérique et puis, sujet brûlant, il nous alerte sur le réchauffement climatique et ses dérives en les mettant en lien avec les précédents sujets.

Mais au lieu de se poser en moralisateur, en donneur de leçons, il nous invite à réfléchir et sans doute à voir, à notre niveau, comment agir, grâce à une intrigue très bien construite. Ses protagonistes ont diverses facettes, ils ont des failles, ils sont humains. Apollon est un individu qui se démarque car il a besoin de réfléchir et les nouvelles technologies ne le font pas toujours vibrer. Il prend du recul par rapport à ce qu’il entrevoit et lance des investigations d’une façon discrète et intelligente. Il me plaît bien !

J’ai trouvé cette lecture prenante, elle éveille les consciences car on sait que 2040 ce n’est pas loin et si on oublie d’être vigilant, certains faits évoqués pourraient se produire (j’ose penser que pour la fin envisagée dans ce récit, ce ne serait pas possible, croisons les doigts même si la folie de certains hommes n’a pas de limite …).

Le rythme est bien dosé, l’intérêt ne faiblit pas. De l’action, de l’émotion et des paysages magnifiquement décrits, une atmosphère sublimée par l’endroit où se déroulent ces événements (on a l’impression que les images se succèdent sous nos yeux) offrent une aventure dépaysante pour laquelle on ne ressent qu’une envie : connaître la suite !

NB pour l’éditeur. Le livre peut-il vendu avec une tapette à mouches ;- )

"Mon ami Charly" de David Belo

 

Mon ami Charly
Auteur : David Belo
Éditions : Taurnada (16 Mai 2024)
ISBN : 978-2372581318
312 pages

Quatrième de couverture

Après un traumatisme, deux adolescents de 14 ans, Charly et Bastien, inventent le BINGO : une philosophie permettant d'anticiper, d'extrapoler et de déjouer les dangers de la vie. Toujours en place trente ans plus tard, le BINGO promet des vacances d'été paisibles au mont Corbier pour Bastien et sa famille. Mais lorsque l'énigmatique Chloé, meilleure amie de sa fille, se joint à l'escapade, le BINGO semble caduc. Bastien panique et la montagne se métamorphose en théâtre des enfers. Certaines choses sont imprévisibles.

Mon avis

Bastien est en couple avec Marion, son amour de jeunesse, ils ont deux enfants et mènent une vie assez paisible si ce n’est le besoin de Bastien de tout maîtriser grâce au BINGO. BINGO, c’est une association de mots mnémotechniques. Ainsi il pense à tout, envisage chaque événement sous la forme « et si … et si c’était pire » et il est prêt à toute éventualité. Sauf si un imprévu s’invite. Bien sûr, ce doit être un peu lourd dans le couple ce fonctionnement mais Marion est compréhensive.

Il faut dire que Bastien a subi quelque chose de terrible lorsqu’il était adolescent et avec son pote Charly, pour oublier le traumatisme enduré, il a inventé le BINGO qui les rassure et les accompagne encore alors qu’ils sont adultes.

Bastien et sa petite famille vont partir quelques jours en montagne. Grâce à sa méthode infaillible, le père n’a rien oublié : torche, corde, matériel de survie car on ne sait jamais etc il ne manque rien. Ils vont pouvoir souffler et profiter du bon air, du repos, de la vie !

Ils sont proches du départ, quelques vérifications mentales et hop on y va…sauf que tout s’écroule, c’est la panique ! Sa compagne a autorisé leur fille à venir avec sa copine Chloé… Là, ça ne va plus du tout et l’angoisse étreint Bastien. Aura-t-il le temps de parer à tout ? Et une fois sur place, est-ce que les deux adolescentes seront calmes et disons-obéissantes - ?

Certaines choses sont imprévisibles … Le risque zéro n’existe pas et l’équilibre installé avec beaucoup d’énergie par Bastien n’est pas si solide qu’il en a l’air… Que peut-il se passer qui détraque toutes ses convictions ? Ne risque-t-il pas de réagir avec excès ?

Si Bastien ne maîtrise pas tout, David Belo lui ne laisse rien au hasard. Il sait parfaitement où il veut emmener son lecteur. Et la réussite est au rendez-vous.

Alternant le présent et les problèmes des vacanciers, avec le passé et la situation terrible qui a laissé des traces indélébiles, l’auteur nous entraîne dans les méandres de l’esprit humain lorsque la peur gagne du terrain sur la raison et qu’elle détruit toute forme de sens commun.

On n’oublie pas les souffrances mais il faut apprendre à vivre avec sans qu’elles gouvernent notre vie. Bastien n’arrive pas à se détacher de son passé et de Charly qui prend trop de place dans son quotidien. Arrivera-t-il à gérer les vacances avec une personne de plus, dont le comportement n’est pas celui qu’il espère ?

Avec une écriture vive, une bonne dose de rebondissements, du suspense, de l’anxiété, David Belo nous prend dans ses rets. L’intérêt ne faiblit pas et cet excellent thriller psychologique nous tient en haleine jusqu’à la dernière page.


"Les héritiers de l’Arctique" d'Aslak Nore (Ingen skal drukne)

Les héritiers de l’Arctique (Ingen skal drukne)
Auteur : Aslak Nore
Traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon
Éditions : Le bruit du monde (4 avril 2024)
ISBN : 978-2493206251
500 pages

Quatrième de couverture

Les Falck sont l'une des familles les plus puissantes de Norvège. Après avoir fait fortune dans l'exploitation commerciale de bateaux, ils ont créé la fondation SAGA, qui veille sur la bonne conservation des archives historiques de leur pays et leur offre une place stratégique sur l'échiquier géopolitique. Si le clan est divisé entre ceux d'Oslo et ceux de Bergen, la réapparition de Connie Knarvick, une cousine éloignée, va aggraver les conflits existants. Celle-ci possède en effet une concession minière au Svalbard, dans le Grand Nord, qui fait l'objet de convoitises et renforce les tensions entre les services secrets norvégiens et la Russie de Poutine.

Mon avis

familia ante omnia

Ce roman est la suite du cimetière de la mer du même auteur, mais il peut être lu indépendamment car les rappels nécessaires sont faits discrètement dans le texte.

Après avoir subi bien des déboires dans le premier tome, la famille Falck (l’arbre généalogique est le bienvenu dans les dernières pages) ne s’occupe plus de bateaux. La fondation SAGA é a été créée et son but est de veiller à la bonne conservation des archives historiques de la Norvège. Tout pourrait bien aller mais les Falck sont éclatés en deux branches, ceux d’Oslo et ceux de Bergen, et au lieu d’essayer de dialoguer, de s’écouter, ils se déchirent.

Un nouveau bateau va être baptisé et Sasha, qui a repris l’entreprise, a préparé les festivités. En parallèle, Hans, son oncle, médecin, est grièvement blessé alors qu’il était en mission de soin sur un navire russe. Dans le même temps, avant de mourir, un homme russe déclare qu’une « taupe » s’est infiltrée chez SAGA. Faut-il en tenir compte ? Mener l’enquête ou ignorer cette potentielle menace ?

Et que dire de la cousine Connie qui possède une concession minière au Svalbard, dans le Grand Nord ? Elle intéresse particulièrement les russes …. Il va être nécessaire de trouver un juste milieu et un équilibre dans tout ça.

Attention, lecture exigeante ! Les personnages sont plutôt nombreux et les noms et lieux pas « fluides » pour un lecteur français. De plus, l’auteur aime à nous égarer avec de nombreuses ramifications et des personnalités parfois surprenantes car nous ne pouvons avoir aucune certitude. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de cette lecture. On n’est jamais sûr de rien. Espionnage, empoisonnement, conflits entre « clans », amour, problème de succession, poids de la dérive climatique sur l’économie et la politique, relations internationales instables quand certains jouent les fauteurs de trouble, de nombreux sujets sont présents. On apprend pas mal de choses sur la vie de la Norvège, son histoire, notamment dans le Nord où il y a une frontière avec la Russie.

On sent que tout ce qui est présenté est proche de l’actualité et ça fait frissonner…. Aslak Nore le souligne dans les dernières pages, beaucoup de personnes ont contribué à lui apporter un éclairage sur ce qu’il évoque. La recherche de documents, en amont de la rédaction, a dû être complète pour éviter toute fausse note.

J’ai beaucoup apprécié ce deuxième titre (j’espère qu’il y en aura d’autres). Les lettres ou transcriptions d’entretiens apportent un éclairage du passé dans le présent. C’est très enrichissant et moins lourd que des retours en arrière. L’écriture (merci à la traductrice) de l’auteur est pointue, rien n’est laissé au hasard. Il dose habilement les rebondissements, le suspense, la part de relations entre les uns et les autres et les réflexions intimes de chaque protagoniste. Quand on imagine avoir tout cerné, il nous sort un secret de famille et déstabilise nos « petites » convictions. C’est excellent !

Une saga à découvrir, pour l’instant en deux « tomes » mais qui sait ….

 

 

"La nuit des femmes" de Sandrine Biyi

 

La nuit des femmes
Auteur : Sandrine Biyi
Éditions : Savine Dewilde (8 mars 2024)
ISBN : 978-2957588343
410 pages

Quatrième de couverture

La Nuit des Femmes reprend les tomes 1 et 2 de Sorcières, précédemment édités aux éditions du halage. Réécrit et achevé, il livre l'histoire de quatre soeurs dans le Périgord du XII siècle, en 1178, sur les terres de Bertran de Born, chevalier et troubadour de renom. Quatre soeurs prises dans la tourmente de la guerre entre les fils d'Aliénor et son époux, quatre soeurs fuyant le pouvoir implacable et l'acharnement de l'Église à les accuser de sorcellerie.

Mon avis

1178, Aliénor d’Aquitaine est bien en place mais la guerre n’est pas loin, le conflit es proche entre ses fils et son époux. C’est une dame qui entend vivre sa vie comme elle l’entend quitte à être infidèle, de plus elle aime festoyer… On est en plein Moyen-Âge (une période chère à l’auteur qui se documente et sait de quoi elle parle) et les femmes n’ont pas souvent le premier rôle. Souvent, on choisit pour elles et elles subissent. D’ailleurs c’est le cas à Hautefort, domaine où le seigneur est Bertran. Dans son château, il élève ses quatre nièces. Leur mère, Inberge, est cuisinière et leur père a fui dans un couvent, alors l’oncle a décidé de leur offrir une belle éducation afin de pallier au manquement des parents.

Les frangines ont des qualités, elles sont unies et n’aiment pas être soumises. Elles gardent une liberté de mouvement impressionnante pour l’époque. Leur mère, dans laquelle leur père n’a vu qu’une servante, a des connaissances. Elle fait le sabbat (assemblée nocturne entre « sorcières ») avec d’autres femmes. À la lueur des feux qu’elles allument, elles deviennent différentes, elles sont dans la lumière, peuvent se révéler sans craindre le regard des hommes. Elles échangent leurs visions, leurs savoirs, s’aident… Elles sont déjà en plein combat féministe ! L’avortement contre les grossesses non désirées, les potions pour améliorer leur quotidien et bien d’autres médications n’ont pas de secret pour elles.

Alors, forcément, les filles vont parfois en forêt, elles se sentent attirées par Elvire, une guérisseuse installée dans une cabane. Bertran sait qu’elle existe et qu’elle vit dans les bois. Il reconnaît qu’elle a des pouvoirs pour soigner mais il ne peut pas afficher son « soutien », même s’il lui arrive de faire appel à elle en cachette. Il a des projets pour ces jeunes femmes et entend les mener à bien, en les obligeant à s’éloigner de toute forme d’ésotérisme. Marier Anne, l’aînée, caser où il pourra la petite dernière qui est aveugle, trouver une solution pour Isabel et surtout « dompter » Justine, sa préférée au caractère flamboyant et imprévisible.

C’est ce qu’il souhaite, mais on ne maîtrise jamais tout, n’est-ce pas ? Un mariage et tout lui échappe, dénonciation, mensonges, certains n’attendent pas pour mettre le feu aux poudres. Que vont devenir les quatre sœurs ? Vont-elles rester soudées, se déchirer ? Leur destin est-il vraiment entre leurs mains ? Elvire sait, sent, qu’elles sont appelées à être proches d’elle …

Portée par une écriture fluide, agréable, précise, avec un choix de vocabulaire bien ciblé, ce récit nous emporte dans un roman historique captivant et très intéressant. On y découvre le rôle trouble des hommes d’Église, leur intransigeance, leur refus de dialogue et les souffrances terribles qu’ils ont infligées aux femmes. On peut comprendre que « les aptitudes » des « sorcières » faisaient peur, mais de là à les punir, à les brûler vives, à les torturer, non, c’est inconcevable.

Avec cette histoire, Sandrine Biyi rend un vibrant hommages à celles qui n’ont pas cédé, qui ont accepté de mourir dans des conditions atroces pour montrer la voie à toutes celles qui ne baisseront jamais les bras.


"Envole-moi" de Valérie Allam

 

Envole-moi
Auteur : Valérie Allam
Éditions : du Caïman (2 Juin 2022)
ISBN : 978-2493739018
282 pages

Quatrième de couverture

Valérie Allam signe avec « Envole-moi » un grand roman, très noir et très poétique. Une symbolique, les oiseaux. Corbeaux, corneilles, oiseaux noirs, qui traverseront l’ensemble du récit et dont la mission sacrée, depuis la nuit des temps, est d’accompagner les morts dans l’au-delà.

Mon avis

D’abord il y a celui qui écrit, il parle peu ou carrément plus, mais c’est lui qui nous fait rentrer dans le récit en disant « je ». Il aime les oiseaux, un en particulier. Il leur donne une place dans sa vie. Son quotidien est trouble, troublant, troublé …. Rien n’est net, rien n’est sûr, on le comprend très vite.

Alors trois choix, oui, on va dire trois, s’offrent à nous :
- laisser le livre sur une table, le prendre de temps en temps pour essayer de lire, jusqu’au jour où la magie, peut-être, opérera.
- commencer et abandonner en grommelant « elle veut en venir où avec cette histoire ? »
- lire d’un coup, comme ça, c’est fait…

Finalement, c’est le livre qui s’est imposé à moi avec la première solution. Est arrivé un moment où j’étais sans doute prête à entrer dans l’univers que Valérie Allam a choisi de nous offrir avec cet opus.

Peu de dialogues, les plus marquants sont ceux d’une femme et de sa psychologue. Les personnages se croisent sans doute mais pas forcément en se voyant, en se côtoyant. Ils peuvent s’observer, se surveiller, s’espionner, ou vivre l’un à côté de l’autre sans vraiment communiquer.

Il y a le silencieux qui vit avec sa mère, qui elle, est obsédée par les cimetières et la mort. Et puis, cette femme qui vient au garage, vendre sa voiture, une fois, deux fois, plus encore… Est-ce qu’elle perd pied, quel est son but ? Veut-elle rencontrer le garagiste ? D’ailleurs lui qui est-il vraiment ?

Lire ce roman, c’est accepter la fantaisie, avec un brin de folie ; l’irrationnel avec une touche de poésie ; l’imprévu, l’impromptu… Il faut oublier les codes, la linéarité, les intrigues avec un début, un milieu, une fin…. Non pas que le texte n’ait pas de sens, bien au contraire.

Car ce recueil parle des vies blessées, des vies secrètes, celles qu’on s’invente pour moins souffrir. Les vies qu’on rêve, ces désirs qu’on tait, car les exprimer, c’est trop dur, des fois que les autres ne comprennent pas, que les montrer les rendent volatiles …

Ce n’est pas gai, c’est plutôt noir, les oiseaux de malheur volent bas, autour de nous, on les sent très présents entre les pages.

L’écriture de Valérie Allam, empreinte de poésie, emporte le lecteur sur d’autres rives, elle le dit elle-même, elle n’avait pas forcément envisagé d’être publiée pour ce titre.

Comme le montre la photo de couverture (magnifique soit dit en pensant), c’est parfois flou, mais ce n’est pas gênant. Il ne faut pas chercher des réponses, il faut se laisser porter par les mots, les phrases, comme lorsqu’on écoute une musique ou une chanson dont on ne sait pas tout mais qui nous émeut.


"L'inflation de la gloire" de Gabriele Tergit (Käsebier erobert den Kurfürstendamm)

 

L’inflation de la gloire (Käsebier erobert den Kurfürstendamm)
Berlin 1931
Auteur : Gabriele Tergit
Traduit de l’allemand par Pierre Deshusses
Éditions : Globe (2 Mai 2024)
ISBN : 978-2267048766
460 pages

Quatrième de couverture

Berlin, années 1930. Faute de nouvelles intéressantes, un journaliste publie un article dans lequel il promeut un médiocre chanteur de cabaret au rang de star. Du jour au lendemain, l’artiste connaît une ascension fulgurante qui éveille une multitude d’intérêts. La presse, les investisseurs, la haute société : tout le monde veut sa part du gâteau – et beaucoup en paieront le prix, quand le succès passager laissera place à la débâcle.

Mon avis

Gabriele Tergit (1894-192) a été écrivaine et journaliste allemande. Elle a dû fuir son pays et s’est installée à Londres à partir de 1938. « L’inflation de la gloire » est paru-e en 1932 en Allemagne et seulement en 2017 en France. Il vient d’être réédité en format poche.

L’histoire se déroule à Berlin, dans les années 30. On découvre la vie d’un journal avec les différents rédacteurs, la recherche de « papiers », de titres phares, « d’accroches » pour les lecteurs … Faut-il laisser les articles en l’état, les modifier, couper, alléger ou au contraire développer un peu plus ? Toutes ces questions se posent dans une salle de rédaction, tous les jours avant que le quotidien soit imprimé. Les responsables ont même quelques lignes sur la gadoue si un jour ils sont à cours d’inspiration. Mais parfois, il n’y a pas « matière à » et il faut trouver des idées, des sujets. C’est comme ça que Gohlisch, un des employés écrit un texte sur un chanteur de cabaret : Georg Käsebier dont il dit qu’il n’est pas estimé à sa juste valeur. Son texte finit par sortir et est repéré par le chansonnier mais également par Otto Lambeck, jouissant d’une certaine notoriété, il le reprend en embellissant encore tout ce qui a été écrit sur Georg.

D’homme discret, méconnu et luttant pour avoir quelques revenus avec ses spectacles, Käsebier passe au rang de grande vedette avec tout ce que cela implique. Les propositions affluent, pour construire un théâtre rien que pour lui, publier des livres racontant sa vie, quant aux produits dérivés, c’est de la folie !! Chacun essaie de tirer la couverture à lui pour prouver qu’il est le véritable découvreur de la star…. Chacun veut profiter de la situation pour s’enrichir …. C’est sans doute la période qui est propice, les gens ont besoin de rêver … mais est-ce qu’on peut bâtir un succès en misant sur une personne qui n’est pas vraiment une valeur sûre (non pas qu’il chante faux mais ….ça n’a rien d’exceptionnel).

Au-delà de l’histoire de cet homme, l’auteur décrit un pays qui perd pied avec la république de Weimar. Les allemands se croyaient sortis des problèmes économiques mais il n’en est rien, les difficultés sont immenses, le fascisme est aux frontières et avance de plus en plus … Tout peut s’écrouler très vite tant la réussite peut être éphémère. La gloire est quelques fois destructrice …

Ce récit captivant décrit une société qui veut s’amuser, vivre mais qui sent que le pire est sur le point d’arriver. Cela pourrait ressembler à notre présent et on s’aperçoit que tout ce qu’on lit, est, malheureusement, d’actualité. De nombreux thèmes sont abordés : le poids des apparences, le rapport à l’argent, la rançon de la gloire, la gentrification, les méthodes d’information etc.

L’écriture de l’auteur (merci au traducteur) est encore très actuelle, je n’ai pas senti un côté vieillot. Il y a de nombreux dialogues, vifs et bien écrits, ils donnent du rythme, et permettent d’approcher différemment les ressentis des personnages.

J’ai beaucoup apprécié ce roman car il reste très réel et réaliste. De plus il peut provoquer des discussions passionnées et certainement passionnantes.


"En guise d'appât" de Lynda La Plante (Judas Horse)

 

En guise d’appât (Judas Horse)
Auteur : Lynda La Plante
Traduit de l’anglais par Sebastian Danchin
Éditions : L'Archipel (20 juin 2024)
ISBN : 978-2809846928
340 pages

Quatrième de couverture

Les cambriolages violents se multiplient dans les Cotswolds, au sud-ouest de l'Angleterre, comté vallonné célèbre pour ses demeures cossues. Lorsqu'un corps mutilé est retrouvé dans un manoir, il devient évident que les auteurs de ces home-jacking ne sont pas des malfrats ordinaires. Jack Warr n'est pas non plus un inspecteur ordinaire, mais un flic instinctif.

Mon avis

Lorsque j’ai lu « Enfouis », j’avais écrit que je retrouverai avec plaisir Jack Warr et sa femme Maggie. Je confirme que cette deuxième aventure avec ces deux personnages est tout aussi excellente que la première. Elle peut se lire de façon indépendante, même s’il est plus intéressant de voir l’évolution des uns et des autres.

Jack et Maggie viennent d’être parents d’une petite Hannah mais il a quelques difficultés à s’épanouir dans son rôle de jeune papa. Son épouse sent qu’il est sur le fil et lui fait comprendre qu’il irait mieux en retournant au boulot. Quand Ridley, le chef de Jack, lui demande s’il est partant pour une mission délicate, il est ravi, même s’il devra s’éloigner de Londres et du domicile familial pour quelques jours.

Il part dans les Cotswolds, au Sud-Ouest de l’Angleterre où de riches familles sont installées dans de belles maisons. Ils pourraient vivre tranquilles mais des cambriolages se produisent depuis plusieurs années sans calendrier repérable. Pourquoi et comment, sont les deux questions que se posent les enquêteurs. Comme les derniers vols ont eu lieu avec violence, il devient primordial d’arrêter les malfrats au plus vite afin qu’il n’y ait pas d’autres personnes maltraitées.

Jack n’est pas forcément le bienvenu dans l’équipe qui cherche des réponses depuis longtemps. Mais il le sent très vite et il a la bonne attitude pour mettre tout le monde (ou presque) de son côté afin de travailler en bonne intelligence. Parfait ? Pas vraiment, il a quelques fois tendance à agir en électron libre « oubliant » d’informer ses supérieurs (surtout s’il sait qu’ils ne seraient pas d’accord). On lui pardonne car cela met de l’action, de l’imprévu dans le récit et le rythme est trépidant. Bon, bien sûr, en agissant de la sorte, il se met en danger et on a peur pour lui car il est très attachant mais son côté inattendu a du charme.

« Jack adorait son boulot, mais à condition d’oublier les formulaires à remplit en triple exemplaire et les réunions interminables. »

Lynda La Plante a construit une intrigue qui se tient avec son lot de fausses pistes, de ramifications, de mensonges, d’émotions diverses, d’individus qu’on déteste ou pour qui on a de l’empathie. Elle montre le cheminement des policiers pour essayer de déchiffrer le raisonnement des malfaiteurs et leur couper l’herbe sous le pied. Mais elle ne délaisse pas les autres individus, elle analyse leurs ressentis, s’en sert pour expliquer leurs réactions, leur comportement… le côté humain de chacun a de l’importance et c’est pour moi un atout dans ses romans. Pas de super héros ni dans la police ni ailleurs. On s’aperçoit que la vie personnelle existe et qu’on ne peut pas la laisser de côté.

J’ai beaucoup apprécié ce récit. Le caractère de Jack, ses rapports aux autres et ce que j’apprends sur lui (il n’a pas eu un parcours ordinaire) me captivent. Et je sens qu’il y a encore à découvrir. J’aime l’idée qu’il s’offre parfois le droit de s’affranchir du droit chemin, pour faire le bien, un peu comme Robin des Bois.

L’écriture est plaisante, fluide (Sebastian Danchin est un excellent traducteur, merci à lui). Lynda La Plante m’a encore conquise et vivement le prochain livre !

"La surface de vérité" de Jean-Noël Blanc

 

La surface de vérité
Auteur : Jean-Noël Blanc
Éditions : du Caïman (23 Mai 2024)
ISBN : 978-2493739155
230 pages

Quatrième de couverture

Énergique, charmeur, macho, ambitieux, le président Lessalut ne se contente pas de diriger un club réputé de football : il rêve d'être maire. De quoi susciter des jalousies et des manœuvres politiques, sans oublier des combines de gros sous. Plus quelques scandales sexuels. Au milieu de ces micmacs une jeune fille discrète devient peu à peu le personnage central de ce roman qui n'est peut-être qu'un drôle de théâtre.

Mon avis

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite et involontaire … quoique …..

Le dernier roman de Jean-Noël Blanc se situe dans le milieu du football, lui qui est passionné par ce sport et une certaine équipe ,va nous faire vibrer.

Le Ruy-Blas est une brasserie dont le sous-sol a été transformé en boîte de nuit. Et ce soir, c’est la fête ! Normal quand on sait qu’une petite équipe française de province a dégommé Manchester United sur le score de 3-0, s’invitant ainsi en demi-finale de Champions League. Don Lessalut, président du club, laisse le champagne, le whisky et la vodka couler à flots. Tout est permis ce soir ! L’ambiance est détendue, festive … Et puis, soudain, Cabazza, l’ami de toujours, celui qui arrange tout, même les finances, demande à parler à Don pour lui susurrer dans l’oreille que ses projets risquent d’être compromis ….

Il faut dire que Don, fort de son succès sportif, voit grand. Il a bien l’intention de briguer et d’obtenir le poste de maire. C’est un homme charismatique qui sait s’entourer des bonnes personnes, faire le buzz ou se cacher quand il le faut, enfin pas toujours … Il semblerait qu’un de ses écarts l’ait rattrapé …. Mais ce n’est pas le genre à avoir peur, au contraire, sa force de caractère l’aide à se sortir de toutes les situations délicates. Et il est sûr d’avoir l’appui d’Irène Bourgneuf, présidente du conseil régional. Par précaution,le président, ayant peur que la mairie lui échappe, envoie à Irène Bourgneuf (qui cherche une assistante), une stagiaire modèle, Ysa, en guise d’agent double. Est-ce que ce sera suffisant ?

Lessalut pense tout maîtriser, avoir toutes les cartes en main, mais il y a toujours un grain de sable, n’est-ce pas ? Une défaite non prévue, une rencontre qui ne passe pas inaperçue, une personne qu’on pense avoir dans sa poche et qui refuse d’être manipulée, un joueur qui ne respecte pas la ligne de conduite donnée ….

Ce récit est captivant, il nous montre l’envers du décor dans ces associations sportives où les jeux de pouvoir sont importants. Entraîneur, président, préparateur physique, etc…  chacun devrait se contenter de sa tâche et la faire au mieux mais ce n’est pas forcément le cas. Comme dans une pièce de théâtre les rôles sont définis jusqu’au moment où il faut agir autrement pour sauver la face….

L’écriture de l’auteur est vive, tranchante, réaliste, on a vraiment l’impression de suivre les déboires d’un club qu’on pourrait connaître. Les matchs s’enchaînent, plus ou moins réussis. Les encadrants essaient de faire au mieux mais les choses dérapent …. J’ai vraiment apprécié cette histoire, il n’y a pas de temps mort. Les rebondissements maintiennent le suspense et les situations décrites sont très justes. Je me suis attachée à Ysa Brul, je ne voulais pas qu’elle souffre, qu’elle soit manipulée, menacée…. L’égo surdimensionné de Don m’a donné envie de lui mettre des claques, preuve que j’étais à fond dans l’intrigue et que les personnages sonnent « vrais ».

Un livre qui se dévore, à lire de toute urgence qu’on aime ou pas le football !

"Mon Bataclan" de Fred Dewilde

 

Mon Bataclan : Vivre encore
Auteur : Fred Dewilde (Texte et dessins)
Éditions : Lemieux (22 octobre 2016)
ISBN : 978-2373440812
50 pages

Quatrième de couverture

Deux mains qui se tiennent du bout des doigts dans la pénombre. Baignant dans le sang des autres, Fred et celle qu'il prénomme Élisa. Nous sommes le 13 novembre 2015, dans la fosse du Bataclan. Ils étaient venus pour le concert des Eagles of Death Metal, mais l'ambiance bascule soudainement dans une tragédie historique. Deux heures durant, leur vie ne tient qu'à un fil. Fred s'emploie à réconforter sa jeune voisine blessée à la jambe. Le récit de l'après-attentat témoigne de façon bouleversante, mais toujours digne, de sa vie en mille morceaux qu'il lui faut reconstituer comme un puzzle. Durant des mois, Fred a l'impression étouffante d'être encore prisonnier du Bataclan. Graphiste professionnel, il reprend peu à peu le crayon et le fil de ses idées.

Mon avis

Fred Dewilde a passé deux heures dans la fosse du Bataclan, le 13 novembre 2015. Dimanche 5 mai 2024, « terrassé par la violence de ses traumas » il s’est donné la mort ….

Pendant neuf ans, il a lutté mais comme il l’écrit dans son roman graphique « une part de lui était resté dans la fosse ».

« Je cherche tous les jours la vie que ce 13 m’a prise. Je suis à nu, à moitié tué, égaré dans ma propre vie »…

Comment survivre lorsqu’on a subi le pire. « Je connais l’odeur, le goût de l’atrocité, de l’incompréhensible. »

Il ne supporte plus le bruit, la foule, les imprévus, il prend un casque pour pouvoir s’isoler. Il voudrait se rouler en boule sous sa couette, se cacher … Il perd le fil de ce qu’il sait faire….

Dans ce très beau roman graphique suivi de plusieurs pages où l’auteur se confie sans dessins, juste avec du texte, on voit la détresse de cet homme et on sait que ceux qui n’ont pas vécu l’horreur ne peuvent pas la comprendre.

Les dessins sont en noir et blanc, parlants sans toutefois nous plonger dans le voyeurisme inutile. Ils ne sont pas toujours délimités comme si tout se bousculait sous les crayons de l’auteur, en vrac car il faut expulser la terreur.  Fred explique comment il s’est retrouvé allongé près d’une jeune femme aux deux chevilles brisées, comment ils se sont soutenus par le regard, immobiles, faisant les morts pour être épargnés….

Et puis l’assaut avec le terrible « Les mains en l’air » alors que vous n’avez rien fait mais c’est le seul moyen de calmer tout le monde.

Ce sera ensuite « la vie d’après », plus jamais la même. Les séances chez les psys, le lien fort avec les autres victimes, le besoin de vivre tout en se posant sans cesse des questions, et quand ça va à peine mieux, Bruxelles, Nice etc comme autant de piqures de rappel pour ne pas oublier…Oui le terrorisme est toujours là, non il n’y a pas de répit ou si peu….

J’ai été bouleversée par ce livre. Je pense à Fred, à sa famille qui a souffert de le voir perdre pied, essayer de s’en sortir puis retomber …  


"Quand le fleuve gronde" de Borden Deal (Dunbar'S Cove)

 

Quand le fleuve gronde (Dunbar’s Cove)
Auteur : Borden Deal
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles B. Mertens
Éditions : Belfond (6 juin 2024)
ISBN : 978-2714497550
720 pages

Quatrième de couverture

Véritable classique de la littérature américaine, dans la lignée des œuvres de John Steinbeck et James A. Michener, publié en France en 1960 et jamais réédité depuis, ce roman puissant et engagé, largement inspiré de faits réels, raconte le désarroi des petits fermiers de la vallée du Tennessee face à la menace des grands travaux du New Deal.

Mon avis

Écrit et publié en 1957 aux Etats-Unis, puis en France en 1960, « Quand le fleuve gronde » a longtemps été introuvable. Les éditions Belfond viennent de le rééditer. Saga familiale et roman social, ce récit est magnifique et vaut largement le détour ! Il a été adapté au cinéma sous le titre « Le fleuve sauvage ».

Matthew Dunbar est à la tête du domaine des Dunbar, transmis de père en fils depuis que David, le premier Dunbar (blanc et indien à la fois) s’est installé sur cette terre qu’il a fait fructifier. Ne pas perdre un lopin, faire vivre toute la famille et rester soudés, c’est ce qui pourrait être la devise du patriarche qui règne avec une poigne de fer sur tout son monde : ses trois fils et ses deux filles, sa femme étant décédée. Il y a aussi le grand-père qui reste dans son fauteuil, un peu perdu mais toujours présent. Matthew sait qu’un jour, à son tour, il devra transmettre la propriété. À l’aîné ? Ou à un autre ? Il a encore le temps …

Une visite va bouleverser l’équilibre qui, finalement, s’avère fragile. Un homme, Crawford Gates, arrive mandaté par la TVA (Tennessee Valley Authority), une compagnie créée pour la construction et l’exploitation des barrages sur le fleuve du même nom. Autrement dit, après avoir mesuré les terrains, évalué les bâtiments, les Dunbar seront indemnisés et relogés ailleurs car le barrage inondera leur exploitation.

Pour Matthew, pas besoin de se poser de question, c’est non. Ses racines, celles de ses ancêtres et  de ses descendants sont là, pas ailleurs, il ne cédera pas.  Il a une mission.

« Le Domaine des Dunbar est entre mes mains pour une seule génération et je devrais ensuite choisir qui prendra ma place. »

Il s’entête, quitte à faire fuir ceux qu’il aime. La maison se vide, se refroidit mais il s ‘obstine, il ne lâchera pas, jamais. Crawford lui a un devoir, obtenir l’accord de cet homme, lui faire signer les papiers. Chacun a des convictions, pense que ce qu’il fait est bien. Ils ne peuvent pas se comprendre…. Pourtant les discussions entre ces deux passionnés sont, le plus souvent, empreintes de respect. Les arguments font mouche ou pas, selon le moment, si l’esprit est totalement fermé, c’est dur ….

« Il en viendra d’autres auxquels vous ne pourrez pas tenir tête. Vous ne pouvez empêcher le progrès et le changement. Vous devez aller de l’avant avec eux. »

Crawford n’a pas eu un parcours de vie très facile, c’est sans doute ce qui fait que sa sensibilité est exacerbée. Il ne veut pas prendre Matthew de front, il essaie de trouver des solutions, de lui parler, de lui expliquer ce que le barrage lui apportera de confortable mais le chemin est long.

Sept cents pages ? On n’y croit pas tellement ce récit est fluide, agréable, addictif (merci au traducteur). Les personnages sont humains, attachants. J’ai aimé leur personnalité faite de forces et de faiblesses. L’auteur a su doser une forme de suspense avec des événements imprévus qui relancent l’histoire. Je n’ai pas ressenti de longueurs, mon intérêt était intact tout au long des chapitres. On ne reste pas uniquement sur cette famille et le thème de la transmission. On découvre également tout le côté « social » avec le contexte du travail pour la société TVA. Crawford croit en ce qu’il fait, les ouvriers affectés au chantier aussi. Ce projet donne du boulot aux jeunes habitants, les employés arrivés de l’extérieur pourront aimer les filles du coin…

Si certains ne manqueront pas de trouver un petit côté « suranné » à cet opus, en ce qui me concerne, j’ai été captivée et j’ai même fini en larmes. C’est dire si les émotions étaient au rendez-vous avec cette lecture forte et porteuse de sens.


"Nos vies en flammes" de David Joy (When These Mountains Burn)

 

Nos vies en flammes (When These Mountains Burn)
Auteur : David Joy
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau
Éditions : Sonatine (20 Janvier 2022)
ISBN : 978-2355847301
354 pages

Quatrième de couverture

Veuf et retraité, Ray Mathis mène une vie solitaire dans sa ferme des Appalaches. Dans cette région frappée par la drogue, la misère sociale et les incendies ravageurs, il contemple les ruines d'une Amérique en train de sombrer. Le jour où un dealer menace la vie de son fils, Ray se dit qu'il est temps de se lever. C'est le début d'un combat contre tout ce qui le révolte.

Mon avis

Il reconstruisait une vie sur des poutres qui avaient été rongées par les flammes et se retrouvait sidéré et sans voix quand ce qu’il avait construit s’écroulait autour de lui.

Raymond Mathis est retraité, il vit dans une ferme des Appalaches, seul avec sa vieille chienne. Sa femme est décédée et il pense régulièrement à elle, souffrant de son absence. Il a fun fils, Ricky, qui passe de temps en temps, lorsqu’il n’est pas là le plus souvent, pour voler ce qui peut l’être, allant même jusqu’à récupérer des couverts dépareillés. Tout ce qu’il peut monnayer pour se procurer de la drogue.

Ray est révolté par tout ce qui est lié à la drogue. Il trouve que les policiers ne font pas ce qu’il faut, que les trafiquants entraînent des gosses dans la dépendance aux opiacées.  Et il voit Ricky qui plonge, qui doit de plus en plus d’argent. Le paternel est à bout, il n’en peut plus jusqu’au jour où un événement le force à agir, il n’a plus rien à perdre. On l’accompagne, douloureusement, dans sa lutte.

On suit aussi Denny, un pauvre gars, issu d’une famille Cherokee. Il cherche sa place en permanence, ne la trouve pas, essaie de se passer de drogue, n’y arrive pas, recommence…. On voudrait tant l’aider car comme on dit, il a sans doute « bon fond »….

Mais rien n’est simple dans cette région en feu à tout point de vue (les incendies font rage, l’alcool brûle les estomacs, les stupéfiants incendient les esprits …) Le chômage est le quotidien de beaucoup de personnes et toutes les magouilles sont bonnes pour se faire un peu de fric.

David Joy met en scène, une fois de plus, les laissés pour compte de l’Amérique, ceux qu’on oublie, qui galèrent, qui survivent parfois. Ses personnages, ses descriptions sont sans fard.  La violence est omniprésente, c’est noir, terriblement dur à lire tant on cherche la moindre lueur d’espoir.

On a plusieurs points de vue, celui des enquêteurs, des trafiquants, des familles … L’auteur parle aussi de racisme, des différentes cultures qui se croisent, de l’environnement … Le profil psychologique des individus est réfléchi, l’auteur sait de quoi il parle. La postface est bouleversante car on apprend que Joy n’a pas eu une vie facile et aurait pu succomber lui aussi.

Le lecteur n’est pas épargné, le contenu est tragique, terriblement dur à lire mais l’écriture (merci au traducteur) sèche, directe, nous scotche aux pages car c’est ça la force de Joy, nous immerger dans ses histoires quitte à nous laisser le cœur en vrac….


"Joli mois de mai" d'Alan Parks (May God Forgive)

 

Joli mois de mai (May God Forgive)
Auteur : Alan Parks
Traduit de l’anglais (Ecosse) par Olivier Deparis
Éditions : Rivages (1 er Mai 2024)
ISBN : 9782743663339
436 pages

Quatrième de couverture

Le voile du deuil s'est abattu sur Glasgow : un salon de coiffure a été ravagé par un incendie qui fait 5 morts. Lorsque trois jeunes sont arrêtés, la foule de déchaîne. Mais sur le trajet vers la prison, le fourgon cellulaire est attaqué et les trois jeunes gens enlevés.

Mon avis

Mai 1974, on retrouve l’inspecteur Harry McCoy, (mais le livre peut se lire indépendamment des autres titres), il a un ulcère et doit faire attention à ce qu’il boit, ce qu’il mange, mais il s’en fiche un peu. Il travaille avec Wattie, un collègue qu’il apprécie bien qu’ils soient très différents. Il est même le parrain de son fils.

Glasgow est en deuil. Un salon de coiffure a été volontairement incendié et les habitants sont en colère. Cinq morts, des femmes, des enfants, il faut coincer les coupables au plus vite. Trois jeunes sont arrêtés mais après avoir été entendus, le fourgon qui les transportait est attaqué et ils se volatilisent. Est-ce le richissime père de l’un d’eux qui a monté cette opération commando pour éviter la case prison à son fils ? Ou autre chose ? McCoy s’interroge d’autant plus que le paternel concerné nie toute implication.

En parallèle Wattie enquête sur une jeune fille, découverte assassinée dans un cimetière. Que faisait-elle là ? Une bande de clichés issue d’un photomaton semble le seul indice pour découvrir qui elle est car elle n’est pas seule sur les photos. Il y a également cet homme, vendeur de magazines pornographiques qui s’est suicidé, pourquoi ?

Les policiers écossais n’ont pas le temps de boire un café ou une bière….Ah si, de temps en temps, pour obtenir des informations, mettre sur la sellette quelqu’un qui sait éventuellement quelque chose. Après il faut réussir à le faire parler et ce n’est pas forcément simple ….

Ce qui est difficile pour McCoy c’est que ses recherches le renvoient à sa propre histoire, à son enfance douloureuse, son papa défaillant etc… De plus, il montre des failles, des fragilités même s’il essaie de donner le change. Il peut provoquer ceux qu’il interroge avec quelques phrases assassines, bien placées. Tout ça le rend diablement attachant, même quand il est maladroit ou ne prend pas soin de sa santé. Dans ce roman, on découvre la face sombre de cet homme, les fantômes qui le hantent. C’est un solitaire, il souffre mais reste seul, refusant toute aide. Il est policier mais il aurait pu être de l’autre côté de la barrière. Cela lui offre quelques contacts dans le milieu mais son équilibre reste fragile notamment quand les juridictions tardent à agir ou ne font rien par manque de preuves ou de courages ou face à des gens trop forts qui achètent le silence, alors il sent la révolte qui gronde en lui.

Dans ces temps incertains, l’auto justice n’est pas un vain mot. La police ne peut pas toujours décider de qui est coupable ou innocent, parfois la loi de la rue passe avant elle et elle ne récolte que des cadavres…. McCoy peut-il laisser faire, transgresser les règles, lui qui les représente ?

L’auteur ne s’embarrasse pas de fioritures, il nous montre la ville dans sa triste réalité. Des quartiers gangrénés par les gangs qui s’affrontent. Les prostitués, les voleurs, les alcooliques sont bien présents, l’atmosphère n’est pas à la joie. Il a une écriture (merci au traducteur) nerveuse, rythmée, dépouillée, pas de temps mort.

J’ai trouvé l’intrigue bien pensée, construite avec doigté et finesse. Tout se déroule sur peu de jours dans un mois de mai qui n’a rien de joli. C’est une des histoires les plus tristes, les plus noires d’Harry McCoy. Ce qu’on apprend sur lui fait mal et j’espère une lueur d’espoir dans le recueil qui parlera de juin …..

"Au nord de la frontière" de R.J. Ellory (The Last Highway)

 

Au nord de la frontière (The Last Highway)
Auteur : R.J. Ellory
Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau et révisé par Pierre Delacolonge
Éditions : Sonatine (21 Mars 2024)
ISBN : 978-2383991434
500 pages

Quatrième de couverture

Victor Landis est shérif dans une petite ville de Géorgie. C'est un homme solitaire, qui a voué son existence au travail. Pour toute famille, il ne lui reste que son frère, Frank, avec qui il a partagé une enfance misérable avant qu'une brouille ne les sépare. Lorsque Frank est retrouvé mort dans des circonstances étranges, Victor décide de se rendre dans le comté de Dade, près de la frontière avec le Tennessee, afin d'en savoir plus. Là, il découvre que son frère avait une ex-femme, et une fille, dont il ignorait l'existence. Pour sa nièce, Victor doit tenter d'en savoir plus sur la mort de Frank.

Mon avis

Il m’est impossible de chroniquer ce livre sans évoquer Fabrice Pointeau (d’ailleurs l’auteur lui-même en parle dans un vibrant hommage en fin d’ouvrage).  Il a traduit Cleave, Elloyr, Joy etc. C’était un homme exceptionnel (décédé en 2023). Ses traductions uniques étaient d’une qualité inégalée. Lors d’un entretien, il expliquait lire, relire, lire encore avant de rendre sa copie. Il comprenait les enjeux du texte, choisissait : chaque mot avec précision, chaque tournure de phrase pour qu’elle transmette au mieux les scènes, les émotions, les liens …  Un grand monsieur qui va manquer au monde littéraire.

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« La chose qui lui manquait le plus était l’espoir. L’espoir que tout aurait un sens quand il serait plus vieux. »

Découvrir un nouveau titre de R.J. Ellory est pour moi l’assurance que la lecture sera à la hauteur de mes espérances.  On est en 1992, pas d’internet, de méthodes modernes pour résoudre un mystère. Victor Landis est shérif en Georgie. C’est un ours, solitaire et travailleur, il n’a pas de vie à côté du boulot mais ça lui convient. Sa secrétaire, Barbara, et son adjoint sont des piliers pour le soutenir mais il ne les voit pas en dehors du bureau. Barbara a bien cerné sa personnalité et elle a avec lui quelques dialogues truculents, elle ose dire les choses, sans tabou. Cet homme secret a eu un frère, Franck, avec qui il est fâché depuis longtemps.

Aussi lorsqu’il est convoqué pour l’inévitable paperasse liée au décès de ce dernier, il se dit : j’y vais, je signe et je tourne la page définitivement. Franck était shérif comme lui et il s’avère qu’il avait une ex-femme et une fille d’une dizaine d’années. Cette petite, Jenna, a l’innocence des enfants et c’est sans complexe qu’elle demande à son oncle Victor, dont elle n’avait jamais entendu parler, de chercher pourquoi son papa a été tué car sa mort semble louche.

Victor n’a pas envie de creuser cette histoire mais finalement il commence et il se pose de plus en plus de questions. Il doit également enquêter sur des adolescentes retrouvées mortes. Les investigations vont l’entraîner dans une histoire très sombre, douloureuse. C’est un homme captivant, il refuse de montrer ce qu’il ressent, persuadé qu’ainsi il sera plus fort. Il se considère sans attache, sans famille et puis sa nièce et son franc parler entrent dans son quotidien. Tout est bouleversé et il va revoir ses priorités.

Avec Ellory, les romans policiers ne sont pas ordinaires, son écriture puissante donne vie aux protagonistes avec leurs ressentis, leurs failles, leurs forces, leur humanité. Ils sont « le livre » plus que l’intrigue elle-même. Il fouille les âmes, creuse pour comprendre chacun, essayer de cerner chaque décision. Il nous montre le côté noir de certains, l’ambivalence d’autres mais aussi la volonté de ceux qui pensent qu’il est encore possible de changer ce qui ne va pas (quitte à être un peu radical). Il décrit à la perfection les lieux (ici un coin de Georgie aux Etats-Unis alors qu’il est anglais), les habitants et leurs occupations, l’atmosphère entre les uns et les autres, les dérives avec l’alcool, la drogue, les bagarres ….

Une fois encore, l’auteur m’a scotchée. Au-delà des recherches, ce qui est intéressant avec lui, c’est l’étude minutieuse des personnages, de leurs caractères, leurs comportements, leurs choix. Chaque attitude face à une situation est décortiquée. Les liens entre Victor, sa nièce, son ex belle-sœur sont présentés dans les moindres détails émotionnels. Le style s’est épuré et le texte est d’autant plus puissant. Vraiment excellent !


"Les grandes et petites choses" de Rachel Khan & Aude Massot

 

Les grandes et les petites choses
Auteurs : Aude Massot (dessins) & Rachel Khan (scénariste)
Éditions : Nathan (12 Janvier 2023)
ISBN : 782092494493
170 pages

Quatrième de couverture

11 secondes, c’est le temps qu’il aura fallu à Nina, 18 ans, pour parcourir un 100 mètres et devenir championne de France. Noire, juive, musulmane et blanche, elle peine à trouver ses marques dans une société qui voudrait l’enfermer dans des cases figées. Alors elle court, elle court pour fuir l’injustice, l’Histoire, les grandes et les petites choses de sa vie. Elle choisit la vitesse pour toucher du doigt ce rêve d’équité. Car, si Nina doute beaucoup face au regard des autres, le chronomètre, lui, est infaillible…

Mon avis

Ce roman graphique est adapté du titre éponyme de Rachel Khan qui y raconte ce qu’elle a vécu. Le personnage qui la représente, Nina, est métisse, issue d’une famille où trois générations vivent sous le même toit malgré leurs différences d’origine. Elle aime la danse, réussit bien mais son professeur lui fait comprendre que sa couleur de peau va gêner l’uniformité du ballet….. C’est révoltant !

Elle se met à l’athlétisme, y prend goût et gagne des médailles. Mais Nina a des hauts et des bas, le sport demande beaucoup d’efforts, voire de sacrifices. Elle a besoin qu’on croie en elle, d’être encouragée. Parfois, elle baisse les bras.

Cette bande dessinée aborde de nombreux thèmes. On est dans les années 90, Certains adolescents se cherchent, comme Nina. À cet âge-là, comment être surs de ses choix ? À qui parler de son mal-être, parfois envahissant ? À qui se confier face à un acte violent alors qu’on vous fait comprendre que « pas de vagues » serait souhaitable ?

J’ai été très intéressée par ce récit. J’aurais aimé qu’on parle un peu plus de la famille très atypique. Mais mettre l’histoire de Rachel-Nina en avant est essentiel, il y a encore tant à faire dans certains domaines ! Les dessins sont simples, expressifs, bien colorisés.  Les bulles montrent les difficultés rencontrées par la jeune fille. Son rapport aux autres n’est pas toujours facile, ni naturel. Elle est souvent méfiante, a du mal à faire confiance. On peut la comprendre car elle vit quelques situations délicates.

Une belle découverte qui me donne envie de lire le livre.

NB : la préface de Rachel Khan est puissante : « … des couleurs, contre toutes les formes d’intolérance, pour réparer nos humanités, pour poursuivre notre récit universel et vivre nos petites histoires en grand. Au fond des bulles et des couleurs pour célébrer la vie. »



"L'île de la Réunion" de Robert Stantina et Claude Huc

 

L’île de la Réunion
Auteurs : Photos : Robert Stantina / Texte : Claude Huc
Éditions : Delroisse (12 Février 1987)
ISBN : 978-2855-1806-5
166 pages

Pas de quatrième de couverture

Mon avis

Ce livre est magnifique !

Enrichi de nombreuses et belles photos, il présente l’île de la Réunion, ses habitants, le volcan, la culture de la canne à sucre, les paysages très variés, les villes et certaines habitations créoles…

On nous explique la vie avec les ouragans et les cyclones, les précautions à prendre ….

Il y a également son histoire, comment elle s’est construite, d’où viennent ses habitants. C’est une île riche, de diversités, de cultures, de panoramas, de musiques ….

Certains textes sont en français et en anglais.

Ce n’est pas un recueil rébarbatif, au contraire, avec les clichés, on le prend, le pose, le feuillette à nouveau, on ne s’en lasse pas !


"La montagne vivante" de Nan Shepherd (The Living Mountain)

 

La montagne vivante (The Living Mountain)
Auteur : Nan Shepherd
Traduit de l’anglais par Marc Cholodenko
Introduction de Robert Macfarlane
Éditions : Christian Bourgois (2 mai 2024)
ISBN : 978-2267048810
210 pages

Quatrième de couverture

C’est un monde à couper le souffle que décrit Nan Shepherd de sa prose poétique et exaltée : les rivières, la neige, la faune et la flore… Elle explore les résonnances du cœur humain et du paysage, s’affronte à la grandeur souvent terrifiante de la montagne, et nous convie à contempler l’âme du monde déployée sous nos yeux. Écrit en 1940, ce chef-d’œuvre méditatif et envoûtant sur les beautés de la nature est devenu un classique incontournable du genre.

Mon avis

Ce livre a été écrit en 1940. L’auteur ayant essuyé un refus, il a été remisé dans un tiroir jusqu’en 1977 où il est sorti en peu d’exemplaires. Et puis Robert Macfarlane (un écrivain voyageur) l’a lu et l’a remis au goût du jour. Dans cette édition, il a écrit une longue introduction où il dit que ce livre l’a transformé.

« Elle m’a ouvert les yeux, m’a appris à voir ces collines si familières au lieu de me contenter de les regarder. »

Ce recueil nous invite à une sortie dans les montagnes écossaises, si chères au cœur et au corps de Nan Shepherd. Son écriture (merci au traducteur), ses mots, sa façon de s’exprimer, subliment le lieu unique qu’elle présente. Elle nous fait un cadeau car ce qu’elle décrit permet de comprendre son lien à la nature, aux éléments et comment les appréhender pour s’offrir des moments magiques en totale communion avec ce qu’on peut contempler, écouter, percevoir lorsqu’on est dans la montagne.

Oui, c’est difficile parfois de randonner, lorsqu’on monte en altitude et que le souffle est de plus en plus court mais petit à petit le corps s’habitue et le paysage en vaut la peine. Nan explique comment elle prend le temps de regarder un cours d’eau, en balayant du regard ce qui s’offre à sa vue, en écoutant le bruit des gouttes qui tombent, en vivant chaque instant, pleinement, en conscience.  Finalement, c’est un texte très actuel car c’est la source des séances de sophrologie ou de bien-être : carpe diem….

Mais ce qui fait la force de ce récit, c’est le style lumineux, poétique, portant un magnifique message d’amour pour ce lieu que Nan apprécie au-delà de tout.

« Mais souvent la montagne se donne le plus complètement quand je n’ai pas de destination, quand je ne cherche pas un endroit particulier, quand je suis sortie rien que pour être avec la montagne comme on rend visite à un ami sans autre intention qu’être avec lui. »

La montagne respire, c’est comme un être humain, elle représente une forme de vie pour Nan. D’ailleurs, tous ses sens sont en éveil lorsqu’elle est auprès d’elle.

« Former l’oreille au silence, c’est découvrir combien il est rare. »

Elle glisse hors du temps en totale harmonie avec le lieu. Elle reconnaît que vivre là-haut n’est pas toujours aisé pour ceux qui y restent à demeure. Ceux qui ont choisi d’y habiter savent que le labeur sera quotidien, lourd, long, voire épuisant mais c’est une décision réfléchie et une forme de bien-être pour eux. Leur équilibre est à ce prix et leur accueil envers ceux qui, comme Nan, les comprennent, est beau, simple et joyeux.

Ce texte est superbe, chaque recoin de la montagne est offert à notre regard par les phrases de Nan, que ce soit un paysage exceptionnel ou un aspect plus difficile, elle partage tout avec un phrasé puissant, lyrique nous permettant de voir plus loin que le premier regard…. Un livre à savourer et à relire….


"Mission Damas" de David McCloskey (Damascus Station)

 

Mission Damas (Damascus Station)
Auteur : David McCloskey
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Johan-Frédérik Hel-Guedj
Éditions : Verso (24 mai 2024
ISBN : 978-2386431050
560 pages

Quatrième de couverture

Sam Joseph, agent de la CIA, est envoyé à Paris afin de recruter Mariam Haddad, haute fonctionnaire travaillant au palais présidentiel syrien. Entre eux, c’est le coup de foudre. Mais cette relation interdite pourrait leur coûter très cher, surtout qu’ils doivent se rendre à Damas pour traquer le responsable de la disparition d’un espion américain.

Mon avis

David McCloskeyest un ancien analyste de la CIA pour qui il a travaillé dans plusieurs antennes à travers le Moyen-Orient et il est également spécialiste de la Russie. C’est dire si son récit est bien pensé, ancré dans de terribles réalités.

Sam Joseph est agent de la CIA mais lorsqu’il est en mission, il doit tout avoir du touriste ordinaire, flânant çà et là. Il a appris à déjouer une filature, à repérer les personnes qui peuvent le filer, à subir des sévices corporels pour être prêt quelles que soient les circonstances. Mais souvent entre l’entraînement et le terrain, il y a un gouffre….

Au début du livre, on le suit en Syrie où il participe à une exfiltration qui ne se passe pas comme prévue. L’atmosphère dans le pays est très tendue, on le sent dès le début et les descriptions très pointues nous plongent dans ce contexte anxiogène où règne la peur.

Par la suite, on confie une tâche à Sam, il doit recruter Mariam Haddad, assistante d’une personne importante au palais présidentiel syrien, afin d’obtenir des informations. Ce que ni l’un ni l’autre n’avaient prévu, c’est le fait qu’ils se sentent irrésistiblement attirés l’un vers l’autre. Ils savent que c’est interdit, qu’ils ne doivent pas céder à leurs pulsions amoureuses mais …. Sam n’ignore pas que Mariam sera son « talon d’Achille », que les ennemis profiteront de cette faiblesse s’il est pris.

À Damas, Bachar El-Assad impose une main de fer, la guerre civile est en route mais il ne lâche rien. Les espions sont surveillés, coincés, tout est fait pour les prendre en défaut, faire craquer leur couverture officielle, les obliger à se dévoiler.

C’est avec une écriture rythmée (merci au traducteur), sans fioriture que l’auteur emmène le lecteur dans un univers digne des meilleurs films d’espionnage. De l’action en permanence et pour souffler au milieu des scènes de violence, l’amour interdit de Sam Et Mariam. Mais rien n’est simple pour eux, ils sont sans arrêt sur la défensive, obligés d’être sur le qui-vive en permanence, ne pouvant rien montrer de leurs sentiments…

J’ai trouvé ce roman particulièrement intéressant, même s’il est « dur ». Il nous montre l’envers du décor des milieux politiques et des services secrets. Ce n’est pas un jeu de chat et de souris, c’est beaucoup plus complexe que ça. Il y a des enjeux énormes, notamment lorsque les familles des agents secrets sont menacées. Eux, ils sont formés pour faire face, prêts à souffrir, voire à mourir mais quand l’ennemi touche une personne qu’ils aiment, la donne change… D’où le fait que quelques fois, ceux qui sont recrutés, le sont parce qu’ils n’ont pas d’attache.

 David McCloskey décrit des méthodes pour faire parler qui font froid dans le dos et on se doute bien qu’elles existent…. Ce qu’il présente est très pertinent, il glisse même des faits historiques pour donner du poids à son histoire. Les personnages ne sont pas manichéens, ils ont des failles, certains très humains. Je pense à Ali, qui est plutôt surprenant dans sa façon d’être, d’appréhender les relations avec les autres, quel que soit leur bord.  

Un recueil sans temps mort, à l’intrigue travaillée qui plaira aux amateurs du genre !

"Dies Irae Jour de colère" de Pascal Alliot

 

Dies Irae
Auteur : Pascal Alliot
Éditions : Maia (15 Avril 2024)
ISBN: 9791042500474
230 pages

Quatrième de couverture

Alors il commence son texte, son état de vie, son acte de reconnaissance. Par ses premières années, celles heureuses à Saint-Savetier, il y a trente ans environ. Quelque part dans le Nord, au pays des mines. Des terrils. Un p’tit gars du Nord qui est monté à la capitale, et qui a croisé son destin.

Mon avis

« Dies Irae », jour de colère, c’est le nom d’un groupe musical composé de copains.

Ils sont du Nord, des vies plus ou moins faciles pour leurs parents, pour eux également. Des villes ouvrières, le chômage avec tout ce que ça implique de difficultés, de fatalisme, de peur de l’avenir…Yvan et François sont frères. Ils voient leurs parents galérer. Le père perd pied, et fait vivre l’enfer à sa famille. Finalement, la mère se retrouve seule avec ses deux fils. À la maison, on écoute un peu de musique, ça calme, ça fait du bien.

Un jour, c’est le déclic, le hasard des rencontres, la musique est entrée dans leur quotidien et avec deux copains, ils forment un quatuor qui de jour en jour devient connu. Les chansons leur correspondent. Ils expriment le mal-être et les jeunes se sentent compris. Alors bien sûr, ils rencontrent le succès, un bon manager qui sait les accompagner et les « vendre ».

Mais lorsqu’on connaît la gloire et la fortune, il faut être vigilants au revers de la médaille, ne pas subir trop d’influences néfastes, ne pas se laisser griser, ne pas sombrer dans certaines formes de dépendance, rester humbles et solides…

Ce roman montre combien il est ardu de vivre dans le monde des vedettes, de maintenir des relations « normales » avec ceux qu’on aime alors que les fans vous envahissent, qu’ils demandent toujours plus et que vous faites tout pour les satisfaire…

Le récit est prenant car il y a du rythme, des événements déclencheurs qui provoquent des mieux ou des moins bien pour le groupe, il se passe toujours quelque chose et on se demande ce qu’ils vont devenir. Ce sont des adolescents un peu fragiles qui finalement grandissent peut-être trop vite….

L’écriture mordante, vive de l’auteur nous met rapidement dans le vif du sujet. Il décrit parfaitement les journées des musiciens chanteurs, les tournées, les tentations, les accès de colère, les disputes pour une fille ou autre. On réalise qu’être une star ce n’est pas simple, c’est même tout le contraire. Et la fin nous le rappelle …