"Ann d'Angleterre" de Julia Deck

 

Ann d'Angleterre
Auteur : Julia Deck
Éditions : Seuil (19 Août 2024)
ISBN : 978-2021576535
260 pages

Quatrième de couverture

En avril 2022, la mère de Julia Deck est victime d’un accident cérébral. Selon les médecins, ses chances de survie sont infimes. Mais la patiente déjoue les diagnostics. Commence alors un long cheminement, dans l’espoir d’une convalescence, à travers le dédale des établissements de soins. En parallèle, Julia Deck raconte, sur un rythme vif et non dénué d’humour british, la vie de cette femme issue d’une famille ouvrière anglaise, passionnée de littérature, qui s’est élevée socialement, est venue habiter en France, tout en continuant d’entretenir un rapport complexe avec sa famille d’Angleterre.

Mon avis

La mère de l’auteur, une dame de plus de 80 ans, installée à Paris, est victime d’un AVC.  On ne peut pas dire que Julia n’avait jamais envisagé qu’une telle situation se présenterait. Mais là, elle est dedans et c’est un bouleversement. Les médecins sont pessimistes et lui demandent de réfléchir pour trouver la meilleure solution pour la malade qui a perdu beaucoup de son autonomie.

C’est le moment des discussions, des rendez-vous, il faut anticiper, gérer, c’est usant moralement, déstabilisant, long et pénible à vivre. On suit le quotidien de Julia, ses questionnements, tout ce qui l’anime. Elle devait faire la promotion de son dernier livre et elle cherche que mettre en place pour sa mère…

En parallèle, comme elle se rend dans l’appartement maternel, elle observe ce lieu, son esprit s’évade et elle revient sur leur relation, pas vraiment fluide. Elle nous raconte la vie de sa maman, sa place dans sa famille, ses études, ses rencontres. Elle « reconstruit » leur lien. On découvre ce qu’elles ont un commun : le goût de la littérature. Est-ce que c’est ça transmettre ? Et puis, il y a ce sentiment que quelque chose lui échappe, qu’elle ne sait pas tout… elle creuse… ah les non-dits…. Est-ce qu’elles vont enfin se parler réellement ?

J’ai beaucoup aimé ce livre, malgré un petit bémol (J’ai trouvé dommage l’absence de points d’interrogation au bout des questions ainsi que les tirets pour les dialogues. Non pas qu’on ne comprenne pas mais je ne vois pas l’intérêt….) On passe par diverses émotions, car tout est très bien exprimé. Ses phrases sont parfois d’une ironie mordante lorsqu’elle décrit l’hôpital ou certains entretiens. Je crois que c’est ce que j’ai particulièrement apprécié, ce mélange des genres et le fait que Julia dise les choses comme elles sont. L’écriture est franche, directe et ça donne un « fond » intéressant à ce roman (car il est catalogué roman, même s’il ressemble fortement à une tranche de vie).


"Sainté noire Carte blanche pour Saint-Etienne noire" par collectif d'auteurs

 

Sainté noire
Carte blanche pour Saint-Etienne noire
Auteurs : Collectifs d’auteurs
Éditions : du Caïman (10 Avril 2025)
ISBN : 978-2493739254
398 pages

Quatrième de couverture

Sainté Noire inaugure la nouvelle collection des Villes Noires qui propose de présenter tous les deux ans, dans différents recueils, des villes françaises au passé industriel, ouvrier et d’en découvrir l’évolution au fil du temps. Pour ce premiers opus, auteurs, scénaristes, musiciens, journalistes, libraires, tous ayant une histoire commune avec la ville, se succèdent pour présenter un ensemble de nouvelles dans des styles et des genres qui rebondissent, se télescopent : c’est à travers le polar, ou des textes intimistes, historiques, fantastiques ou de science-fiction que se décline la ville de Saint-Étienne, son passé, son présent, son avenir...

Mon avis

Sacrée gageure que de réunir dans un même recueil, des auteurs, des libraires, des journalistes, tous unis par l’affection qu’il porte à la ville de Saint-Etienne, qu’ils y habitent encore ou pas, qu’ils y soient nés ou pas. Leur mission commune ? Écrire une nouvelle qui se passe dans cette cité. Défi relevé ou pas ? Oui ! Et réussi en plus, ce qui est encore mieux, non ?

Dans l’exercice des nouvelles, il est nécessaire, en peu de pages, de raconter une histoire, d’installer une atmosphère et des personnages, d’accrocher le lecteur avec une intrigue ou une problématique, de le tenir en haleine, d’avoir une fin qui tient la route. Pas si facile qu’on l’imagine !

Chaque auteur, ici, a écrit son propre texte, se déroulant dans ma ville. J’ai retrouvé certains lieux, des quartiers connus, des endroits du passé (comme le marché couvert place Chavanelle), des rues, des statues, etc. En fermant les yeux, je me promenais auprès des protagonistes, je les accompagnais dans ce qu’ils vivaient. J’y étais ! Illustré de cartes postales en noir et blanc ou de dessins originaux, chaque mini récit est rédigé dans un style différent. On peut être dans le passé, dans le futur, dans un présent angoissant avec des individus surprenants. C’est dépaysant par le genre, mais rassurant par les coins visités (quand on les connaît), et je vais les voir d’un autre œil pour certains.

J’ai particulièrement apprécié que chacun, chacune, tant par le contexte, que par le contenu, le phrasé, ait offert un texte personnalisé et intéressant.

Parmi la vingtaine d’histoires, Mention spéciale à :

Pierre Mazet, pour la conclusion.
Grégory Ladret pour l’impertinence.
James Holin, parce que je n’aime pas les pigeons mais beaucoup les nouveaux mots comme xénogenre ;- )
Bruno Gaccio pour le foot.

Et tous les autres pour l’ambiance, la rébellion, les sourires, les poings parfois serrés, les balades dans Saint-Etienne. Afin de montrer que « chez nous », tout n’est pas triste, sombre, noir, mais bien plein de vie, d’idées, d’envies, de fantaisie, de couleurs (avec une dominante verte ;- )

Que vous connaissiez ou pas cette ville minière, ce livre est à découvrir pour la variété et la qualité des textes, les émotions diverses ressenties.

Les histoires ont toutes un petit côté noir, sombre mais également une pointe d’humour, de dérision. Ni trop longues, ni trop courtes, elles nous entraînent dans des nouveaux univers pour chaque histoire. Comme ça, aucune lassitude et des surprises à chaque titre !


"Alice Milliat La femme olympique" de Sophie Danger

 

Alice Milliat
La femme olympique
Auteur : Sophie Danger
Éditions : Les Pérégrines (19 Avril 2024)
ISBN : 979-1025206287
200 pages

Quatrième de couverture

« Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. » Face au discours misogyne que Pierre de Coubertin et ses acolytes tiennent depuis 1896, Alice Milliat s’est promis de mener, envers et contre tous, les femmes aux Jeux olympiques. La jeune Alice avait pourtant tout fait, à l’école, pour échapper à l’ennui des cours de gymnastique hygiéniste. Des années plus tard, lors d’un séjour à Londres, elle découvre l’aviron et se prend de passion pour le sport. Mais en ce début de XXème siècle, celui-ci est encore une affaire d’hommes. Pas de quoi freiner Alice qui réussit, par sa force de conviction, à fédérer la pratique sportive féminine naissante, avant de se lancer dans la bataille de sa vie : l’accès des femmes aux JO.

Mon avis

Le jour où les femmes françaises auront réussi à faire compléter les devoirs qu’on s’est toujours empressé de leur imposer par leurs droits sociaux et politiques, la situation changera d’aspect, soyez-en convaincu. (Alice Milliat)

Je n’avais jamais entendu parler d’Alice Milliat (en photo sur la couverture), pourtant je m’intéresse au sport et aux jeux olympiques. Je suis heureuse d’avoir découvert sa biographie rédigée par Sophie Danger. Sans elle, les femmes n’auraient pas la possibilité de participer aux jeux et de rapporter des médailles. Ce serait dommage !

Alice Milliat (1884-1957) s’est battue pour que les femmes puissent participer aux épreuves olympiques. Le comité refusait sans arrêt et elle a fini par mettre en place des compétitions féminines avec plusieurs pays. En 1922, la Fédération Sportive Féminine Internationale a vu le jour et c’était parti ! Il fallait trouver des financements, rien n’a été facile. Mais elle n’a pas lâché.

« Pour que la France, pionnière en matière de sport féminin, retrouve son lustre sur la scène internationale, il est essentiel que ceux qui la gouvernent fournissent un réel effort financier. »

Opiniâtre, elle a tenu tête quand on lui disait que les femmes avaient une fragilité physiologique et que trop d’exercices physiques ne serait pas adapté. Elle a rappelé que, pendant la guerre, les femmes avaient travaillé dans les champs, en usines, dans des conditions difficiles sans jamais se plaindre.

 L’auteur s’est beaucoup documenté et elle a cherché longuement car il n’y a pas pléthore de documents sur cette femme. Elle a construit sa biographie avec des anecdotes (Alice aimait ramer et était très forte en aviron), des photos, des extraits de discours ou des réflexions. C’est très bien fait et très intéressant !

Une femme à découvrir !


"La coquetière" de Linda D. Cirino (The Egg Woman)

 

La coquetière (The Egg Woman)
Auteur : Linda D. Cirino
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Bonnafont
Éditions : Liana Levi (5 Mai 2022)
ISBN : 979-1034905997
210 pages

Quatrième de couverture

En 1936, dans le sud de l'Allemagne, à la lisière de la Forêt-Noire, Eva mène une existence monotone dans la ferme familiale. Un jour, alors que son mari est sur le point de partir pour l'armée, elle découvre un étudiant caché dans son poulailler. D'instinct, elle le protège et l'abrite. Cette présence déroutante va pourtant bouleverser sa vie...

Mon avis

C’est en hommage à ses grands-parents juifs qui ont fui la Pologne pour s’installer aux Etats-Unis que l’auteur a écrit ce délicieux roman. C’est un bijou de délicatesse avec une écriture fine et peu importe que l’histoire soit improbable tant le personnage principal est attachant.

Les parents d’Eva lui ont trouvé un mari, se libérant ainsi d’un souci. Un paysan comme eux, d’ailleurs elle ne sait faire que ça, aider aux travaux agricoles. L’époux n’est pas violent mais pas aimant non plus.

« Le temps manque pour penser aux sentiments, à supposer qu’il y en ait. »

Il a pris femme pour tenir la ferme avec lui et elle accomplit ses tâches avec beaucoup d’application. Pas une minute pour faire autre chose entre les animaux, le potager, le ménage, la cuisine, la lessive. Elle a peu de contact avec l’extérieur, presque « protégée » car elle est loin de tout, elle est parfois un peu candide sans être naïve. C’est elle qui s’exprime et qui raconte son quotidien.

Le récit commence en 1936, on est en Allemagne. Son compagnon doit combattre et elle reste seule sur l’exploitation avec ses deux enfants adolescents censés l’aider avant et après la classe. Eux, ils se lassent rapidement et préfèrent agir pour Hj, Hitlerjugend, les jeunesses hitlériennes auxquelles ils croient.

Eva est bien isolée et doit faire face à tout. Elle est surveillée par les officiers du gouvernement et comme c’est difficile de tout assumer, elle se sépare de certains animaux pour se consacrer uniquement à son poulailler. Elle doit aller au village et découvre un autre « monde ». Elle développe son petit commerce et puis un jour, surprise, il y a un étudiant en fuite caché dans l’enclos des volatiles. Elle décide de se taire et une étrange relation se noue entre eux.

À sont contact, elle ouvre les yeux, elle comprend le sort des juifs, elle déteste cette injustice, les choix du gouvernement mais elle se heurte aux idées affirmées de ses enfants alors, elle garde ses pensées pour elle. Elle réalise que la jeune Eva ne savait rien de la vie…

« Il m’avait ouvert les yeux sur un fléau parmi bien d’autres et montré comment je pouvais le combattre […] »

Elle chemine, elle « grandit », elle murit, elle découvre la vie, car même au marché où elle vend œufs et poulets, elle est « obligée » de se plier à certaines « normes ». Elle réalise qu’elle n’a pas toujours le pouvoir de décider et qu’on lui impose d’agir d’une certaine façon. Mais au fond d’elle-même, elle reste une femme courageuse, forte, droite dans ses bottes, convaincue par ce qui est juste pour elle.

Ce texte est lumineux. Eva rayonne, scintille, son portrait la rend terriblement humaine.

L’écriture est fluide (merci pour la traduction), la vie à l’époque est bien décrite, présentée sous différents aspects, c’est très bien fait !

Coup de cœur !

"Là où sombrent les secrets" de Céline Bréant

Là où sombrent les secrets
Auteur : Céline Bréant
Éditions : Taurnada (3 Juillet 2025)
ISBN : 978-2372581608
378 pages

Quatrième de couverture

Que s'est-il réellement passé cette nuit-là ?
Juin 2007. Trois jeunes amies bravent les interdits lors d'une classe verte en montagne. Une escapade nocturne près de la tristement célèbre « rivière maudite » vire au cauchemar : Maëlle disparaît sans laisser de trace. Quinze ans plus tard, alors que Clémence tente toujours de vivre avec ce drame, Mila, d'une nature plus fragile, décide de chercher des réponses. Mais déterrer le passé pourrait bien réveiller des secrets qu'il aurait mieux valu garder enfouis…

Mon avis

Lorsqu’on a des élèves sous sa responsabilité, en classe « transplantée », on dort peu car on a toujours peur qu’il y ait un problème et qu’on passe à côté de quelque chose. Pourtant, cette nuit-là, en Juin 2007, trois filles ont réussi à sortir des locaux. Clémence, la « meneuse », sa copine Mila, et Maëlle, la troisième, un peu craintive, qui a suivi malgré tout, sans doute pour ne pas rester derrière et éviter les moqueries.

La nuit, les perceptions sont différentes et cette escapade a viré au drame. Maëlle, un temps séparée de ses camarades, n’est pas rentrée et n’a jamais été retrouvée. Sans doute que la « rivière maudite » dont les villageois disent qu’elle avale les femmes, a fait une victime de plus. Il a fallu se reconstruire, continuer d’avancer. Maintenant, les deux rescapées ne se voient plus au grand soulagement de Clémence qui se sentait « envahie » par une Mila tourmentée, se posant beaucoup de questions.

C’est d’ailleurs Clémence qui s’exprime dans ce récit, les chapitres au présent sont à la première personne et on apprend à la connaître. Elle a bien réussi et est très reconnue dans son travail. Elle s’est forgée une personnalité de battante, que rien n’atteint et qui n’a pas froid aux yeux. Mais que cache-t-elle sous sa carapace ? N’est-elle pas rongée par la culpabilité ?

Lorsqu’elle constate que Mila, dont elle n’a plus de nouvelles, a cherché à la contacter, elle n’a pas envie d’être dérangée dans ce fragile équilibre qu’elle a soigneusement mis en place. Elle veut la paix, se protéger du passé et tracer sa route. Mais un événement imprévu l’incite à agir et à repartir sur les traces du passé.

Est-ce une bonne idée ? Aura-t-elle des éclaircissements sur les faits de 2007 ? Retrouvera-t-elle un peu de sérénité ou ses découvertes bouleverseront son quotidien ? Elle ne sait pas dans quoi elle met les pieds. Mais une fois lancée, elle n’a plus envie de s’arrêter…

Alternant le présent où Clémence s’exprime, avec des retours en arrière (racontés à la troisième personne du singulier), ce roman monte en puissance et en angoisse au fil des pages. Tout commence sur un rythme assez tranquille avant de s’accélérer. On crispe les poings devant certains personnages pervers, effrayants. Comment peut-on être destructeur à ce point ?

Avec une écriture addictive, fluide et plaisante, Céline Bréant nous entraîne dans une histoire sombre, aux rebondissements inattendus et percutants. On plonge dans la noirceur de l’âme humaine, on se demande comment les protagonistes vont évoluer. L’approche psychologique des uns et des autres aurait pu être plus approfondie mais peut-être que cela aurait trop allongé le texte qui se suffit à lui-même. J’ai trouvé Clémence intéressante. Elle s’humanise petit à petit, lâchant son « armure » pour s’ouvrir un peu plus. Elle a été marquée au fer rouge, plus qu’elle ne veut l’avouer par la disparition de sa compagne de classe. Mais elle semble résolue à aller jusqu’au bout pour comprendre. C’est peut-être trop tard mais au moins, elle aura essayé…

Cette lecture est captivante, bien construite, je n’ai pas ressenti de longueurs et le fait que la cadence s’intensifie est une bonne chose pour capter et garder notre intérêt. 

 

"Le tchékiste" de Vladimir Zazoubrine (Chtchepka / Щепка)

 

Le tchékiste (Chtchepka / Щепка)
Auteur : Vladimir Zazoubrine
Traduit du russe par Wladimir Berelowitch
Éditions : Christian Bourgois (9 Janvier 2025)
ISBN : 978-2267053579
192 pages

Quatrième de couverture

Dans une ville de Sibérie, un responsable de la Tchéka – la police du régime bolchevique – accomplit son « travail » de bourreau. Pour servir la Révolution, il participe jour après jour à l’atroce procédure des interrogatoires, des procès sommaires et des exécutions anonymes dans la pénombre d’arrière-cours. Le tchékiste a pour mission d’éliminer tout opposant, réel ou supposé. Il ne s’attend pas à ce que l’horreur le rattrape.

Mon avis

Vladimir Zazoubrine est un écrivain et journaliste russe sibérien né en 1895. Il adhère au parti socialiste et s’engage en 1917 dans l’Armée Rouge. Il a été l’un des écrivains préférés de Staline mais il a dénoncé la destruction de l’environnement naturel par la politique d’industrialisation soviétique ainsi que la Révolution et ça n’a pas plus. Arrêté sans jugement au cours des Grandes Purges, il est mort fusillé en 1937 et n’a été réhabilité qu’en 1956, après la mort de Staline.

Ce court mais percutant roman écrit en 1923, a été censuré pendant longtemps. Il raconte l’histoire d’un « bourreau » de la Tchéka, la police politique chargée de combattre les ennemis du régime bolchévique. Le texte est une « claque » littéraire. Saisissant de réalisme, dévoilant l’horreur des exécutions, montrant le cynisme des exécutants, il donne des hauts le cœur, il prend aux tripes. C’est cru, violent, on est au cœur de l’action, les descriptions font appel à tous nos sens et on frissonne, le cœur en vrac.

Quand on découvre le ressenti du tortionnaire, on tremble. Pour le bourreau, le sang coule et c’est « normal », c’est son boulot. Il se doit d’agir pour Elle (avec une majuscule), cette Révolution à laquelle il est dévoué, il procède ainsi parce qu’il pense que c’est ce qu’il faut faire. Il adhère à ses idées, il les comprend, les accepte, les assume, comme si « Elle » le guidait.

« Or, il servait la Révolution consciencieusement, avec bonne volonté, comme il aurait servi un bon patron. Il ne tirait pas, il travaillait. »

Il s’habitue à tuer, il ne voit plus les visages. Est-ce que c’est une façon pour lui de se protéger ? De refuser de voir la vérité ? De se boucher les yeux ? Mais les sons des supplications, les pleurs, les gémissements sont toujours là, il ne peut pas y échapper…

Parfois, il est moins à l’aise, il cherche des justifications à ses actions. Il se questionne sur la présence d’une âme ou pas dans le souffle de ceux qu’il fait disparaître. Il ne doit rien montrer de ses émotions mais la nuit les cauchemars sont bien là preuve que ce qu’il vit l’interpelle. La machine à broyer, à tuer, est terrible, elle ne laisse aucun répit, elle avance implacable et il l’accompagne. Chez lui, son métier gêne son épouse et son fils qui se demandent qui il est devenu ? N’a-t-il pas banalisé ce qu’il fait ? Au nom de quoi ?

Et puis, il y a « Elle ». La Révolution, un « personnage » à part entière. La maîtresse qu’on veut satisfaire, qu’on aime et qu’on vénère. Elle est exigeante et demande à être « nourrie ». Lorsque l’auteur en parle, il la personnifie. Elle « imprègne » le récit.

L’écriture (merci au traducteur) est dure, tranchante, le style vif. Il y a du rythme et ça fait mal car on ne souffle pas On prend tout en pleine face. C’est douloureux car, même s’il s’agit d’un roman, on sait très bien que la réalité a ressemblé et ressemble encore quelques fois (trop de fois !) à ce qu’on lit.

Une longue et intéressante postface apporte un excellent complément à cette lecture que je n’oublierai pas.


"Mon double maudit" de Daniel Veaux

 

Mon double maudit
Auteur : Daniel Veaux
Éditions : Les Éditions au Pluriel (6 Juin 2025)
ISBN : 978-2492598227
446 pages

Quatrième de couverture

Délaissé, Franck fuit la maison familiale pour découvrir la haine et la violence de la rue. Chaque fois qu’il semble s’assagir, un incontrôlable démon s’empare de son esprit. Il devient « Castro », son maudit double. Il prend toutes les mauvaises décisions et s’enfonce toujours un peu plus vers la délinquance et le mal. C’est le destin de cet homme « qui n’a pas de chance » qui est retracé dans ce roman.

Mon avis

Franck est arrivé sans être vraiment désiré. Ses parents ne lui ont pas témoigné d’affection et il a grandi, comme il a pu, bien seul. À l’école, au collège, il ne se lie pas avec ses camarades, tous mieux lotis que lui, il s’isole. Et puis, une mauvaise note, une petite bêtise et il « ramasse », son père le bat sans même chercher à comprendre. Alors, le jeune adolescent, mal dans sa peau, développe une espèce de hargne, de colère rentrée contre tout et tout le monde. Il ne supporte pas l’épicier du quartier où l’envoie sa mère pour faire quelques courses. Celui-ci le regarde de haut, se méfie de ce gamin au regard insolent. Il est persuadé qu’il veut le voler et Franck a bien envie de lui donner raison, histoire de le provoquer un peu plus ….

Il continue de jouer au caïd devant les autres élèves, de tenir tête à ses parents et il est envoyé en pension. En internat, avec des horaires réguliers, moins de liberté, une discipline de fer, des professeurs rigoureux, il devrait rentrer dans le rang et suivre le bon chemin. Mais dans l’établissement, certains garçons font régner leur loi, rackettent et harcèlent. Les enseignants et surveillants ne sont pas forcément conscients de cet état de faits et les victimes doivent payer ou se débrouiller. Franck veut la paix, être respecté, ne pas se mêler de tout ça, sortir vite et reprendre sa vie. Mais rien n’est aisé. C’est un peu la jungle où chacun se bat pour s’en sortir.

Il rencontre un interne qui le comprend et avec qui il tisse un lien. Est-ce que ça va l’aider ? Y-a-t-il des bons ou des mauvais choix ou tout simplement des circonstances qui entraînent des décisions plus ou moins adaptées ? Le lecteur suit Franck sur de nombreuses années, on le voit devenir adulte, luttant toujours entre le bien et le mal qui l’habitent à force pratiquement égale. Face à plusieurs options, il hésite, et poursuit sa route avec « Castro » parfois envahissant, parfois plus discret. Castro ? C’est « son double », le Franck des mauvais coups, de la violence, de la vengeance, qui a du mal à s’attacher, à savoir ce qu’il est préférable de faire.

J’ai trouvé ce récit très bien écrit, avec un style fluide, des dialogues vifs et des personnages bien présentés. L’auteur a dû se renseigner sur différents domaines car ses explications sont très claires. Le ton est juste, on sent les tiraillements dans l’esprit de Franck. Finalement, a-t-il été suffisamment écouté, accompagné, soutenu et surtout aimé ? Comme le chante Maxime Leforestier , « Si la vie s’était comportée mieux… » Le hasard des rencontres et leur influence auraient pu le guider différemment ... Franck aurait pu suivre d’autres voies… Mais Castro était là, se rappelant à lui ….

Tout au long du roman, on voit ce qui construit ou détruit un homme, ce qui le pousse à agir dans un sens ou un autre, le poids de chaque étape de sa vie (enfance, jeunesse etc), , l’importance des entrevues, des coïncidences. Les événements s’enchaînent sur un bon rythme. J’ai été intéressée tout au long de ma lecture et j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte.


"Sanglante sera ta fin" de Laura Sadowski

 

Sanglante sera ta fin
Auteur : Laura Sadowski
Éditions : La Nuit Noire (24 Novembre 2012)
ISBN : 978-2954392813
326 pages

Présentation de l'éditeur

Un procureur américain demande l’extradition vers le Texas de Teddy Lamar, un jeune franco-américain, accusé de hold-up sanglants à Dallas et qui s’est réfugié à Paris. Il risque la peine de mort. Un procureur français désigne maître Franck Farraud, un avocat obscur mais ambitieux, pour empêcher que l’exécution ait lieu. Celui-ci voit dans cette affaire la chance de sa vie. Ce que l’avocat et le fugitif ignorent c’est qu’ils sont chacun le jouet d’une machination diabolique. Mais lorsqu’ils finiront par l'apprendre ?... Quand la machine judiciaire est le meilleur des alibis.

Mon avis

Manipulation…..

L’art et la manière de « promener » le lecteur en finesse, avec doigté et intelligence…
Au début, on imagine qu’après l’extradition, on va avoir droit à un énième procès à l’américaine, accompagné des vices de procédure habituels, des habeas corpus et tutti quanti… On se dit que Michaël Connelly est le meilleur à ce petit jeu-là et que cela va être très dur pour Laura Sadowski …. sauf que ce n’est pas si simple…
L’auteur est avocate alors un roman judiciaire ne lui pose pas de problèmes…

Je vous entends d’ici… « Oui, mais moi, ces livres au vocabulaire ampoulé des gens de la cour qui se la jouent ……….. où on ne comprend rien car on ne connaît pas les structures de ce milieu …………….que c’est compliqué et qu’on s’y ennuie…très peu pour moi… »
Je vous arrête tout de suite.
Ici, pas de déroulement alambiqué et peu de phrases inaccessibles avec des interventions qui nous échappent. Le rythme est rapide, on passe très vite d’une situation à une autre mais tout est lié. Les personnages sont en nombre raisonnable alors on ne se « perd » pas.
Cela pourrait sembler assez « superficiel », plutôt sommaire décrit ainsi …
Je vous entends encore… « Bon, alors, il y a quoi à se mettre sous la dent, finalement ? »

C’est un ensemble…
Une écriture sans fioriture, tranchante, allant à l’essentiel et nous balançant les informations comme autant de coups de poing… Les échanges verbaux sont vifs, ciblés et apportent leur lot d’informations.
Chaque ligne est importante, un indice peut être glissé entre deux mots, entre deux silences…
Le lecteur se doit d’être attentif car tout peut lui échapper à chaque instant comme Franck Farraud peut perdre la maîtrise des événements sans s’en rendre compte.
Des personnages qui semblent « campés » dans leur identité et qui finalement, nous glissent entre les mains, à tel point qu’on ne sait plus qui manipule qui, qui est honnête ou pas et surtout qui croire ou que croire…

Donc, vous l’avez compris, l’attrait de ce livre est dans le fait que le lecteur ne sait plus comment interpréter ce qu’il lit, comment faire confiance et à qui, comment avancer dans sa lecture tant il se peut qu’au détour d’une page, ce qui était vrai dans le chapitre précédent ne le soit plus maintenant.
Pour autant, cela ne crée pas un sentiment d’insécurité et de gros mélanges dans le sens où trop de mensonges tueraient le mensonge et rien dans les faits qui se déroulent ne tiendrait debout. Non, c’est infiniment plus subtil. Ce ne sont pas des canulars ou des aberrations mais tout simplement des faits décortiqués, interprétés avec le recul nécessaire pour aller plus loin et découvrir ce qui se cache derrière.

On se pose des questions tout au long de notre lecture. Qui manœuvre qui ? Qui a raison ? Qui est coupable ? Et une fois la dernière ligne lue, ne faut-il pas reprendre depuis le début pour savoir ce qu’il en est réellement ?
D’ailleurs, la question n’est-elle pas la suivante:
« Interpréter, est-ce fausser la vérité? »

Un roman à découvrir !!!

"Tu seras mon père" de Metin Arditi

 

Tu seras mon père
Auteur : Metin Arditi
Éditions : Grasset (27 Avril 2022)
ISBN : 9782246829324
370 pages

Quatrième de couverture

Vérone, 1978. Renato, sept ans, entretient avec son père une relation merveilleuse, que bouleverse l’enlèvement de l’homme d’affaires par un commando des Brigades rouges. Lorsqu’elles le relâchent après paiement d’une rançon, il n’est plus qu’une ombre. Laminé, honteux, il met fin à ses jours. Renato et sa mère s’exilent en Suisse. Dix ans plus tard, pour sa dernière année de scolarité, il est inscrit dans un internat de Lausanne. Il y vit des moments difficiles, croise le professeur Paolo Mantegazza. Renato voit en lui un père de substitution.

Mon avis

Le pardon, demande de la force autant que de la tendresse. Ce sera lui qui permettra à celui qui pardonne de retrouver son bonheur qui lui semblait inatteignable. 

Renato a sept ans et il est très complice avec son papa qui l’aime tendrement. Pourtant, ça n’a pas suffi. Son père, un industriel italien, resté deux mois aux mains des Brigades Rouges (le récit se déroule en 1978) a été détruit. Ne retrouvant plus un équilibre dans sa vie, il a choisi de se suicider. Pour son fils, c’est très dur, il se pose des questions, culpabilise.

Sa mère s’installe avec lui en Suisse, et en fin de scolarité, l’inscrit en internat. Ce n’est pas simple pour lui, c’est un adolescent un peu solitaire. Mais, par l’intermédiaire d’un professeur de théâtre, il s’épanouit et trouve sa place. Un lien se crée entre eux, très profond, unique fait d’admiration et de respect. Ils échangent sur de nombreux thèmes dont celui des Brigades Rouges. Cela permet à Renato de voir ses membres et leurs actions avec un regard différent et ça l’interpelle beaucoup. Il grandit, on le voit devenir adulte, s’interroger sur son passé, sa position de privilégié.

Retrouver le style de Metin Arditi est un vrai régal littéraire. Chacun de ses romans est une découverte, il n’aborde pas les mêmes sujets. Et dans tout ce qu’il exprime, il ne survole pas, il approfondit et nous renvoie des questions en pleine face.

Son écriture est de qualité, les phrases sont bien construites, le vocabulaire ciblé, bien choisi. C’est vraiment un grand écrivain !

Ce récit parle de pardon, de ce qu’on donne, de ce qu’on reçoit, du cheminement de chacun vers le futur, en tenant compte (ou pas, ou un peu) du passé. Il est question d’amour, de passion, de ce qui animait les Brigades Rouges (et cet éclairage est très intéressant quand, comme moi, on n’a eu qu’un aperçu forcément superficiel de leurs actions, revendications etc), de famille, d’amitié, de taire ou de savoir…

Les protagonistes ont une part d’ombre, ce sont de très beaux portraits, intimistes, délicats, réussis.

Les chapitres, plutôt courts, donnent du rythme à l’histoire. Il y a également quelques échanges de courriers qui offrent une autre approche avec l’opinion de chacun.

J’ai énormément apprécié cette lecture ! C’est un coup de cœur, pour le fond, la forme et toutes les émotions procurées.

 

NB : Je trouve que la quatrième de couverture en dit trop, donc, volontairement je l'ai raccourcie et dans mon avis je n’en dis pas plus sur le devenir des personnages.


"L'affaire Vargas et autres enquêtes / Quaresma, déchiffreur" de Fernando Pessoa (Quaresma, decifrador)

 

L'affaire Vargas et autres enquêtes (Quaresma, decifrador)
Quaresma, déchiffreur
Auteur : Fernando Pessoa
Traduit du portugais et postfacé par Michelle Giudicelli
Éditions : Christian Bourgois (5 Juin 2025)
ISBN : 978-2267055146
578 pages

Quatrième de couverture

Grand admirateur d'Arthur Conan Doyle, Pessoa invente avec le personnage de Quaresma son propre Sherlock Holmes. Un vieux célibataire passionné de charades, médecin sans patients, reclus dans sa petite chambre de Lisbonne où il passe l'essentiel de son temps à lire, à fumer et à boire. Quaresma, doué d'un sens aigu de l'observation, est celui à qui fait appel son ami policier Manuel Guedes quand il cale sur une affaire insoluble - un parchemin disparu, une mort suspecte, le vol d'une caisse d'or...

Mon avis

Fernando Pessoa est né en 1888 à Lisbonne. Jeune homme introverti, idéaliste et anxieux, il a écrit sous de nombreux pseudonymes. À sa mort, on a découvert des manuscrits dont ces enquêtes sous forme de nouvelles.

Comme elles ont été retrouvées alors que l’auteur était décédé, elles sont plus ou moins abouties et d’inégale longueur. Ce qui est le plus intéressant, c’est de découvrir Quaresma, un personnage totalement atypique. C’est un vieil homme qui vit seul, médecin qui ne soigne personne, qui boit et fume trop. Il a un copain policier. Ce dernier doit, régulièrement, mener des enquêtes, observer sur les lieux des méfaits (assassinat, suicide, vol etc) et résoudre, au mieux, chaque affaire à laquelle il est confronté.

Lorsque ça coince, qu’il n’entrevoit pas de réponse, il fait appel à Quaresma. Celui-ci rentre alors en scène (et j’emploie ces mots à dessein), comme s’il jouait un rôle. Il parle à haute voix, fait des déductions, il se pose « en déchiffreur », il « appréhende » les choses à sa manière, avec une argumentation bien personnelle. Ses raisonnements sont longs, il part dans une direction, revient, repart et livre une finalité le plus souvent étonnante mais cohérente. Il a l’art de cerner ce que personne n’a imaginé. Il a une logique qui défrise, qui bouscule, qui régale car on ne voit rien venir. Le fonctionnement de son cerveau est unique, il développe sa pensée avec de nombreux détails, parfois il est obligé de se répéter, sans doute pour s’imprégner de ses idées, les « consolider ». Peut-être que certains lecteurs pourront être énervés par cette façon de faire. Personnellement, ça n’a pas été le cas, parce qu’au -delà du texte, des monologues ou des dialogues, j’ai été fascinée par la logique de cet homme.

Il se penche sur le comportement des hommes, en fait une analyse détaillée, explorant caractère, actions, motivations, folie cachée … Il part des faits incontestables et essaie de les relier par des hypothèses, et pour chacune, il évoque immédiatement son opposée pour avoir deux approches. Ensuite, il prend le temps d’aller encore plus loin : qu’est-ce qui est le plus crédible et pourquoi. Quand Quaresma s’exprime, il tricote et détricote au rythme de ses pensées. Si on adhère à cette forme de « parole », c’est purement jubilatoire car on a vraiment le sentiment d’être au cœur de son esprit. D’ailleurs, il doit avoir plus de plaisir à parler seul qu’à discuter et échanger avec les autres.

Les cheminements qu’ils empruntent pour arriver à la solution sont passionnants, tortueux, fins, bien amenés et très plaisants à lire. Sauter une page, ou plusieurs, parce qu’on sent des longueurs ou des répétitions, c’est perdre « l’essence » même de l’écriture que Fernando Pessoa a choisi pour ces histoires.

Dans sa préface, il présente Quaresma comme un vieil ami, lui donnant une place dans sa vie. C’est sans doute un moyen pour lui de se l’approprier et de le rendre vivant à nos yeux, ce qu’il réussit parfaitement. La postface de la traductrice complète bien ce qu'on a lu.

J’ai été agréablement surprise par cette lecture. Elle a un petit quelque chose de décalé, de suranné, de surprenant, d’innovant et mérite le détour.


"Le dossier 1569" de Jørn Lier Horst (Sak 1569)

 

Le dossier 1569 (Sak 1569)
Auteur : Jørn Lier Horst
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier
Éditions : Gallimard (6 Février 2025)
ISBN : 978-2072866050
450 pages

Quatrième de couverture

William Wisting, en vacances et las de tondre la pelouse, suit assidûment dans la presse le fait divers du moment : on est sans nouvelles, depuis maintenant trois jours, d'Agnete Roll, une habitante de Larvik. La découverte dans son courrier d'une enveloppe anonyme le sort de sa torpeur estivale. Sur une feuille blanche, une série de chiffres, référence d'un numéro d'affaire datant de l'été 1999. Intrigué, Wisting récupère le dossier 1569 aux archives pour en entreprendre l'examen méthodique. Et entrevoit la possibilité d'une erreur judiciaire.

Mon avis

William Wisting est veuf, policier, père d’une fille qui n’habite pas loin de chez lui et grand-père d’Amalie. Il est actuellement en vacances et s’ennuie un peu. Lorsqu’il découvre une lettre anonyme dans sa boîte aux lettres, il se dit que c’est l’occasion de faire quelque chose. Surtout que ce courrier fait référence à une affaire datant de 1999 où un coupable a été condamné. Alors pourquoi cette missive ? Doit-il revoir les conclusions de l’époque ? Y-a-t-eu maldonne ? Titillé, il décide de chercher sans trop en parler dans un premier temps. En parallèle, ses collègues enquêtent sur une histoire d’épouse disparue.

C’est un polar où le mot investigation prend tout son sens. Le rythme est plutôt lent car on suit William qui ressort de vieux documents, observe, déduit … Pas de sang, pas de gros rebondissements, pas de violence … Des faits décortiqués sous plusieurs angles qui envoient le lecteur sur différentes pistes pour la plupart crédibles…. Alors où se situe la vérité ?

Des retours en arrière apportent d’autres éléments et on s’interroge…. C’est très bien fait ! L’enquêteur est tout à fait banal (ça change !), il ne traîne pas de « casseroles », ne boit pas trop, bref il est « clean » et plutôt efficace même s’il n’est pas tout le temps très rapide (après tout il est en vacances !).

L’écriture est fluide, plaisante, la traductrice (merci à elle) a bien choisi le vocabulaire, ça se lit avec envie. On veut comprendre, relier tous ce qu’on a appris et connaître la vérité. Ce n’est pas le meilleur titre de l’auteur mais ça se lit bien !


"Je refuse" de Per Petterson (Jeg nekter)

 

Je refuse (Jeg nekter)
Auteur : Per Petterson
Traduit du norvégien par Terje Sinding
Éditions : Gallimard (9 Octobre 2014)
ISBN : 9782070141517
272 pages

Quatrième de couverture

Jim et Tommy ne se sont pas revus depuis plus de trente ans. Tous deux ont grandi dans la même petite commune près d’Oslo : Jim couvé et protégé par une mère très pieuse, Tommy abandonné par sa mère, malmené par un père violent, puis séparé de ses trois sœurs placées dans des familles d’accueil et obligé de travailler dans une scierie. Pourtant, c’est bien Tommy qui fait carrière dans la finance, alors que Jimmy vivote, entre son travail de bibliothécaire et des arrêts maladie de longue durée. Quand ils se retrouvent par hasard, sur ce pont menant à la capitale où Jim s’est installé pour pêcher, les souvenirs ressurgissent...
Je refuse est un roman poignant sur l’amitié entre deux hommes, qui sont aussi deux êtres cabossés par la vie. Leurs échecs sentimentaux, leur colère et leur volonté de survivre sont admirablement mis en scène dans un livre polyphonique d’une incroyable justesse.

Mon avis

Ce livre est l’histoire d’une rencontre, celle que j’ai faite avec cet auteur mais également celle de chaque personnage avec la vie…

« Elle voulait que je me lie à elle. Je devais déposer ma vie entre ses mains. »

Quelle est l’alchimie particulière qui crée des liens forts entre deux personnes, que ce soit d’une même famille, d’un voisinage proche ou d’un même milieu scolaire ou professionnel ? Est-ce que le « parce que c’était lui, parce que c’était moi. » explique tout ?
D’ailleurs, est-il nécessaire d’expliquer, de décortiquer, de comprendre les relations humaines ?
Jim et Tommy étaient deux adolescents, tout à fait différents de par leur situation de famille mais amis au-delà de tout. Amis pour la vie comme on le dit à cet âge-là, amis pour toujours, à la vie, à la mort ?

La vie nous joue des tours de temps à autre. On croit tenir les rênes mais tel un cheval rétif , elle décide et nous entraîne sur d’autres voies, loin parfois de celle, toute tracée, bien lisse, qui s’offrait à nous.  Et, comme le dit la chanson : « Et la vie sépare ceux qui s'aiment. Tout doucement, sans faire de bruit. »
Jim et Tommy ont été séparés, et voilà que ce hasard, que certains appellent coïncidence ou  destinée, les fait se croiser alors que rien ne le laissait supposer. Ils ont avancé l’un et l’autre, différemment de ce qu’auraient laissé imaginer leurs conditions de vie au départ . Et comme chacun le sait, les adultes d’aujourd’hui n’ont parfois aucun point commun avec les jeunes adolescents d’hier…

Cette rencontre, très courte, entre les deux hommes, va les amener à cheminer dans le passé, dans le présent mais également à se positionner pour leur futur. C’est douloureux, comme tout ce qui touche à l’intime et que l’on essaie de cacher jusqu’au jour où….
Décidément, j’aime la Norvège et ses ambiances froides d’hommes et de femmes emmitouflées dans leurs vêtements, comme si ces derniers engonçaient leurs émotions, comme si une fois déshabillés, alors seulement, ils pouvaient s’exprimer… J’aime ces paysages immenses qui se devinent entre les lignes, ces rapports humains qui se créent au rythme de la nature, autour d’une cane à pêche ou d’une séance de patinage sur les lacs gelés.  

L’écriture polyphonique, permettant de suivre chacun à différentes époques, offre un regard acéré sur la construction des attaches entre les hommes, de celles qui resteront, fils ténus mais invisibles, de celles qu’on renie ou qu’on oublie …. Le rythme est lent, le style précis, sans fioriture mais infiniment humain, comme si chaque mot était chuchoté pour ne pas avoir l’air de se mêler de la vie de ceux qui sont ainsi exposés.

L’atmosphère est intime mais sans voyeurisme, délicate et parfois suspendue comme l’haleine dans la gelée du matin, évanescente, mais présente, impalpable mais infiniment bien retranscrite.
Ce livre aux hommes cabossés, secoués par la vie, portés par leur colère, leur charisme, leur volonté ; déstabilisés par ce qu’ils croient être des échecs ou ce qui leur échappent est un coup  de cœur.

Et s’il fallait donner une raison à ce coup de cœur, ce serait : « parce que la magie de la rencontre a eu lieu. »

"Jérôme K. Jérôme Bloche - Tome 18 : Un petit coin de paradis" d'Alain Dodier

 

Jérôme K. Jérôme Bloche - Tome 18 : Un petit coin de paradis
Auteur : Alain Dodier
Couleurs : Cerise
Éditions : Dupuis (15 Janvier 2018)
ISBN : 979-1034731657
56 pages

Quatrième de couverture

Accompagnée de Jérôme, Babette se rend auprès de son amie Ingrid qui vient d'avoir un bébé. Avec Félix, son compagnon, et la vieille mère de celui-ci, Ingrid habite une charmante ferme, au pied des montagnes dans un paysage bucolique et enchanteur. Ce serait un véritable petit coin de paradis si la vieille femme sans sourire n'avait toujours refusé une autre présence féminine que la sienne auprès de son fils.

Mon avis

Dans cette histoire, Babette, la fiancée de Jérôme est avec lui. Ils rendent visite à Ingrid, une amie hôtesse de l’air qui a laissé son travail pour s’installer avec celui qu’elle aime à la campagne. Le seul inconvénient est la mère du conjoint, une vieille femme acariâtre qui voudrait garder son fils pour elle toute seule.

Ingrid et son conjoint viennent d’avoir un enfant. La belle-mère, omniprésente les étouffe. Un événement met à mal l’équilibre déjà un peu fragile du couple. La tension monte au fil des pages. Le scénario évoque plusieurs thèmes, tournant autour de la maternité, de la famille, du couple.

Les dessins sont très parlants, c’est une des rares fois où Jérôme n’apparaît pas avec son solex (mais on voit la deux-chevaux de sa fiancée !) J’aime beaucoup les couleurs, l’humour qui dédramatise les situations, les idées farfelues (mais pas tant que ça) du détective.

Dans cette nouvelle aventure, il ne mène pas vraiment l’enquête ou à peine. C’est plutôt une tranche de vie que l’on découvre.

Je suis toujours aussi fan même si je préfère voir Jérôme dans le cadre d’investigations sur le terrain pour résoudre une affaire délicate !


"Sur le toit de l’enfer" d'Ilaria Tuti (Fiori sopra l’inferno)

 

Sur le toit de l’enfer (Fiori sopra l’inferno)
Auteur : Ilaria Tuti
Traduit de l’italien par Johan-Frédérik Hel-Guedj
Éditions : Robert Laffont (6 Septembre 2018)
ISBN : 978-2221218730
416 pages

Quatrième de couverture

Dans les montagnes sauvages du Frioul, en Italie, le commissaire Teresa Battaglia, la soixantaine, la langue acérée et le coeur tendre, est appelée sur les lieux d'un crime pour le moins singulier : un homme a été retrouvé mort, les yeux arrachés. À côté de lui, un épouvantail fabriqué avec du cuivre, de la corde, des branchages... et ses vêtements ensanglantés. Pour Teresa, spécialiste du profilage, cela ne fait aucun doute : le tueur frappera à nouveau. Elle va devoir rassembler toute son énergie et s'en remettre à son expérience pour traquer cette bête humaine qui rôde dans les bois. Si tant est que sa mémoire ne commence pas à lui faire défaut...

Mon avis

Teresa Battaglia a la soixantaine, un look improbable et dès les premières pages, un caractère de chien et une langue acérée. Elle se retrouve face à un assassinat violent, déstabilisant. On vient de lui coller dans les pattes un adjoint dont elle se moque éperdument. Mais il faudra bien qu’ils communiquent et qu’ils essaient d’avancer ensemble pour résoudre cette affaire pour le moins épineuse.

Les faits se déroulent à à Travenì, dans le Friuol. C’est montagneux, sombre, il neige parfois et il fait froid. Des retours en arrière, en 1978, mettent en place quelques événements dont on se dit qu’ils vont être liés à ceux du présent. Le lecteur suit l’enquête, les pensées de Teresa et sa personnalité parfois surprenante.

L’écriture est plaisante (merci au traducteur), assez sobre, pas de fioritures. Il se passe des choses affreuses mais le rythme permet de souffler, notamment lorsque les enquêteurs réfléchissent.

Je comprends que ce roman ait plu mais personnellement, il ne m’a pas convaincue. Je n’ai pas trouvé les protagonistes crédibles, pas dans le sens « pouvant exister ou pas » mais plutôt dans la façon dont ils sont présentés et se comportent. Ils étaient, et ce n’est que mon avis, trop « artificiels ». De plus, j’ai eu un sentiment de lenteur, rien qui emballe ou qui procure diverses émotions.

Ma rencontre avec Ilaria Tuti s’arrêtera avec ce titre.


"Inquisition" de David Gibbins (Inquisition)

 

Inquisition (Inquisition)
Auteur : David Gibbins
Traduit de l’anglais par Béatrice Guisse-Lardit
Éditions : Les Escales (1er Février 2018)
ISBN : 978-2365693486
368 pages

Quatrième de couverture

258. Rome. Menacé de mort par l'empereur Valérien, le pape Sixte II confie une mission de la plus haute importance à l'un de ses fidèles : protéger la coupe utilisée par le Christ pendant la Cène.
1684. Tanger. Samuel Pepys, chargé d'organiser le départ des Anglais de la colonie, rencontre dans le plus grand secret un émissaire du sultan. Serait-il sur le point de retrouver la plus vénérée de toutes les reliques, disparue depuis plus d'un millénaire
De nos jours. Lors de la fouille d'une épave sur la côte de Cornouailles, l'archéologue Jack Howard fait une découverte qui pourrait le mener à un objet d'une valeur inestimable…

Mon avis

Avant de parler du roman, quelques mots sur l’auteur.
David Gibbins est né en 1962 à Saskatoon au Canada où il passe une partie de son enfance, qui se poursuit en Nouvelle-Zélande et en Angleterre. Très jeune, il se passionne pour l'Archéologie et obtient son diplôme de docteur en archéologue en 1983 à l'Université de Bristol. Aujourd'hui universitaire à Cambridge, il est reconnu comme un spécialiste des civilisations disparues. Cela signifie qu’il sait de quoi il parle….. Il évoque d’ailleurs, dans les dernières pages, une de ses découvertes, datant de fin 2016, et ayant fait la une des médias en Angleterre. C’est dire s’il s’agit d’une personne passionnée et de fait, passionnante car on ne parle bien que de ce qu’on connaît.

Le roman se situe donc sur trois périodes qui vont toutes être reliées par des événements du passé. Jack Howard, un archéologue fait une découverte étonnante lors d’une plongée avec un collègue près des côtes de Cornouailles. Il ne sait pas en faisant part de sa trouvaille qu’il risque de provoquer un véritable séisme et que ce qu’il vient de mettre au jour va l’entraîner dans des moments difficiles. Il sera confronté à plus fort que lui, obligé de lutter pour sa survie, astreint à faire des choix pour sauver ceux qu’il aime.

Passant des premiers chrétiens vers 258 qui essaient de protéger leur trésor (et leur religion) aux Anglais qui veulent quitter Tanger (possession anglaise de 1661 à 1684) à l’époque actuelle avec les fouilles d’épaves maritimes par Jack et ses collaborateurs, nous voyageons dans le temps mais aussi dans l’espace. En effet, les recherches de Jack l’entraînent dans différents endroits où il fait des rencontres, pas toujours bienvenues, malheureusement….

Remarquablement construit, écrit avec un rythme soutenu que la traduction n’abime pas (merci à Béatrice Guisse-Lardit), ce thriller historique a beaucoup de qualités. On se rend très vite compte que le passé, même très lointain, régit le présent et que tout ce qui s’est déroulé avant peut avoir des répercussions…. L’écriture alerte de l’auteur, les rebondissements qui s’enchaînent, maintiennent le lecteur sous tension. C’est un livre qui permet de s’évader, les scènes de plongée sont bien décrites par David Gibbins que l’on sent parfaitement impliqué dans ce qu’il évoque et cela offre une approche qui semble ancrée dans la réalité, lui donnant des airs de vécu (pour la partie contemporaine). J’ai beaucoup apprécié cette lecture mêlant passé et présent, situations fictives et réelles, tout est habilement dosé pour le plus grand plaisir de celui (ou celle) qui tourne les pages (vite d’ailleurs ;-)


"Le joaillier d'Ispahan" de Danielle Digne

 

Le joaillier d'Ispahan
Auteur : Danielle Digne
Éditions : le Passage (6 Octobre 2011)
ISBN : 978-2-84742-174-3
262 pages

Quatrième de couverture

Nous sommes en 1665. Jean Chardin, un jeune joaillier protestant, plein de fougue et d’ambition, se rend aux mines de Golconde, dans le sud des Indes, pour acheter des diamants. Il va connaître les périls de la navigation, le pittoresque des déplacements en caravane, les nuits dans les caravansérails, les mésaventures dans les pays du Caucase. Surtout il découvre la Perse à la grande époque des Safévides. Lorsque shah Abbas II en fait son joaillier à Ispahan, il acquiert la fortune et les honneurs qu’il convoitait. Sa compagnie est recherchée à la cour, où il rencontre la plus belle des courtisanes. Sa relation avec un sage persan l’amène à rechercher une autre voie que celle des richesses pour trouver son accomplissement. Il n’y parviendra que s’il surmonte jalousies et intrigues que ses succès suscitent.

Biographie de l'auteur

Danielle Digne, passionnée de voyages et d’histoire, est romancière et biographe. Intriguée parles pérégrinations authentiques de Jean Chardin, elle s’est rendue en Iran sur ses traces. Dans ce roman historique, nourri de documents de l’époque, elle s’attache au jeune homme, qui, loin du temple de Charenton et de sa famille, fit sienne une culture tournée vers les plaisirs de l’esprit et du corps. La Perse le révéla à lui-même, lui qui révéla la Perse à l’Europe à la fin du Grand Siècle, et dont Montesquieu s’inspira plus tard pour écrire les Lettres persanes.

Mon avis

Illustré de quelques reproductions de dessins de l’époque de Guillaume-Joseph Grelot, ce livre nous conte le voyage d’un jeune homme, Jean Chardin, parti en 1665, pour le négoce de diamants car l’entreprise familiale périclite. Rentré à Paris, il va s’ennuyer, se souvenant de sa vie à Ispahan et il repartira ….

« Ce n’était pas la possession qui l’intéressait, mais la quête. »

Au bout de la route, aguerri par ses voyages et ses rencontres, ce ne sont pas des pierres précieuses qu’il trouvera mais une vraie personnalité: lui-même.
En effet, tout au long du chemin, à travers les conversations avec les uns et les autres, les découvertes de différentes personnes, et les expériences, il va apprendre à se connaître, se découvrir, se dépasser.

« Les enfants sont comme des diamants bruts, me dit-il un jour alors que nous buvions du chocolat auquel Mme de Sévigné prêtait de grands bienfaits. Ils n'ont pas encore donné tout leur éclat. À force d'égrisage et de polissage, ils peuvent se transformer en joyau de la plus belle eau. »Il m'encourageait ainsi à me surpasser et à briller dans le plus prestigieux des métiers.

Exhorté à donner le meilleur de lui-même, à se surpasser, à voir au-delà de la première apparence, il apprendra beaucoup sur lui-même, sur les autres et sur la vie…..

Une écriture subtile, raffinée et fine pour évoquer des faits, des événements et un cheminement personnel de façon approfondie.

Une lecture qui sort de l’ordinaire, très bien documentée et qui nous renvoie en pleine face quelques questions qu’on aurait tendance à oublier….

"Impératrice des airs" de Pete Fromm (Empress of the Air)

 

Impératrice des airs (Empress of the Air)
Auteur : Pete Fromm
Traduit de l'américain par Juliane Nivelt
Éditions : Gallmeister (2 Mai 2025)
ISBN : 978-2-351-78336-8
432 pages

Quatrième de couverture

Midge et Flea sont comme deux sœurs. Elles ont grandi dans le Montana, élevées par leurs pères, Taz et Rudy, deux amis. La mère de Midge est morte en couches. Celle de Flea est partie peu après sa naissance. Alors que ses études éloignent Midge du cocon familial, Flea ressent de plus en plus vivement l’absence de sa mère, dont son père refuse de lui parler sérieusement. Tourmentée par la question de ses origines, elle retrouve sa trace non loin de là, au Canada. Flea décide de partir à la rencontre de cette femme.

Mon avis

J’ai une tendresse toute particulière pour Pete Fromm et ses personnages. J’aime la façon dont il présente des vies ordinaires, en donnant de la place aux émotions, à la nature sans cesse omniprésente et à des parcours de vie qu’on accompagne sur quelque temps. Avec son dernier opus, on retrouve des individus croisés dans « La vie en chantier » et « Lucy in the Sky ». Je pense qu’il est préférable d’avoir lu au moins le premier avant de se lancer avec ce nouveau titre.

Midge et Flea sont de grandes adolescentes, la mère de la première est morte en couches et celle de la seconde est partie peu après sa naissance. Les deux papas sont amis et les deux jeunes filles ont pratiquement été élevées comme des soeurs. Elles ont toujours beaucoup partagé mais l’âge adulte se rapproche et chacune cherche sa voie. Flea s’interroge toujours sur cette maman qui l’a abandonnée, laissant son papa l’élever tout seul. Elle veut comprendre les raisons de cette fuite, connaître celle qu’elle était, qu’elle est sans doute encore même si elle a forcément évolué. Les questions posées à Rudy, son paternel, sont toujours restées sans réponse. Pourquoi ? Il ne sait pas, ne veut pas dire ? Cherche-t-il à la protéger ? Mais de quoi ? Ils sont pourtant très proches l’un de l’autre, complices. La relation qu’ils ont tissée est exceptionnelle, Flea est tout pour lui et réciproquement. Ils ont des « codes » qui n’appartiennent qu’à eux et qui renforcent encore le lien.

Mais il faut grandir, s’émanciper. Alors Flea a demandé à une agence spécialisée dans la recherche de personnes disparues de retrouver la trace de celle qui l’a mise au monde. Quand elle obtient un résultat, elle est tiraillée. Franchir le pas d’une rencontre ou pas ? Va-telle combler le vide, le manque, avoir des réponses (qui peut-être lui feront mal) ou être déçue et ne rien comprendre ? Peut-elle continuer comme si de rien n’était ? Est-ce qu’il faut prendre le risque de déstabiliser ce qu’elle vit voire de faire de la peine à Rudy qui a tout fait pour elle ?

« Et probablement comme Papa à l’époque, je me sens secouée par ma propre collision tectonique, le fendillement de la roche, la terre qui tremble le long de mes lignes de faille. »

Si ce roman ne sera pas mon préféré de l’auteur, quel bonheur de retrouver son écriture et son style. Il est vraiment excellent pour décrire du vécu, des sentiments qu’on éprouve, des doutes qu’on a face aux décisions à prendre, le tout baigné dans des paysages et des décors sublimes (ah la cabane ;- )

Ce très beau récit évoque ce qu’on donne, ce qu’on reçoit, les peurs et les blessures qui poursuivent toute la vie, le pardon, la résilience, le chemin que chacun emprunte et du pourquoi celui-là plutôt qu’un autre, du besoin de racines, de la recherche de ses origines. Mais Pete Fromm n’oublie pas de parler également d’écologie, de mode de vie sain, de tout ce qui construit un être humain équilibré. Même s’il n’y a pas énormément d’actions, il y a une atmosphère très douce.

On pourrait croire que le « rôle principal » est celui de Flea, mais c’est plus nuancé. On suit sa quête, et en partant à la recherche de sa génitrice, c’est aussi elle-même qu’elle rencontre. Mais la thématique la plus importante est, à mon sens, l’amour. Car tous, je dis bien tous, agissent par amour. On aurait peut-être fait différemment mais eux ont pris des décisions par amour. Et si Fléa est une belle personne, c’est qu’elle a baigné dans l’amour, quel que soit sa forme.

Merci à la traductrice qui a su être subtile pour exprimer les jeux de mots entre le père et la fille. Elle a bien retranscrit le phrasé, teinté de poésie, délicat et porteur de sens.

Une lecture comme je les aime !


"28 E jour avant" d'Alain Breckler

 

28e jour avant
Auteur : Alain Breckler
Éditions : MVO (6 Mai 2025)
ISBN : 978-2386950094
290 pages

Quatrième de couverture

Alors qu'une épidémie nouvelle de SARS Cov se manifeste en 2032, les porteurs-sains sont confinés dans les sous-sols de la zone 51, afin d’y rechercher les secrets de leur résistance. Après une fuite et un road-trip, du désert du Nevada à Las Vegas, Lana sera finalement capturée et subira le même sort, à moins que Jim, un jeune astrophysicien, n’imagine un plan insensé mais porteur d’espoir.

Mon avis

2032. Il est de retour ! Et tout le monde a peur.

Mais de quoi on parle ? D’un virus mortel qui menace l’humanité. Alors il faut trouver des solutions. Tester sans arrêt tout le monde, séparer, isoler. C’est comme ça que certains sont détectés « porteurs-sains ». Ils ne sont pas malades, pensent que tout va bien mais ils peuvent contaminer les autres et c’est encore pire puisque personne ne le voit venir !

Il est donc nécessaire de trouver des idées. Les personnes ainsi repérées seront regroupées et des expériences seront menées sur elles afin de comprendre leur résistance au virus. C’est comme ça que la zone 51 est créée. Les conditions de vie sont difficiles, pas de sorties, pas d’interactions avec l’extérieur ni avec les familles, une nourriture insipide, peu voire pas d’intimité… Et ça jusqu’à quand ? Peut-on traiter des hommes et des femmes ainsi, en leur enlevant leur liberté et en les utilisant comme cobayes ?

Lana n’accepte pas cette situation, elle veut décamper mais peut-elle y arriver ? Elle s’est liée avec deux autres personnes qu’elle veut entraîner dans sa fuite. Tout est terriblement sécurisé, comment espérer une « ouverture » ? Elle est volontaire, elle veut y arriver. On comprend sa révolte, ce qu’on lui impose est tout simplement invivable ! Je me suis attachée à elle. Elle est courageuse, se bat, ne renonce jamais.

On va suivre le long combat de Lana et, en parallèle, on découvre Jim, un jeune astrophysicien qui cherche ce qui peut être envisagé pour l’avenir des habitants de la zone 51. Ont-ils seulement la possibilité d’un futur ?

J’ai commencé ce roman et je ne l’ai plus lâché ! Prenant, bien rédigé, avec son lot de rebondissements, ce récit est intéressant pour son raisonnement. L’écriture est vive, les descriptions sont ciblées, c’est très visuel et ça ferait un bon téléfilm.

Au-delà de l’histoire très accrocheuse, l’auteur pousse au maximum l’idée de faire quelque chose pour éviter que les porteurs sains soient dangereux pour les autres. Ce qui est terrible, c’est qu’ils ne peuvent plus choisir, seulement subir… On a tous intérêt à être vigilant car on ne sait jamais…brrrr….

J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Je me suis imprégnée du contexte, j’avais des frissons, je me révoltais, les émotions se succédaient lorsque j’espérais un mieux.

Une lecture immersive très réussie !

"Je sais que tu mens" d'Erika Navilles

 

Je sais que tu mens
Auteur : Erika Navilles
Éditions : Alter Real (13 Juin 2025)
ISBN : 978-2385753900
240 pages

Quatrième de couverture

Ville de Vancouver. Deux adolescents ont disparu. Parmi eux, le fils de Claire. Détail troublant, il n’a pas emporté son téléphone. La police pense qu’il s’agit d’une fugue, mais Claire, qui l’a élevé seule, n’arrive pas à y croire. Elle le connaît par cœur, il n’aurait jamais fait ça. Pourtant, elle sait qu’on a tous des secrets. Elle la première. Et si son passé était en train de ressurgir ? Et si ses mensonges étaient à l’origine de la disparition de son fils ?

Mon avis

Claire vit seule avec son fils, Lucas, à Vancouver. Elle travaille dans un établissement scolaire comme assistante maternelle et a peu de liens avec les autres, à part avec une amie. Lucas est comme elle, assez solitaire, en retrait. La faute, sans doute, a un passé assez lourd que nous découvrons dans d’autres temporalités, alternant avec le présent.

Ce jour-là, Claire apprend que la fille d’une célébrité a disparu. Elle connaît cette adolescente, qui semble être la seule avec qui Lucas discute et échange. D’ailleurs, lorsqu’elle rentrera, elle le questionnera, il sait peut-être où et pourquoi cette jeune fille est partie. Sauf qu’une fois chez elle, elle découvre qu’il n’est pas là, qu’il a abandonné son téléphone et n’a laissé aucun mot. Cela ne lui ressemble en rien, qu’a-t-il pu se passer ?

À partir de là, Claire n’a qu’un but : retrouver son enfant, la seule personne au monde qui compte vraiment pour elle. Mais pour y arriver, il faut probablement, marcher dans ses traces pour comprendre ce qui l’a poussé à agir ainsi. Est-il seul ou accompagné ? Que cherche-t-il et pourquoi ? Comme toutes les mères, Claire est prête à tout pour que la vie reprenne son cours mais a-t-elle tout envisagé ? Pense-t-elle à ce que risque de découvrir Lucas ? Des événements qu’elle lui a volontairement tus et qui peuvent le déstabiliser profondément alors qu’il est un peu fragile ?

Avec une écriture très addictive, l’auteur nous entraîne dans son histoire. Les retours en arrière distillent des informations qui aident à cerner ce qu’a été la vie de chacun avant ce quotidien d’angoisse pour cette maman. Cette construction, où plusieurs périodes de la vie de Claire sont évoquées, est très bien pensée et parfaitement mise en place. On prend connaissance des non-dits, des mensonges, du vécu de chacun … Les éléments se mettent en place, comme un gigantesque puzzle qui fait froid dans le dos, qui questionne, qui interpelle.

Rien n’est simple, certains individus ont deux facettes et on se demande qui croire. L’atmosphère est anxiogène d’autant plus que quelques faits bizarres se produisent.

C’est le deuxième livre que je lis d’Erika Navilles et je suis conquise. Elle n’est pas restée dans le même registre, elle a su se renouveler, ce qui n’est pas forcément facile. Elle aborde de nombreuses thématiques, la manipulation, la confiance dans le couple et en amitié, la place qu’on donne à ses origines, ce qu’on croit, ce qu’on réfute…

Elle sait adapter son style à ce qu’elle présente. On vit l’anxiété de Claire, ses tourments face à son impuissance.  On fait corps avec elle tant on est pris dans le récit. J’ai eu peur que certains protagonistes soient très manichéens et bien pas du tout ! Ils sont terriblement humains, sensibles et parfois ils font des erreurs par maladresse, parce qu’ils ne savent pas aimer, exprimer ce qu’ils ressentent ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas les bons « codes ».

Un roman très abouti et un vrai plaisir de lecture !


"La femme de ménage" de Freida Mc Fadden (The Housemaid)

La femme de ménage (The Housemaid)
Auteur : Freida McFadden
Traduit de l’américain par Karine Forestier
Éditions : ‎City Edition (4 janvier 2023)
ISBN : 978-2824621456
304 pages

Quatrième de couverture

Chaque jour, Millie fait le ménage dans la belle maison des Winchester, une riche famille new-yorkaise. Elle récupère aussi leur fille à l'école et prépare les repas avant d'aller se coucher dans sa chambre, au grenier. Pour la jeune femme, ce nouveau travail est une chance inespérée. L'occasion de repartir de zéro. Mais, sous des dehors respectables, sa patronne se montre de plus en plus instable et toxique. Heureusement, le gentil et séduisant monsieur Winchester est là pour rendre la situation supportable.

Mon avis

Je n’avais pas prévu de succomber à cette lecture, car je trouvais qu’il y avait trop de publicité pour ce titre. Mais je l’ai vue sur la table d’une chambre d’hôte et je me suis dit « pourquoi pas ».

Millie n’a pas eu une vie facile mais elle vient de décrocher un travail (en trichant un peu sur ses références et son ancienneté). La voilà donc embauchée pour l’entretien d’une demeure et l’accompagnement de la petite fille de la maison.

Dans un premier temps, tout semble assez simple mais ça ne dure pas. La propriétaire se contredit, n’est pas claire, la gosse est insupportable. Le mari est plus calme et essaie d’excuser son épouse, de soutenir discrètement Millie. Tout cela la met mal à l’aise mais elle reste fidèle au poste et s’accroche.

Elle comprend vite que quelque chose ne tourne pas rond mais quoi ? Qui ment ? Un des deux conjoints ? Les deux ? Les copines de Madame ? Elle ? Après tout, le lecteur n’a que sa version. Va-t-elle rester ? Démissionner ? Ou retourner la situation à son avantage ?

Ce récit est très prenant, peu importe que quelques éléments soient improbables, l’essentiel c’est d’avoir envie de tourner les pages, de savoir, et de ne pas voir le temps passer.

Millie a plus d’un tour dans son sac et j’ai apprécié de constater comment l’auteur fait évoluer ce qu’elle nous dévoile de sa personnalité. Juste assez retors pour qu’on se dise « ah oui, quand même ! ».

L’écriture est fluide, très abordable, addictive. Tous les ingrédients sont réunis pour un excellent thriller psychologique. Suspense, rebondissements, personnages troubles, situations équivoques….

C’est une lecture qui permet de passer un bon moment. Je ne lirai pas tous les titres à la suite (j’aurais peur de me lasser) mais j’y reviendrai !

"En secondes noces" de Shari Lapena (The End of Her)

 

En secondes noces (The End of Her)
Auteur : Shari Lapena
Traduit de l’anglais (Canada) par Romane Lafore
Éditions : Les Presses de la Cité (12 Janvier 2023)
ISBN : 978-2258201781
354 pages

Quatrième de couverture

Sur le papier, Stephanie est comblée : elle a un mari attentionné, une jolie maison dans un quartier huppé, d'adorables jumelles âgées de quelques mois. Certes, elle manque de sommeil et son moral s'en ressent. Mais bientôt les bébés feront leurs nuits, et tout ira mieux. C'était sans compter l'irruption de la blonde et vénéneuse Erica Voss. Alors que Patrick a toujours prétendu que sa première épouse était morte dans un accident de voiture, Erica présente une version des faits bien plus sordide. Une version qu'elle menace de rapporter à la police si on ne lui verse pas une grosse somme.

Mon avis

Patrick et Stephanie ont tout pour être heureux. Il a un excellent boulot, il aime sa femme et c’est réciproque. Ils ont des jumelles. Les nuits sont difficiles, les journées aussi car elles ont des coliques mais ils essaient de se soutenir et de se relayer. C’est plus compliqué pour elle car elle reste à la maison et elle a peu d’échappatoire. Il lui arrive d’aller au parc mais il faut surveiller les filles. Parfois, elle boit le thé chez sa voisine et discuter avec elle lui fait du bien.

Lui, il est associé avec un ami et leur affaire fonctionne, ils ont des clients. Tout pourrait rouler. Et puis, un jour, il se retrouve face à Erika, la meilleure amie de sa première femme décédée il y a plusieurs années. Elle remet en cause les raisons de la mort de son ancienne compagne et le menace de chantage. Il ne sait plus quelle attitude adopter et que dire à sa conjointe actuelle. Il a peur de la perdre, il s’angoisse pour les rumeurs. Et si la police se mêlait de tout ça ? Quant à Stephanie, elle s’interroge. Doit-elle encore lui faire confiance ? Lui a-t-il caché certains éléments ? Leur couple vacille, la sérénité n’est plus là.

Porté par une écriture accrocheuse (merci à la traductrice), ce récit est très plaisant. Les chapitres courts donnent du rythme au texte.  C’est un bon thriller domestique avec de la tension, des rebondissements et son lot de menteurs. Les personnages sont, peut-être, un peu caricaturaux mais c’est agréable à lire. On s’interroge sans cesse en se demandant où est la vérité, qui manipule qui et pourquoi. Bien sûr, on a rapidement envie de gifler Erika qui vient semer le doute dans les esprits et déstabiliser le quotidien de ce couple sans histoire. Et puis, on s’aperçoit qu’elle n’est pas la seule à ne pas être « nette ». D’autres ont un double-jeu.

J’ai apprécié de découvrir cette histoire qui m’a permis de passer un bon moment.


"Soilhas Ribeiro" de Joseph Ingrassia

Soilhas Ribeiro
Auteur : Joseph Ingrassia
Éditions : Dolomites éditions (29 février 2016)
ISBN : 979-1092073065
292 pages

Quatrième de couverture

Après l'avoir dévoré, lorsque vous refermerez, à regret ce roman, votre vie aura définitivement changé. Et pourquoi me direz-vous donc ? Simplement, parce qu'une partie de Soilhas Ribeiro, le limpiabotas, le si modeste cireur de chaussures, sera passée en vous, comme lors d'une transfusion. Lorsqu'en à peine six semaines, comme dans un rêve, il a écrit ce roman magique, Joseph Ingrassia m'a confié à l'oreille qu'il n'avait aucun mérite, puisque Soilhas existait depuis toujours dans son coeur et, qu'il n'avait rien fait d'autre que de lui donner vie, juste en le couchant sur des pages blanches

Mon avis

Limpiabotas

Il souffre de phocomélie, Soilhas et il habite Bogota. Il a une vie simple, il fait tout pour que ceux qui le croisent ne soient pas effrayés par son handicap. Lui, sa différence fait partie de son quotidien et il s’en accommode. Ce qu’il fait ? Il cire des chaussures, avec application, presque de l’amour car il apprécie le travail bien fait. Il confie le peu d’argent qu’il gagne à un prêtre et parfois il rêve… Lorsque son pécule sera assez important, il essaiera d’avoir pignon sur rue. Un petit commerce rien qu’à lui, où il sera heureux… Mais ça, c’est ce qu’il espère sans trop y croire….

Plusieurs événements vont bouleverser le jeune homme et sa destinée va prendre un autre chemin que celui auquel il avait pensé…. Lui qui a tout donné pour son labeur, va se retrouver à tout donner pour les autres. Son altruisme, sa bonté, son sens de la fraternité vont lui ouvrir d’autres horizons…. Tous ceux qu’il va ainsi croiser changeront profondément. Le contact avec Soilhas leur permettra de recentrer leurs choix, leurs priorités mais à quel prix ?

C’est un roman où les blessés de la vie sont nombreux mais l’auteur ne sombre pas dans le misérabilisme. C’est un livre de rencontres, d’espérance en l’homme. L’écriture est belle, sobre et lumineuse, elle renvoie chaque lecteur a sa propre histoire, à ses choix de vie….

Lire Soilhas Ribeiro, c’est apercevoir un rayon de soleil un jour de pluie et sourire, c’est mettre du baume sur une plaie et sentir que ça va mieux, c’est se laisser toucher au cœur par un petit bout d’homme qui aimait les autres plus que lui-même…..