"Tranquille, frérot" de James Holin

 

Tranquille, frérot
Auteur : James Holin
Éditions : du Caïman (1er Août 2025)
ISBN : 978-2493739261
358 pages

Quatrième de couverture

À Nice, le trafic de stups est aux mains des frères Berkane. L’aîné, "l’Épicier" le dirige d'une main de fer, tandis que son cadet,"Kadafix", un nain plutôt sadique, exécute les basses oeuvres. Les tontons sont légion et jouent à trois bandes tandis que les trafiquants se carottent à qui mieux mieux et que les balances finissent en barbecue sur les collines. Le major Castaneda de la gendarmerie et la commissaire Dubois de la Police judiciaire, quand ils ne se content pas fleurette, se tirent la bourre pour essayer de les cravater. Qui de la jolie flic ou du fougueux pandore arrivera le premier à serrer les deux sinistres frangins ?

Mon avis

Décoiffant, ébouriffant, drôle, et plantant des personnages hauts en couleurs, ce roman est un régal (et dire qu’il va falloir attendre le tome 2 !)

D’abord, un bon point : dans les premières pages, la liste de ceux qu’on va rencontrer et leur rôle, des fois que notre mémoire nous joue des tours, c’est bien pratique. Surtout que chez les malfrats, certains sont rebaptisés en fonction de leur physique ou de leur « profession » si tant est que l’épicier tienne « seulement » un commerce officiel. On sait bien ce que c’est « Moi, j’ai rien fait m’sieur, c’est lui qui m’a obligé à vendre de la drogue… » Ben voyons, comme si le lecteur allait tomber dans le panneau et avoir pitié de ces petits ou gros bras. Faut pas compter sur moi.

Dès les premières pages, j’ai compris qui étaient les gentils et les méchants. Mais, comme je ne veux pas d’histoire, j’ai regardé de loin sans m’en mêler, c’est mieux, non ? On ne sait jamais, une balle ou un coup de pied perdus….

Cette lecture a été une vraie détente. Malgré les coups de feu, quelques morts, le sourire ne m’a pas quittée. Ce qui m’a particulièrement plu ? Le ton libre, mordant, pétillant de dérision, d’ironie et d’humour.

« La résine lui avait rongé les muscles. Des biceps de phasmes et des pectoraux d’hippocampe montés sur des fesses de crevettes et de la guibole en fil de 0,3. »

Ce que j’ai aimé aussi ? Le rythme, pas le temps de se poser, c’est comme une partie de ping-pong avec les frères Lebrun, ça part, ça revient, revers et smash si on y arrive, sinon, gare !

À Nice, ce sont les frères Berkane qui ont le presque monopole du trafic de stupéfiants. Ce serait bien de les coincer, de préférence avec un bon chargement, histoire de se faire mousser et de montrer que les gendarmes sont les plus forts. Un indic, un utilitaire en route, deux collègues volontaires et ça devrait le faire, non ? Malheureusement, ça vire au vinaigre et le major Castaneda ( il n’est pas de la famille du célèbre gardien de but des verts) se fait remonter les bretelles ou souffler dans les bronches. Il a quand même de la chance, il ne s’en sort pas trop mal. Mais ça continue de le titiller, comment a-t-il pu se faire avoir de cette façon ? Il y a forcément une entourloupe quelque part, mais qui et pourquoi ? Il investigue, il cherche, il oublie de partager ses découvertes quelques fois …

L’auteur nous entraîne dans un imbroglio mené à une cadence folle. Des dialogues qui font mouche, des phrases qui fusent, une écriture sans temp mort, des événements qui s’enchaînent. Ça emballe et on veut savoir qui joue double jeu, qui ment, qui triche, qui manipule …

Les protagonistes ont des tripes, du caractère et se transforment rarement en lavette (sauf quelques-uns, pas très nets, qui se mettent à trembler dans leur caleçon). Certains d’entre eux font tout pour obtenir des informations, et ils n’hésitent pas à cogner pour avoir ce qu’ils veulent. Et puis, il y a ceux qui sont gouvernés par leur libido et eux, quand le boomerang revient, ils ne peuvent qu’en prendre plein les dents et on ne les plaint pas !

Un récit qui n’a été que du plaisir, vivement la suite !

"Everglades" de R.J. Ellory (The Bell Tower)

 

Everglades (The Bell Tower)
Auteur : R.J. Ellory
Traduit de l’anglais par Etienne Gomez
Éditions : Sonatine (10 Avril 2025)
ISBN : 978-2383992073
458 pages

Quatrième de couverture

Août 1976. Garrett Nelson est shérif adjoint en Floride. Lors d'une arrestation qui tourne mal, il est grièvement blessé. C'en est fini pour lui du service actif. Suivant les conseils de sa thérapeute, Hannah Montgomery, il rejoint le père et le frère de celle-ci à Southern State, en tant que gardien au pénitencier d'État. Édifiée sur l'emplacement d'une ancienne mission espagnole située au beau milieu des Everglades, la prison est censée être d'une sécurité absolue. Et pourtant... Entre un étrange suicide et une curieuse évasion, l'instinct d'enquêteur de Nelson reprend vite le dessus.

Mon avis

1976. Garrett est shérif adjoint, il vit seul et n’a pas vraiment d’obligations, son père est décédé et il n’a plus de lien avec sa mère. Alors, lorsque son chef lui demande d’aller aider les collègues, dans le comté d’à côté pour une arrestation, il ne fait pas d’histoire, il se rend disponible. Quand il rejoint l’équipe, on lui explique ce qu’un coéquipier et lui doivent faire. Rien de compliqué, tout devrait se dérouler sans encombre. Malheureusement, ça tourne mal et il est grièvement blessé à une jambe. Pour lui ce fait est d’une violence inouïe qui propage une ombre en lui, collant à la peau, assombrissant son quotidien.

« La violence avait fait irruption par cet événement, et elle avait une manière à elle de ne jamais repartir. »

Il ne peut plus exercer son métier. Sa kiné lui parle d’un pénitencier où il pourrait être gardien. Il pense que ce serait toujours, en quelque sorte, en lien avec sa précédente profession puisqu’il s’agit de faire régner l’ordre. Et il est conscient que c’est la seule chose qu’il sait faire.

Une fois embauché, il réalise que cela n’a rien à voir. Ce nouveau job l’entraîne dans les ténèbres. Il n’arrive pas à cloisonner vie privée et vie professionnelle, il se laisse « bouffer » par ce qu’il voit, ce qu’il sent (des non-dits, des magouilles, des silences…) et il n’aime pas ça. Il est démuni face à la noirceur qui l’envahit, il n’arrive pas à s’en protéger et le noir déborde sur la clarté pâle de ses journées, menaçant de l’enfouir, de l’étouffer.

Il s’interroge sur ses choix de travailler au maintien de l’ordre. Il se questionne sur des faits surprenants, notamment une évasion alors que le lieu est très sécurisé, isolé dans une nature hostile. Certains collègues joueraient-ils double jeu ? Ce qu’il croit comprendre ne lui plaît pas, pas plus que l’attitude des autres adjoints lorsqu’il essaie de les alerter.

Comme à son habitude, l’écriture de R.J. Ellory est fouillée, racée, profonde. Le traducteur a su trouver les mots précis, marquants, à la hauteur du regretté Fabrice Pointeau qui était une « pointure » dans ce milieu.

L’auteur analyse la violence sous toutes ses formes et les raisons qui peuvent pousser à des actes abominables. Qu’est-ce qui fait qu’un jour, un homme ou une femme bascule du côté du mal ? Quel mécanisme se met en place dans son esprit ? C’est quoi la valeur de la vie, d’une vie ? A-t-on le droit de tuer ? Quand et comment ? Exécuter un meurtrier au risque de faire une erreur judiciaire, est-ce juste ? Si on se trompe, que se passe-t-il ?

« Pourquoi tuons-nous ceux qui tuent pour montrer que tuer est mal ? » a dit Holly Near (militante pacifiste).

Garrett est un homme attachant, intègre, qui ne supporte pas l’à peu près. Il a besoin de certitudes, de croire en l’homme, en lui. Quand il côtoie ceux qui sont dans le couloir de la mort, il réfléchit à chaque décision prise par un individu, à chaque bifurcation possible, à ce qui fait pencher l’histoire d’un côté plutôt que d’un autre. Ses interrogations pourraient être les nôtres, c’est un homme qu’on pourrait connaître. D’ailleurs, Ellory dit : Je veux écrire des histoires auxquelles les gens pensent même en dehors du livre, et quand ils le terminent, je veux qu'ils aient l'impression d'avoir laissé derrière eux des personnes qu'ils ont appris à connaître.

Garrett est un homme ordinaire face à des situations qu’il maîtrise mal ou pas du tout car il n’est pas seul face à elles. Le lecteur passe, avec lui, par tout un panel d’émotions, de sentiments, il l’accompagne, le soutient, le plaint, est heureux pour lui, parfois.

Captivant, addictif, nous interpellant, ce récit est fort, puissant, nous poussant à réfléchir sur de nombreux sujets.


"Un bon indien est un indien mort" de Stephen Graham Jones (The Only Good Indians)

 

Un bon indien est un indien mort (The Only Good Indians)
Auteur : Stephen Graham Jones
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
Éditions : Rivages (21 Septembre 2022)
ISBN : 978-2743656218
354 pages

Quatrième de couverture

Quatre amis d’enfance ayant grandi dans une réserve du Montana sont hantés par les visions d’un fantôme, celui d’un caribou femelle dont ils ont massacré le troupeau lors d’une partie de chasse illégale dix ans auparavant. Tour à tour, ils vont être victimes d’hallucinations et de pulsions meurtrières, jusqu’à ce que l’entité vengeresse s’en prenne à la fille de l’un des chasseurs.

Mon avis

Stephen Graham Jones est né en 1972 à Midland, Texas, et appartient à la tribu Pikunis (Blackfoot). Ses livres parlent des amérindiens, de leur vie quotidienne, de leurs légendes.

Dans ce roman, parfois à la frontière du fantastique (il est fait allusion à Stephen King), il aborde, par le biais de ses personnages, des thèmes forts concernant les indiens. Le poids des traditions, les mariages « mixtes » (ici un indien avec une blanche), la vie dans et en dehors de la réserve, l’attitude à avoir face à cet autre monde, l’extérieur. Comment agir et se comporter, à l’école, au travail, avec les autres.

Il y a dix ans, quatre amis, appartenant à la même réserve, ont fait une énorme bêtise. Ils ont massacré un troupeau d’élans. Un garde-chasse les a coincés et ils n’ont pu garder qu’une femelle qui attendait un petit. Cette vision les hante. Malgré les années, le souvenir reste vivace et la culpabilité est bien présente. Il faut vivre avec et continuer d’avancer mais voici, peut-être, venu le temps de payer.

Dès les premières lignes, on comprend que ce récit ne sera pas ordinaire, qu’il faudra faire avec les souvenirs plus ou moins vrais, les peurs, les esprits qui s’égarent.

On se demande où est la frontière entre réalité et illusion. On est au cœur de l’action, on « voit » par les yeux des protagonistes et on est totalement immergé dans les événements. Cela les rend encore plus « palpables » et pour certains, plus angoissants.

L’écriture est (merci au traducteur) fluide, « pointue », décrivant avec précision chaque fait, chaque sentiment ou ressenti. C’est très immersif.

Cette lecture est un peu déstabilisante, elle ne m’a pas totalement emballée. L’auteur mêle policier, thriller et fantastique, tout s’articule petit à petit, c’est seulement à la fin qu’on comprend vraiment ce qui peut arrêter la malédiction.