"L’automne est la dernière saison" de Nasim Marashi (Payiz fasl-e akhar-e sal ast)

 

L’automne est la dernière saison (Payiz fasl-e akhar-e sal ast)
Auteur : Nasim Marashi
Traduit du persan (Iran) par Christophe Balaÿ
Éditions : Zulma (12 Janvier 2023)
ISBN : 979-1038701564
272 pages

Quatrième de couverture

Dans le brouhaha des rues agitées de Téhéran, Leyla, Shabaneh et Roja sont à l’heure des choix. Trois jeunes femmes diplômées, tiraillées entre les traditions, leur modernité et leurs désirs. Leyla rêve de journalisme ou de devenir libraire. Son mari, pourtant aimant et attentionné, a émigré sans elle. A-t-elle eu raison de ne pas le suivre et de rester ? Shabaneh est courtisée par son collègue, qui voit en elle une épouse parfaite. Comment démêler si elle l’aime, si elle peut se résoudre à abandonner son frère handicapé, alors qu’elle en est l’unique protection ? Roja, la plus ambitieuse, travaille dans un cabinet d’architectes, et s’est inscrite en doctorat à Toulouse – il ne manque plus que son visa, passeport pour la liberté. Vraiment ? La solution est-elle toujours de partir ?

Mon avis

Nous sommes en Iran, à Téhéran, de nos jours et Leyla, Shabaneh et Roja arrivent à un moment clé de leur vie.

Leyla est mariée, son époux lui propose de partir au Canada où il pourra continuer ses études. Elle, elle vient juste de trouver un job et elle hésite. Il part, elle reste et elle veut comprendre cette absence. Elle n’arrive pas à continuer la route, à avancer…

Shabaneh est hantée par la guerre. Elle s’occupe énormément de son petit frère, qui est en situation de handicap. Elle ne se sent pas capable de partir et de le laisser derrière elle car elle sait bien que leur mère n’assumera pas. Pourtant, elle a le droit de penser à elle ….

Roja rêve de partir pour son doctorat à Toulouse. Elle attend avec impatience son visa.

Toutes pensent à une autre vie, un quotidien différent avec un peu plus de libertés. C’est un récit choral, chaque chapitre donne la parole à l’une d’elles et l’histoire s’étend sur deux saisons : l’été et l’automne. L’auteur ne parle pas de politique mais on sent que rien n’est simple pour les femmes. Déjà elles sont tiraillées entre ce qu’on leur a inculqué et ce qu’elles souhaitent, ensuite, certaines ne s’autorisent pas à vivre avec une certaine forme de liberté comme si elles culpabilisaient par rapport à leur mère, leur grand-mère, qui n’ont pas eu cette possibilité.

Comment « grandir », avancer, vivre au grand jour tout simplement ?

Ce roman est très poétique, l’écriture (merci au traducteur) est délicieuse. Les informations sont données par petites touches. On pénètre sur la pointe des pieds dans ce pays où rien n’est vraiment facile. On découvre des portraits de femmes avec leurs hauts et leur bas, parfois battantes, parfois un peu désabusées mais ce qui est le plus important, le cœur de tout ça, c’est leur amitié.

Elles sont là, les unes pour les autres, présentes, à l’écoute, respectueuses, aimantes. Leur lien est fort, solide et passe par-dessus les tempêtes.

J’ai lu que Nasim Marashi écrit lentement, parfois un seul paragraphe par jour. Elle permet à ses personnages, au paysage, au contexte, de s’installer en elle avant de les décrire. En lisant cela, j’ai eu le sentiment qu’elle voulait leur donner le temps de prendre vie avant de leur donner la parole et de les laisser seuls-es, sur le papier….

Une très jolie découverte.


"Au-dedans" de Will McPhail (In)

Au-dedans (In)
Auteur : Will McPhail (Textes et dessins)
Traduit par Basile Beguerie
Relu par Marie-Paule Noël
Éditions : 404 éditions (18 Janvier 2024)
ISBN : 9791032408124
276 pages

Quatrième de couverture

Nick est un jeune citadin, illustrateur, dont la vie oscille entre ses projets personnels et un travail alimentaire au sein d’une agence de publicité. Il prend la pose dans des cafés et des bars à bière artisanale, conscient que quelque chose manque à sa vie, et que ce quelque chose ce sont les autres et leurs mondes intimes. Bien plus qu’un critique ou un récit autobiographique simpliste de la vie d’un millénial parmi les millénials, cette tranche de la vie de Nick s’attarde sur le fossé qui nous sépare tous les uns des autres. Qu’il s’agisse du barista au coin de sa rue, des membres de sa famille ou de Wren, une oncologue dont le chemin croisera douloureusement le sien, Nick ne peut s’empêcher de penser qu’il existe un monde caché d’interaction humaine hors de sa portée.

Mon avis

Prix Fnac/France Inter 2025

Will McPhail est dessinateur du New Yorker, « Au-dedans » est son premier roman graphique.

Nous faisons connaissance avec Nick, jeune illustrateur qui se pose beaucoup de questions. Il est plutôt solitaire, a des difficultés dans ses interactions avec les autres. On le voit traîner dans les cafés, essayant de converser, ne sachant pas trop que dire, que faire, très maladroit. Il en est presque « à jouer un rôle » se demandant ce qu’il peut …. Il essaie d’avancer et on le suit au gré des rencontres avec la famille (sa mère, sa sœur, son neveu) et quelques autres personnes.

Les croquis sont en noir et blanc, assez épurés, expressifs, les cases ne sont pas régulières, comme mues par le texte pourtant lui aussi sans fioritures. Parfois, la couleur apparaît, forte, puissante, elle représente certains passages où les mots ne sont pas nécessaires (je n’en dis pas plus, chacun en lisant, interprétera).

L’auteur montre comment notre monde aseptisé réduit les échanges, donnant le sentiment que toute conversation est inutile. À quoi bon chercher à comprendre l’autre, à lui parler ? A-t-on « besoin » de lui, de sa présence ? Nick, tout au long de cette longue bande dessinée, fait son chemin, ouvre les yeux, apprend à vivre avec lui-même, puis avec les autres.

C’est délicat, réfléchi, fort et puissant dans les mots, les images et tout ce qui est suggéré.

 


"Supprimer leur dernière année, tout simplement ! (Volume 1)" de Jacques Henry Pointeau

 

Supprimer leur dernière année, tout simplement ! (Volume 1)
Auteur : Jacques Henry Pointeau
Éditions : La clé du chemin (1er octobre 2024)
ISBN :978295681232
410 pages

Quatrième de couverture

Ne plus payer pour la santé des anciens inutiles à la société, des accidentés devenus invalides, des maladies incurables aux traitement inefficaces et coûteux : c'est la solution que Roberto Pangolino, aventurier de haut-vol, a glissé à l'oreille d'Anton Krokous et d'Anita Ratinski-Lopez, fraichement élus Président et Chancelière de leur pays. Mesures radicales ! De quoi évidemment se révolter ! Mais confronté aux exigences de la situation économique, le président va peu à peu se laisser convaincre. D'autant plus que certains ont bien identifié l'intérêt que de telles mesures leur apporteraient.

Mon avis

Anton Krokous a été avocat. Une profession qu’il a assuré avec talent, le verbe facile et assuré, l’élégance naturelle, la santé de fer des hommes de la montagne. Il est tombé dans la politique un peu par hasard mais il y a pris goût. Persuadé que c’est un moyen d’avoir du pouvoir, il a gravi les échelons et le voilà Président ! Sa Chancelière, Anita Ratinski-Lopez, est une personne de confiance, avec qui il s’entend bien. Un excellent binôme qui se complète ! Ils n’étaient pas forcément favoris mais pourtant, ils sont en place tous les deux !

Pendant leur campagne électorale, ils ont promis un contrôle des dépenses pour la santé et la vieillesse. Les votants les ont sans doute choisis pour ça. Maintenant, il faut qu’ils tiennent leurs promesses. Et pour les tenir, il est nécessaire que les citoyens les comprennent. Ce n’est pas compliqué : une bonne forme physique vous donne accès aux meilleurs emplois. Pas d’arrêt maladie, des patrons contents qui font tout pour vous garder et pour cela, un salaire plus important ! Une alimentation saine, du sport, pas de tabac, moins de soucis. Si tout le monde s’y met, les hôpitaux seront moins engorgés, non ? Et l’argent ainsi économisé sera investi ailleurs.

Utopie ? C’est d’ailleurs le nom de la première partie de ce roman d’anticipation (heureusement ; -)
L’Utopie flamboyante, celle qui illumine tout lorsqu’on pense que tout est possible. C’est la nièce d’Anita qui raconte et présente les différents événements, les choix du gouvernement, certaines discussions avant d’aboutir à la décision principale : le calcul de RVS (ratio de vie saine) pour chacun dans le but de donner plus d’avantages à ceux qui coûtent le moins. C’est un outil individualisé de suivi au niveau de la santé. Comme dit un des protagonistes, à quoi bon soigner quelqu’un qui souffre d’un cancer du poumon parce qu’il a trop fumé alors qu’on lui a toujours répété que c’était mauvais ? Et ce n’est qu’un exemple…. Si l’argent destiné aux médicaments de cas comme lui était utilisé pour installer plus de pistes cyclables pour maintenir tout le monde en forme, ce ne serait pas préférable ?

Ce genre de système est-il fiable ? Peut-il tenir sur la longueur ?

Jacques Henry Pointeau va dans les extrêmes bien sûr, et porte sa réflexion dans tous les excès mais quand on voit ce qu’il se passe dans certains pays du monde, on peut légitimement se dire qu’il faut rester vigilants.

Son récit est une réflexion sur la vie, sur tous les problèmes liés à l’âge lorsqu’on avance dans les années, sur la mort, sur la prise en charge des soins, sur les gouvernants, sur la naïveté de certains, sur le poids des beaux discours etc…

Car, un certain Monsieur Pangolino influence ceux qu’il rencontre. Il sait à la perfection adapter son discours à celui ou celle qu’il a en face de lui, il observe, manipule et agit pour que l’interlocuteur se sente unique, compris, il cible ses répliques en fonction de qui l’écoute ….

Dans la deuxième partie (il y en a deux autres dans le volume 2), l’Utopie est ébranlée. L’auteur montre les fissures, les failles, les doutes … lorsque tous ne sont pas d’accord, lorsqu’un « Pangolino » prend trop de place en étouffant quelques-uns ou en donnant trop d’importance à d’autres….

L’écriture est vive, de nombreux dialogues donnent du rythme, l’étude des personnages est intéressante. On a envie de voir comment les situations vont évoluer, qui va reprendre le dessus et pourquoi.

Si, au départ, je me suis posée la question de savoir où allait m’entraîner cette histoire, j’ai très vite accroché et passé un bon moment de lecture !

"Beyrouth Forever" de David Hury

 

Beyrouth Forever
Auteur : David Hury
Éditions : Liana Levy (16 Janvier 2025)
ISBN : 9791034910199
300 pages

Quatrième de couverture

Septembre 2023. L’été s’achève, Beyrouth suffoque et attend les premières pluies. Marwan Khalil, lui, attend la retraite, après trente ans de service et de magouilles à la brigade criminelle d’Adlieh. Mais lorsqu’une vieille femme est retrouvée morte et que sa hiérarchie le presse de classer l’affaire, l’inspecteur sent que quelque chose ne tourne pas rond. D’autant que la victime, une universitaire de renom, travaillait sur un ambitieux manuel scolaire de l’Histoire du Liban. Manuel qui semblait déranger le puissant Hezbollah et dont le seul exemplaire disparaît des pièces à conviction. Pour sa dernière enquête, Marwan refuse de jouer le jeu de la dissimulation qui mine son pays et auquel il n’a que trop participé. L’ancien milicien chrétien et sa jeune adjointe chiite, Ibtissam, devront batailler pour faire éclater la vérité dans ce pays à bout de souffle qui refuse de faire face à son Histoire.

Mon avis

David Hury a travaillé comme journaliste et photoreporter pendant dix-huit ans au Liban. On peut dire qu’il connaît bien ce pays et son fonctionnement. Dans son dernier roman, ancré dans l’histoire de ce lieu, il analyse avec acuité les rouages du pouvoir en place (c’était avant l’élection du 9 Janvier 2025) et il glisse des idées pour agir. On sent sa colère, son irritation, sa volonté par cet écrit d’éclairer sur tout ce qui est tu.

Avant d’écrire cette chronique, il m’a fallu « digérer » cette lecture. Les informations sont nombreuses, j’ai énormément appris, j’ai été bouleversée et je ne veux rien gâchée en parlant de ce livre.

David Hury part d’un fait que j’ignorais totalement. Les manuels scolaires de l’histoire du Liban s’arrêtent en 1943 lorsque l’indépendance a été obtenue. Après cette date, rien n’apparaît. Dans ce récit, Aimée Asmar, professeur en faculté, est retrouvée morte chez elle. Tout semble indiquer qu’il s’agit d’un banal accident domestique. Marwan Khalil, policier proche de la retraite, est envoyé sur place, avec la jeune adjointe qu’on lui a imposée. Il n’a pas envie de bosser avec elle. Tout les oppose. Une fois sur place, il observe et réalise qu’il y a eu meurtre. Il a alors deux solutions : rapporter ce dont il est sûr et lancer une enquête, ou « magouiller » (ça, il l’a déjà fait) et l’affaire sera classée. À quelques mois de s’arrêter, il n’a pas envie de céder sous la pression, peut-être a-t-il aussi le souhait de « redorer son image » pour sa fille avec qui les liens sont compliqués.

Décidé à mettre le pied dans la fourmilière, Marwan lance ses investigations. Il réalise que le futur ouvrage de l’universitaire dérangeait pas mal de monde. Elle avait l’intention de mettre au jour tout ce qui a été dissimulé. Mais qui l’a tuée et pourquoi ? Est-ce que son assassinat a été commandité ?

À travers ses recherches, c’est tout le quotidien sur place qu’on découvre. L’eau réquisitionnée et surfacturée, l’électricité intermittente, la vie chère, les salaires bas, la sécurité qui se délité, aucun avenir pour les jeunes … le Liban est blessé, meurtri, sur le qui-vive et ses habitants aussi… Marwan est décidé, ce sera son dernier combat mais il va dénoncer tout ce qui ne va pas, il va fouiller pour faire sortir la vérité, pour pouvoir se regarder dans une glace, pour se dire qu’un jour peut-être …, pour penser que tout n’est pas perdu pour les générations futures.

« L’éducation, c’est donner les armes intellectuelles aux nouvelles générations pour que les pages sombres de l’Histoire ne se répètent pas. »

La preuve, c’est que sa jeune coéquipière veut l’aider dans sa quête de vérité, malgré les chefs qui leur disent de cesser. Le mensonge, ils n’en veulent pas. Ils sont attachants tous les deux, chacun à sa manière. Pourtant, lui, il a triché, il fume, il boit, mais il a décidé de finir sa carrière en étant droit et on a envie qu’il trouve les réponses.

Occulter une partie du passé, est-ce un moyen pour avancer ? Que valent les non-dits, les silences ? Peut-on oublier ?

L’auteur insiste sur la corruption qui règne à plusieurs niveaux, qui gangrène la police, les fonctionnaires, je me suis demandée s’il n’était pas un peu désabusé mais je pense que non. En choisissant de présenter deux personnages qui luttent contre ce qui est faux, il donne la parole à tous ceux qui, dans l’ombre, voudraient que les choses changent.

Son écriture est puissante, il introduit ou évoque des faits réels (les accords de Taël, les attentats de 82, ce qu’a fait Georges Zreik, le rôle de Nabih Berri et bien d’autres encore) dans sa fiction la rendant très réaliste et vraiment en lien avec ce qui est le cœur du mal-être général. Tout est porteur de sens et son message est très fort.

C’est pour moi un coup de cœur !


"Le silence des salines" de Philippe Cuisset

 

Le silence des salines
Auteur : Philippe Cuisset
Éditions : Anfortas (23 janvier 2025)
ISBN : 978-2375221815
158 pages

Quatrième de couverture

De retour à Aigues-Mortes, Florian se trouve confronté au passé maudit de cette ville. Le massacre des Italiens de 1893, un pogrom d’une violence extrême, hante toujours les murailles de la cité fortifiée, les ruelles et les marais. Pour échapper à de tels fantômes, il lui faut chercher des issues : la passion de la boxe et l’amour de Julie pourront-ils le délivrer des démons dont il subit l’emprise grandissante ?

Mon avis

Le 17 août 1893, des ouvriers immigrés italiens qui travaillaient pour les salines d’Aigues Mortes sont confrontés à des rixes. Certains employés français pensent qu’ils leur volent leur labeur. Des échauffourées extrêmement violentes ont lieu et la police ne gère pas au mieux cet événement. L’estimation du nombre de personnes décédées va de huit (c’est le chiffre officiel) à cent cinquante selon la presse italienne. Ce pogrom, peu en ont entendu parler, et, fidèle à ses idées, Philippe Cuisset a décidé de le porter à notre connaissance dans son dernier livre.

On découvre Florian Rossi, italien d’origine, qui en 2020, étudiant en master d’histoire, a décidé de rédiger un mémoire sur ces faits. Le professeur qui le suit lui reproche de mettre trop d’affect dans sa rédaction, de faire des recherches dans des zones d’ombre. On le sait, ce n’est jamais bon de remuer le passé. Il faut que Florian prenne de la hauteur et s’attache plutôt aux conditions de vie des salariés, principalement ceux du coin.

C’est trop difficile pour le jeune homme, il abandonne mais cette situation continue de le hanter. On est maintenant en 2023, lorsqu’il marche sur les remparts, il a l’impression d’entendre les cris. Sa sensibilité exacerbée fait qu’il ressent tout très fort. L’histoire de ces hommes le hante, il veut comprendre, leur rendre justice ou tout simplement leur rendre leur place. Pourquoi ne sont-ils jamais cités dans les manuels scolaires ? Il s’essaie à la boxe, sans doute pour évacuer tout ce qui bout en lui.

Alors le lecteur l’accompagne sur ce chemin de souffrance car, lorsqu’une personne est mal dans sa « peau », tout son quotidien est affecté. Entre les chapitres où l’on suit Florian, d’autres, plus courts, en italiques, font le lien avec le passé. De petites touches de témoignages, c’est bien suffisant pour cerner les événements et le « rôle », pas du tout net, de certains …. Comme c’est court, c’est encore plus fort, plus « coup de poing »…

Philippe Cuisset est un homme engagé, ces écrits le sont également. Il n’hésite pas à dire les choses, à agir (il est bénévole dans des centres accueillant des réfugiés). Son récit est bouleversant. Non seulement par la présentation de ce massacre révoltant qui incite à aller chercher des détails dans les bibliothèques ou sur internet pour cerner aux mieux ce qu’il s’est passé. Mais aussi, parce que ce non-dit a une énorme influence sur la vie de Florian. C’est comme si tout cela lui collait à la peau, une réminiscence interne, dans les gènes …

Ce roman m’a intéressée, captivée, remuée. L’écriture vive permet de se sentir, dès les premières phrases, concernée par ce qu’on lit. J’ai particulièrement apprécié la façon dont l’auteur approche tout ça. Pas de jugements rapides. Les ressentis sont là, présents et si besoin, il suffit de lire entre les lignes pour ne pas oublier. Je ne visiterai plus Aigues-Mortes en mode neutre, ces gens seront avec moi, je penserai à eux.


"Le vent de l’espoir -Tome 2 : La terre de tous les possibles" d'Anna Jacbs (Lancashire Legacy)

 

Le vent de l’espoir -Tome 2 : La terre de tous les possibles (Lancashire Legacy)
Auteur : Anna Jacobs
Traduit de l’anglais par Catherine Delaruelle
Éditions : L’Archipel (23 Janvier 2025)
ISBN : 978-2809847680
432 pages

Quatrième de couverture

Australie-Occidentale, 1876. À dix-huit ans, Cathie aspire à une vie plus palpitante que celle qu'elle mène dans le bush. Aussi saisit-elle sa chance quand un de ses oncles lui suggère de partir pour le Lancashire, la terre natale de sa mère Liza. Cathie s'enfuit de chez elle, ignorant que son oncle la manipule pour se venger de Liza... Agressée dès son arrivée sur les quais de Liverpool, Cathie ne doit son salut qu'à l'intervention d'un homme, Magnus, chez qui elle va trouver refuge. Mais elle a perdu la mémoire...

Mon avis

Ce roman est le deuxième tome d’une série mais les quelques rappels nécessaires à la compréhension des liens entre personnages sont soigneusement glissés dans le texte et je ne me suis jamais sentie perdue.

1876, en Australie-Occidentale, on suit la vie d’une famille qui, malgré les difficultés liées au contexte, essaie de s’en sortir. Ils sont installés dans le bush, un peu loin de tout. La fille aînée, Cathie, aspire à découvrir autre chose. Elle aimerait aller en Angleterre car sa mère y a vécu. Mais avec quel argent et comment s’y prendre ? Comme beaucoup d’adolescentes, elle trouve son quotidien trop terne, a le sentiment permanent d’être incomprise et aspire à plus de fantaisie. L’occasion va se présenter. En effet, un feu ravageur va détruire la propriété et ses parents lui proposent d’aller quelque temps en ville chez une amie à eux.

Là-bas, un concours de circonstances va lui permettre de prendre le bateau pour l’Angleterre mais rien ne va se dérouler comme prévu. Sans mémoire, suite à une agression, elle est sauvée par un homme qui a accompagné son frère à la gare. Heureusement pour elle, c’est quelqu’un de bon et il l’aide. Mais dans le flou de son esprit, elle cherche sans arrêt à comprendre ce qu’elle fait là et pourquoi elle est venue. Petit à petit, les souvenirs remontent…

Bien qu’elle soit un peu entêtée, un tantinet naïve et pas très « respectueuse » des siens en fuyant sans explication, je me suis attachée à Cathie. Probablement parce qu’une fois dans la région de Liverpool, elle perd beaucoup de son arrogance et est plutôt humble et discrète, faisant tout ce qu’elle peut pour s’en sortir.

Elle n’avait sans doute pas imaginé (et le lecteur non plus) tout ce que son séjour allait lui révéler, concernant les non-dits et certains secrets familiaux. Cela met du piment dans le récit, c’est captivant et ça maintient bien notre intérêt, ce qui est parfait.

Si l’aspect historique de la période pendant laquelle se déroulent les événements est un peu reléguée au second plan, elle est malgré tout présente et adaptée. C’est le principal.

J’ai été écœurée par certains personnages. L’appart du gain, la volonté de puissance les entrainent à faire n’importe quoi pour y arriver. C’est malheureusement encore vrai de nos jours, pas forcément sous les formes évoquées dans ce livre mais ça existe.

À contrario, j’ai admiré que d’autres individus soient à l’écoute, attentifs et pas prêts à gober n’importe quoi. Un des notaires notamment est intéressant par son approche des faits. Il n’agit pas à la va vite, il prend le temps de se renseigner, de peser ce qu’il a appris pour agir le plus justement possible. On s’aperçoit aussi qu’à cette époque, les patrons ne prenaient pas toujours le temps d’être proches de leurs employés. Pour ces derniers, il leur fallait obéir, ne pas contrarier leur chef, faire ce qu’on leur demandait sans réfléchir et se taire. Même si parfois, ils avaient des velléités de révolte, c’était compliqué car ils avaient besoin de gagner leur vie pour se nourrir ….

Cette histoire m’a bien plus. L’écriture (merci à la traductrice) fluide et accrocheuse, le suspense, les démêlés des différents protagonistes m’ont permis de passer un excellent moment !


"Le chat du Rocher - Tome 5 : Meurtre dans un bain d’encre" de Sandra Nelson & Alice Quinn

 

Le chat du Rocher - Tome 5 : Meurtre dans un bain d’encre
Auteurs : Sandra Nelson & Alice Quinn
Éditions : Alliage (21 Janvier 2025)
ISBN : 978-2369100737
230 pages

Quatrième de couverture

Lors d’une séance de dédicaces de la célèbre auteure de thriller, Eustache Merleau,
son assistant est retrouvé assassiné dans les toilettes de la librairie. Stupeur, le meurtre s’inspire de son roman « Bain de minuit » en cours d’écriture. « Qui a eu accès au texte inachevé ? » s’interroge Calypso Finn, ancienne actrice de telenovelas au Brésil, reconvertie en brocanteuse sur le Rocher. À mesure que le manuscrit prend forme, la liste des meurtres s'allonge. Calypso parviendra-t-elle à trouver le coupable avant d’être la prochaine victime ?

Mon avis

Eustache Merleau, autrice de romans policiers est en dédicace sur le Rocher. Notre détective amateur, Calypso assiste à la séance en espérant récupérer quelques tuyaux car elle souhaite écrire un livre elle aussi. Elle l’a commencé d’ailleurs mais elle stagne. Alors venir dans la librairie où la reine du thriller va s’exprimer, c’est l’occasion d’être au cœur de l’action…

Si elle avait su….au cœur de l’action ? Rien n’est plus vrai puisque l’assistant d’Eustache est assassiné pendant cette rencontre. Une bien mauvaise publicité pour le futur titre de l’écrivaine … à moins que, au contraire, cet acte abominable ne dope les ventes. D’autant plus que le mort est retrouvé dans une mise en scène évoquée dans l’ébauche du dernier récit d’Eustache…

Qui a pu agir ainsi et pourquoi ? Qui avait intérêt à voir disparaître cet homme dévoué à sa patronne, même si, Calypso l’avait remarqué, quelques tensions s’étaient installées entre eux.

C’est au commandant de police Vadim Pavlov que l’enquête est confiée. Originaire du Nord, il n’est pas totalement épanoui car il n’aime pas ce coin mais depuis qu’il a tissé quelques tendres liens avec Calypso, ça va mieux…. En plus, elle est très observatrice, sait faire parler les gens et elle l’a aidé pour des affaires précédentes qu’ils ont résolu en « faisant équipe ».

Cette fois-ci, c’est presqu’officiellement qu’il lui demande de l’aide. Il ne sait pas trop par quel bout commencer ses investigations, parce que, pas de bol, il a déjà eu des problèmes avec Madame Merleau lorsqu’il officiait dans le Nord. Un crime inspiré de ce qu’elle avait écrit… mais il n’a jamais coincé le coupable et ça lui est resté en travers de la gorge. Il part donc avec un handicap et tout soutien sera le bienvenu, surtout si ça peut faire avancer les choses et empêcher un nouveau meurtre ! Il faut dire qu’une certaine tension règne entre les différents protagonistes. Eustache et Léon, son mari écrivain raté qui apprécie la compagnie de la divine bouteille, avec Diane Michel, l’éditrice qui a l’air de tout vouloir régenter et également avec Bibiche, le singe capucin, chouchou de madame, qui semble avoir ses têtes !

J’ai particulièrement apprécié cette nouvelle aventure de Calypso. J’ai aimé la place donnée à Poker, le chat qu’elle a pris en affection. Il a de bonnes remarques et on regrette souvent qu’il n’ait pas la parole ! Ses interventions apportent de la fantaisie dans le texte, du second degré, de la légèreté et c’est bien ! Bibiche aussi a un rôle et on réalise que les animaux sont, sans doute, beaucoup plus futés, que ce qu’on imagine.

Alice Quinn et Sandra Nelson ont parfaitement réussi cette histoire, ça se tient, c’est cohérent. Elles nous emmènent sur des fausses pistes, partagent les ressentis des uns et des autres, les progrès des recherches, et ça reste parfaitement fluide bien qu’écrit à quatre mains. Le style n’est pas heurté, c’est plaisant et agréable à lire. Retrouver leurs écrits, c’est savoir qu’on passera un bon moment avec du suspense, de l’humour, une pointe de sentiments amoureux et amicaux ainsi que des personnages hauts en couleurs (et pas seulement à cause d’un bibi orange ;- )


"Le Glouton" d'A.K. Blakemore (The Glutton)

 

Le Glouton (The Glutton)
Auteur : A. K. Blakemore
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Francoise Adelstain
Éditions : Globe (16 Janvier 2025)
ISBN : 978-2383613428
384 pages

Quatrième de couverture

Sœur Perpétue doit veiller sur un patient à propos duquel courent de glaçantes rumeurs. En proie à une faim dévorante et insatiable, Tarare aurait englouti toutes sortes d’objets et de créatures, mortes comme vivantes. Celui qui fut un jour un petit garçon candide au grand cœur a croisé, sur les routes d’une France en pleine Révolution, des hommes qui n’ont pas hésité à instrumentaliser son formidable appétit pour leur propre profit ou par curiosité malsaine. Attaché à son lit et sous haute surveillance telle une bête dangereuse, Tarare confie son histoire à la jeune nonne.

Mon avis

L’histoire du Glouton, appelé Tarare (comme le village du même nom dans la région), est inspirée d’une personne réelle, ayant vécu près de Lyon.

Le récit nous le fait découvrir sur son lit d’hôpital alors que Sœur Perpétue veille sur lui. Il accepte de se confier à elle et revient sur son passé. Né en 1772, il grandit avec sa mère dans des conditions misérables puis il doit fuir. Il est un peu naïf, fait confiance trop facilement et certains profitent de lui. D’autant plus qu’un peu comme une personne atteinte de la maladie de Pica, il mange sans arrêt, tout et n’importe quoi, même ce qui n’est pas mangeable pour le commun des mortels (il n’y a qu’à regarder le dessin de couverture…) Il sait que ce besoin sera toujours présent en lui et n’essaie pas de lutter.

« Tarare comprend que désormais son existence ne sera qu’un manque implacable, irrémédiable. Une éternelle souffrance. »

Alors quand il fait de nouvelles connaissances, lorsqu’il arrive dans un lieu où il est un inconnu, il attire l’attention et presque une forme de convoitise, non pas que certains rêvent d’être comme lui, mais plutôt dans l’idée de profiter de sa différence et de l’exploiter …

Maintenant qu’il arrive à la fin de sa route, menotté et couché, il a sans doute besoin d’expulser tout ce qu’il a vécu, ingéré. Comme si ce trop plein de nourriture accumulé tout au long de sa vie devait sortir… alors il parle, parle et la religieuse écoute.

« Il veut être écouté, se décharger de son fardeau d’une certaine manière. »

Le lecteur, médusé, attiré par ce parcours de vie hors du commun dévore (je vous rassure, au sens figuré) les pages. Ce n’est pas une attirance de mauvais goût, ce n’est pas de la pitié pour celui qui ne rentre pas dans la norme, c’est une fascination pour l’ambiance et l’écriture.

Ce texte transgressif devrait, pourrait, déranger mais il n’en est rien. Sans aucun doute parce que Amy Katrina Blakemore est une poétesse, qu’elle aime les mots et que ses phrases rendent Tarare attachant. C’est un homme simple qui n’a pas fait exprès d’être toujours affamé, de faire des rencontres qui ne l’aident pas. On réalise que si cette envie de manger n’était pas aussi présente, il aurait pu avoir une vie plus agréable, plus saine.

L’auteur a une écriture (merci à la traductrice) riche, imagée, avec des pointes d’humour. Elle décrit très bien les relations humaines, cet écart entre le dégoût et la fascination que Tarare provoque. Le vocabulaire est adapté et en lien avec la période évoquée. Les activités, le décor, la vie quotidienne sont également bien en rapport avec l’époque où se déroulent les faits. Dans cette France révolutionnaire, quelle peut être la place d’un homme comme Tarare ? Bête de foire, paria, tête de turc ? À travers cette « fable » qui le présente, tous les rejetés, les laissés pour compte, les mal aimés, tous ceux et celles, dont on oublie qu’ils sont humains parce qu’ils nous mettent mal à l’aise, se glissent entre les lignes pour nous rappeler le droit à la différence.

Lu d’une traite, ce livre original est une totale réussite.


"Le vent passe et la nuit aussi" de Milena Agus (Notte di vento che passa)

 

Le vent passe et la nuit aussi (Notte di vento che passa)
Auteur : Milena Agus
Traduit de l’italien par Marianne Faurobert
Éditions : Liana levi (16 Janvier 2025)
ISBN : 979-1034910250
178 pages

Quatrième de couverture

Rêver est un droit. Un droit que revendique Cosima, la narratrice, qui porte un regard poétique et fantasque sur son quotidien. Quand elle quitte en fin de semaine Cagliari et son lycée pour rejoindre le village où vit sa grand-mère, toujours habillée en noir, son univers est habité par les personnages de ses auteurs préférés : Tchekhov, Tolstoï, Brontë et Deledda, icône de la Sardaigne. C’est dans un roman qu’elle se projette donc quand elle croise, dans le village d’origine de sa famille, le berger Costantino Sole.

Mon avis

Rêver est un droit absolu.

Cosima, la narratrice, est une jeune fille qui aime « littératurer » son quotidien.

«[…] je littératurais, sur les conseils de ma professeure de lettres, enrichissant en imagination les modèles originaux des choses, des personnes et des situations pour les rendre plus palpitantes. »

Elle rêve et s’invente une « autre réalité », le plus souvent, largement inspirée de ses lectures. Elle aime lire les grands classiques, les « visionner » dans son esprit et faire « comme si » les personnes qu’elle rencontre étaient issues de ces histoires qu’elle apprécie. Elle revendique haut et fort ce droit de rêver, de s’offrir des ouvertures vers d’autres possibles. Sans doute pour ne pas penser à ce qu’elle vit réellement dans une famille où l’argent manque cruellement.

« [..] je refusais tout simplement de perdre du temps avec les pires aspects du monde tant j’avais hâte de me réfugier dans le mien. »

On découvre sa mère et sa grand-mère, trois générations de femmes. Cette mamie qu’elle va rejoindre le week-end dans son village où elle espère croiser le berger, Costantino Sole, pour, peut-être, un grand amour. Il lui semble tout droit sorti d’une de ses lectures. En ville, à Cagliari, en semaine, c’est son meilleur ami, « signorino bandito » qui l’intéresse. Il vit avec ses parents qui sont très riches mais il ne veut pas de leur fortune. Chaque fois qu’il est en vacances, il part en mission humanitaire dans les pays pauvres. Il a grandi à Cuba et pour lui solidarité et partage sont indispensables. Ils s’entendent très bien, parlent en confiance et se respectent dans leurs différences.

Cosima a besoin de ces deux lieux, totalement différents, pratiquement à l’opposé l’un de l’autre, pour son équilibre. C’est la Sardaigne et ses contrastes. Suivant où elle se trouve, elle se glisse « dans les pages » du roman qui va bien, en phase avec ce qu’elle y vit.

« Madame, j’ai compris de quelles pages je devais m’échapper et dans quels livres je devrais rentrer. »

Quand elle va vers sa mamie, elle rapporte des œufs, des légumes pour améliorer les repas. La famille s’est installée à Cagliari parce que la mère aspirait à un monde plus juste où ils auraient pu s’en sortir financièrement …. Mais il faut compter sans arrêt, gérer la moindre dépense, faire des choix….

Cosima a besoin de rêver mais jusqu’où cette façon de fonctionner peut-elle l’accompagner ? N’est-il pas indispensable qu’elle garde les pieds sur terre pour ne pas souffrir d’un dur retour à la réalité ? C’est ce qu’on pourrait penser, en toute logique, mais « littératurer » lui est indispensable et on la comprend !

Dans ce récit, des citations extraites de livres sont glissés çà et là, des allusions sur Grazia Deledda, la seule écrivaine italienne à avoir reçu le Nobel de littérature. J’ai aimé sa construction, en lien avec les saisons, avec un printemps détaillé sur plusieurs mois …

L’écriture (merci à la traductrice) de Milena Agus est toujours aussi belle, poétique, pleine de sens, donnant une place à la nature, aux protagonistes comme si tout était là, sous nos yeux. Elle offre un regard magnifique sur la littérature qu’on la lise, l’enseigne ou l’écrive, elle nous rappelle qu’on la fait vivre !


"La cadette de mes soucis" de Marjolaine Solaro

 

La cadette de mes soucis
Auteur : Marjolaine Solaro
Éditions : L’Archipel (16 Janvier 2025)
ISBN : 978-2809851809
354 pages

Quatrième de couverture

Un mariage heureux, un petit garçon en pleine santé, une petite fille en route, un film en préparation : tout sourit à Églantine, jeune réalisatrice ambitieuse. Alors qu'elle maîtrise son quotidien au millimètre près pour tout concilier, une jaunisse nécessite son hospitalisation. Les spécialistes se succèdent à son chevet sans pouvoir identifier ce dont elle souffre, laissant planer des doutes sur sa santé et celle de son bébé. La vie entière de la jeune femme se trouve chamboulée par cette mystérieuse maladie qui vient révéler des secrets familiaux inattendus.

Mon avis

On est en 2009, Églantine est heureuse. Son mari, Matthieu, la soutient et la comprend, leur petit Léo, vingt mois, est gai, enjoué et facile à vivre. En ce qui concerne sa vie professionnelle, elle va tourner son premier film en tant que réalisatrice. Elle est enceinte d’un deuxième enfant mais tout se passe bien. Rien ne manque à son bonheur !

Pour bien s’organiser, ne pas perdre de temps, son emploi du temps est cadré, minuté, rien n’est vraiment laissé au hasard car tout doit bien s’enchaîner. Et puis un jour, patatras, tout est remis en cause. La faute à une vilaine jaunisse, mettant en danger Églantine et le bébé qu’elle attend. Elle ne veut pas être hospitalisée, pas maintenant, alors que son premier film va être lancé. Elle n’a pas le temps, pas envie, pas le goût et puis d’abord son fils a besoin d’elle et elle doit bosser…

Elle comprend qu’elle n’a pas le choix. Sa vie est en danger, celle de l’enfant qu’elle porte aussi. Elle doit rester sous surveillance pour une durée indéterminée…. Elle pleure, tempête, râle mais elle est bien obligée d’accepter. À partir de ce moment, ses priorités changent, elle doit faire « le deuil » de certains événements pour se préserver et ne pas accoucher trop tôt.

Avec beaucoup de doigté, de finesse, Marjolaine Solaro raconte le quotidien de cette maman qui n’est plus chez elle, qui doit garder un lien fort avec son fils malgré les jours qui passent. Elle présente les relations médecins / malades ou entre hospitalisées. Ces liens qui se créent, qui peuvent être très forts. Elle explique combien il est difficile d’attendre sans savoir et sans pouvoir agir. Elle rappelle qu’il ne faut pas se décourager ni baisser les bras. Elle n’en fait pas trop, elle ne sombre pas dans le pathos, elle présente les faits, tels qu’ils sont.

L’essentiel de l’histoire se déroule en 2009 et Églantine s’exprime à la première personne. Et puis, il y a deux retours en arrière en 1976 et en 1942. Ils sont nécessaires pour cerner le passé des parents et grands-parents de cette femme et ainsi analyser les relations qui se sont mises en place. En fin d’ouvrage, un arbre généalogique aide, si besoin, à repérer les personnages.

Dans ce livre, de beaux portraits de femmes sont présentés. En fonction de l’époque où elles ont vécu, les situations n’étaient pas perçues de la même façon et l’accompagnement était différent. Y-a-t-il de bonnes ou mauvaises décisions ? A-t-on toujours le choix ?

Malgré la gravité des thèmes abordés, le deuil, la prématurité, les non-dits etc, l’écriture est teintée d’humour, bien dosé, pour alléger un peu le texte entre deux propos graves. C’est très bien fait. J’ai aimé les explications des prénoms féminins de fleurs (bravo à l’amie de l’auteur qui a dessiné les fleurs en tête de chapitre). Le style est très vivant. Bien que le récit se déroule souvent à l’hôpital, il y a du mouvement, de l’action.

J’ai pensé à toutes ces femmes qui vivent des situations semblables à celle qui sont décrites. Se confier, se taire, se renfermer sur soi, se protéger avec une carapace, déprimer et s’enfoncer, lutter et se relever ? Les options sont nombreuses. Qu’aurais-je fait à leur place ?

Ce roman m’a émue. C’est une belle découverte !


"Un brin de larmes" de N'nan Tessougue

 

Un brin de larmes
Auteur : N’nan Tessougue
Éditions : 5 sens (15 Décembre 2024)
ISBN : 978-2889497096
176 pages

Quatrième de couverture

Tout commence sans doute par le nerf de tout, l’amour sous toutes ses formes. Lorsque la passion et la curiosité se saisissent de son jeune esprit, Assinia, une adolescente, décide de se vouer entièrement à son rêve : devenir une femme libre par le travail. Cette ambition ne trouve point l’écho escompté auprès de son géniteur, un fervent serviteur des traditions. Pour ce dernier, nul besoin de rêvasser lorsqu’il est possible à une femme d’épouser l’homme idéal. Partant de cette contradiction entre les objectifs de la jeune fille et les projets de son père, Assinia est loin d’imaginer que sa vie sera parsemée d’embuches et qu’il lui incombera de relever tous les défis que sont notamment l’amour, le deuil, la trahison, les violences conjugales et bien sûr la force du pardon.

Mon avis

Assinia a quatorze ans, du caractère, une envie folle de choisir sa vie et le souhait d’échanger, de parler avec les adultes. En classe, elle « ose ». Non pas qu’elle tienne tête à ses professeurs, mais elle éprouve le besoin de discuter, d’aller au fond des choses, de partager ses pensées. Et un jour, elle se lance, malgré le tabou inculqué par sa famille, elle parle de l’excision, censée canaliser les pulsions sexuelles féminines. Son enseignant lui répond, en toute franchise et l’espoir d’échapper à cette mutilation germe dans son cœur.

Mais elle grandit et comme le veulent certaines coutumes, son père décide pour elle. Ce sera l’excision. Ensuite, on la « donnera » à un homme. Pas le choix, même si sa mère essaie de la soutenir et de l’aider à fuir.

Assinia ne fait plus confiance car elle a trop souffert. Mais elle ne baisse pas les bras, elle combat pour avoir un métier et comme elle a été blessée, elle sera soignante. Le chemin sera ardu, plein d’obstacles. Rien ne lui sera épargné mais elle continuera d’avancer sans jamais se relâcher.

C’est un récit douloureux, écrit dans une langue très soutenue et parfois surprenante, ce qui m’a parfois un peu gênée car j’avais, quelques fois, l’impression que ça « alourdissait » le texte.

« Les médisances avaient le don de me courroucer. »
« Et votre tentative arrogante que de vouloir m’embrasser, eut l’écho d’une vérité longtemps refoulée. »

Les nombreux dialogues sont, eux aussi, dans un style châtié, recherché. Quelques expressions m’ont déroutée, comme si elles étaient suisses ou belges.

Malgré ces petits « bémols », ce livre est bouleversant. L’auteur aborde des sujets graves sans pathos, elle parle de faits existants, de tout ce quotidien compliqué où il faut se battre chaque jour contre les traditions ancestrales, difficilement remises en cause….

Combien de ces femmes, en 2025, doivent encore lutter contre tout ça ? Ne les oublions pas ….

PS : de beaux poèmes sont inclus dans ce recueil.


"Tu as amené avec toi le vent" de Natalia García Freire (Trajiste contigo el viento)

 

Tu as amené avec toi le vent (Trajiste contigo el viento)
Auteur : Natalia García Freire
Traduit de l’espagnol (Équateur) par Isabelle Gugnon
Éditions : Christian Bourgois (9 Janvier 2024)
ISBN : 978-2267053920
162 pages

Quatrième de couverture

Cocuán, un village perdu et oublié, coincé entre la jungle et la Cordillère des Andes. C’est là que Mildred est née et qu’elle a été dépouillée, après la mort de sa mère, de ses animaux, de sa maison et de sa terre.Des années plus tard, Cocuán devient le théâtre d’événements étranges, disparitions, accès de folie et divagations. Les habitants se rappellent alors la légende de la vieille Mildred et ressentent à nouveau l’ombre de la mort qui hante le village depuis lors.

Mon avis

Quand Mildred est née, elle a amené le vent avec elle. Celui qui se faufile partout, qui sème les cypsèles des pissenlits, qui calme le bétail, celui qui est chaud, doux…Un vent qui n’a pas peur. Mildred ne doit pas l’oublier, c’est le dernier message de son père au moment du décès de sa mère. Et il quitte la maison. À ce moment-là, elle se retrouve seule avec ses cochons et sa truie. Elle reçoit des visites de ceux qui semblent s’inquiéter pour elle. Il faut dire qu’elle est atypique, on ne sait pas tout sur elle, sans doute parce qu’on n’en a pas besoin pour s’imprégner de ce personnage mi fée mi sorcière.

 À Cocuán, dans ce village au milieu de nulle part pas loin de la Cordillère des Andes où Mildred vit, un peu isolée, loin du bourg, les habitants décident pour elle. Ils ne font pas preuve d’empathie, comme s’ils avaient peur d’elle, comme si elle détenait des pouvoirs à exorciser par le feu. C’est dur, violent et elle souffre …

Et puis Mildred se tait, un autre narrateur prend le relais, il y en aura neuf en tout. Chacun a ses propres perceptions des faits, ses ressentis. Il s’en passe dans ce coin perdu. Conflits, secrets, mystères, on n’aura pas toutes les explications, la logique n’habite pas ce pays-là. Chacun raconte avec son style, son vocabulaire, ses mots, sa poésie. Il est là le tour de force de l’auteur. Ce n’est pas linéaire. On ne comprend pas tout mais … est-ce indispensable ?

La nature tient une grande place dans ce roman, les plantes, les animaux, le vent … comme autant d’éléments vivants, bruissants, frémissants, vibrants. Les raconteurs se succèdent, les points de vue se croisent, s’entrecroisent. On est dedans, en haut, sur le côté … On entend les cris, les chuchotements, les chants … tout ce qui est décrit nous touche ou nous atteint, voire nous envoute ….

Il y a quelque chose de magique, une force fantasmagorique dans le phrasé. J’ai eu le sentiment d’être au cœur d’un cerveau habité par des cauchemars, des rêves, des visions … C’est inexplicable mais ce qui l’est, c’est que malgré les questions qu’on peut légitimement se poser, cette écriture (merci à la traductrice) a quelque chose de magnétique. Elle attire et vous prend dans ses rets.

Natalia García Freire a un imaginaire riche, surprenant, presque déstabilisant mais qui vaut le détour. Elle prend des risques dans sa façon de rédiger mais c’est ça sort des sentiers battus, ça oblige le lecteur à accepter « le jeu » qui consiste à laisser son esprit cartésien autoriser l’inattendu, la rencontre avec un univers onirique, coloré, qui le laissera l’œil rêveur et la tête levée vers le ciel étoilé…

NB : La couverture est bien pensée, vraiment magnifique !


"Ravagés de splendeur" de Guillaume Lebrun

 

Ravagés de splendeur
Auteur : Guillaume Lebrun
Éditions : Bourgois (9 Janvier 2025)
ISBN : 978-2267053524
154 pages

Quatrième de couverture

Rome, début du IIIe siècle. Les intrigues et les complots de sa famille portent le jeune Héliogabale à la tête de l’Empire romain, inaugurant un règne de rage et de fureur. Soutenu par sa femme, la Grande Vestale Aquilia, et l’ancien esclave Hiéroclès, avec lesquels il forme un trio amoureux, l'Empereur devient Impératrice et met Rome au défi en multipliant les scandales. Jusqu'à sa mort brutale, Héliogabale tentera d'instaurer une liberté absolue au cœur de cet Empire sclérosé par la peur : une liberté sexuelle, une liberté de culte, une liberté d'être.

Mon avis

D’abord, il y a cette couverture où la statue du jeune Héliogabale est « colorée » par des fleurs. On dirait qu’elles ont été jetées sur un corps « abandonné » dans toute sa langueur amoureuse. Peut-être pour le mettre en valeur par les couleurs ou le cacher un peu, l’air de rien, avec quelques feuilles ou pétales. Peu importe, elle attire l’œil, comme le titre et donne envie de se pencher sur le texte introduit par cette photographie.

On rentre alors dans ce livre, totalement atypique par le contenu et l’écriture. Pétillant, audacieux et irrévérencieux mais jamais vulgaire. Ils sont trois à s’exprimer, le titre du chapitre précisant celui ou celle qui prend la parole.

On est au début du troisième siècle et après des manipulations et des tricheries, c’est le jeune Héliogabale qui se retrouve à la tête de l’Empire romain.

Dans le premier chapitre, c’est Aquilia, une des Vestales qui prend la parole. Elle est au temple depuis qu’elle a cinq ans. Elle doit donner trente ans de sa vie et veiller à ce que le feu ne s’éteigne jamais. Elle est obligée de rester encore et toujours, obéissante et dévouée. Mais les autres femmes lui parlent de ce jeune homme qui est à la tête de l’Empire… Elle voudrait poser des questions sur lui mais elle n’y arrive pas.

« Je suis déjà soumise ici, la liberté qui m’est octroyée est une singerie : que l’Empereur soit fou ou philosophe, nous devrons obéir à ses caprices, […] »

Et puis un soir, il vient et c’est la rencontre, l’explosion de tous les sens même si, dans un premier temps, l’amour physique n’est pas présent. Ensuite c’est la découverte du corps, des corps. Héliogabale ne veut pas du sien, il est mal, il veut être « elle », se débarrasser de cette enveloppe extérieure qui ne lui convient pas pour découvrir le plaisir sous toutes ses formes, comme il/ elle le souhaite.

Le Graal sera d’être trois, de vibrer de chaque parcelle de son corps pour se sentir devenir femme. Parce que Héliogabale est sans doute un des premiers à avoir eu le cran de renier ce qu’il était et de montrer qu’il se sentait « autre ».

Mais un empereur a-t-il le droit à la parole, à la désobéissance ? Peut-il dire qu’il rejette le sexe qu’il possède entre les jambes, qu’il veut être femme parce qu’il se sent femme tout simplement ? Celui-ci a osé. Il s’est révolté, imposé, prêt à tout risquer, même sa vie pour croiser la route du bonheur même brièvement.

Avec lui, devrais-je écrire « elle » par respect ? Avec Héliogabale, le mot « liberté » prend tout son sens. Affranchi-e du « qu’en dira-ton » (ce qui, pour l’époque est exceptionnel, il/elle ne se met aucune limite et n’en supporte pas. C’est un peu une révolution culturelle !

L’auteur a choisi de nous offrir le portrait d’un personnage historique peu connu qui a remis en question la thématique du « genre ».  Il aborde également, en filigrane, tout ce qui concerne le pouvoir et ce qu’on en fait.

Ce récit est un vrai feu d’artifice !

"Mickey Haller -Tome 7 / Harry Bosh - Tome 37 : Sans l’ombre d’un doute" de Michael Connelly (Resurrection Walk)

 

Mickey Haller -Tome 7 / Harry Bosh - Tome 37  : Sans l’ombre d’un doute (Resurrection Walk)
Auteur : Michael Connelly
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert pépin
Éditions : Calmann-Levy (4 Septembre 2024)
ISBN : 978-2702189030
452 pages

Quatrième de couverture

Après avoir fait libérer un homme de prison, l’avocat Mickey Haller est inondé de demandes de détenus clamant leur innocence. Pour étudier leurs dossiers, il embauche son demi-frère, l’ex-inspecteur du LAPD Harry Bosch. Un seul cas retient l’attention de ce dernier : une mère accusée d’avoir tué son ex-mari, adjoint des services du shérif, lesquels se sont montrés pressés de « rendre justice » à l’un des leurs. Haller exige que l’affaire soit immédiatement rejugée. Tandis que Bosch se lance sur les traces du véritable assassin, l’avocat à la Lincoln lutte contre l’impitoyable machine judiciaire de l’État de Californie. 

Mon avis

Moi, mon chouchou c’est Harry Bosh, surtout à ses débuts. Maintenant, il y a des hauts et des bas, des intrigues qui m’accrochent plus ou moins. Cette fois-ci, il croise Renée Ballard, mais pas longtemps et il bosse avec son demi-frère Mickey Haller, pour bénéficier d’un programme de soins. Cela fait déjà quelques livres qu’il vieillit et traîne sa maladie… Est-ce que l’auteur se prépare à se séparer de lui ?

Dans ce récit, Mickey Haller, l’avocat à la Lincoln (il travaille dans sa voiture) a fait libérer un homme, accusé à tort. Alors, forcément, les demandes pour des cas censés être similaires affluent sur son bureau. C’est Harry qui les passe en revue et fait le tri. Une affaire attire son regard : une femme accusée d’avoir tiré sur son mari, adjoint des services du shérif Les collègues de l’époux, sans doute désireux de venger l’un des leurs, ont, semble-t-il, été un peu vite en besogne. Mickey donne son accord pour examiner tout ça de plus près et les deux hommes se répartissent les tâches.

Harry mène l’enquête, utilisant parfois des moyens illicites (ça lui correspond bien) avec l’aide de quelques personnes, dont certaines croisées dans d’autres histoires. Haller, lui, se consacre à tout ce qui concerne le procès, les vices de procédure éventuels, les témoins qui ont peut-être menti, la vérification des indices prouvant la culpabilité de sa cliente, le « travail » effectué par son premier conseil, etc.

La question principale pour tous les deux est : qu’est-ce qui a poussé cette femme à accepter d’être jugée pour homicide involontaire afin d'éviter la réclusion à perpétuité ? Est-ce l’espoir d’une réduction de peine afin de retrouver son fils et de l’empêcher de virer mal au contact des bandes de leur quartier ? Comment lui a-t-on présenté les choses ? Avait-elle une autre solution ?

Chacun de leur côté, ils vont agir et rapidement, ils comprennent que leurs investigations dérangent, on essaie même de leur faire peur afin qu’ils renoncent. Ils ne sont pas du genre à se laisser impressionner mais ce n’est pas simple quand ceux qu’ils aiment risquent de se retrouver en danger.

Toujours est-il que pour que le procès soit révisé, il est nécessaire d’obtenir de nouveaux éléments et ça ce n’est pas aisé. Surtout qu’il faut, en outre, envisager que l’avocat d’en face peut, soit retourner tout ça à son avantage, soit montrer qu’il n’y a rien de neuf et que ce n’est pas recevable. D’où une vigilance extrême qui est de mise avant d’aller plus en avant.

J’aime toujours autant observer l’évolution des personnages et des investigations. La maladie de Harry le ralentit et parfois les « officiels » remettent sa crédibilité et ses déductions en cause. Haller est finaud, il sait se servir de son expérience pour faire évoluer une situation comme il le souhaite, quitte à prendre des risques. Petit à petit, comme avec un puzzle, les pièces s’emboîtent …

Traduit par le fidèle Robert Pépin, qui est d’ailleurs devenu ami avec Connelly, ce nouveau roman n’est, certes, pas le meilleur, mais défend bien sa place dans les « bons », voire très bons (je n’ai pas écrit « excellents ») de cet écrivain. Cette aventure se lit sans aucune difficulté, c’est fluide, avec des dialogues bien sentis (notamment au tribunal où Mickey est génial !) et juste ce qu’il faut de rebondissements pour maintenir notre intérêt !

Une lecture plaisante !

"Comme des pas dans la neige" de Louise Erdrich (Tracks / Four Souls)

 

Comme des pas dans la neige (Tracks / Four Souls)
Auteur : Louise Erdrich
Traduit de l’américain par Michel Lederer
Éditions : Albin Michel (4 Novembre 2024)
ISBN : 9782226469656
448 pages

Quatrième de couverture

Hiver 1912. Le froid et la famine s’abattent sur une réserve du Dakota du Nord alors que les Indiens Ojibwés luttent pour conserver le peu de terres qu’il leur reste. Décidée à venger son peuple, Fleur Pillager entreprend un long périple qui la mènera jusqu’à Minneapolis. Racontée tour à tour par Nanapush, un ancien de la tribu, et Pauline, une jeune métisse, l’aventure de la belle et indomptable Fleur donne lieu à un roman puissant et profond, où le désir de vengeance finit par céder à celui, plus fort encore, de se reconstruire.

Mon avis

Aux Etats-Unis, ce livre a été écrit et publié en 1988 pour la première partie et 2004 pour la seconde (jamais paru en France). En français, les deux sont réunies dans un seul recueil.

Le trait d’union est Fleur Pillager, une femme indomptable qui emplit les pages de son caractère fougueux, de sa vie, faite de nombreuses luttes. C’est un récit choral. Dans « Traces », ce sont Nanapush, un vieil homme et Pauline, une jeune métisse qui présentent les événements. Les chapitres (au nombre de neuf) sont longs et couvrent la période 1912 à 1924. On découvre que Fleur est une survivante, et on la suit dans son quotidien. Parfois, on s’interroge, les narrateurs sont-ils fiables ou interprètent-ils les faits ? Fleur porte-t-elle vraiment malheur ou le destin s’acharne-t-il sur ceux qu’elle côtoie ?

Dans « Quatre âmes », plusieurs personnes s’expriment et présentent ce qu’a fait Fleur pour venger son peuple. Quand elle commence à mettre en place des actes pour punir, un de ceux qu’elle rencontre lui demande qui elle est. Elle répond :

« Je suis le bruit que faisait le vent dans mille aiguilles de pin. Je suis le silence à la racine. »

Louise Erdrich, comme à son habitude, pose de vraies réflexions sur la vie des indiens. Elle n’occulte pas le fait que certains problèmes viennent de leur mode de vie quand l’alcool et l’argent les ont éloignés de la « réalité ».

« Nos ennuis sont venus de notre mode de vie, de l’alcool et du dollar. Trébuchant, nous nous sommes jetés sur l’appât utilisé par le gouvernement sans jamais regarder à nos pieds, sans jamais remarquer comment la terre nous était enlevée sous chacun de nos pas. »

Elle analyse les rapports humains avec une grande finesse, elle décortique l’évolution de « son » peuple, qui autrefois ne laissait pas de traces, et qui, maintenant laisse une profonde empreinte sur la terre. Elle ne veut pas qu’on oublie tous ces groupes à qui le gouvernement a volé des terres. Elle rappelle qu’à ces vols, se sont ajoutées la famine et des conditions de vie épouvantables.

C’est un récit de « mémoire » et de transmission, tâches ardues que ne lâchera jamais la talentueuse Louise Erdrich.

Ses mots, portés par une écriture (merci au traducteur) toujours aussi lumineuse, empreinte de poésie, font mouche, ils sont comme autant de traces, non pas dans la neige, au risque de s’effacer, mais dans notre cœur où ils resteront gravés.

"La liste" de Florian Dennisson

 

La liste
Auteur : Florian Dennisson
Éditions : Chambre noire (15 Décembre 2019)
ISBN : 9791095383307
290 pages

Quatrième de couverture

Quatre noms sur une liste. Quatre victimes introuvables. Comment les identifier et briser le silence ? L’adjudant Maxime Monceau, spécialiste du langage non verbal, se voit chargé d’enquêter sur une affaire mystérieuse qui met la Brigade de recherches dans une impasse. Un homme étrange s’est présenté de lui-même à la gendarmerie pour s’accuser d’assassinat. Problème, hormis une unique phrase qu’il psalmodie en boucle, l’inconnu reste totalement muet sur son identité et les raisons qui l’ont poussé à l’acte. L’horloge tourne et, sans constatations ni victimes, ce suspect pourrait se retrouver en liberté et continuer sa folie meurtrière.

Mon avis

Maxime Monceau, adjudant à la gendarmerie près d’Annecy reprend le travail après un long arrêt. Il est encore sous anxiolytiques et pas complètement serein à l’idée de reprendre. On sent, dès le début, que son histoire personnelle est lourde et qu’elle lui encombre le cerveau parfois. Il lui faut alors prendre du recul, évacuer tensions et angoisses.

Voilà que débarque à la gendarmerie un homme bizarre qui s’accuse de « tous les avoir tués ». Il répète cette phrase en boucle et les enquêteurs n’obtiennent rien de lui. Un seul indice : une carte de visite dans une de ses poches. Partant de ce maigre élément, les hommes et femmes de la Brigade de recherches vont tout faire pour remonter le fil et comprendre.

Maxime a une formation de synergologue, il étudie le langage corporel pour voir s’il est en adéquation avec le langage verbal. Lorsqu’il va inspecter un lieu, il demande en premier d’en faire le tour les yeux fermés pour s’imprégner des odeurs, des bruits. Le nouveau collègue avec qui il doit faire équipe n’est pas convaincu par cette façon de fonctionner. Leur binôme n’est pas fluide et il essaie sans arrêt de déstabiliser Maxime.

Dans cette unité, on observe quelques désaccords et la communication est quelques fois compliquée. Certains ne disent pas tout (dont Maxime), d’autres tentent de manipuler.

Le lecteur suit les investigations des uns et des autres. Les rebondissements, les obstacles sont nombreux pour maintenir un bon rythme. L’écriture est fluide. L’auteur dit souvent que Maxime est synergologue, mais comme c’est un point important de ses déductions, il a sans doute peur qu’on l’oublie.

Une lecture plaisante et une fin surprenante !

 

NB : Je sais que ce titre est le premier d’une trilogie mettant en scène Maxime Monceau. J’espère que la suite permettra de mieux le cerner et de comprendre tout ce qui le ronge.


"Vers le soleil" de Julien Sandrel

 

Vers le soleil
Auteur : Julien Sandrel
Éditions : Calmann-Levy (24 février 2021)
ISBN : 978-2702166376
270 pages

Quatrième de couverture

14 août 2018. Tess part vers la Toscane, où elle doit rejoindre pour les vacances sa fille Sienna et l’oncle de celle-ci, Sacha. Mais alors qu’elle fait étape chez sa meilleure amie à Gênes, un effroyable grondement ébranle la maison, et tout s’écroule au-dessus d’elle. Une longue portion du pont de Gênes vient de s’effondrer, enfouissant toute la zone. Tess est portée disparue. Lorsque Sacha apprend la catastrophe, c’est tout leur univers commun qui vole en éclats. Tous leurs mensonges aussi. Car Sacha n’est pas vraiment l’oncle de cette petite fille de neuf ans : il est un acteur, engagé pour jouer ce rôle particulier quelques jours par mois, depuis trois ans. Un rôle qu’il n’a même plus l’impression de jouer tant il s’est attaché à Sienna et à sa mère.

Mon avis

Une nuit d’insomnie et ce livre est lu. En effet, avec une histoire, un peu improbable mais prenante, Julien Sandrel m’a pris dans ses rets.

Peu importe que l’on soit un peu loin de la réalité, les personnages sont attachants. Sacha est apprenti comédien, mais il ne croule pas sous le travail. Il rencontre Tess dans un café, ils échangent quelques mots, il est drôle et lui laisse son numéro de téléphone avec un message amusant.

Tout aurait pu s’arrêter là mais quelque temps plus tard, Tess le contacte pour tenir un « rôle » dans la vie de sa fille. Cette petite manque de repères masculins et Sacha pourrait être, par exemple, son oncle. Le temps passe, les liens se créent et leur « petite entreprise » fonctionne plutôt pas mal.

Jusqu’à un drame qui fait que Sacha se retrouve seul avec la fillette sans nouvelles de Tess qui est portée disparue. Il n’a aucun droit sur elle et certaines personnes veulent récupérer cette enfant. Comment Sacha va-t-il gérer tout ça ? Sur qui peut-il compter ?

L’écriture fluide est très plaisante. Les rebondissements bien dosés maintiennent notre intérêt. Les pages s’enchaînent et on a le souhait d’un heureux dénouement.

J’ai passé un bon moment, à la fois grave et léger avec ce roman.


"Les gens qui rêvent" de Guillaume Martin-Guyonnet

 

Les gens qui rêvent
Auteur : Guillaume Martin-Guyonnet
Éditions : Grasset (30 Octobre 2024)
ISBN : 978-2246834779
320 pages

Quatrième de couverture

Un jeune cycliste s’entraîne sur les routes ombragées de la campagne normande. Le vélo n'est pas encore son métier. Le Tour de France n'est encore qu'un astre lointain. À quinze ans, il profite simplement du moment, de la nature, de son souffle qui commence tout juste à se poser. Cinquante ans plus tôt, un garçon de ferme contemple les étoiles, un soir d’été, allongé dans un champ ; il a le cœur rempli de rêves. Au seizième siècle, enfin, un érudit humaniste, penché sur son pupitre, est occupé à noircir des manuscrits devant la cheminée de son manoir. Trois personnages. Trois époques. Trois destins. Des siècles les séparent mais un même lieu les rassemble : le domaine de La Boderie, en Suisse Normande.

Mon avis

La tête et les jambes….

Né en 1993, Guillaume Martin-Guyonnet est cycliste professionnel et titulaire d’un master de philosophie. Il a déjà écrit une pièce de théâtre et deux essais. Ce livre est sans doute le plus personnel de ses écrits puisqu’il parle de lui et de son père.

Il entrecoupe trois destins, unis par un même lieu : le domaine de La Boderie. Il évoque la vie de trois hommes, dont lui, avec ce qu’il sait, ce qu’il a retrouvé, recoupé grâce à des informations. Et lorsqu’il ignore quelque chose, il essaie de, non pas deviner, mais déduire pour comprendre les événements du passé.

On fait connaissance avec Guy Lefèvre de la Boderie en Août 1567. C’est un « raconteur » d’histoires qui a voyagé, écrit, traduit. L’auteur fait un parallèle avec lui car il dit : « …il me fait pense à un coureur, un « bouffeur de vent du savoir », porté par une folle ambition. »

En Juin 1954, c’est Dani, le père de Guillaume qui apparaît. Un petit garçon qu’on verra grandir. Les livres l’attirent, et à défaut d’écrire il travaillera en imprimerie, en commençant par être apprenti typographe.

Le troisième, c’est Guillaume lui-même et lorsqu’il s’exprime en son nom, il emploie le « je ». Alors qu’il effectue sa huitième année chez les professionnels, il réalise que : « L’écriture devient alors pour moi presque un besoin, pour évoquer, voire évacuer les questionnements, pour m’occuper. »
Il analyse finement son propre rapport avec l’écriture.

Il explique sa relation avec son vélo, la souffrance physique qu’on oublie face à la réussite du challenge sportif. Les questions parfois, en se demandant à quoi bon tout ça, si on a des résultats moyens… Il revient sur la place de sa bicyclette pendant le confinement lorsque les kilomètres étaient comptés.

« Oui, le sport est un art, parce que comme l’art il est sans raison. »

Ses remarques et réflexions sont très « philosophiques, il va loin. Il se remet en cause. Il établit des comparaisons entre ses trois personnages, nous faisant voyager à travers le temps. Son style est affirmé, profond, intéressant. J’ai été surprise par ce que j’ai lu : c’est très abouti.

Je ne connaissais ni le cycliste ni l’écrivain, mais je vais suivre les deux !


Le cri de la terre de Sarah Lark (Der Ruf des Kiwis)

 

Le cri de la terre (Der Ruf des Kiwis)
Auteur : Sarah Lark
Traduit de l’allemand par Jean-Marie Argelès
Éditions : Archipel (2 septembre 2015)
ISBN : 978-2809817348
700 pages

Quatrième de couverture

Gloria, l’arrière-petite-fille de Gwyneira McKenzie (la jeune Anglaise qui débarquait sur les côtes de la Nouvelle-Zélande dans Le Pays du Nuage blanc), a joui d’une enfance et d’une adolescence idylliques à Kiward Station, la ferme familiale. Mais tout s’effondre quand ses parents – pourtant absents car pris par la carrière de cantatrice de sa mère – lui font savoir qu’il est temps pour elle de devenir une véritable lady. Gloria doit alors tout quitter et faire ses adieux à ceux qui l’entourent, en particulier son cousin Jack, dont elle est très proche. Destination l’Angleterre et un austère pensionnat ! Contrainte de se plier aux règles strictes de l’établissement, incapable de s’intégrer, Gloria se retrouve plus seule et démunie que jamais.

Mon avis

Pour ce dernier tome, nous commençons en 1907 pour plusieurs années puisque la première guerre mondiale et ses ravages seront évoqués.

Nous suivons Gloria, dont les parents ne sont pas très présents (sa mère est chanteuse et va de pays en pays avec son mari), envoyée en Angleterre pour étudier dans un établissement austère. Cela ne lui correspond pas, elle est malheureuse, elle « s’éteint » petit à petit. Sa cousine qui est avec elle, ne vit pas les choses de la même façon. Comment Gloria va-t-elle tenir bon en étant aussi mal dans sa peau ?

En parallèle, on accompagne d’autres personnages sur leur chemin de vie, avec toutes les difficultés qu’ils rencontrent, les actions qu’ils mettent en place pour s’en sortir et parfois, leurs petits bonheurs,

Comme dans les titres précédents, on a un récit qui donne sans arrêt envie d’en savoir plus. Le contexte historique est intéressant. De plus, on continue d’apprendre et de comprendre le mode de vie des Maoris.

L’auteur (merci au traducteur) a une écriture fluide, très prenante. Les aventures des protagonistes accrochent le lecteur et on ne veut pas les quitter.

Bien sûr, je l’ai dit pour les précédents romans, c’est un peu manichéen, parfois prévisible, mais ça reste un excellent moment de lecture.


"Les illuminés" de Jean Dytar & Laurent-Frédéric Bollée

 

Les illuminés
Auteurs : Laurent-Frédéric Bollée et Jean Dytar (scénario), Jean Dytar (dessin et couleur)
Éditions : Delcourt (25 octobre 2023)
ISBN : ‎ 978-2413042556
150 pages

Quatrième de couverture

Qui se cache à l'ombre des Illuminations, cette pièce unique de la poésie française ? Arthur Rimbaud, bien sûr, mais aussi Paul Verlaine et Germain Nouveau. Entre 1872 et 1877, les trois poètes se tournent autour, se cherchent, se fuient, s'enivrent, tentent d'être libres ou s'acharnent à ne pas l'être. Et puis un manuscrit, l'ultime, circule de main en main et semble leur brûler les doigts...

Mon avis

Cette bande dessinée est très ambitieuse tant dans la forme que dans le contenu. Elle est imprimée sur un très beau papier, ni lisse ni brillant comme pour d’autres albums. Je trouve que c’est bien car ça donne du cachet et le toucher est très agréable.

Les couleurs sont des pastels, on dirait de la peinture à l’eau et une même nuance suit un individu sur plusieurs pages. Les dessins ont un aspect ancien, très beau. Ils sont magnifiques avec des ombres diffuses, on dirait de vieux daguerréotypes.

Le lien entre les trois personnages est fait par le manuscrit des « Illuminations ». Il est le point commun entre eux, chacun l’ayant eu en mains à un moment ou un autre. Ce livre est un chef d’œuvre de poésie qui aurait très bien pu ne jamais être édité et on apprend le rôle de Germain Nouveau.

L’histoire s’étire de 1872 à 1886 et on découvre ces hommes, leurs problèmes, leurs souhaits etc. La construction du récit se fait parfois sur deux ou trois « bandes » en simultané pour voir le devenir de chacun (alors qu’ils ne sont pas au même endroit), on les suit en parallèle. Cela entraîne une lecture exigeante mais très riche.

Cette narration croisée est originale mais désarçonnera certains lecteurs. On lit en alternance ou de façon linéaire en ne suivant qu’une « bande »….

Les auteurs se sont beaucoup renseignés, ont regardé des tableaux avant d’écrire et dessiner, tout en faisant travailler leur imaginaire.

Une œuvre singulière, remarquable, à lire si on aime dans le désordre : la poésie, les BD, la littérature ….






"Fracassé" de Hanif Kureishi (Shattered)

 

Fracassé (Shattered)
Auteur : Hanif Kureishi
Traduit de l’anglais par Florence Cabaret
Éditions : Bourgois (2 Janvier 2025)
ISBN : 978-2267053326
314 pages

Quatrième de couverture

Le 26 décembre 2022, alors qu’il passe les fêtes de fin d’année à Rome dans la famille de son épouse, Hanif Kureishi perd connaissance et fait une chute. Quand il se réveille, on lui apprend que cet accident le laissera définitivement paralysé. Mais très vite, pour ne pas se laisser abattre sur son lit d’hôpital, Hanif Kureishi veut écrire, s’exprimer, pour survivre, ne pas devenir fou. N’étant plus capable de faire usage de ses mains, il commence à dicter des phrases à ses proches. Pour faire le récit, jour après jour, de sa nouvelle vie. Sa famille devient sa plume et le témoin de ses pensées les plus personnelles, sur son état de santé, mais également sur son passé, son couple et ses enfants, l’amour, l’immigration, le sexe et l’écriture.

Mon avis

Autrefois, j’avais la capacité d’agir, j’ai eu un aperçu d’une certaine liberté, avant que tout ne me soit retiré, pour me laisser face à cette seule dépendance et à la rage de l’impuissance.

D’Hanif Kureishi, je ne connaissais que « My Beautiful Laundrette », film dont il a écrit le scénario. J’ignore tout de ses romans. Maintenant que j’ai lu son dernier livre, je connais un peu l’homme à travers tout ce qu’il partage dans ce dernier écrit et j’ai envie de lire d’autres titres de lui.

Le lendemain de Noël 2022, il s’évanouit et se réveille tétraplégique. Non seulement, il ne peut plus tenir ses stylos et écrire sur la page, mais il a besoin d’être assisté pour tout ! D’abord hospitalisé en Italie, où il était avec sa femme au moment où sa vie a basculé, il finit par revenir en Angleterre et après une rééducation pour récupérer un peu d’autonomie, il rentre chez lui, en décembre 2023. Bien entendu des aménagements ont été mis en place tant humains que matériels.

Dans ce livre, on découvre des « chroniques », dictées à sa famille pendant cette année de « transition », d’acceptation. Il se confie sans tabou, il parle de son quotidien bouleversé, de sa perte de dignité, de l’obligation « d’apprendre la patience ». Il a décidé de continuer d’écrire « pour s’empêcher de mourir de l’intérieur ».

Malgré le contexte difficile, la révolte qui l’habite, il ne reste pas concentré sur son nombril, il décrit son expérience de malade, raconte ses rencontres. Il explique comment il est venu à l’écriture, ce besoin impérieux de coucher les mots sur le papier. Il présente le processus d’écriture qui était le sien, par « association ». Il n’oublie pas son amour de la lecture.

« Une fois que j’ai su lire, j’ai été libre. » (comme je le comprends !)

Il a le sentiment d’avoir perdu son corps, il a fallu qu’il s’en accommode après le choc de ce qui lui est arrivé. Les journées sont longues lorsqu’on ne peut pas se gratter l’oreille, mettre la télévision en route, tourner les pages d’un journal ou utiliser la souris de son ordinateur (et j’en passe…)
Alors, il attend et espère les visites car la conversation, l’écoute, prennent tout leur sens. Dialoguer éloigne les démons, la déprime, permet de revenir à une espèce de normalité.

Dans ces pages qui ressemblent à celles d’un journal intime, Hanif Kuresihi n’élude aucun sujet. Il n’oublie pas que ce tsunami a des répercussions sur toute sa famille. Il cite des anecdotes de son passé, d’autres de ce « nouveau » présent. Il évoque le sexe, l’amour, les difficultés de la dépendance, son corps qui ne lui répond plus et qui est ausculté en un an plus que dans toute sa vie d’avant. Il rappelle l’obligation de subir des soins intimes, d’entendre parfois certains commentaires comme lorsqu’on observe son pénis pour vérifier qu’il n’y a pas d’infection. Il se met à nu et ne nous cache pas grand-chose, c’est courageux ! Malgré sa situation, il nous fait sourire, il fait preuve de dérision, d’ironie mordante et surtout d’une intelligence exceptionnelle.

Son corps ne répond plus comme avant mais son esprit vif est intact. Il ne se plaint pas, mais parfois il lâche un « j’aurais aimé que ce qui m'est arrivé ne se soit jamais produit ». Il s’est même posé la question : pourquoi moi ?

Ce recueil ne présente pas le cheminement d’un homme vers la résilience. Il y a des hauts, des bas, des coups de déprime, de colère, de révolte, des petites joies (le retour à la maison même si son bureau est à l’étage donc inaccessible… )

J’ai trouvé l’extrait ci-dessous particulièrement édifiant.

« Je ne serai plus jamais comme eux ; je vais devoir apprendre comment habiter cette personne que je suis devenue. Mais je n’en ai aucune envie, je suis aux prises avec un combat intérieur, je ne veux pas abandonner celui que j’étais avant. »

Plusieurs émotions se glissent entre les pages, parfois il remercie ceux qui l’aident, parfois les souvenirs reviennent au galop, avec nostalgie ou un petit sourire pour ce qu’il a vécu avec les uns ou les autres.

La douleur est quelques fois violente et il n’en peut plus. Pourtant il éprouve le besoin d’écrire encore et encore, pas tout de suite un roman, car ce qu’il vit l’occupe trop, mais écrire… Qu’il se rassure, c’est magnifique, émouvant, ça sonne juste et c’est un coup de cœur !

NB : merci à la traductrice.